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Chapitre 1 La Chute des Héros

Nous autres, érudits et chercheurs, devons considérer la guerre comme une science, au même titre que les mathématiques, les arts ou encore l’astronomie.

(…)

La magie se retrouve souvent employée à tort ou à raison, pour sa puissance brute et les possibilités immenses qu’elle revêt. Pourtant, elle ne devrait pas être considérée comme une finalité, mais plutôt comme un outil. Un outil qu’il nous faut alors apprendre à utiliser avec parcimonie.

(…)

Ainsi, l'Âge des Héros, époque sombre où la force d’un seul primait sur le tout, apparaît comme révolu. L’ère est désormais au progrès, que l’on se doit embrasser sous toutes ses formes.

Mémoires de Razhan l’Astucieux, L’ascension du Génie Gerbois,

Par Azula Luneclaire, Haute Magistère de la Maison des Arcanes,

Année 27 du calendrier Royal.

*****

Plaines de l’Altarie, province libre de Seddis.

Les premiers rayons du jour caressaient à peine les vastes plaines céréalières, que déjà l’air était lourd et saturé d’énergie. Un vent sec en provenance du sud gémissait entre les rares bosquets d’épineux encore debout, et balayait de son souffle brûlant les mornes champs aux teintes jaunâtres. L’Altarie, qui serpentait lascivement dans le creux des vallons, ne devait pas dépasser plus d’un bras de hauteur d’eau dans son lit. La saison sèche s’annonçait une fois de plus rude. 

Positionnées le long des plateaux escarpés bordant les méandres de la rivière, et distantes d’environ deux milles pas l'une de l'autre, les deux armées se faisaient face dans un silence tendu que seuls venaient troubler le bruit du vent dans les étendards et les hennissements d’impatience des chevaux. 

C’était ici que se déroulerait l’ultime bataille, conclusion de près de trente longues années de guerre. Le Haut Conseil des Cités Libres avait tranché après d'intenses délibérations et d'âpres négociations. 

La menace ne pouvait plus être prise à la légère. 

Les armées du royaume belliqueux d’Ircanie seraient écrasées sur ces terres, leurs sangs immondes abreuveraient la rivière, et les ossements de la Reine Noire brisés et éparpillés aux vents.

*****

Le garçon jeta son paquetage au sol et courut se mettre à l’abri des regards derrière une haie d’arbustes malingres. Son voisin de poste, un vétéran borgne coiffé d’une calotte de cuir usé, se fendit d’un sourire aux dents gâtées. 

— Et bien alors gamin, on a la coulante ? T’fais pas de bile, ricana le vieil homme en le regardant s’éloigner. Je t’ai déjà expliqué que rien ne peut nous arriver de là où l’on s’trouve. Les Armées Libres vont écraser la royale catin et ses grandes ambitions. Fais-moi confiance Tôlem, ce soir nous festoierons à la paix retrouvée, et toi tu pourras retourner à ta ferme armé d’une belle histoire à raconter à toutes les jeunes femmes du village.

Tôlem feignit d’ignorer la remarque du soldat ni de voir son sourire narquois. Cela faisait bien quatre fois que le garçon s'éloignait à la hâte afin de soulager sa vessie et délester ses boyaux, mais la main griffue de la peur continuait de lui tordre le ventre.

Lorsqu’il eut fini sa besogne, il essuya d’un revers de bras la sueur froide qui lui perlait le front et adressa un pâle regard au vieux soldat.

— Comment pouvez-vous être si confiant, messire Orion ? Finit-il par lâcher faiblement.

— J’t’ai déjà demandé cent fois d’arréter de me servir du “messire” gamin ! Aujourd’hui t’es un soldat, un frère d'armes ! Mais comme tu persistes à trembler de peur à la façon d’un jouvenceau devant une paire de miches, je vais te réexpliquer les choses une dernière fois. Alors ouvre grand tes mirettes, tu as face à toi la plus grande armée jamais réunie des Royaumes Libres ! 

Orion écarta les bras, embrassant d’un geste ample la plaine qui s'étendait sous leurs pieds. Une marée humaine. Des dizaines de bataillons en ordre serré attendaient dans une nervosité grandissante, tandis que des nuées de messagers allaient et venaient autour d'eux.

— Observe tous ces étendards bariolés, ces bannières resplendissantes, ces blasons triomphants, ces écussons glorieux ! Derrière chacun d'entre eux se trouve une fière armée. Une armée pour chacune des Cités Libres ayant répondues à l’appel du Haut Conseil. Une putain de décision historique depuis le Déracinement, Tôlem. Devant nous, les lignes infranchissables des Hoplites d’Uguria la Resplendissante et leurs lances mortelles. Là-bas, regarde sur le flanc, les Chevaucheurs de Bréron et leur charge capable de briser n’importe quelle ennemie. Mais aussi des tirailleurs venus de Gortyn, les Lames Pourpres de Tripolos, devenues légendaire après avoir stoppé le dernier khan-tyran maka… En tout, plus de vingt armées, cent vingt milles hommes et femmes, soutenus par nos sorciers, mages, ensorceleurs… Et si ça ne suffisait pas…

D’un signe de tête, il désigna une troupe hétéroclite de soldats déjà avancé sur plaine, non loin du bataillon des Légions Noires.

— Gadr’k et sa Meute… Des mercenaires, des écumeurs de champs de batailles, attirés par l’odeur du sang comme des mouches sur un cadavre… souffla-t-il à mi-voix, comme de peur d’être entendu. Regarde bien Tôlem, je suis prêt à parier l’œil qui m’reste que tu n’as encore jamais vu de digne représentant des races anciennes, pas vrai ? Et même que tu n’as encore jamais vu de non-humain depuis le fond crotté de ta ferme ? Alors admire Gadr’k et ses sombres bâtards. L’un des derniers rejetons dégénérés de sa maudite race. Du temps d’avant la Chute. C’est un Aspirant gamin. Un Presque-Dieu. Tu sais ce que ça veut dire ? Il vient ici pour un bon bain de sang, le genre qui pourrait peut-être faire enfin de lui ce qu’il souhaite…

Depuis les hauteurs de leur promontoire dominant la plaine, la Meute ressemblait à un horde disparate et désorganisée, chaque membre prêt à se jeter furieusement dans la bataille. Le vétéran avait vu juste. Tôlem observait pour la première fois ces créatures, jusque-là confinées à ses contes d’enfance. Devant ses yeux incrédules s’agitaient des Isthres, autrefois habitants des forêts, silhouettes longilignes à la peau verte tapissée de plantes, armés d’arcs immenses en bois gravés de glyphes émeraudes; quelques Gerbois, curieuses souris bipèdes aux pattes longues et tordues, équipés de curieuses lances à la pointe recourbée; d’impressionnants Makas, aux corps énormes et aux membres simiesques recouverts de fourrures ocres, maniants de colossales bâtons cloutés avec autant de facilité qu’ils semblaient ne rien peser entre leurs pattes; ainsi que de nombreuses autres races encore qui lui étaient parfaitement inconnues.

Ainsi, le monde serait-il si grand ?

Même au sein de ce bataillon composé en grande partie de non-humains, il était impossible de ne pas repérer leur chef, Gadr’k. 

Par le Souffle de l’Unique, alors c’est donc ça un Ancien ? pensa Tôlem en réprimant un frisson glacé.

L'Ancien avait l'apparence d'un gigantesque lézard bipède d'un bleu lapis-lazuli, deux fois plus grand qu'un homme adulte et dont le corps écailleux se prolongeait en une large structure osseuse cornue protégeant un énorme crâne. En guise d'armure, la bête portait une imposante plaque de métal doré ornée de bas-reliefs, qui recouvrait son torse et son dos, attachée par d'énormes chaînes passant par-dessus ses épaules. Tôlem estima que la bête devait peser au bas mot le poids d’un taureau adulte. En plus de ses armes naturelles - des crocs acérés qui émergeaient de sous ses babines squameuses et des pattes puissantes dotées de longues griffes -, Gadr’k maniait une énorme épée archaïque,  sorte de fendoir taillé dans une roche noire luisante. Une large chaîne retenait le pommeau de l’arme à son poignet écailleux, de sorte pensa Tôlem, que l'épée ne soit abandonnée dans la mêlée sous l'emprise de quelques instincts primitifs.

— Enfanté par le sang maudit d’Uukha le Fléau… murmura Tôlem, ne parvenant pas à détourner son regard de la créature géante qui faisait les cents pas devant son bataillon impatient. Nos ancêtres ont dû avoir fort à faire face à ses monstres…

— Quand les combats commenceront, Gadr’k voudra être le premier à faire gicler le sang, reprit Orion. Le fils du Fléau ne laissera personne lui voler sa gloire. Mais il n’est pas la seule terreur de ce champ de bataille. Jette un coup d’œil derrière moi, du côté des tentes de commandement. 

Orion pointa du doigt un homme élancé situé non loin d’eux, qui déambulait indifférent à l’agitation des messagers, comme plongé dans une profonde transe méditative. Une épaisse barbe noire tressée de pierreries chatoyantes bouffait son visage dur et fermé. Ses luxueux habits, brodés avec élégance, dénotaient avec l’idée du carnage à venir. Un riche seigneur qui vient contempler la boucherie, comme l’on vient assister à un spectacle itinérant…  Tôlem mit quelques instants à remarquer que l’atmosphère autour de l’homme se faisait dense, presque tangible, comparable aux vagues de chaleur émanant des sols brûlants en été. 

— Incroyable… souffla Tôlem, les yeux soudainement écarquillés par ce qui se déroulait devant lui. Du fluide, mais si intense, si concentré qu’on parvient à le voir. Comment… Comment est-ce possible ?

— Lui, c’est Idrisha, reprit le vétéran en grattant son orbite vide d’un doigt terreux. T’es d’ici alors t’as déjà dû entendre ce nom, pour sûr. L’Arcaniste de Seddis. Parait qu’il aurait plus de deux cents ans. Le péteux a daigné sortir de sa tour lumineuse pour nous donner un coup de main. Encore un foutu Aspirant, et je te fais pas un dessin, lui son truc c’est la magie. 

— Avec lui à nos côtés, même les Magistères de Guerre ircaniens n’auront pas la moindre chance !  

— Pour sûr que ça devrait aider. C’que je veux te montrer gamin, c’est que cette fois nous ne sommes pas seuls. Tous les héros, les élus et autres prétendus divins des Territoires Libres ont ramené leurs fesses pour la curée. Et ils espèrent bien ne pas en perdre une miette.

Un sourire fugace étira les lèvres sèches de Tôlem et son visage regagna quelques teintes. Orion avait raison. Après tout, le vieux vétéran savait de quoi il parlait ; l'homme en avait vu d'autres au fil des années. Et puis, perchés sur leur promontoire surplombant le champ de bataille, le duo ne risquait pas grand-chose.

Soudain, de nombreux messagers émergèrent des tentes de commandements et se précipitèrent jusqu’à leur bataillon respectif. Les clairons résonnèrent dans la vallée.

Les moineaux s'agitent, l’assaut ne devrait plus tarder ! Alors ouvre bien tes mirettes gamin, tu auras la chance de survivre à un jour historique !

Une foutue chance dont je me serais bien passée ! 

Tôlem couru se vider les boyaux.

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