Loading...
1 - Prologue
2 - Chapitre 1
3 - Chapitre 1
4 - Chapitre 1
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Athyrion
Share the book

Chapitre 1

Une chance comme ça, on la souhaite à son pire ennemi. 

Trois jours auparavant, Tôlem, adolescent rêveur au visage déjà marqué par le soleil et le labeur physique, célébrait son seizième anniversaire dans sa ferme familiale, située à une demi-journée de marche de l’Altarie et à une journée de Seddis la Rouge. Pour l'occasion, son père l'avait exempté des tâches quotidiennes liées à l'exploitation agricole. Libéré de la corvée de traite et de la réparation des clôtures, le garçon avait décidé de se rendre à Didyme, le village le plus proche, afin d’acheter un cadeau pour l’élue de son cœur, la belle Asha. Il espérait ainsi officialiser son amour pour la jeune fille de la ferme voisine. Même Mère Gautrel, la rude matriarche qui régnait plus durement sur l’exploitation qu’un tyran sur son royaume, serait enchantée par cette union qui assurait prospérité à la famille pour les années à venir. 

Seulement, rien ne s’était déroulé comme prévu. 

Alors que Tôlem sortait de chez Dame Galys, tenant entre ses mains l'un de ces petits bijoux très prisés par les jeunes femmes de la région et acheté à prix d'or avec toutes ses modestes économies, son chemin avait croisé celui d’un officier de Seddis. 

Le Grand Conclave avait décrété quelques jours auparavant que tous les villages environnants devraient fournir des hommes d’au moins seize ans pour soutenir logistiquement l’armée des Cités Libres en vue de la bataille imminente. Le destin voulu que cet après midi là, l’officier que Tôlem envoya malencontreusement les fesses dans la poussière soit précisément celui chargé des recrutements pour le village de Didyme. 

Soixante-dix recrues. Telle était la contribution qu’attendait le Haut Conseil de la part de la ville de Didyme. Il en manquait encore sept à l’officier pour remplir à bien sa mission. Une pluie de jurons plus tard, Tôlem devint la soixante quatrième recrue désignée de la ville de Didyme.

Encore sous le choc du cruel hasard, Tôlem se hâta de retrouver Asha, désireux de lui ouvrir enfin son cœur et de partager ses tourments avant la terrible épreuve à venir. 

Durant les plus heures chaudes de l’après-midi, alors que le soleil embrasait les pâturages, la belle avait l’habitude de conduire ses bêtes près d’un petit ruisseau. Pourtant, lorsqu'il arriva sur les lieux, les chèvres paissaient paisiblement au bord de l'eau, mais il ne trouva nulle trace de la jeune femme. 

Tôlem appela son nom en vain, puis ses recherches le menèrent au vieux moulin en ruine, quelques centaines de pas plus loin. On prétendait les ruines hantées et ce fut la peur au ventre qu’il pénétra prudemment dans le bâtiment en partie effondré, craignant qu’un terrible malheur se soit abattu sur l’élue de son cœur. 

Mais aucun malheur ne rôdait dans les ténèbres du vieux moulin. Et lorsque Tôlem retrouva finalement Asha, il découvrit la belle à califourchon sur Grimmir, le fils du fermier voisin.

Les yeux bouffis de larmes, Tôlem jeta le bijou à la rivière et se promit de ne plus jamais aimer. Il passa le reste de la soirée inconsolable, à sangloter, et ne parvint à s'endormir que tard dans la nuit. 

Deux soldats aux couleurs de Seddis attendaient devant les portes de la ferme au petit jour. La négociation qui s’ensuivit avec Mère Gautrel fut brève. Le Grand Conclave offrait en dédommagement cinq pièces d'argent par jour de service, bien plus que ne pouvait espérer en gagner le gamin. 

Un carillon plus tard, Tôlem marchait en direction du campement accompagné des soixante-neuf autres recrues.

*****

Le campement militaire grouillait d’un indescriptible chaos. Une marée humaine à l’écume bouillonnante où se mêlaient les cris des bêtes, le cliquetis des armes, et l'agitation fébrile des soldats se préparant à l'imminente bataille.. 

De toute sa jeune vie, jamais Tôlem n’avait vu autant d’hommes, de femmes, et d’animaux réunis au sein d’un même endroit. Des rangées de tentes de toutes tailles s'étendaient à perte de vue, formant d’étroites ruelles de terre battue où circulaient soldats, serviteurs et commerçants ambulants.

Dans ce chaos de toiles rapiécées et de cuirs tendus, les hommes grouillaient comme des insectes, affairés à de multiples tâches confuses. Un brouhaha incessant remplissait l'air, mêlant les discussions animées aux tintements métalliques, aux crépitements des feux et aux hennissements des chevaux. Une senteur âcre de sueur, de fumée et de nourriture rance flottait lourdement dans l'atmosphère, enveloppant le campement d'une ambiance fiévreuse.

Les plaines de l’Altarie, d’ordinaires mornes et jaunâtres à l’arrivée de la saison sèche, s’étaient colorées d’une multitude de teintes pour chaque blason et oriflamme perçant le ciel. 

L’officier recruteur, un parvenu prétentieux à la rancune plus dure qu’un bloc de granite, confia Tôlem aux bons soins d’un vétéran borgne et bavard. Le soldat dédia la fin de la matinée à la visite de leur campement. Tôlem appris de la bouche d’Orion que la bataille décisive aurait lieu dans deux jours et il  restait encore fort à faire pour préparer l’affrontement.

Ainsi, les deux hommes, accompagnés d’une foule d’autres soldats, s’étaient rendus l'après-midi sur la plaine alluviale de l’Altarie où se déroulerait la bataille à venir. Ils s’attelèrent à creuser de profondes fosses latérales, puis les camouflèrent de branchages fins. Le labeur, effectué sous un soleil de plomb et sous les assauts permanents des diptères, s’avéra particulièrement éreintant. Tôlem surprit les militaires par son endurance. Bien qu’encore frêle, le jeune garçon possédait déjà la robustesse d’une courte vie consacrée aux travaux physiques. Orion semblait accuser quant à lui le poids des années.

— Tu vois… gamin… Ces fosses… elles empêcheront, expliqua-t-il à bout de souffle, les déplacements des foutus chars, qui ont fauchés notre infanterie comme des blés mûrs. Les lames ambulantes nous ont causé de nombreuses défaites durant les derniers affrontements. Sais-tu quelle est la plus grande force de ces putains du désert ?

— C’est que je n’y connais pas grand chose en guerre, messire Orion…

— L’effet de surprise ! Pour sûr, Razhan, ce rat des sables, s’y connaît en surprise… 

Le vétéran cracha dans la poussière, comme pour se débarrasser d’un goût infect sur sa langue. 

— Razhan ? Questionna Tôlem tout en plantant sa pelle dans le sol sec. Le coup arracha une large touffe d’herbes, réveillant au soleil une multitude d’insectes qui se hâtèrent de retrouver les ténèbres.  J’ai entendu ce nom circuler plus d’une fois dans les allées du camp. Est-ce l’un des Aspirants en quête de gloire ? 

— Non, non, Razhan est différent, répondit Orion en s’appuyant sur sa pelle, le corps inondé de sueur. C’est le familier de la Reine. Un gerbois. Une souris du désert qui sautille dans son ombre comme un chien bien dressé. Mais un chien qui serait foutrement malin. Derrière sa gueule de mulot et ses grandes oreilles, Razhan dissimule une sacrée cervelle. Si le Roi Darius est un tyran et la Reine Sémira une manipulatrice ambitieuse, Razhan est le véritable génie militaire du royaume d’Ircanie. Les chars à faux sont parmi ses “inventions”. Bon nombre de nos frères d'armes lui doivent de bouffer la racine des pissenlits…   

Les épaules du vieux soldat s'affaissèrent davantage, rappelant à quel point la guerre l’avait usé. Les conquêtes des Territoires Libres par le royaume d’Ircanie duraient depuis vingt-neuf longues années et certains militaires comme Orion avaient connu les premiers affrontements. Après un instant de silence où il sembla être plongé dans de tristes souvenirs, le vétéran se redressa, esquissa un sourire à l'attention de Tôlem et désigna de sa pelle la vaste plaine.

— Cette fois gamin se sera différent. L’avantage stratégique du terrain est pour nous. 

Le lendemain, Orion jugea qu’il était temps pour Tôlem de connaître son rôle dans la bataille imminente. Le vétéran et le garçon seraient chargés d’approvisionner et de recharger l’un des redoutables Scorpions-Dardeurs. L’impressionnante baliste qui faisait la fierté des ingénieurs Seddissiens, était capable de lancer d'énormes carreaux d'arbalète à une distance dévastatrice de plus de quatre cents pas et de perforer de part en part un homme en armure complète. Ses machines de guerre représentaient un danger de taille pour l’infanterie lourde ennemie, réputée peu mobile.

La tâche consistait à insérer un projectile -sorte de flèche aussi longue qu’un homme et qui tenait davantage de la lance- dans une rigole de bois creux, puis de tendre au maximum la corde faite de tendons doublés de fils de métal, à l’aide d’une paire de treuils. Bien que physique, le travail était plutôt simple.   De plus, les deux hommes auraient la chance de se retrouver à bonne distance des combats, tout en disposant d’une vue imprenable sur le champ de bataille. 

Le risque de rejoindre l’Océan des Âmes s’avérait finalement limité. 

Cette idée remit un peu de baume sur le cœur meurtri de Tôlem. L’agitation continuelle du camp, les nombreuses informations à ingurgiter et la bonté simple d’Orion chassèrent le temps d’une journée les idées noires qui rongeaient les viscères du garçon. 

La veille de la bataille, les soldats purent profiter d’un moment de repos afin de préserver leurs forces pour la bataille. Un ragoût de viande accompagné d’alcool de céréales fut servi au souper. Tôlem goûta pour la première fois ce liquide sucré et amer que raffolait tant Mère Gautrel. Il trouva le breuvage passablement mauvais. Pourtant, l'excitation qui émanait de ce moment étrange de flottement précédant la mort, et le drôle d’effet que produisit la boisson, le poussa à se resservir plus d’une fois. 

Tôlem profita également de la soirée pour en apprendre davantage sur la vie de son mentor. Orion combattait au sein des troupes régulières de Seddis depuis plus de vingt ans. Il avait traversé au cours des dernières années nombre affrontements terribles, victoires comme défaites, et avait perdu son œil emporté par un éclat de flèche lors d’une embuscade dans les monts du Rhas. Les armées d’Ircanie avaient continué leur avancée inexorable, annexant toujours plus de territoires sous les ordres du tyran Darius. Lorsque Irzinia la Dorée était tombée devant les armées ircaniennes, les Cités Libres restantes s’étaient enfin décidées à unir leurs forces. Orion nourrissait l’espoir que cette alliance historique achèverait pour de bon cette guerre cruelle. Le vétéran était las du sang et des morts. Il rêvait chaque nuit de retrouver son foyer. Revoir sa femme, ses enfants, rencontrer ses petits-enfants. Tôlem lui rappelait son plus jeune fils, Alexandros, qu’il n'avait plus vu depuis huit longues années. L’enfant devait être à présent un homme.

Une fois les derniers tonneaux vidés et que les discussions philosophiques conclues, Tôlem s’endormit curieusement à poing fermé.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet