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La ville s’agite

41e jour de la saison des soleils 2447

Nothar. Leith n'avait pas vu la Cité Blanche depuis si longtemps. Elle n'avait jamais oublié les collines ondulantes de la région parsemées des fameux arbres blancs de Daigorn. Les sols les plus riches d'Aerinda étaient sous ses pieds. La température était parfaite, une douce chaleur en cette fin d'été. Des vents forts et soudains lui rappelaient que les tornades étaient fréquentes ici.

Elle marchait sur un chemin de terre battu par les bottes, les sabots et les roues. Tout autour de la ville, il y avait des dizaines de champs de cultures variées d'une taille absurde. La plupart d'entre eux étaient endommagés, certains à peine touchés, d'autres rasés.  Il n'y avait aucun signe de combat ou de feu, mais il y avait la trace caractéristique de vents dangereux, peut-être d'une tornade.

Ça semblait le cas, mais Leith n'en était pas si certaine.

Elle contourna quelques fermes sur son chemin. Elles étaient encore plus nombreuses qu'avant. La production avait augmenté, sûrement à la demande du Haut Roi qui essayait de répartir la grande quantité de ressources que Daigorn pouvait fournir sur ses nombreux territoires. Les fermiers n'avaient pas l'air en aussi bonne santé qu'avant. Il n’y avait pas de chansons, pas de discussions, pas de rire.

Le deuxième soleil s’apprêtait à donner toute la gloire à son jumeau. Une brise arracha une feuille jaune et mourante d’un arbre. Un troupeau de bisons broutait paisiblement l’herbe des plaines, loin des fermes. Un veau se cacha derrière son énorme mère à la vue de la passante. Le mâle dominant du troupeau la fixa d’un air bourgeonneux, mais sans plus. Tant qu’on ne les dérangeait pas, ils ne chargeaient pas.

Leith s’avançait hâtivement à l’aide de son bâton. La nostalgie l’appelait. Elle n’avait pas remis les pieds à sa maison indigène depuis si longtemps. C’était le parfait endroit pour une retraite : une simple vie de vieille femme l’attendait.

Une forêt où les aspérules poussaient abondamment dans le sous-bois longeait l’horizon. Cette vue colorée lui apporta un confort comme presque aucun autre. Elle sourit doucement, à la fois attristée et résolue.

Enfin, elle arriva à sa destination : Nothar, la capitale du royaume humain de Daigorn, surnommée la Mère Blanche ou la Cité Blanche. Elle brava la marée de gens et traversa un pont-levis. Elle s’arrêta devant une majestueuse porte de bois et de pierre qui la surplombait. Aussi grande qu'elle soit, cette entrée était accueillante.

Nothar avait été façonnée avec attention sur une base de pierres blanches ou grises. Fiers de leurs origines, les Daigorniens affichaient souvent des aspérules blanches, le sigle de leur royaume. On racontait aussi que ça calmait les vents, car Mère Elysia les adorait. Une fausseté ridicule.

Le Mur Pâle, les murs fortifiés autour de la ville, avait doublé d'épaisseur. De nouvelles tours défensives avaient été construites ; ces nouvelles tours étaient équipées de meurtrières. De multiples bâtisseurs y travaillaient encore, même en cette fin d’après-midi.

Leith devinait ce qui se passait.

Les guerres ont finalement réussi à toucher aux landes paisibles de Daigorn, songea-t-elle, affligée d’une horreur éphémère.

Puis, une scène l’inspira. Un à côté de l’autre, une église et un clocher surplombaient le reste des bâtiments au cœur de la cité. Cette vieille beauté était chez elle et elle allait y rester en tant que protecteur. Ce, malgré qu’elle sache que Nothar a toujours été loin d’être parfaite.

Elle avait été conquise par le roi d’Elthen, faisant de celui de Daigorn un seigneur-suzerain sous sa protection et son autorité. Contrairement aux croyances, les menaces les plus terribles provenaient souvent de l’intérieur et non de l’extérieur. Seigneur Kindirah concentrait souvent ses efforts à maintenir des relations amicales avec les autres royaumes et négligeait son peuple.

Leith n’avait jamais aimé voir les bannières d’Elthen, une coupe dorée sur un fond brun, accrochées aux murs de Nothar.

— Un étranger parmi nous, murmura-t-elle en effleurant ses doigts sur la bannière.

— Hey! appela un homme qui se trouvait au sommet de la muraille à droite des portes. Ne touchez pas aux bannières!

Leith leva la tête afin d’observer son interlocuteur. Celui-ci était grand, assez costaud et portait une armure de plaques sous une veste violette décorée de l’emblème du royaume en son centre : une aspérule blanche.

— Leith, c’est bien vous? questionna le garde de la cité, une touche de merveille dans sa voix.

Leith ne répondit qu’avec un haussement de sourcils, intriguée. L’inconnu mystère descendit de la muraille pour aller à sa rencontre. Lorsqu’il retira son heaume, elle le reconnut enfin.

— Kardun! Comme tu as grandi et à ce que je vois, tu es aussi devenu un adulte et un fier soldat.

Kardun ricana nerveusement. Il sourit faiblement, cherchant visiblement ses mots.

— Capitaine de la Garde Citadine, corrigea-t-il en rougissant légèrement.

Ses cheveux sombres étaient coupés de manière à lui donner un air louche, mais il parvenait toujours à rayonner de joie et de charme.

— Vous revenez pour de bon, cette fois? demanda-t-il.

— Oui, répondit Leith en souriant. Quel âge as-tu à présent? Cela fait si longtemps que je ne t’ai pas vu.

— Cela fait des décennies ! Ack... Je n'ai que quarante-deux ans.

— Je m’étonne que tu me reconnaisses après toutes ces années. Tu n’étais qu’un enfant à cette époque. Tu es béni d’une excellente mémoire.

Il effleura nerveusement son heaume tout en fixant son interlocutrice d’un regard admiratif. Elle lui sourit. Regardant aux alentours, tant de précieux souvenirs surgirent de sa mémoire. Son visage s’assombrit.

— Quelque chose ne va pas? demanda-t-il.

La vieille femme serra sa poigne sur son bâton. Conçu à partir d’un bois rare provenant des forêts de Nadalé, seul le plus éduqué des filous saurait sa vraie valeur.

— Tout va bien? demanda le garde.

Leith ne pouvait pas s’empêcher de se sentir comme si quelque chose d’imprévisible allait se produire, quelque chose qui n’avait aucun lien avec Kardun. Elle ressentait le besoin de bouger.

— Je dois partir, annonça Leith. Ne t’inquiète pas. Tout va bien.

Elle le salua en levant doucement la main droite vers le ciel et reprit sa route. Kardun ne protesta pas contre sa décision. Il glissa son heaume sur sa tête, se pencha vers l’avant en signe de respect et retourna à son poste.

Leith, de son côté, continua en direction du centre-ville, là où se mêlent les gens de basse naissance et ceux de haute naissance. Tirant avantage de son bâton, elle l’utilisa comme support même si elle n’en avait guère besoin. Elle était forte considérant son âge avancé.

Le secteur du marché grouillait de gens qui se croisaient dans un brouhaha perpétuellement joyeux. Bourgeois comme paysans essayaient de vaquer à leurs affaires. Leith passait inaperçue dans les rues contre lesquelles longeaient des centaines de magasins de tous types. Une atmosphère joviale et dynamique régnait. Les rires des enfants, les conversations des adultes et les claquements de sabots des chevaux sur la pierre retentissaient sur la place. Au centre des rues, les chariots étaient tirés par des montures tandis que, sur les abords, les gens se promenaient à pied avec hâte.

Leith n’avait pas une destination particulière. Tout ce dont elle était certaine, c’était qu’elle visitait la ville et qu’elle appréciait le moment présent. Au fond d’elle-même, elle ne niait pas s’être ennuyée de ces cohues et de cette ambiance.

Un couinement horrifié brisa sa paix.

— Qu’est-ce que tu crois que tu fais, sale petite idiote!? hurla un homme. Je n’ai pas de patience pour les filous!

Leith s’arrêta et scruta la foule à la recherche de la source de tout ce vacarme. Non loin d’elle se trouvait un humble kiosque. Son vendeur, un grand homme costaud qui semblait être dans sa trentaine, souleva une demoiselle par le collet. Son visage était rougi par la colère. Il leva sa main libre pour frapper. Son coup de poing heurta un bâton solide qui avait été placé de sorte à protéger la victime.

— Allons, allons calmez-vous, monsieur, riposta Leith d’une voix douce et patiente. Rien ne se règle avec la violence.

— Et en quoi cela te regarde-t-il, vieille femme? répliqua l’homme en fusillant l’intrus du regard.

— Libérez-la, monsieur.

Il obéit avec des mouvements mécaniques et lents. Quelques passants s’étaient arrêtés pour les dévisager. Leith ne se laissa pas perturber. Elle s’appuya contre son bâton et attendit que la jeune femme s’éloigne de son persécuteur.

— Reste ici toi! rugit la brute. Je n’ai pas fini avec toi.

La demoiselle se figea, blême de peur. Le marchand s’adressa ensuite à Leith :

— Et vous, pour qui vous prenez-vous? L’autorité de cette ville, peut-être? Je ne vous ai jamais vue dans le coin.

— Vous avez amplement raison, répondit Leith avec confiance. Je suis tout simplement quelqu’un qui cherche à aider.

— Pah! À moins que vous ayez des pièces pour payer pour ce qu’elle a volé, elle perdra sa main. La Garde Citadine ne s’embarrasse pas de voleurs.

— Ne vous inquiétez pas, coupa Leith en sortant une petite bourse de la poche de son manteau usé. Je payerai pour elle.

L’homme plissa les yeux d’un air méfiant avant de désigner les rouleaux de bandages d’un doigt gras.

— Juste un? demanda Leith.

— C’est quinze cornes de cuivre pour un rouleau, mais je prendrais un faucon de cuivre pour mes ennuis, jappa-t-il en tendant la main. Dépêche-toi, sinon j’appelle la garde quand même.

Leith fit un clin d’œil subtil à la demoiselle puis empoigna un filet rempli de pommes fraîches. Les yeux de la jeune femme s’agrandirent instantanément lorsqu’elle comprit ce qu’elle allait faire.

— Oh! Mais, vous ne pouvez pas. Je ne l’accepterai pas.

— Ne vous inquiétez point, lui assura Leith en souriant.

— Ce sont des pommes royales. Elles ne sont pas pour nous de basse naissance.

— Trêve de bavardage, s’irrita le commerçant. Ça fait trois faucons de cuivre avec les pommes.

— J’espère que vous trouverez le bonheur, souhaita Leith en fixant l’homme de ses yeux perçants.

— Tch... Quoi? Comment oses-tu dire de telles choses à un homme, femme malotrue!

Après lui avoir remis les pièces, Leith fit volte-face, ignora ses jurons et d’un signe de la main, invita la demoiselle à la suivre. La demoiselle hésita et tremblait toujours. Elle agrippa la manche de sa robe usée et grimaça.

— Ça va aller, dit doucement Leith. Vous n’êtes pas obligé de me suivre, mais je vous recommande de ne pas rester ici, mademoiselle…?

— Litfow, répondit la demoiselle en sursautant. C’est Fayne de la famille Litfow. Fayne Litfow, oui. C’est cela.

— Litfow, murmura l’aînée en fouillant le plus profondément dans sa mémoire en tentant de trouver un lien avec ce nom. Ummm…

— Vous connaissez, madame?

— Si. Enfin, je le connaissais autrefois. Ce nom m’est familier, mais je n’arrive pas à me souvenir pourquoi. C’est dommage.

Elle remit à Fayne ses affaires et commença à s’éloigner de la place du marché animée, s’attendant à ce que l’adolescente parte seule, mais elle l’a suivie quand même.

— Au fait, merci pour les pommes royales, dit Fayne. Je n’en ai goûté qu’une seule fois pour mon neuvième anniversaire. Mon père est bien trop généreux.

— Ce n’est rien. Après tout, vous êtes notre avenir. Au fait, pourquoi avais-tu besoin de ce bandage? Avec le vol vient un prix lourd.

Fayne détourna la tête comme si elle était honteuse.

— Mon amie s’est blessé la patte, murmura-t-elle.

— De quelle espèce d’animal s’agit-il? Peut-être pourrais-je aider. Je suis une guérisseuse.

— Nous sommes toutes les deux des amatrices de plantes.

— J’imagine que c’est un secret bien gardé, murmura Leith en souriant chaleureusement.

Fayne lui fit signe de la suivre.

Alors qu'ils se dirigeaient vers la partie noble de la ville, ils furent brièvement accueillis par un membre de la guilde des herboristes appelée la Bleurètte. En effet, la jeune Litfow portait le collier d'une fleur bleue royal qui validait son appartenance à cette guilde. C'était le seul objet de valeur sur sa personne.

Leith comprenait maintenant pourquoi elle pouvait conserver sa radieuse longue chevelure acajou. La Bleurètte était célèbre pour ses produits de beauté que seuls les gens de haut rang pouvaient se permettre. Elle devait y avoir accès, ou mieux encore, être capable de les fabriquer.

Lorsqu'ils entrèrent dans la partie supérieure de la ville, beaucoup plus de gardes qui patrouillaient. Ici, on peut payer les gardes pour qu'ils se détournent des crimes. Dans la partie basse de la ville, ils faisaient ce qu'ils voulaient et ne pouvaient pas être achetés.  Dans les deux cas, la plupart des gens n'étaient pas en sécurité.

Fayne s’arrêta brusquement devant une magnifique maison à deux étages.

Un guerrier vêtu de brun et d'or aboyait des ordres à quelques Gardes Citadine. Pour une raison quelconque, ils obéissaient sans hésiter. Quelques instants plus tard, un autre sortit de la maison en traînant un adolescent.

— Je ne me suis pas porté volontaire! insista-t-il. Je sais qu'il faut être volontaire pour entrer dans l'armée !

Il fut jeté aux pieds du chef.

— Les temps sont durs maintenant, mon garçon. Tu n'as plus le choix. Quel est ton nom?

— Bentrh.

Le guerrier s’approcha de lui et leva son regard pour qu’il croise le sien.

— Tu es une recrue maintenant, Bentrh. Nous devons te former. Va faire tes bagages. Nous te laisserons dire au revoir à tes parents.

 Fayne laissa échapper un gémissement et continua son chemin en évitant le regard des autres. Elle se frotta le visage avec le dos de son bras. La seule chose qui la sauvait de cela était qu'elle était une fille.

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