41e jour de la saison des soleils 2447
Azéna pouvait s’imaginer la panique et le chaos dehors.
— Monseigneur? questionna le garde d’un ton nerveux.
Reprenant son sérieux, Seigneur Kindirah repoussa une mèche de sa chevelure ébène qui lui était tombée devant les yeux.
— Sa taille! hurla-t-il avec impatience. Quelle est sa couleur?
— Heu… H-hé bien, bégaya le garde. Pour une telle créature, il est petit. À peu près de la hauteur d’un homme et demi, Sir.
— Et!? Sa couleur, garçon!
— Grise! Euh… Plutôt, argenté. Rien d’anormal. Cela importe-t-il vraiment?
— Réponds à mes questions et rien de plus.
Le soldat hocha de la tête, semblant ne pas savoir quoi faire. Bayrne n’attendit pas et agit.
— Sérus. Tu m’accompagnes. Et vous, mes filles, vous restez ici, ajouta-t-il en pointant un doigt autoritaire vers Argent et Azéna.
Il lança un regard à son fils. Sérus ne réagit pas ; il resta droit et sévère, mais Azéna aperçut une faille dans son masque. Ses yeux étaient plus arrondis qu’habituellement; il était anxieux. Après un bref moment, il hocha de la tête.
Bayrne vérifia que son épée était toujours accrochée à sa ceinture et se mit en route.
— Vous restez tous ici.
— Je peux me battre, opina Argent. Je peux aider. S’il te plaît, Père.
— N’ose pas, Argent!
Sérus et le garde sur ses talons, ils s’empressèrent de sortir du château. Il ordonna aux soldats qu’il croisait de le suivre aux portes de l’ouest.
— Il croit vraiment qu’il va m’empêcher de voir un dragon, même si c’est un gris, pouffa Azéna avec émerveillement. Il est complètement fou. Je ne manquerai pas ça.
Quelque chose, comme un instinct, lui disait qu’elle devait aller à la recherche de cet envahisseur écaillé.
Argent se tourna vers elle.
— Azéna, reste ici. Ce n’est pas sécuritaire dehors avec cette créature qui rôde dans les parages. Tu connais les malheurs du passé de notre cité à ce propos.
Arlien, le scribe de la famille, leur avait raconté ces épopées quelques fois au courant de leur jeunesse. Le texte racontait que Nothar avait survécu maintes attaques de créatures légendaires telles que des dragons, des manticores et même des vouivres au travers des âges.
— Tu me connais, grande sœur, insista-t-elle. Tout ira bien. J’ai survécu à toute la merde dont ce royaume corrompu pouvait me lancer. Je suis certaine de survivre un petit dragon, particulièrement un qui va être occupé avec les soldats.
Elle suivit les traces de son père en courant comme si sa vie en dépendait. En réalité, plus elle faisait de pas, plus elle avait envie de voir ce dragon.
— Elle a perdu ses esprits! couina Tria, stupéfaite. Personne ne pourra l’arrêter une fois qu’elle commence sauf de la force.
Fayne suivit son amie du mieux qu'elle put, mais elle n'était pas assez rapide. Elle put la rattraper rien qu’en cause de la foule qui bloquait le chemin. Elle tenta d'imiter ses mouvements acrobatiques, réussissant à maintenir le cap rien que par chance. Elle faillit heurter des murs et souvent, elle marchait sur les pieds des gens.
— Azéna, arrête-toi!
La Kindirah ignora ses avertissements et continua de courir avec fougue quand elle le pouvait.
— On risque de se faire dévorer. Tu comprends ça? hurla l’herboriste en pleine course.
— T’es une froussarde, Fayne! C’est ça la vie : une aventure, pas être enfermé dans ta demeure, bien au chaud.
Elle se faufila entre les gens en tentant de gagner du terrain. Derrière, Fayne s’excusait en son nom pour calmer les citoyens qu’elle irritait.
— Laissez passer, grogna Azéna, déterminée à éviter tous les obstacles sur son chemin.
Elle fut bloquée par un jeune garçon en plein cœur du trafic. Elle tenta de la dépasser, mais il n’y avait rien à faire. On dirait presque qu’il faisait exprès pour lui encombrer le passage.
— Mausus! Pousse-toi, le gamin! hurla-t-elle.
Le garçon lui lança un regard noir et encore une fois, lui bloqua le passage. Chaque fois qu’elle tentait de le contourner, il se planta devant elle. Elle sauta, se servit de son épaule comme une plateforme pour sa main et atterrit de l’autre côté. L’adrénaline dans le sang, elle courut sans hésitation. Elle leva le regard et aperçut un homme encapuchonné devant elle. Ne pouvant s’arrêter à temps, elle se glissa entre ses jambes et lui donna un coup de pied dans les couilles par erreur. L’homme, désorienté par ce qui venait de lui arriver, s’écrasa au sol en se tordant de douleur.
Dans sa chute, il agrippa la cape d’Azéna et la traîna avec lui.
La foule continua d’avancer en les évitant tel le courant d’une rivière contournant une roche.
Azéna toussa, étouffée par la poussière abondante dans l’air. L’homme grogna en se relevant avec une lenteur maladroite. Elle s’excusa brièvement alors qu’une main lui agrippa le bras.
— Mais qu’est-ce que tu es maladroite! se fâcha Fayne, à bout de souffle en l’aidant à se remettre sur pieds.
— Tu sembles épuisée, remarqua son amie d’enfance. Ça va?
— Oh, mais tout va très bien, répliqua la Litfow avec sarcasme.
Celle-ci s’appuya sur elle-même dans une tentative désespérée de calmer son souffle saccadé.
Azéna se retourna vers l’homme, mais il avait disparu. Cherchant du regard, elle aperçut la cape argentée qu’il portait au loin. Un symbole décorait le vêtement qui dansait avec les pas de son porteur. Elle plissa les yeux pour mieux le discerner.
— Une épée noire? marmonna-t-elle.
— Quoi? demanda Fayne.
Un homme chauve les évita de justesse dans sa course effrénée.
— Bouger, bande d’idiotes! beugla-t-il. Vous… Vous ne voyez donc pas qu’il y a de l’action là-bas?
Il continua d’avancer en se frayant maladroitement un chemin au travers du déluge de gens. L’odeur d’alcool qui imprégnait son habit sale disparut avec lui.
La rebelle jeta un dernier coup d’œil derrière elle, mais le symbole de l’épée noire avait disparu avec son porteur. Elle ne savait pas pourquoi, mais l’homme l’intriguait. Elle serra les poings et reprit la route, déterminée de trouver le dragon.
Quand elles arrivèrent aux portes ouest, une foule leur bloquait la vue et le passage. Un rugissement bestial enterra les clameurs. La plupart des habitants reculèrent de quelques pas en poussant des cris d’exclamation et d’affolement. Certains partirent en hurlant de frayeur.
Azéna bouscula les gens hors de son chemin.
— Quel beau chant!
— Chant? répliqua Fayne. Mais où vois-tu un chant dans ce cri furieux? Moi, j’y vois plutôt un avertissement. On devrait retourner à un endroit sécuritaire. S’il te plaît!
Le dragon poussa un second rugissement. Cette fois, il était adouci d’une touche de tristesse. Azéna reconnut la désespérance dans sa voix rauque. C’était comme s’il criait pour quelqu’un.
Le troisième cri qu’il poussa était empli d’amertume. Ce hurlement, que la Kindirah considérait plutôt comme un pleur, lui déchira le cœur. Elle versa une larme et l’essuya rapidement avant que Fayne ne s’en aperçoive.
Que pouvait-elle faire pour aider?
La foule était apeurée et les gardes avaient de plus en plus de difficulté à les contrôler. Certains tentaient de pousser les gardes hors de leur chemin pour attaquer le dragon, d’autres hurlaient des injures tandis que le reste se satisfit à observer.
C'était le chaos total. Rien n'était contenu pour longtemps et tout cela allait exploser.
— Rester calme! s’écria un garde qui menaçait le dragon d’un coup de lance. Nous avons la situation sous contrôle.
— Menteurs! répliqua une femme aux cheveux grisonnants. Nous ne sommes pas en sécurité tant que ce monstre sera ici.
Les deux amies avaient enfin atteint l’autre côté de la foule. D’ici, ils pouvaient le voir dans toute sa splendeur. Le dragon argenté.
Le lézard ailé n’était pas très grand pour l’un des siens. Il atteignait la hauteur d’un homme et demi, mais ses ailes, veinées de blanc, étaient immenses. Comme l’avait affirmé le garde, il était recouvert d’écailles argentées qui scintillaient faiblement sous le clair de la lune doré qui montait.
Lorsqu’elle examina ses traits physiques avec plus d’attention, Azéna réalisa qu’ils étaient immatures. Il était jeune, probablement un enfant. Sa mâchoire était longée de petits piquants flexibles et le bout de sa queue était aussi tranchant qu’un rasoir. Ses pattes étaient encombrées de manilles dont la chaîne qui les reliait avait été cassée.
— Arrêter! hurla l’adolescente. Je ne crois pas qu’il nous veuille du mal.
— Les ordres de Seigneur Kindirah ne sont pas contestables, informa l’un des multiples soldats qui tentaient de faire fuir le dragon avec sa lance. Je vous prie de garder une bonne distance.
— Je vous ordonne d’arrêter!
— Mes excuses, ma jeune Dame, mais vous n’avez aucune autorité sur moi.
Il donna un coup de lance au dragon dans l’espoir qu’il battrait en retraite. La créature cessa de rugir et s’immobilisa. Sa respiration ralentit et il secoua vigoureusement sa puissante tête. Avec la grâce d’un félin, il déploya ses grandes ailes qui ressemblaient à celles d’une chauve-souris dont des griffes acérées dépassaient de chaque doigt.
Il crachait, sifflait et rugissait, fouettant sa queue dans tous les sens. Il essayait d’intimider, pas d’attaquer.
La foule rétrograda de quelques pas. Seuls les gardes, Sérus, Bayrne et Azéna demeurèrent immobiles.
— Recule! supplia Fayne à son amie. Zézé, je t’en prie.
Azéna l’ignora. Elle était hypnotisée par le dragon.
La créature examina la foule de ses petits yeux perçants. Il prit le temps de bien apprivoiser chaque individu avant de détourner son attention sur le prochain. Puis, vint le tour de la jeune rebelle. Ses yeux étaient aussi sublimes que deux bassins d’améthyste liquide. Sa pupille se dilata pour devenir parfaitement ronde. Ses traits s’adoucirent et il ronronna.
C’était comme si elle était connectée à lui d’une certaine façon. Elle avait l’impression qu’il perçait son âme, qu’il ressentait tout ce qu’elle ressentait. Le plus frappant c’était qu’il la comprenait.
Elle le savait soudainement. Il était mâle, un jeune garçon.
Elle avait le pressentiment qu’il perçait son âme, comme s’il voyait au travers de sa personne. Il replia ses majestueuses ailes et baissa lentement la tête.
— Qu’est-ce qu’il fait? demanda Fayne.
— Je ne sais pas, souffla Azéna.
Le dragon approcha doucement sa large tête d’elle, se déplaçant toujours avec grâce, ne provoquant que les plus sensibles.
— Abattez-le! ordonna Bayrne aux gardes.
Les soldats tirèrent avantage de la distraction du dragon et attaquèrent. Une lance perça les flancs de la créature. Celle-ci poussa un cri strident qui obligea les habitants à proximité à plaquer leurs mains sur leurs oreilles.
Lorsque le rugissement s’estompa, son regard sauvage se braqua sur son agresseur. Il feula, révélant ses immenses dents tranchantes. Il déploya les ailes puis il ouvrit la gueule. Il expira une bourrasque si puissante que les soldats devant lui furent repoussés dans la foule. Dans la douleur, il tomba au sol dans un nuage de poussière.
— N’avez-vous aucun respect pour les dragons? demanda une voix sévère, mais endommagée par l’âge.
Une vieille femme familière s’approcha du jeune dragon. Celui-ci respirait avec difficulté, mais il trouva la force de grogner après elle. Il défia Leith.
Apparemment, cette dernière ne connaissait pas la peur. Comme s’il n’était qu’une biche inoffensive, elle se pencha pour inspecter sa blessure. Il se tut et laissa sa lourde tête s’effondrer au sol. En observant les gens qui l’entouraient, il alloua à la vieille dame à s’occuper de lui en faisant preuve d’une docilité étonnante.
Leith détacha une petite bourse de sa ceinture, l’ouvrit et tendit la main vers le dragon. Celui-ci hésita, mais après un instant, s’approcha de la bourse et renifla. Il donna un coup de langue, comme s’il goûtait l’air. Satisfait, il détourna son attention vers l’un des gardes. Celui-ci pointait sa lance vers l’avant et avança pendant que la voyageuse étendait une crème jaunâtre sur la blessure. Il retroussa ses lèvres inférieures et poussa un grognement lent et grave.
Le garde s’immobilisa, paralysé par l’effroi du moment.
— Tout va bien, insista doucement Leith. Reculez.
— Mais il est dangereux, informa le garde. Nous ne désirons que vous protéger.
Azéna se trouvait derrière la vieille femme et ne pouvait rien voir de ce qu’elle faisait.
— Les dragons sont des créatures cruciales au cycle de la vie. Quelle est votre excuse pour les tuer ainsi, informa Leith en se retournant vers la foule. N’avez-vous pas entendu parler des Gardiens d’Aerinda?
— Ce n’est pas important, répliqua Bayrne avec fureur. Ce monstre a osé attaquer ma ville, mes sujets et par extension moi-même. Il doit être tué.
D’un mouvement rapide, Leith lança un minuscule couteau qui perça l’armure de plaques directement où se trouvait le cœur de seigneur Kindirah. Juste pas assez profond.
— Vous avez de la chance, Monseigneur, que j’ai de la tolérance à l’égard de l’imbécilité.
Les yeux écarquillés, Bayrne fixa l’arme qui était fichée dans l’armure.
— Par Elysia, tuez les deux. Cette fois, compléter votre mission! hurla le seigneur enragé. Assurez-vous qu’elle n’oublie pas sa leçon de politesse.
Les soldats pointèrent leurs lances en direction de Leith et du dragon puis s’approchèrent. Le dragon argenté ouvrit soudainement les yeux et se leva. Il rugit toute sa colère et montra les dents à ses ennemis. Sa blessure avait cessé de saigner, mais il garda sa patte soulevée dans une tentative désespérée d’atténuer sa douleur.
— Cette fois, il ne vous accordera pas de pitié, avertit-elle en affichant un sourire amusé. Un dernier conseil. Vous n’aurez jamais deux chances avec un dragon. D’ailleurs, avec une telle attitude, vous êtes déjà fortuné d’en avoir eu une.
Le seigneur de Daigorn fronça les sourcils puis leva le bras. Les soldats s’élancèrent en direction de Leith et du dragon.
Dans une lutte acharnée, Leith se défendit noblement et ne tua personne. Le dragon argenté, lui, avait d’autres intentions et avait pris quelques vies.
Azéna et Fayne regardèrent la scène, horrifiées.
Le dragon avait pris son envol. Il battait des ailes avec difficulté. Sa respiration était saccadée, mais il réussit à exhaler des bourrasques afin de déstabiliser les soldats et de donner l’avantage dont Leith avait besoin. Leith se débrouillait à merveille malgré sa situation fâcheuse ; elle faisait preuve de techniques accomplies.
— Seigneur Kindirah, protégez-nous! gémit une noble dans la foule.
— Je vais m’occuper d’elle moi-même, grogna Bayrne.
Son corps tremblait subtilement, mais il n’hésita pas.
Bayrne dégaina son épée à une main. Pointant l’arme en direction de la vieille femme, il attendit que ses gardes s’écartent.
Les deux combattants décrivirent des cercles autour de l’autre et testèrent leurs réflexes en feignant des attaques.
— Non, non! hurla Azéna, sa voix étouffée par la cacophonie de cris et d’acclamations.
L’épée de Bayrne frappa contre le bâton de Leith sans relâche. Le combat sembla s’éterniser alors qu’Azéna dardait la tête dans tous les sens à la recherche d’un moyen pour changer la situation.
Tremblante, Fayne ne restait pas en place non plus. La panique se rependait dans ses yeux écarquillés.
— Fais quelque chose!
Ne sachant que faire, Azéna chercha du regard et aperçut Sérus au loin. L’adolescent aux cheveux noirs contemplait le duel avec intérêt. Sa sœur adoptive se faufila dans la foule en délire et lorsqu’elle l’atteignit, elle agrippa son bras brutalement.
— Cesse cette folie!
— Pourquoi? répliqua-t-il en ne détournant pas les yeux du combat. Que ceci soit une leçon aux rebelles qui osent nous défier. Notre maison est déjà vue comme étant faible. Il est temps de nous remonter. Ne vois-tu donc pas? Nous devons serrer la poigne.
Leith réussit à désarmer Seigneur Kindirah. En réponse, il lui donna un coup d’épaule. Elle tomba lourdement sur le dos et tenta d’empoigner l’épée, mais l’arme était trop loin.
Le dragon plissa les yeux et grogna silencieusement. Bayrne hésita lorsqu’il se rendit compte qu’il l’observait. Lui et Sérus échangèrent un bref regard. Azéna savait ce que cela signifiait.
— Ne le fais pas!
Sérus plaça sa main droite sur un arc accroché à son dos. Bayrne récupéra son épée et leva son arme vers le ciel. Il était bien trop occupé pour se rendre compte que sa fille accourait en sa direction.
Le tout se passa en l’espace d’un moment. Azéna se plaça devant Leith. Bayrne tenta d’arrêter de son élan, mais elle était trop puissante. C’était trop tard. La rebelle ferma les yeux et se recroquevilla.
Un bruit de métal, puis un rugissement retentirent.
Quand Azéna ouvrit les yeux, elle vit une mer d’écailles argentées. Un grognement sourd la fit sursauter. Une tête géante aux caractéristiques reptiliennes la fixait. Le dragon était si près d’elle que son souffle humide effleurait son visage. Sa pupille noire se dilata.
Le contact avec un objet froid et métallique détourna l’attention de la jeune dame. Son regard se posa sur une épée en suspension entre les crocs énormes du dragon. Il ouvrit légèrement les mâchoires et attendit comme s’il lui offrait un cadeau. Elle accepta son offrande et empoigna l’arme.
Le dragon renifla, jeta un regard défiant en direction de Seigneur Kindirah qui était étendu au sol et s’envola. Il se mit à patrouiller autour de la foule comme un vautour.
Leith profita de l’occasion pour se relever et sourit fièrement en guise d’Azéna.
— Comment oses-tu? demanda Bayrne à sa fille adoptive.
— Elle n’est pas une ennemie, répliqua cette dernière, le fusillant du regard.
— Et le dragon, lui? Ne viens pas me dire qu’il est innocent après avoir commis une telle destruction et tous ces meurtres. Je ne l’accepterai pas!
— Il se défendait!
— C’est une bête, Azéna. Elle ne passe pas avant mes sujets!
Le dragon rugit et le fusilla de son regard intimidant. Il claqua vicieusement les mâchoires.
— Je songerais deux fois à mes paroles si j’étais toi, avisa Azéna avec un sourire mesquin aux lèvres.
— Tu vas retourner au château immédiatement! ordonna sèchement Bayrne. Sérus, accompagne-la et assure-toi qu’elle ne s’enfuit pas.
Sérus empoigna fermement sa sœur par le bras. Le dragon rugit sa colère et piqua vers le sol tel un oiseau qui descendait sur sa proie. Dans un virage parfait, il attrapa Azéna de ses quatre pattes en s’assurant que ses griffes recourbées étaient bel et bien accrochées à son linge et non à sa peau.
Bayrne sursauta et pâlit, mais n’hésita pas à donner l’ordre :
— Pour Noktow, abattez cette bête sauvage!
Un petit groupe d’archers se préparèrent à l’attaque. Dans une synchronisation parfaite, ils décochèrent. Les flèches fendirent le ciel en direction du dragon qui les évita tous sauf une qui lui perça l’aile droite. Cette blessure ne le fit pas broncher. En montant dans le ciel, il souffla plusieurs rafales dans tout le quartier, endommageant les bâtiments et blessant plusieurs citoyens, dont les archers.
À la vue de l’horizon, Azéna fut submergée par le besoin de partir. Elle le pouvait. C’était tellement aisé avec l’aide de ce dragon. Elle n’y comprenait rien, mais elle savait qu’il l’aiderait. Elle n’aurait plus besoin de se préoccupée des devoirs qui lui étaient obligés. Elle pouvait briser ses chaînes. Elle pouvait être libre, loin de toute cette agonie.
Cependant, elle devait abandonner tout le monde, même Fayne, pour cela. L’idée de les quitter fit tourner son estomac.
Le temps n’était pas de son côté. Un choix devait être pris et vite.
Le dragon sembla ressentir son anxiété et se mit à ronronner. Elle caressa ses sublimes écailles et pour la première fois de sa vie, le vide inexplicable qu'elle ressentait en permanence avait soudainement disparu tandis qu'une vague de réconfort s'était abattue sur elle. C'était comme si quelqu'un lui avait confirmé que sa place était auprès de cette créature majestueuse. Les poils de son corps se hérissèrent, stimulés par les émotions intenses.
Une flèche fila à côté du dragon, le manquant de peu.
— Cessez de tirer! ordonna Bayrne. Ma fille!
— Que devons-nous faire, monseigneur? demanda le capitaine des archers.
— Je… Je…
Le suzerain semblait désemparé, en conflit avec lui-même.
— Ma fille, je t’en prie, reviens-nous!
Azéna l’ignora, se souvenant de toute la souffrance qu’elle avait endurée à cause de son orgueil démesuré. Elle plongea son regard dans celui, violet et féroce, du dragon. Elle sentit son feu s’agiter. Ou plutôt, sa tempête. Il était si vivant, affamé pour une vie palpitante, tout comme elle.
Elle connaissait sa décision malgré la peine qui l’accompagnait.
— Fayne… Mère… Argent… Gendrel… Ravon… Saria… Lyran…
Elle inspira profondément et laissa ses sentiments s’installer.
Le visage reptilien du dragon se déforma pour créer une sorte de sourire. Il paraissait sincèrement heureux bien que d'une façon étrange. Il se tourna vers l’horizon et grogna.
— Attends! lâcha Azéna. C’est une vieille chauve-souris folle, mais allons sauver la peau de Leith! On ne peut pas l’abandonner à la merci de Bayrne. Il ne sera certainement pas doux avec elle.