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Xian_Moriarty
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1613

1613.

Quelque part dans les Alpes du duché de Savoie, quelques jours plus tard.

Les deux ducs, pères meurtris, contemplaient le nid d’aigle, d’après Ludovico-Battista di Solere, où étaient retenus prisonniers leurs deux enfants. De cet homme, ce fut bien la seule chose qu’ils aient pu tirer.

Il ne neigeait plus. Les nuages s’étaient éclipsés alors que le soleil se couchait. Le doux manteau blanc réfléchissait la lumière de la pleine lune, si bien que n’importe qui aurait pu se croire en plein jour.

La forteresse, à cette distance, ressemblait à un arbre mourant dont une partie des branches auraient chu avec la foudre. À moins qu’elle n’ait été la gueule d’une terrible créature des enfers prête à engloutir les malheureux qui s’en approchaient. Et c’était dans cet antre que les troupes de Charles-Emmanuel 1er de Savoie devaient pénétré, coûte que coûte.

Le duc de Savoie quitta des yeux cet amas de pierres pour lorgner le vieux Lesdiguières. Il connaissait cet homme depuis plusieurs décennies. À plusieurs reprises, ils s’étaient affrontés sur le champ de bataille. Et pas toujours à l’avantage du Savoyard. Il possédait un grand respect pour ce militaire brillant bien qu’il soit huguenot. À le voir à cheval, n’importe qui aurait pu le prendre pour un jeune homme. Il affichait une prestance que certains hauts membres de la noblesse ne pouvaient revendiquer. Le duc de Lesdiguières allait toujours en tête, poussant ses soldats à se hâter. Un être infatigable. Mais ce soir, Charles-Emmanuel 1er peinait à reconnaître son ancien adversaire. En quelque mois, les affres de la vieillesse l’avaient rattrapé. Son poil brun avait perdu sa couleur. À croire que la neige elle-même lui avait teinté les cheveux et la barde. Bien qu’une lueur d’espoir brillait au fond de ses prunelles, une terrible fatigue tirait ses traits. Cette même fatigue, à moins que ce soit les ravages de la tristesse, s’accrochait aux coins de ses lèvres. À le voir ainsi, le duc de Savoie s’interrogea sur l’état d’esprit de celui qui redeviendra son farouche adversaire dès qu’ils auront à sauver leur enfant.

— Ne devriez-vous pas aller vous reposer ? suggéra de sa voix autoritaire Charles-Emmanuel 1er. Nos éclaireurs ne seront peut-être pas de retour avant quelques heures. Cela me peinerait d’avoir à veiller sur votre sécurité.

François de Bonne lança un regard noir au duc. Sous ses paroles pleines de compassion, le gouverneur du Dauphiné sentit bien une forme d’orgueil du Savoyard. Lesdiguières l’avait battu plusieurs fois et avait conclu plusieurs traités au nom de feu le roi Henri IV. Hélas, les vingt ans qui le séparaient de Charles-Emmanuel 1er se faisaient sentir. Par ailleurs, cela faisait six mois que de Bonne courait toute sa province du Dauphiné, n’hésitant pas à pénétrer nuitamment dans les terres du duché dans l’espoir d’y retrouver sa fille.

Des mots acerbes se cognèrent contre ses dents. L’impertinence ne lui apporterait rien. C’était le duc de Savoie qu’il avait en face de lui. Un seigneur régnant, puissant, ayant l’appui de la très catholique Espagne. Lesdiguières était entré sans autorisation avec des hommes en armes sur son territoire. Comme le duc le lui avait dit, cela aurait pu passer pour une déclaration de guerre dans d’autres circonstances. Et sur la dizaine d’hommes qui l’avaient accompagné, il ne lui en restait plus que six.

Ravalant l’insulte de se faire traiter de vieillard, François de Bonne dut bien reconnaître qu’un peu de repos ne pourrait pas lui faire de mal. Car s’il rejetait les signes de l’âge, force était de constater qu’il n’était plus un jouvenceau. Son jambe le faisait souffrir. Sa cuirasse l’avait peut-être protégé d’une blessure terrible, mais pas du choc. Sans oublier les chutes. Lors de l’enlèvement de sa fille, lors de la dernière bataille. Son dos le faisait souffrir.

Peut-être que le duc de Savoie perçut la contrariété et les hésitations de son ancien adversaire.

— Soyez donc raisonnable. Sauver nos enfants est une chose, les faire orphelins de père en serait une autre.

Cet argument toucha au cœur François de Bonne. S’il venait à mourir, que deviendront sa tendre Marie et ses deux autres filles Françoise et Catherine ?

— Vous avez sûrement raison, Votre Altesse, soupira Lesdiguières. Hélas, le sommeil me fuit depuis des mois. Je crains de ne pouvoir le retrouver tant que je n’aurai pas retrouvé ma fille. Tant que je n’aurai pas compris pourquoi on me l’a enlevée.

Voilà une question qui le hantait. Car depuis que la troupe avait attaqué sa résidence, rien ne s’était passé. Pas de message de revendication, pas de demande de rançon. Rien. Ce fut comme si les brigands et l’enfant s’étaient envolés ! Ni à la cour d’Henri IV, ni chez les anciens ligueurs, ni chez les protestants, personne ne savait pourquoi la plus jeune des filles bâtardes de Lesdiguières avait été prise. Quant à toutes les investigations menées, elles demeurèrent très nébuleuses. La piste qui avait conduit Lesdiguières jusqu’à ce campement, en pleine nuit, sur les terres de Savoie, relevait que d’un pur hasard, une possibilité comme tant d’autres qu’il avait suivi en vain. Sa rencontre avec Charles-Emmanuel relevait du pur hasard. À moins que cela ne soit une intervention divine.

— Le sommeil permet d’avoir les idées claires et le bras s^ » r.

— Il est facile de dormir sur ses deux oreilles quand on a autant d’enfants que vous, grogna François de Bonne.

Le duc de Savoie eut une petite moue amusée. Il est vrai qu’il n’était pas à plaindre. Et en son absence, ses fils — légitimes — pouvaient fort bien mener ses affaires.

— N’ayez crainte, je n’entreprendrai rien sans vous, se voulut rassurant Charles-Emmanuel 1er.

Lesdiguières céda. Il pouvait bien lui laisser la victoire de l’avoir envoyé au lit comme un garçonnet.

Juste avant que François de Bonne n’entre dans son pavillon pour prendre quelques repos, il se pencha à l’oreille de son lieutenant qui ne le quittait pas à moins de vingt pas.

— Au moindre mouvement du duc et de ses troupes, réveillez-moi.

Le duc de Savoie observa la scène de loin. Il hésita. Prendre cette citadelle sans le vieux Français ne lui apporterait aucun avantage, mais peut-être des désagréments. François de Bonne pouvait bien témoigner d’une grande vigueur, n’en restait pas moins qu’il avait soixante-dix ans ! Fatigué, blessé dans son amour de père, quelle folie pouvait-il bien commettre ? N’était-il pas déjà entré dans ses États avec une troupe armée ?

D’autant plus qu’il était évident pour Charles-Emmanuel que le duc de Lesdiguières ignorait tout des motivations des gens qui lui avaient ravi sa fille. Les espions du Savoyard, eux aussi, n’étaient pas parvenus à mettre le doigt sur les raisons de ces rapts d’enfants. Cependant, les indices grappillés ici et là laissaient entendre que le sort des deux disparus ne tenait plus qu’à un fil.

Le duc de Savoie leva les yeux vers la pleine lune. Cette dernière arriverait à son zénith. Les mains cuirassées de Charles-Emmanuel 1er grincèrent sur la garde de sa rapière. Il serra les dents. Malgré son calme de façade, l’envie de prendre d’assaut cette maudite forteresse le rongeait comme un poison.

Leur temps était compté. Mais toute précipitation pourrait leur coûter bien plus cher.

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