A mois plus tard.
Emmanuelle n’avait pas repris connaissance. Ses blessures guérissaient vite. D’après les chirurgiens, ses mains ne garderaient pas de traces de ses brûlures. Hélas, il n’en allait pas de même pour ses avant-bras et ses chevilles, ni pour sa poitrine. L’épouvantable inscription au fer rouge ne disparaîtrait jamais. Au mieux était-elle rendue illisible par l’estafilade qui la barrait.
Marie Vignon avait senti son poids quitter sa poitrine quand François de Bonne et sa petite fille avaient regagné Grenoble où elle espérait depuis des semaines. Sa joie fut dévastée par l’état d’Emmanuelle. La tristesse laissa vite place à une terrible inquiétude. Et si elle ne se réveillait jamais ? Marie Vignon veilla donc son enfant nuit et jour pendant presque deux semaines. La fatigue la poussa à déléguer cette tâche. Son époux aussi nécessita quelques attentions. Cette aventure lui avait coûté physiquement. Sans oublier qu’une étrange étincelle terne se distinguait parfois au fond de ses yeux. Marie Vignon comprit vite que son amant lui cachait quelque chose. Hélas, elle ne parvint jamais à lui faire dire un seul mot.
— Mon aimé, tenta-t-elle une fois encore alors qu’elle le voyait perdu dans ses pensées, le visage sombre, ne croyez-vous pas qu’il serait sage de partager avec moi ce qui vous trouble l’esprit et le cœur.
Elle posa avec délicatesse sa main sur la sienne. Le vieux duc la porta à sa bouche pour la baiser.
— Madame, sachez que si je ne vous dis rien, c’est bien par amour pour vous.
Marie Vignon allait répondre quand un hurlement déchira le calme de la maisonnée. Le duc et sa maîtresse sursautèrent. François de Bonne bondit sur ses pieds.
— Emmanuelle !
Un sanglier sauvage n’aurait pas mieux enfoncé la porte. Il renversa presque la domestique qui accourait les prévenir que la petite avait repris connaissance.
Sa fillette se tenait assise sur son lit. Ses mains serraient les draps. Elle haletait. Ses yeux détaillaient la pièce dans tous les sens. Ils se figèrent sur lui. Les cris d’Emmanuelle redoublèrent.
Quand Lesdiguières se précipita sur elle pour la prendre dans ses bras, la petite fille s’écarta effrayée. Son geste de recul médusa le duc. L’arrivée de sa mère provoqua la même réaction. L’enfant regardait ses parents l’un après l’autre le souffle court. Puis ses prunelles se fixèrent sur son père.
— Père, pleura-t-elle.
Cette fois-ci, le duc se jeta sur le lit. Ses bras enlacèrent sa fille. La petite continua de sangloter un long moment alors qu’elle répondait avec force à l’étreinte de son père.
— Ca va aller ma chérie. Mon amour. Je suis là. Ta mère est là. Plus personne ne te fera de mal. Je te le promets.
Emmanuelle pleura encore un long moment. Puis, elle hoqueta, le visage couvert de morve. Des mots restaient bloqués dans sa gorge.
— Tout… zest… gris…
Lesdiguières desserra son emprise. Il observa sa fille avec inquiétude.
— Pourquoi… tout zest gris ? Tout zest gris…. zauf… vous et mère… zêtes bleu…
Le ventre du vieux duc se serra.
— Comment ça tout est gris ? Votre mère et moi sommes bleus ?
La fillette hocha la tête en morvant.
— Oui… comme zi vous zétiez dans de la brume.