Aaron serra encore un peu plus sa prise sur ma mâchoire, ses yeux fixés dans les miens avec une intensité qui me paralysait.
Je tentai de me dégager, mais il me tenait fermement, refusant de me lâcher. Il se rapprocha encore un peu, son souffle chaud contre ma joue.
— Et si je ne suis pas d’accord ? ripostai-je, défiant du regard.
Ses yeux devinrent encore plus sombres, et pendant un instant, je crus qu’il allait encore exploser de colère. Mais à la place, il relâcha ma mâchoire d’un coup sec et recula légèrement. Il prit une grande respiration, visiblement en train de se contenir, puis il fit un pas en arrière, les mains sur les hanches.
C’est alors qu’un coup frappé à la porte interrompit ce moment tendu.
— Aaron, je suis désolé de déranger, dit Scott en entrant, légèrement nerveux. Mais le bar est plein à craquer, j’ai besoin d’aide.
Aaron fixa Scott un instant, sa mâchoire encore serrée, puis il détourna son regard vers moi. Il se redressa complètement, laissant enfin une distance entre nous.
— Va t’occuper de ça, ordonna-t-il d'un ton sec.
Je me levai immédiatement, soulagée d’avoir une excuse pour fuir cette situation oppressante.
Aaron profita de notre présence pour prendre la parole.
— Je vais devoir partir en mission, déclara-t-il d'un ton ferme. Je ne sais pas combien de jours ça va durer.
Scott fronça les sourcils et, comme s'il devinait l'origine de cette mission, demanda :
— C'est à propos de l'enveloppe noire ?
Aaron hocha la tête, son visage impassible.
— Oui.
Il se tourna vers nous, et d’un ton catégorique, ajouta :
— Pendant mon absence, il est interdit que vous retourniez chez toi, Lexie. Vous allez vivre chez moi, jusqu’à ce qu’on retrouve la personne qui s’est introduite.
Je restai silencieuse un moment, un peu déstabilisée par la tournure des événements, mais j'acquiesçai sans trop comprendre la gravité de la situation. Scott et moi échangeons un regard avant de sortir du bureau.
Nous quittons le bureau d’Aaron en silence, ses instructions résonnant encore dans ma tête. Scott et moi nous dirigeons vers le bar, l’atmosphère est plus tendue que jamais. Le bruit des clients envahit l’espace, rompant l’oppression qui pesait sur nous.
— Ça va aller, Lexie, murmure Scott en me lançant un regard rassurant.
Je lui rends un sourire faible, même si l’inquiétude ne me quitte pas. Aaron va partir en mission, et cette enveloppe noire semble l'avoir plongé dans quelque chose de bien plus grave que d’habitude.
Je commençai à essuyer quelques verres, mes mains agissant par automatisme tandis que mon esprit vagabondait vers Aaron.
— C’est bizarre tout ça, murmurai-je en essuyant distraitement un verre, mes pensées revenant sans cesse à Aaron.
— Tu crois qu’il va bien s’en sortir ? demandai-je enfin à Scott, incertaine.
— Aaron sait ce qu’il fait, répondit-il d’une voix ferme, mais son regard fuyant trahissait une légère inquiétude.
Je prends une grande inspiration et me concentre sur le remplissage des verres. Une partie de moi se demande si vivre chez Aaron pour un temps est vraiment la meilleure solution. Malgré le chaos de la situation, une étrange sécurité émane de sa présence, même si elle est parfois étouffante.
The Culte, 2h00.
Aaron quitte enfin son bureau et s’approche de nous alors que Scott et moi terminons de ranger derrière le bar.
— Je vais récupérer quelques affaires, ensuite je pars, dit-il avec un regard sombre.
— Tu sais combien de temps durera cette mission ? demande Scott. Je dois intervenir ?
— Non, ce ne sera pas nécessaire, occupe-toi juste de Lexie.
— Bien, chef, répond Scott en imitant un salut militaire, ironique.
Je brûle d’envie de poser des questions, mais je sens que ce n’est pas le moment...
— On rentre, lance Aaron brusquement.
Nous fermons le bar et montons dans sa voiture. L’atmosphère est lourde, personne ne dit un mot pendant tout le trajet. En arrivant devant sa maison imposante, Aaron s’installe directement dans le salon.
— Je suis crevé, je vais prendre une douche et dormir, dit Scott en se dirigeant vers sa chambre.
Je prends une grande respiration et me lance, décidée à avoir des réponses :
— Est-ce que je peux te poser une question ? demandai-je doucement.
— Non, surtout que tu viens déjà de le faire, rétorque-t-il, visiblement agacé.
Je roule des yeux, exaspérée par son attitude.
— Ces "missions", c'est quoi exactement ? demandai-je, déterminée.
— Ça ne te regarde pas.
— Pourquoi tu reçois des enveloppes noires ?
— Ce ne sont pas tes affaires, répond-il en sortant son téléphone.
Je persiste, mon impatience grandissant :
— Qui t'envoie ces enveloppes ?
— Tu vas continuer à me casser les couilles ?
— Tant que je n’ai pas de réponses, oui.
— Tu fais chier.
— Les enveloppes noires que j'ai reçues... elles ont un lien avec les tiennes ?
— J’en sais rien.
Je prends une inspiration avant de demander, hésitante :
— Tes "missions", elles sont… dangereuses ?
À ma question, il relève la tête, son regard sombre croise le mien.
— Pourquoi tu me demandes ça ? demande-t-il, intrigué, en arquant un sourcil.
— Est-ce qu'elles sont dangereuses ? répétai-je, plus sûre de moi.
— Réponds à ma question, ordonne-t-il.
— Comme si tu répondais aux miennes ! répliquai-je, agacée.
Il se lève brusquement, s’approchant de moi, son visage à quelques centimètres du mien.
— Pourquoi cette question ? insiste-t-il en me forçant à le regarder dans les yeux.
— C’est quoi ta mission ?
Il me tient fermement le menton, relevant ma tête pour plonger son regard dans le mien.
— Ici, c’est moi qui pose les questions.
— Eh bien, tu risques d’attendre longtemps une réponse, répliquai-je en esquissant un sourire malicieux, les yeux fixés dans les siens. C’est donnant-donnant, si je n’ai rien, tu n’auras rien non plus.
Il s’approche encore plus, son regard intensifiant le frisson qui parcourt ma peau.
— Et si je t’embrassais ici et maintenant, me rendrais-tu mon baiser, princesse ? murmure-t-il, sa main froide effleurant mon visage alors qu’il remet une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.
— Tu rêves, dis-je en le repoussant légèrement d'une main sur son torse.
Profitant de l'instant pour me libérer de son emprise, je me lève précipitamment et me dirige vers ma chambre. Mais je suis rapidement stoppée dans mon élan lorsqu’Aaron s'approche silencieusement, m'enlace par derrière et enfouit son visage dans mon cou.
— Ma mission est dangereuse... elles le sont toutes, avoue-t-il enfin d'une voix grave. Je peux ne jamais en revenir.
Je tente de me dégager pour croiser son regard, mais il resserre son étreinte encore plus fort, comme s'il avait besoin de ce moment.
— Restons encore un instant comme ça, princesse... s’il te plaît, murmure-t-il.
— Et si... tu n’y allais pas ? proposai-je en posant ma main délicatement sur la sienne.
— C’est impossible... c'est pour ça que je vis.
Ça ne sert à rien de le forcer pour avoir des réponses…
— Alors... fais attention à toi, Aaron. Reviens vite, dis-je en retenant un sanglot, la gorge serrée par l’inquiétude.
Sur ces mots, nous restons là, figés, pendant de longues minutes. Ni lui ni moi n’osons bouger. L’obscurité du couloir nous enveloppe, tandis que le silence parle pour nous. Nous avons tous les deux besoin de ce moment, de ce réconfort partagé, même si nous savons que cela ne durera pas.
Le lendemain, au Manoir Sylvester.
Aaron était déjà parti. Après notre étreinte, il m’avait simplement embrassée sur le front avant de s’éclipser, sans un dernier regard. Depuis, un grand vide m’habite, comme si une partie de moi s’était envolée avec lui.
Scott, quant à lui, prenait grand soin de moi. Nous préparions nos repas ensemble, ouvrions et fermions le bar à deux, bref, nous passions énormément de temps ensemble. Il était comme le grand frère que je n’avais jamais eu, même si deux petites années nous séparaient. J’ai vingt-sept ans, tandis qu’Aaron et Scott en ont vingt-neuf.
Cela fait trois jours maintenant qu’Aaron est parti. Ni Scott ni moi n’avons eu de ses nouvelles.
J'espère qu'il va bien...
— J'ai vu sur ton CV que ton anniversaire est le 21 novembre donc demain, c'est bien ça ? me demande Scott en verrouillant la porte du bar.
— Oui, répondis-je, distraite.
— Est-ce qu’il y a quelque chose de particulier que tu voudrais ?
— Comme quoi ?
— Je sais pas, c’est ton anniversaire, tu as le droit de demander tout ce que tu veux, dit-il avec un grand sourire. C’est Aaron qui m’a appris ça : durant son anniversaire, la personne peut demander ce qu’elle veut, et les autres doivent essayer de le réaliser, au maximum.
C’est donc comme ça qu’on célèbre un anniversaire…
— Comment ça, « c’est Aaron qui te l’a appris » ? demandai-je en glissant mon bras sous le sien.
— À l’orphelinat, on ne fêtait pas nos anniversaires. La directrice disait qu’on devait se détacher de nos passés, alors on ne les célébrait jamais.
L’orphelinat ?
— Mais on était malins, continua-t-il avec un petit rire en m’ouvrant la portière de la voiture. Aaron et moi, on se rappelait nos dates d’anniversaire pour ne pas les oublier.
— C’est quand, alors ? demandai-je, curieuse.
— Le mien, c’est le 24 mars, et celui d’Aaron, le 13 janvier.
— Donc vous vous êtes connus à l’orphelinat ? dis-je, encore plus intriguée.
— Oui, et depuis, on ne s’est plus quittés !
Je me glisse dans la voiture, absorbée par cette nouvelle révélation. Aaron et Scott à l'orphelinat... J’essayais d’imaginer à quoi ils pouvaient ressembler à l’époque, deux garçons liés par des épreuves qu’ils ne méritaient certainement pas.
— Vous êtes comme des frères, murmurais-je, réalisant à quel point leur lien était puissant.
— On l'est, répondit Scott en souriant doucement tout en démarrant la voiture. On a traversé tellement de choses ensemble... des moments vraiment difficiles. Mais on a toujours pu compter l’un sur l’autre.
Je ne pouvais m’empêcher de me demander à quoi ces « moments difficiles » faisaient allusion. Mon cœur se serra en pensant à Aaron, loin, et sans savoir dans quel danger il se trouvait. Ce grand vide en moi se fit encore plus lourd.
— Il va bien, tu sais, dit Scott, comme s’il lisait mes pensées.
— J’espère… Soupirai-je en m’enfonçant dans mon siège. J’ai juste un mauvais pressentiment.
— C’est normal de s’inquiéter. Mais Aaron sait ce qu’il fait. Il est solide. Rien ne lui arrivera.
Je regardais par la fenêtre, en silence. Le manoir d’Aaron, majestueux et intimidant, se profilait à l’horizon. Mais ce soir, il semblait vide, presque effrayant sans lui.
Une fois changée, je prends mon bloc de dessin et mes bâtons de fusain, puis je m’installe dans le salon. Scott part prendre une douche, promettant de me rejoindre bientôt.
Face à la page blanche, je souffle profondément avant de laisser mes mains se mouvoir instinctivement. Je n’ai aucune idée précise en tête, juste des gestes qui s’enchaînent sans réflexion, comme guidés par une force invisible. Les minutes défilent et je suis absorbée par les tracés noirs qui s’étalent sur le papier, jusqu’à ce qu’une main sur mon épaule me fasse sursauter.
— Je suis là, Lex, me dit Scott en s’asseyant en face de moi.
— Tu m’as fait peur… dis-je en essayant de calmer les battements frénétiques de mon cœur.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je... dessine, répondis-je, étonnée par ce que j’avais inconsciemment créé.
— Je peux voir ?
— Mieux vaut pas, dis-je, légèrement embarrassée.
— Alors je vais bouder... répondit-il en croisant les bras et gonflant ses joues comme un enfant.
— D’accord, mais pas de commentaires.
— Promis !
Je lui tends le dessin, et j’ai l’impression de lui révéler une part intime de moi-même.
— Ton dessin est... incroyable ! s'exclame-t-il, comme s’il contemplait la septième merveille du monde. Et ce personnage... il me semble étrangement familier.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, dis-je en récupérant mon bloc avec un air faussement indifférent.
Je regarde le dessin de plus près : un homme en costume noir et chemise blanche se tient au centre de la feuille, les mains dans les poches, des tatouages couvrant ses bras. Mais ce sont ses ailes qui captivent immédiatement l’attention — des ailes noires, dentées.
Aaron...
Je soupire profondément, puis referme le bloc d’un geste vif.
— J'ai besoin de boire quelque chose, tu veux un truc ?
— Un thé, ce serait parfait, répondis-je.
Quelques minutes plus tard, Scott revient avec un plateau contenant une carafe de whisky, un verre, et ma tasse de thé.
Scott sirote son whisky pendant que je me réchauffe avec ma tasse de thé entre les mains.
— Scott, je peux te poser une question ? demandai-je en jouant distraitement avec le bord de la tasse.
— Bien sûr, vas-y.
— Comment c’était… l’orphelinat ?
Demande plutôt si c’était mieux que chez Papy et Mamie…
— Je te réponds, mais à une condition ! dit-il en s’enfonçant confortablement dans le canapé.
— Laquelle ?
— Que tu répondes aussi à mes questions, rétorque-t-il avec un sourire malicieux, les bras croisés.
— D’accord, j’accepte.
— Super ! Pour répondre à ta question, je n’ai pas que des mauvais souvenirs de l’orphelinat. Il y a aussi eu de bons moments… et Aaron en fait partie.
Je fronce légèrement les sourcils, intriguée.
— Aaron ?
— Ouais. On s’est rencontrés quand on avait à peine 4 ans. On est arrivés à l'orphelinat à seulement quelques jours d’intervalle. Aaron était le premier. Les adultes disaient de lui qu’il était "problématique" parce qu'il se battait souvent avec les autres enfants. Mais pour moi, il ne l’était pas, parce que c’est moi qu'il protégeait, dit Scott, son regard perdu dans un souvenir lointain.
Je repose doucement ma tasse de thé sur la table basse et m’enfonce dans le fauteuil, attentive.
— À l'époque, j’étais vraiment timide, complètement perdu après la mort de mes parents. Je ne parlais à personne. Dès mon arrivée, les autres gamins ont commencé à m'embêter parce que je restais silencieux. Et à chaque fois, c’était Aaron qui venait à ma rescousse, et dans la foulée, il m’engueulait parce que je ne me défendais pas.
Même à cet âge-là…
— Je m’en souviendrai toujours, reprend Scott avec un sourire nostalgique. Après plusieurs jours de mutisme, la première phrase que j’ai prononcée, c’était : "Est-ce qu'on peut être meilleurs amis ?". Et Aaron, lui, m'a répondu : "On l’est déjà, abruti !", en me tapant derrière la tête. Il rit doucement à ce souvenir. Dès lors, on était inséparables. Quand des familles venaient pour m’adopter, je faisais des bêtises pour qu’ils changent d’avis, parce que je ne voulais pas être séparé de lui.
— Et lui ? demandai-je, une boule dans la gorge.
— Pour lui, c’était différent. Personne ne venait jamais. Certains enfants le surnommaient "l'enfant maudit". C’est à ce moment-là que j’ai compris que les enfants pouvaient être aussi cruels que les adultes, parfois même plus. À 16 ans, on a dû quitter l'orphelinat. Comme Aaron est né en janvier, il a dû partir avant moi. Mais il m'avait promis qu'il reviendrait me chercher pour mon anniversaire. Il refuse de l'admettre, mais je sais qu'il en a bavé pendant ces mois-là. Il a cherché désespérément un endroit où on pourrait recommencer à zéro, mais c’était dur, parce que personne ne voulait prendre au sérieux un gamin de 16 ans, encore moins seul.
Puis le silence s’installe. Je sens que c’est difficile pour Scott de continuer, mais je me tais et attends patiemment la suite de leur histoire...
Scott prend une profonde inspiration avant de reprendre :
— Un jour de pluie, assis dans un parc, un homme est apparu devant Aaron. Il lui a tendu une mallette pleine d’argent dans une main et une enveloppe noire dans l’autre.
Une enveloppe noire !
— L’homme lui a dit : "Accomplis la mission, travaille pour moi, vends-moi ton âme et je te paierai le double." Aaron, désespéré, n’a pas tout de suite compris, mais il a attendu que l’homme s’éloigne pour ouvrir l’enveloppe. À l’intérieur, il y avait une photo et un nom : "Brian Lanfoord". Pas d’instructions. Juste ça. Mais Aaron avait compris ce qu’on attendait de lui. Au début, il ne voulait pas le faire, je le sais. Mais il se sentait responsable, comme s’il était vraiment mon grand frère, et il savait que j’allais quitter l’orphelinat quelques jours plus tard. Ce jour-là, comme s’il avait appuyé sur un interrupteur, toute l’humanité avait quitté son corps. Quand j’ai appris ce qui s’était passé, j’ai su qu’il n’y aurait plus de retour en arrière. Alors, je n’ai rien pu faire d’autre que rester à ses côtés, veiller sur lui, et l’aider s’il en avait besoin.
— Et quand tu parles d’aide...
— Je pense qu’on sait tous les deux ce que ça veut dire, inutile de le dire à voix haute, répondit-il en me regardant droit dans les yeux.
L’un tue des gens comme s’il jouait à un jeu, et l’autre l’aide, que ce soit pour tuer ou pour enterrer des corps...
— Maintenant que tu sais tout, est-ce que je te fais peur ? demanda Scott, une pointe d’inquiétude dans la voix.
Je prends une profonde inspiration.
— Non, Scott, tu ne me fais pas peur… Je crois qu’au fond de moi, je savais que vous ne gérez pas seulement un bar, mais je préférais fermer les yeux.
Scott soupire, et je peux sentir qu'il est moins tendu maintenant, comme s'il venait de se débarrasser d'un poids.
— Donc, Lex, maintenant que tu sais tout ça, ne lui en veux pas d'être devenu la personne qu'il est aujourd'hui, dit-il d'un ton si sérieux que j'ai du mal à le reconnaître.
J’ai envie de les prendre dans mes bras, tous les deux…
— À mon tour de poser des questions ! dit-il en retrouvant le Scott que je connais. Pourquoi voulais-tu savoir à propos de l'orphelinat ?
— Je voulais savoir si c'était mieux là-bas qu'avec mes grands-parents.
— Maintenant que tu le sais, quelle est ta conclusion ?
— Ça a l'air d'être bien mieux... dis-je.
— Qu'est-ce que tu vivais chez tes grands-parents pour dire cela ? demande-t-il, intrigué par ma réaction.
— Je ne vivais pas, c'est bien ça le problème... soupirais-je. Mon père était un alcoolique possessif et jaloux. Ma mère n'avait pas le droit de sourire aux voisins, au facteur, ni à l'électricien. Elle n'avait pas le droit de sortir de la maison sans lui. Je pensais que c'était parce qu'il était très amoureux d'elle. Mais ce n'était pas de l'amour. Ça ne l'était plus quand il a commencé à la battre devant moi.
Scott reste silencieux, son expression se durcit, et je peux voir une colère sourde dans ses yeux.
— J'avais six ans. Un jour, un nouveau couple avait emménagé dans le quartier et avait préparé des muffins... Des putains de muffins, dis-je, la gorge nouée. Ils avaient décidé que la femme s’occuperait de distribuer les muffins aux maisons portant des numéros pairs, tandis que l’homme s’occuperait des maisons impaires. Devine quoi ? Notre maison portait le numéro 15... C’est donc l’homme qui est venu frapper à notre porte. Mon père n’était pas à la maison, c’est ma mère qui a ouvert. Le monsieur était très gentil, il s’est présenté, a dit qu’ils venaient d’arriver avec sa femme et qu’ils faisaient le tour du quartier pour se présenter. Il avait l’air tellement aimable. Ma mère a pris les muffins, l’a remercié avec un sourire, et elle a refermé la porte. On était en train de les manger dans la cuisine quand mon père est rentré. Et là... c’était comme si je ne l’avais jamais vu ainsi. Je l’avais déjà vu en colère, mais là, c’était autre chose.
Je prends une profonde inspiration avant de continuer.
— Il a commencé à la frapper. Devant moi. Et il ne s’arrêtait plus. Ses yeux étaient remplis de rage. Il la frappait en l’accusant de l’avoir trompé. Et tu sais d’où il tirait cette idée ? Il était au coin de la rue quand le voisin est venu pour nous apporter les muffins. Il avait vu ma mère sourire à cet homme, et pour lui, ça valait une condamnation à mort. Toute mon enfance, il m’avait crié dessus, en me disant que c’était à moi de surveiller ma mère en son absence, que j’étais une incapable. Ce soir-là, ma mère a osé élever la voix, elle lui a dit qu’elle avait peur de lui et qu’elle n’avait fait que remercier le voisin. C’était la goutte de trop. Mon père l’a poignardée à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’elle s’effondre.
Je m’arrête un instant, sentant mon cœur s’emballer sous le poids des souvenirs. Puis je continue :
— J’ai crié. Il a levé les yeux vers moi, et la seule chose qu’il a dite c’est : « Tu vas rejoindre ta mère, petite salope. » Il s’est jeté sur moi. Il a réussi à me poignarder dans le dos avant que je puisse m’enfuir. Après ça, tout est flou. Je me suis réveillée à l’hôpital, dix jours plus tard. J’avais perdu beaucoup de sang. Un voisin m’avait vue et avait appelé la police. Mais... les jours qui ont suivi n’étaient pas meilleurs. Les services sociaux ont confié ma garde aux parents de mon père. Et pour eux, j’étais la fille « d’une pute responsable de l’arrestation de leur fils. » Ils me l’ont rappelé chaque jour. Ils disaient que je ne méritais pas d’être nourrie, ni aimée. Que tout était de ma faute. J’ai essayé de tenir, de survivre... Puis à mes 16 ans, ils m’ont mise à la porte. Depuis, je suis seule.