La Tour. Quelle bonne idée. Très bonne idée. Excellente, même. Bravo.

Les pensées d’Aeli filent à toute allure, alors qu’il gravit, d’un pas qui se veut conquérant, la cinquantaine de marches qui mènent aux portes monstrueusement grandes de la Tour. Celle-ci est visible peu importe où on lève la tête dans la ville et ses environs, mais Aeli a pris plusieurs sabliers* avant de l’atteindre, retardant l’inévitable. Ainsi, alors qu’il s’arrête devant la porte, couverte d’or et d’argent, à la fois massive et finalement ouvragée, l’après-midi est sévèrement entamé. S’il tarde encore, il risque d’avoir à affronter ses premières minutes face à l’inconnu dans l’obscurité. Quel temps fera-t-il à l’intérieur, d’ailleurs ?

Celles et ceux qui sont revenus vivants de l’Épreuve de la Tour ont permis de conclure que les étages sont aléatoires, et ce, dès la traversée du Hall. Ce simple fait aurait peut-être dû décourager de futures explorations, mais les entrées sont toujours aussi fréquentes, des siècles après l’apparition de cette structure défiant toutes les lois connues.

La Tour fait plus de cinq-cents mètres de diamètre et il est tout simplement impossible d’apercevoir son sommet, qui disparaît dans la masse nuageuse constamment présente. Elle est apparue un jour sans crier gare, au milieu d’une forêt sauvage, et la ville s’est développée autour. De rassemblements de caravanes, elle est devenue la capitale la plus visitée, encore plus durant les périodes estivales : durant Estia et Péria, les saisons les plus chaudes, de nombreux événements sont organisés autour des nouveaux départs pour l’Épreuve. Très peu de retour; Aeli a déjà assisté, enfant, au retour d’un homme qui a passé près de trente ans dans la Tour.

Il se souvient vaguement de l’aventurier, ou de l’état dans lequel il se trouvait, absorbé par l’aura que dégageait alors le monument alors qu’il recrachait l’homme. C’était comme s’il rayonnait de l’intérieur, des vagues de puissance qui se faisaient ressentir à des lieux à la ronde. La foule humaine fourmillait autour de la Tour, effervescente, attirée par ce qu’elle leur avait fait miroiter. Puis elle s’est refermée, abandonnant le monde extérieur à son sort. Tout était devenu plus terne, pendant quelques minutes. Puis la vie avait repris son cours.

Maintenant qu’il se trouve devant les portes, Aeli peut presque sentir à nouveau cette aura. Aucun garde ne surveille les environs. Personne n’oserait faire quelconque grabuge à cette merveille, qui provoque autant crainte que convoitise. Sur cette échelle, le jeune homme se situe un peu plus du côté de cette dernière. La peur, il la ressentait de manière diffuse; elle est inhérente à toute personne se trouvant face à ce mystère toujours irrésolu. Mais il est trop désespéré pour la laisser empiéter sur sa nouvelle conviction : il va entrer dans cette Tour, déjouer tout ce qu’elle va lui envoyer à la figure, et en ressortir vivant. Il le faut.

Peut-être que sa chance a tourné de ce côté de son existence, qu’il n’arrive plus à se sortir du beau merdier que sa grande gueule et ses paris risqués lui ont causé, que son unique option, si ce n’est pas la Tour, est de mettre à disposition tout ce qui lui reste de valeur à ceux qu’il n’aurait jamais dû faire confiance. Mais, le bon côté, c’est que ça ne le motive qu’encore plus. Ce qui lui donne assez de force pour pousser le double battant, qui aurait dû être trop lourd pour sa maigre constitution humaine.

Parce que si sa vie doit être soumise à quelqu’un, il préfère largement que ce soit à la volonté de ce qui anime la Tour.

*Sablier = environ une heure