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Lunny
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L'arène des Élusis

Un couloir sombre.
Le rugissement d’une foule lointaine.
L’odeur ferrique du sang séché.
Un léger souffle d’air fétide.
La voix du monsieur loyal qui annonce son nom.

Némerios inspire profondément et s’avance vers la tache de lumière blafarde loin devant lui. C’est le moment qu’il attend depuis des mois. Il va enfin entrer dans l’arène pour la première fois et faire ses preuves. S’il échoue, ce sera la mort. Une mort lente, douloureuse.

Il sent le poids de son arme de son dos, le cuir qui frotte contre sa peau. Il n’aura pas d’autre chance que celle-ci, l’échec est intolérable. Des mois de préparation. Des jours à prendre des coups et à en donner, des nuits à prier. Quelques minutes pour prouver sa valeur.

Ses cheveux noués en queue de cheval lui chatouillent le cou et il réfrène son envie de les chasser de la main. Il espère que le lien de cuir ne se dénouera pas sous la violence de ses mouvements. Si ses cheveux lui bloquent la vue, il est mort. C’est pour ça que la plupart de ceux qui combattent dans l’arène les rasent ou les gardent courts.

Némerios fait des moulinets des bras pour se dénouer les muscles et les garder chauds. Il vient de passer une heure à s’échauffer, à assouplir ses articulations et à affiner ses réflexes. Il est prêt.

La lumière s’affirme régulièrement jusqu’à ce qu’il débouche enfin dans l’arène. L’éclat puissant du soleil de midi l’aveugle un instant.

Sa vue retrouvée, le guerrier parcourt l’espace circulaire d’un œil exercé. Il n’y a pas d’autres issues que la porte dans son dos. Les gradins sont pleins. Rien de plus normal pour un jour aussi important que celui-ci : le lancement de la saison de combat. Ce qui allait se passer aujourd’hui donnerait le ton pour les mois à venir. C’est ce jour-là que se décidait qui était favori et qui allait mourir.

Il examine le public avec attention. Cela faisait longtemps qu’il n’en avait pas vu. Ils étaient si étranges, humanoïdes mais non humains. Grands, la peau lisse parsemée de taches colorées ; les yeux tourbillonnants ; de petits trous de chaque côté du crâne en guise d’oreille. Ils viennent de loin, de très loin même. Et aujourd’hui ils dominent la Terre.

Les Élusis.

C’est comme ça qu’ils se nomment. Un peuple venu de très loin à la recherche d’une nouvelle patrie qui a envahi et assujetti l’humanité. C’était la meilleure façon de sauver la Terre selon eux : en dépouiller les Hommes et la mettre entre les mains d’un peuple plus sage et plus compétent. Eux. Mais c’est une autre histoire. L’histoire de quelque chose qui avait été fait et qu’on ne pouvait plus défaire. Une histoire à laquelle Némerios n’avait plus le temps de penser.

Dans son dos, légèrement sur sa gauche, une autre porte – invisible jusque-là – venait de s’ouvrir.

Un monstre d’homme en jaillit.

Il arrive à foulées longues et souples. Ses muscles roulent magnifiquement sous sa peau hâlée et couturée de cicatrices. Tout en lui respire la confiance alors qu’il s’arrête et salue la foule à grands signes.

Un sentiment d’inconfort éclot dans la poitrine de Némerios. Son adversaire n’est pas un débutant comme lui, c’est un vétéran qui a déjà survécu à de nombreuses saisons dans l’arène. Il le devine aux vivats de la foule à son apparition et à l’attitude presque arrogante qu’il affiche.

Ce n’est pas équitable. Sur le papier, il n’a aucune chance. D’ici quelques minutes, peut-être dix s’il a de la chance, il sera mort. Étalé dans une flaque de son propre sang.

Le jeune homme tente de réfréner le frisson de peur qui le parcourt. Avoir peur maintenant c’est condamner dans l’œuf tout espoir de survie. Il ne peut pas se le permettre.

Le seul avantage qu’il a, c’est l’absence d’armure de son adversaire. Mais cette constatation, au lieu de le rassurer, l’effraie d’autant plus. Seuls ceux déterminés à mourir ou ceux qui se savent invincibles ne portent pas d’armure.

Quand le goliath se retourne pour lui faire face, sa bouche pleine de dents taillées en pointe ouverte sur un rictus, il manque de se pisser dessus. Sa peur est devenue certitude : son premier combat sera aussi le dernier. Celui qui lui fait face n’est pas n’importe quel guerrier, c’est le champion en titre. Une légende invaincue pendant cinq saisons. Celle-ci serait sa sixième et tout le monde s’attendait à le voir la remporter.

Némerios se demande un instant qui pouvait autant le haïr pour lui assigner un tel adversaire. Il se repasse en vitesse le film de ces derniers mois. Oui ? Il ne voit que ça. Peut-être qu’il n’aurait pas dû refuser les avances de cette dame, finalement. À ce moment, il avait cru que c’était le seul moyen de conserver sa dignité d’être humain. Il semblerait qu’il ait eu tort. Ne jamais énerver une femme, quelle que soit son espèce. La réalisation de son erreur lui laisse un goût de cendre dans la bouche.

Il n’entend plus la foule autour de lui, ni la voix du monsieur loyal qui fait l’animation. Seul le battement erratique de son cœur paniqué résonné désormais dans ses oreilles. La sueur coule dans son dos et caresse son échine de ses doigts glacés.

Tout ce qu’il peut faire maintenant, c’est donner un bon spectacle et espérer qu’il en reste assez de lui pour qu’on prenne la peine de rendre son corps à sa famille.

L’autre lui adresse la parole, mais il ne l’entend pas. « … mort », c’est le seul mot qu’il parvient à lire sur ses lèvres avant que le géant ne s’élance vers lui, dague et gourdin en avant.

Némerios a à peine le temps de lever sa main armée et de se mettre en garde qu’il est déjà sur lui. Mut plus par son instinct de survie que par son entraînement, il se laisse tomber au sol et roule hors de portée de son assaillant. Quelque part au loin, le bruissement mécontent d’une foule nombreuse se fait entendre. Il a fait une erreur. Il n’aurait jamais dû esquiver le premier coup de cette façon. Tout le monde le voit comme un lâche désormais.

Le jeune homme se redresse et toise son adversaire qui le regarde d’un air mauvais. Cette fois il prendra l’ascendant, se dit-il. Il n’en a pas le temps. Le vétéran se jette de nouveau sur lui, son gourdin en avant, et feinte au dernier moment pour le contourner et le lacérer d’un coup de dague. Il est bien plus rapide que ne le laissent supposer sa masse et sa taille.

La douleur provoquée par le fil de la lame lui fait échapper un petit cri surpris. Avant qu’il bouge, l’autre est déjà hors de portée. La foule lointaine encourage son champion et siffle Némerios pour montrer son mécontentement face à sa performance.

Le jeune homme doit absolument faire quelque chose sinon il est perdu. Les mâchoires serrées, il prend appui sur sa jambe intacte et se précipite en avant. Il passe sous la dague et projette sa courte lame en avant. Il a oublié le gourdin. Celui-ci l’attend à hauteur d’épaule et s’abat avec la force d’un tronc qui s’effondre.

Un hurlement strident s’échappe de la bouche de Némerios.

Son bras droit est désormais inutilisable. Il laisse échapper son arme alors que ses doigts s’ouvrent tous seuls. Il recule autant qu’il le peut, sa main indemne sur son épaule brisée. Des étoiles dansent devant ses yeux et tout le côté droit de son corps n’est plus que douleur. La sueur lui coule dans les yeux, plaque ses cheveux contre son crâne. En face de lui, le géant n’est même pas essoufflé. Envolée sa colère d’il y a quelques instants, maintenant il le regarde avec un air de froide indifférence. C’est encore pire. Il ne juge même pas Némerios comme un adversaire digne de lui.

Le combat va être rapide maintenant. Le sang s’écoule lentement de l’entaille à sa cuisse et la douleur provoquée par le coup à son épaule l’abrutit comme seule la douleur sait si bien le faire. Une larme solitaire salée coule sur sa joue, qu’il chasse du revers de sa main. Ce n’est pas le moment de pleurer.

Tout cet entraînement, tout ce temps, gâchés en quelques minutes seulement. Il en est dégoûté.

Un grondement monte dans sa gorge, plus bestial qu’humain. Ses yeux s’étrécissent pour former deux fentes sombres. Toute pensée rationnelle quitte son esprit : il va détruire le champion. Le taillader et le broyer. L’éventrer et étaler ses entrailles sur le sable rouge de l’arène. Oui, il va renverser la balance, surprendre les Élusis et remporter ce combat.

Le grondement dans sa gorge se change en hululement alors que Némerios s’élance vers l’avant. Il contourne adroitement son rival qui tente de le repousser d’un coup de gourdin à la tête et se retrouve derrière lui, face à son dos laissé sans protection. Un rictus mauvais se peint sur ses traits. L’arrogance du champion va lui valoir la mort.

D’un geste habile, il projette sa main et trace un fin trait rouge sur la peau tendre du dos. Puis il recule. Il va prendre son temps. Il va tant le faire souffrir que sa mort sera une délivrance. Oui, il va leur montrer à tous qu’on ne le méprise pas, qu’il est d’une violence sans pareille.

Némerios passe les minutes suivantes à harceler son adversaire. Il le larde de coups de dague et trace des lignes sanglantes avant de reculer aussi vite qu’il arrive. Son ennemi ne peut que s’agiter et se tourner en tous sens en éructant de rage.

L’avantage a changé de camp.

Autour d’eux, l’arène entière retient son souffle. Le mécontentement étincèle dans certains yeux. Tout le monde sait que malgré sa blessure à l’épaule, Némerios est en train de gagner.

Le jeune homme arrête son assaut et recule hors de portée de son adversaire pour reprendre son souffle, un sourire en coin. Il a fait du beau travail.

Du sang coule d’innombrables petites plaies et la posture du grand guerrier n’est plus stable. L’incertitude peut se lire dans son regard. L’arrogance dont il a fait montre lors de son entrée dans l’arène a fondue comme neige au soleil. Il hésite même à passer à l’attaque.

La foule d’Élusis commence à scander le nom de son champion : « Rak ! Rak ! ». À chaque seconde qui passe celui-ci semble reprendre contenance. Oui, il est blessé, mais le lassis d’entailles qui le parcourt n’est rien de plus qu’une gêne pour lui. Il est fort. Il est grand. Il est violent. Et surtout, il est soutenu. Il ne peut pas perdre.

Rak s’ébroue comme pour se libérer de ses incertitudes et raffermit sa prise sur ses armes.

Némerios regrette soudainement de lui avoir laissé le temps de se reprendre. Il aurait dû pousser son avantage tant qu’il le pouvait. Son retrait va peut-être lui coûter la victoire. Et la vie.

Rak salue brièvement la foule d’un geste de son gourdin puis reporte son attention sur Némerios. Il va le broyer, le réduire en une charpie sanguinolente. Il s’élance.

Némerios regarde le colosse fondre sur lui. Il remarque que ses appuis ne pas aussi stables qu’ils devraient l’être. C’est sa chance. Quand son adversaire est sur lui, il se jette au sol et projette sa jambe en avant pour couper la route de Rak qui s’empêtre dedans et perd l’équilibre. Il plane sur quelques mètres, emporté par sa vitesse et par son poids, puis s’écrase face contre terre.

Cela ne l’a pas blessé. Pas physiquement du moins. Mais son amour-propre en a pris un coup. Lui, le Champion des champions, jeté à terre par le coup bas d’un jeune blanc-bec. Rak se relève, enragé.

Némerios le fixe avec un sourire goguenard. Il pousse même sa chance jusqu’à narguer son adversaire d’un geste de la main.

Ni une, ni deux, Rak lui répond. Il se tourne habilement vers le jeune guerrier et retrousse les lèvres sur ses dents :

— Tu vas mourir, gronde-t-il.

Les spectateurs retiennent leur souffle : le prochain mouvement sera décisif, ils le sentent. Le vainqueur va être décidé dans les prochaines secondes.

D’un même mouvement, les deux guerriers se jettent l’un sur l’autre. C’est contraire à tout ce que Némerios a appris. On lui a maintes fois répété de ne pas faire ça, mais il sent qu’il n’y a pas d’autre solution. Aux grands maux les grands remèdes.

Lorsqu’ils sont à moins d’un mètre l’un de l’autre, Némerios pivote sur son talon pour contourner Rak qui, de nouveau emporté par sa vitesse, ne peut que se retourner pour voir une lame foncer droit vers sa gorge et s’y enfoncer jusqu’à la garde. Ses yeux s’ouvrent en grand sous l’effet de la surprise et sa bouche s’arrondit en un « o » d’étonnement.

Némerios, alors qu’il pivote sur lui-même, a lancé sa dague de toute la puissance de son corps en ajoutant un coup sec du poignet à la fin du geste. L’arme a fusé hors de sa main droite jusque dans la gorge vulnérable de son adversaire où elle s’est enfoncée avec une étonnante facilité. De l’intérêt de porter une armure, même de cuir, se dit-il. Il espérait atteindre le champion, mais ne s’attendait pas à un tel résultat.

Un filet de sang rouge s’écoule lentement hors de la plaie et goutte sur le sable rouge de l’arène. Un silence de mort, lourd comme une chape de béton, résonne à ses oreilles.

En face de lui, Rak refuse de s’écrouler. Il se tient la gorge d’une main, juste sous le point d’entrée de la lame et éructe des sons qui devraient former des mots, mais ne ressemblent à rien. Il titube en avant de quelques pas, son autre main tenant toujours son gourdin battant l’air de moulinets désespérés.

Il est pathétique dans son refus de la mort. Chaque seconde qui passe le laisse plus pâle et plus maladroit, mais il refuse de rendre l’âme. Qu’il ait au moins le bon sens de mourir avec dignité, pense Némerios. Finalement, après avoir parcourut cinq mètres comme un perdu, Rak s’écroule. Il est enfin mort.

Némerios se dirige vers le cadavre, en retire la dague qu’il nettoie d’une poignée de sable et la range. Puis il toise les Élusis avec la suffisance du vainqueur.

Dans les gradins, la surprise est palpable. Un débutant que tout le monde voyait mort en moins de trente secondes vient de s’imposer face au quintuple champion en titre et ce avec un coup de chance inouï. Certains se sentent floués. Néanmoins, peu à peu, des applaudissements commencent à retentir çà et là. Ils reconnaissent, bien malgré eux, sa victoire.

Un sourire nait sur les lèvres de Némerios. Il a gagné. Il a remporté son premier combat et ce n’était que le premier d’une longue série.

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2 Comments

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C'est surprenant ! Je ne m'attendais pas à te retrouver dans ce genre, et pourtant tu t'en es - à nouveau, sortie à merveille ! Je n'aime pas, en soit, les combats, mais je ne peux qu'admettre que tu m'as trainée dans le sable, au côté de Némerios. J'ai maintenant envie d'en savoir plus sur les Élusis !
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1 day
Hehe, le but de pas mal des textes de Miscellanées, c'est justement de servir d'entraînement et de toucher à autant de choses que possible 😄
Merci pour ta lecture et ton gentil retour !
(Si tu veux une idée d'à quoi les Élusis ressemblent, cherche le personnage Cochise de la série Falling Skies ;) )
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