La tempête faisait rage dehors et je ne me souviens plus pour quelle raison j’avais bien pu mettre un pied dehors. Toujours est-il que j’étais dehors, sous la pluie et la tourmente, battu par les bourrasques de vents et éclairé par les éclairs. Je ne prêtais pas attention à ce qui m'entourait, je marchais juste le plus vite possible au milieu de la rue piétonne. Rue envahie par la foule et bourdonnante d'activité, martelée par les pieds des passants malgré le gros temps. Rue où, bien qu'entouré par une foule compacte et nombreuse, je me sentais seul. Terriblement seul, comme l'un de ces bouts de bois flottant au milieu de l'océan déchaîné, ballotté par les flots qui n'ont cure de lui, à la recherche d'une terre où s'établir, d'un rocher auquel s'accrocher pour résister au tumulte qui menace de l'emporter, ou même simplement à la recherche d'un haut-fond où s'échouer en attendant le retour de l'astre solaire et de sa bienfaisante chaleur.
Ce jour-là, comme pour s'accorder à mon humeur morose, le ciel s'était paré de son manteau d'automne ; de sa veste d'orage aux couleurs menaçantes. Et déchargeait sur nous autres, pauvres créatures humaines fragiles et inconscientes, la pluie et la grêle, l'orage et le tonnerre. Le vent, son fidèle partenaire, soufflait en rafales, tournant, roulant sans jamais se fixer sur un axe, une direction. Il tourbillonnait sur lui-même, tantôt doux, tantôt cinglant mais toujours pénétrant, glacial.
Je tenais serré contre moi les pans de mon manteau, la fermeture ayant lâché un peu plus tôt, la capuche soigneusement rabattue sur mes boucles brunes. Je marchais à grandes foulées, sans voir à plus de quelques pas devant moi. Une flaque s'est soudain matérialisée en travers de ma route, peu profonde mais large. Bien trop large pour être enjambée ou sautée d'un bond. Je fis donc fait un pas de côté et quelque chose me heurta l'épaule. Je levai les yeux pour savoir qui venait d’interrompre ma course et je l'ai vue. Le temps s'est comme arrêté.
Je ne sentais plus ni le tonnerre qui roulait au-dessus de ma tête, ni le vent qui soufflait à mes oreilles, ni même la pluie qui me trempait jusqu’aux os. Non. J’étais immobile et hors du temps devant la vision qui venait de m’apparaitre. La foule se fendait comme le flot d’une rivière qui rencontre un rocher et nous contournait avant de reprendre sa course en apparence inchangée.
Le choc de son épaule contre la mienne avait fait un effet de rebond, si bien qu'elle se tenait devant moi. Détrempée, les cheveux dégoulinant de pluie et vêtue d'une simple veste de toile et d’un jean, elle avait l'air frigorifiée. Ses yeux ont croisé les miens et je suis resté bouche bée devant son regard, si intense et si pâle.
Ses iris était de la couleur d'un firmament emplit d'étoiles, d'un doux gris d'hiver mélangé à l'éclatante splendeur d'une nova, comme si un homme – ou bien un dieu – avait récolté les astres tombant du ciel et les avait mélangés pour les mettre dans ses yeux. Ces yeux si remarquables, piquetés de pâles mouchetures dorées.
Puis elle a parlé, rompant le charme lancé par son regard. Le mien dériva et se rattacha à ses cheveux comme s'ils étaient la dernière bouée de sauvetage existante. D'une couleur des plus étonnantes, ni vraiment blonds, ni vraiment gris. Semblables au satellite vénéré de la Terre, ils étaient d'un léger gris cendré tirant sur le blond. Certainement ondulés par temps sec, ils étaient alors décoiffés et ébouriffés par le vent.
Je n'ai pas prononcé un mot, absorbé par la délicieuse vision que le hasard avait placé sur ma route. Après ses yeux et sa chevelure, ce fut sa bouche qui attira mon attention, colorée par quelque artifice de la teinte vermeille du cœur de la nébuleuse Hélix, elle avait la forme délicate et le contour bien dessiné de celles destinées à être embrassées encore et encore. Légèrement entrouverte, elle lui donnait un ravissant air surprit.
Et son visage ! Ah ! Quel visage ! D'une forme douce et ronde tout à fait charmante, il lui donnait l'air d'une jeune femme n'ayant pas encore tout à fait quitté le monde de l'enfance. Sa peau diaphane était parsemée d'une innombrable multitude de tâches de son. Comme si quelqu'un s'était amusé à sa naissance à lever le bras et à ramasser toutes les étoiles du ciel avant de les lui jeter à la face. Chose étonnante, cela ne la rendait que plus belle à mes yeux. Elle leva un peu son menton volontaire et une petite cicatrice de varicelle apparue, comme un cratère finement ciselé déposé-là par je ne sais quel météore.
Elle n’était qu’imperfections, et pourtant elle semblait vraie et authentique, plus vraie même qu’aucune autre des femmes que j’avais pu voir jusqu’à présent. Peu l’aurait trouvée aussi belle que je la trouvai en raison de ses défauts, mais à mes yeux, là où d'autres n'étaient que des prototypes ou des imitations, elle était le produit fini, l'aboutissement de cette quête débutée au commencement du monde, quand les étoiles étaient encore jeunes. Elle était la beauté incarnée, l'ange descendu des cieux, l'enfant bénie des astres.
Et alors que je clignais des yeux, toujours sous le choc de cette merveilleuse apparition, la course du temps reprit son cours et elle partit. Elle se décala et, après m'avoir jeté un étrange regard, est partie aussi vite que possible. Disparaissant comme une comète frôlant la terre, elle laissa en moi un désagréable goût d’éphémère.
Je la suivis du regard autant que possible et, avant qu’elle ne disparaisse dans la foule, je parvins à lire un mot sur son sac. Aussitôt, il se grava dans ma mémoire et devint un souvenir impérissable de cet instant où ma vie aurait pu changer et où l’amour aurait pu prendre la place qui lui revient dans mon cœur. Un seul mot qui me poursuivra toute ma vie. Un mot qui j’imagine, est son nom.
Céleste.
Création autour d’un thème : Céleste (2017)
Certains détails me viennent de mon entourage, comme la cicatrice qui me vient d'une amie