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Lunny
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Milly et le Lutin

Vendredi 3 juillet

S’il y a bien une chose que Milly n’aime pas, c’est les vacances d’été. Alors, quand la sonnerie indiquant la fin de l’année scolaire sonne, elle ne range pas ses affaires avec le même entrain que celui de ses camarades de classe. Elle prend son temps, place les crayons un par un dans sa trousse, vérifie tout deux fois avant de fermer son sac de cours, tant et si bien qu’elle se retrouve rapidement seule avec le maître qui ordonne aussi son matériel avant la pause estivale.

Celui-ci ne la comprend pas : tous les autres enfants sont ravis de voir l’été arriver, pourtant son humeur à elle s’assombrit à chaque jour qui passe. Même lui est heureux d’arriver à cette période bénie durant laquelle il n’a plus de devoirs à corriger. Le maître jette un coup d’œil à la jeune fille.

Milly est grande pour son âge, avec de beaux yeux clairs et des cheveux bruns qu’elle attache le plus souvent en queue de cheval. Elle est aussi très intelligente et obtient souvent les meilleures notes, mais sa grande intelligence ne lui est d’aucune aide lorsqu’il s’agit de se faire des amis. En effet, si elle s’entend bien avec les adultes et que ceux-ci l’apprécient beaucoup, il n’en va pas de même avec ses camarades qui ont tendance à l’isoler. Les seuls à l’accepter sont une bande de garçons bagarreurs avec qui elle passe la plupart des récréations. A dire vrai, elle aussi est plutôt bagarreuse et rentre souvent chez elle avec des bleus laissés par les jeux violents qu’elle partage avec ses amis.

L’enseignant secoue la tête pour revenir à la réalité. Il s’inquiète souvent pour son élève, en particulier à l’approche de cette période. Il a déjà essayé de l’interroger pour comprendre pourquoi elle déteste autant l’été, mais elle n’a jamais voulu répondre à ses questions. Il se dirige vers la porte et pose la main sur la poignée, puis il s’adresse à la retardataire :

— Milly, il est temps d’y aller.

La fille sursaute au son de sa voix. Elle était perdue dans ses pensées et ne s’était pas rendu compte qu’il était toujours là. Elle ferme son sac, l’attrape par la poignée et le tracte derrière elle. Il traîne par terre et cogne de temps à autre contre les pieds des bureaux d’écolier. Arrivée à la porte, elle s’arrête, lève ses grands yeux verts vers le maître et lui dit :

— Bonnes vacances monsieur Pierre.

Après cela, elle descend les quelques marches menant à la cour de récréation en traînant toujours son sac qui rebondit contre les pierres. Elle est la dernière élève encore présente, tous les autres enfants sont déjà partis.

Elle gagne la grille de fer vert et la passe sans un regard en arrière. De l’autre côté de l’enceinte, une toute petite dame aux cheveux aussi blancs que la neige l’attend. Milly la rejoint et elles quittent l’école ensemble, côte à côte.

Samedi 4 juillet

Un rayon de soleil passe au travers des volets et tombe sur le visage de Milly, la tirant d’un sommeil sans rêve. Elle papillonne des yeux quelques secondes sans reconnaître la pièce où elle se trouve, puis tout lui revient. La fin des cours, hier, puis le long trajet en voiture qui a suivi et enfin, l’arrivée tard dans la nuit à la maison de vacances de ses grands-parents.

C’est chez eux qu’elle passe toutes ses vacances d’été depuis des années. Avant elle restait avec ses parents, mais depuis que sa maman est malade, les choses ont changé et ils ne l’accompagnent plus l’été. C’est pour cette raison qu’elle n’aime pas ces vacances-là. Elle se retrouve toute seule avec son grand-père et sa grand-mère dans une grande maison au milieu de nulle part où il n’y a personne avec qui jouer et où il ne se passe jamais rien.

Milly quitte son lit et s’habille pour aller prendre le petit déjeuner. Comme tous les matins, elle mangera toute seule. Ses grands-parents se lèvent très tôt et ont déjà fini de se restaurer, parfois sa grand-mère est encore là quand la jeune fille descend, mais pas ce matin-là.

Elle se sert un bol de lait chaud au chocolat, un verre de jus de fruit et une part de gâteau que sa grand-mère a dû faire le matin même. Milly mange vite. Elle n’a qu’une envie : se débarrasser de cette corvée et trouver quelque chose à faire pour tromper le silence qui règne dans la maison.

Une fois rassasiée, elle range ce qu’il reste sur la table et remonte dans sa chambre pour se brosser les dents, prendre un manteau et des chaussures. Aujourd’hui est un grand jour, Milly a décidé qu’elle allait explorer la forêt qui s’étend au fond du domaine sur lequel se dresse la maison.

Sortir de la maison n’a pas été difficile. Ses grands-parents sont occupés quelque part et de toute façon Milly a le droit d’aller dans le jardin si elle le veut, à condition de rester à l’écart de la forêt…

D’ailleurs, maintenant qu’elle fait face aux arbres et aux ombres du bois, elle se demande si c’est une bonne idée de s’y aventurer toute seule. Après tout si on lui a interdit de le faire, il y a probablement une bonne raison, non ?

La jeune fille hésite encore quelques minutes en se triturant les cheveux puis, d’un seul coup, elle prend une profonde inspiration et fait un pas en avant. Puis un autre, et encore un autre.

Ça y est, elle est dans la forêt. Prise d’une peur subite, elle tourne sur elle-même pour jeter un œil à la lisière de la forêt, mais celle-ci a disparu, à la place il n’y a que des arbres. Des arbres à perte de vue.

À cette vue, Milly panique, elle commence à courir dans la direction d’où elle vient dans l’espoir de sortir du bois, mais rien n’y fait. Plus elle court, plus le nombre d’arbres augmente et plus le sous-bois se fait épais. Rapidement à bout de souffle, elle finit par abandonner. Son cœur bat très vite et elle est essoufflée, alors elle se plie en deux pour diminuer la douleur dans sa poitrine. Elle reprend peu à peu son souffle et réalise qu’un liquide chaud et salé coule sur ses joues jusqu’à sa bouche. Elle porte une main à son visage et se rend compte qu’elle pleure, elle ne s’en était pas rendu compte avant, trop paniquée par la situation.

Quand son souffle et son cœur sont de nouveaux lents et réguliers, elle se redresse et regarde autour d’elle. Tout est sombre, comme si la nuit venait de tomber, ce qui est impossible puisqu’elle est rentrée dans le bois avant midi et que le temps n’a pas pu filer à ce point.

L’inquiétude plante de nouveau ses griffes en elle et Milly commence à croire qu’elle a fait une terrible erreur et la pire des bêtises en se rendant là où on lui a interdit d’aller. Et si elle n’arrivait pas à sortir de la forêt ? Qu’allait-elle devenir ? De nouveau, les larmes fusent. Elles galopent sur ses joues alors que la jeune fille s’effondre contre un arbre.

Entre deux hoquets, elle appelle à l’aide « Papy ! », « Mamie ! », mais personne ne lui répond, elle est toute seule dans cet endroit inconnu.

À force de pleurer, l’épuisement la gagne et elle finit par s’enfoncer dans le sommeil, appuyée contre un gros chêne dont le tronc lui sert d’oreiller.

Date inconnue

Une douleur dans le dos et les fesses sort Milly de son sommeil. Il fait toujours nuit et la température a diminué sans qu’il fasse trop froid. Heureusement qu’elle a pris son manteau avant de sortir, il l’a protégée de la pluie tombée durant son sommeil.

Elle papillonne des yeux pour chasser les gouttes d’eau qui sont sur ses cils, mais n’y parvient pas. Elle se passe la main sur le visage, puis dans ses cheveux pour en défaire les nœuds.

La forêt est silencieuse autour d’elle, trop d’ailleurs. Un sombre pressentiment s’empare de Milly. Il fait de nouveau courir son cœur entre ses côtes et accélérer sa respiration. Elle parcourt les alentours de brefs coups d’œil, mais elle ne voit rien que des arbres. La luminosité est toujours aussi réduite que lorsqu’elle s’est endormie et elle n’a pas la moindre idée du temps qui a passé.

Un bruit résonne soudain. Le craquement sec d’une branche qui se rompt sous le poids d’un animal. Elle sursaute, puis se jette à terre, serrée contre l’arbre. Elle se dit qu’avec un peu de chance, la personne ou la créature ne la remarquera pas en passant. Et c’est ce qui se produit.

Quelques secondes plus tard, une silhouette apparaît. Elle est grande, au moins une fois et demie la taille de Milly, et bien trop longue pour être un homme. Le son de ses pas est discret et feutré sur le sol couvert d’humus. L’enfant ouvre grand ses yeux pour ne rien rater de la créature qui marche à quatre pattes. Elle ne ressemble à aucun animal qu’elle connaisse, ni à aucune créature de conte.

Quelques secondes plus tard, l’être s’est de nouveau enfoncé entre les arbres et même le son de ses pas s’étouffe dans le lointain. Milly se relève, les paumes sur le tronc de l’arbre pour s’aider. Elle a les yeux grands ouverts, remplis de surprise. Que vient-elle de voir ? Qu’est-ce que c’était ? Elle ne parvient pas à répondre à ces questions et décide d’en apprendre plus sur cet étrange endroit.

Date inconnue

Cela fait des heures que Milly est partie sur la piste de l’intrigante créature, mais elle n’a pas réussi à la rattraper et la faim commence à faire grogner son ventre. Malgré sa longue marche, la forêt n’a pas changé d’un pouce. Elle est toujours aussi vaste, sombre et insondable que lorsqu’elle l’a pénétrée et ne semble pas vouloir finir ou même s’ouvrir sur une clairière.

Les douleurs provoquées par sa nuit à même le sol, avec un tronc en guise d’oreiller, se sont estompées lors de sa marche, mais de nouvelles sont apparues. Maintenant, ce sont ses pieds qui lui font mal. Ses chaussures ne sont pas adaptées à un aussi long trajet et les bords commencent à lui irriter la peau.

À quelques pas sur sa droite, un arbre pousse tordu, une de ses branches parallèles au sol, à environ trente centimètres de hauteur. Milly s’assois dessus à califourchon, puis, avec un soupir de soulagement, elle enlève ses chaussures et les jette par terre.

Le silence environnement commence à lui peser, elle n’a pas l’habitude de rester aussi longtemps sans parler à personne. Elle commence à se fredonner à mi-voix une chanson qu’elle a appris à l’école. Le son de sa propre voix la rassure, mais elle lui semble forte dans le silence de la forêt, si forte.

— Il y a quelqu’un ? demande une voix, quelque part derrière elle.

À cette question, Milly sursaute et sa voix s’étouffe dans un hoquet. Elle se met à tousser et glisse de sa branche jusque sur le sol.

— Qui est là ? demande de nouveau la voix.

Elle est plus proche cette fois, et la jeune fille peut entendre le bruit des pas de son propriétaire. Ils sont rapides et rapprochés, percutant la terre avec un son sourd.

Un petit être d’environ soixante centimètres apparaît de derrière le tronc de l’arbre et tombe nez à nez avec Milly. Dès qu’il la voit, il pousse un hurlement de terreur et retourne se cacher derrière l’arbre. La fille, elle, ne bouge pas, trop étonnée pour faire le moindre mouvement.

Elle entend la respiration rapide et erratique de l’être de la forêt, qui essaie de se faire le plus discret possible.

— Tu es toujours là ? s’enquiert Milly.

Mais elle ne reçoit pas de réponse.

— Je ne vais pas te faire de mal, ajoute-t-elle, approche s’il te plaît, je veux juste te voir.

Quelque chose dans sa voix doit le rassurer parce qu’un petit visage ne tarde pas à apparaître. Il a la peau brune comme l’écorce des arbres et de petites oreilles velues de chaque côté de son crâne. Ses yeux sont clairs et limpides, de la couleur des ruisseaux qui dévalent les montagnes et sa bouche et souriante, même si Milly peut lire la peur dans ses yeux.

— Qu’est-ce que tu es ? l’interroge-t-il de sa voix fluette, que fais-tu ici ?

— Je suis une humaine, et toi ? Je n’ai jamais vu d’être comme toi avant.

— Une humaine ? Si c’est vrai, tu n’as pas le droit d’être ici, il faut que tu partes. Et moi, je suis un lutin des bois, notre Royaume s’étend à travers toute la forêt.

— Un lutin ? Un royaume ? Je ne comprends pas. Je suis où et pourquoi je n’ai pas le droit d’être ici ?

L’inquiétude s’empare de nouveau de Milly et rend sa voix fébrile. La créature en face d’elle est différente de tout ce qu’elle a pu voir avant et, même s’ils parlent la même langue, elle ne comprend pas de quoi il parle. Elle savait que les lutins n’existaient pas, à moins d’ouvrir un livre sur les contes de fées, et pourtant l’un d’entre eux disait se tenir devant elle. Cela n’avait aucun sens.

— Avant il y avait des humains ici. Mais ils ont fait de mauvaises choses et ils ont été chassés avec interdiction de revenir. Si la Reine te voit ici, tu risques beaucoup.

Au fur et à mesure de son discours, le lutin sort de sa cachette et il se dresse maintenant de toute sa hauteur devant Milly. Même ainsi, il ne lui arrive qu’au nombril.

— Je ne comprends toujours pas. Tu n’es pas censé exister, la créature que j’ai vue n’est pas censée exister et cette forêt ne devrait pas être aussi grande ! Ça fait des heures que j’essaie de sortir, mais je n’y arrive pas. Je veux rentrer chez moi.

On peut entendre des sanglots dans sa voix. La panique la rattrape et de nouveau son cœur s’emballe.

— Dis, le lutin, tu pourrais m’aider à rentrer chez moi ? demande-t-elle d’une voix tremblante.

Il l’examine de ses grands yeux et hésite à la toucher. La détresse qu’il entend dans sa voix et qu’il voit sur son visage font fondre son cœur et il prend la main de la jeune fille entre les siennes.

— Je vais t’aider à partir d’ici, dit-il, il va falloir que tu me suives sans faire de bruit. Si quelqu’un nous voit ou nous entend, on aura de très gros problèmes.

Milly acquiesce sans dire un mot et il fait volte-face pour s’enfoncer de nouveau dans la forêt. Elle serre sa main plus fermement et lui emboîte le pas en prenant garde à ne pas aller plus vite que lui. De temps en temps, un bruit suspect fait dresser les oreilles de l’être de la forêt et ils s’arrêtent jusqu’à ce que l’alerte soit passée.

Ils marchent longtemps comme ça, dans le plus profond des silences. Milly se calme peu à peu, son nouvel ami semble savoir où il va. Mais alors que le paysage ne change pas autour d’eux et que la fatigue et la soif montent, elle s’arrête net.

Tu es sûr de savoir où est la sortie ? Tu ne te moques pas de moi, n’est-ce pas ?

Sa voix est soupçonneuse. Elle commence à ce dire qu’elle n’aurait pas dû lui faire confiance. Mais il la rassure :

— On est bientôt arrivés, je te le promets ! Encore quelques mètres.

Et il repart en tirant sur sa main. Bien que réticente, elle lui suit tout de même. Quelques minutes plus tard, elle se rend compte qu’il a dit vrai : la maison de ses grands-parents apparaît quelque part au loin, entre deux arbres. Milly se précipite en avant puis s’arrête.

Un grand sourire s’étale sur ses lèvres, elle peut enfin rentrer chez elle ! Elle se retourne pour remercier le lutin, mais il n’est plus là. Son sourire s’efface.

Un murmure porté par le vent lui parvient « Ne m’oublie pas, » dit-il, et « À bientôt, Milly. » La jeune fille se demande comment il connait son prénom puis décide que ce n’est pas si important. Elle le reverra, elle le sait.


Texte écrit en 2020 pour un appel à texte intitulé “Forêt Enchantée” (enfants du primaire à partir de 7 ans) en vue d’éditer une anthologie jeunesse. Il n’a pas été retenu.

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4 Comments

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Mmmooohhh il était beaucoup trop mignon ce texte ! Au début, j'ai cru à du Stephen King et son livre "La petite fille qui aimait Tom Gordon", heureusement, seul le début s'y apparentait pour notre petite Milly ♥ J'aurais adoré connaître la suite de ses histoires
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21 days
N'ayant pas lu Stephen King (shame on me, I know), je suis désormais très intriguée 👀
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N'ayant pas lu Stephen King (shame on me, I know),...
Pour la faire courte, imagine une enfant qui s'éloigne de ses parents lors d'une randonnée
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Pour la faire courte, imagine une enfant qui s'élo...
De très nombreuses possibilités, rarement positives
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