Clip-clap-clop, c’est la pluie qui tombe sur les tôles du toit.
Broum ! C’est le tonnerre qui roule dans le lointain.
Et un flash de lumière aveuglant.
L’orage est tout près, peut-être même au-dessus de ma tête, et je n’ai d’autre protection d’un vieux toit de tôles rouillées posé sur de vieilles poutres mitées. L’eau dégouline du ciel à une vitesse fulgurante, noyant tout sur son passage. Autour de mon abri de fortune, des flaques se créent et avancent vers moi. L’eau dévore tout, agressive et affamée.
Bientôt, je suis encerclée. Et le niveau de l’eau monte toujours. Le vent souffle plus fort. Les poutres de mon abri bougent et les plaques de tôle grincent les unes contre les autres avec un hurlement à glacer les sangs.
Le tonnerre gronde de plus en plus fort, et les éclairs se font de plus en plus nombreux. Le temps qui les espace du tonnerre se réduit ; l’orage approche.
Le vent souffle encore plus fort. Il murmure à mes oreilles, puis rugit sa colère. La pluie se fait violente, fracassante. Les gouttes explosent contre le toit et les flaques continuent de dévorer le sol à belle allure.
Elles m’encerclent et commencent à lécher mes baskets. Je me serre contre une poutre pour éviter que le vent ne m’emporte.
De l’eau ruisselle sur mon visage et dans mon cou. Elle se faufile entre mes seins et mes omoplates, chatouille mon nombril et m’enveloppe de ses longs doigts glacés. Je suis trempée et le niveau monte toujours. Il atteint mes genoux à présent. Il n’y a plus de terre sèche.
Le toit s’envole sous les assauts furieux du vent, les tôles se font déloger une à une. Un clou rouillé tombe et me rate de justesse.
Je me tiens désormais au centre d’un squelette dont les côtes jaillissent du sol et m’enserrent dans une cage de bois pourrie.
J’ai peur, toute seule sous la tempête. Le vent va bientôt m’emporter. Je le sais. Sauf si l’eau me noie d’abord. Je pleure. Les larmes coulent sur mes joues, se mêlant aux gouttes de pluie et traçant des sillons brûlants sur ma peau gelée. Un long frisson s’empare de moi et me parcourt, faisant claquer mes dents et apparaître la chair de poule.
Le vent redouble encore de force si c’est possible, et un éclair frappe un arbre tout proche qui tombe dans un craquement de fin du monde, carbonisé. Ses branches noircies et brûlées se tendent vers moi, prêtent à m’agripper et à m’entraîner dans une étreinte mortelle. Alors, je ferme les yeux.
Et les rouvre avec un hurlement.
Je suis dans mon lit, trempée de sueur et dehors, la tourmente se déchaîne. C’est probablement l’origine de mon cauchemar.
Le vent siffle et la pluie tambourine contre le toit de la maison. Les éclairs illuminent la pièce par à-coups, m’éblouissant à chaque fois assez longtemps pour que j’en perde mes repères.
Les rideaux flottent dans l’air à la fenêtre, j’étais pourtant sûre de l’avoir fermée. Alors, je me lève et me dirige vers elle. Une douleur aiguë me prend au pied. Je sautille sur place en le tenant et, à la faveur d’un éclair, j’entr’aperçois une tache sombre sur la moquette.
C’est du sang. Le mien. Celui qui coule par la plaie de mon pied, entaillé par un morceau de verre venant de la fenêtre brisée ; fenêtre dont je distingue les reflets des débris à chaque nouvel éclair.
À cloche-pied, je m’approche. Une branche traverse la fenêtre fracassée et repose sur le rebord. Les rideaux volent et se posent dessus au gré des coups de vent, tandis qu’elle grince autant qu’elle le peut. Ce doit être son irruption dans ma chambre qui m’a sortie de mon songe bien trop réaliste.
La branche est grosse comme mon mollet et pleine de nœuds et de ramifications. Elle porte encore quelques feuilles, malgré la saison déjà bien avancée. On dirait du hêtre, comme le vieil arbre qui se dresse au fond de notre jardin. C’est un doyen, un être bien plus vieux que ma mère et ma grand-mère, qui a vu grandir les enfants de notre famille depuis bien des générations.
J’ai toujours été très attachée à cet arbre. C’est à son pied que j’ai pris l’habitude de jouer durant les chaudes soirées d’été, et dans son feuillage que je me réfugie lorsque tout va mal. Il est mon confident et mon arbre. Le creux de ses ramures est l’endroit le plus agréable et le plus protecteur que je connaisse. J’ai toujours cru que cet arbre était immuable ; qu’il était déjà présent à la création du monde et qu’il vivrait jusqu’à sa perte. Mais maintenant, j’ai peur.
La violence de l’orage et la chaleur de sa foudre auraient très bien pu lui causer des dommages autrement plus graves que cette branche arrachée et emportée jusqu’à ma chambre. Alors, pieds nus, j’attrape un manteau sur le dossier de mon siège de bureau et je m’élance dehors, sous la pluie diluvienne qui ne semble pas vouloir cesser.
Malgré la douleur dans mon pied, et l’eau dans mes yeux, je me précipite au pied de mon cher hêtre. Je cours, malgré le point de côté et le sol glissant. Je cavale sous les éclairs, en évitant trous et bosses d’un saut, mon manteau sur les épaules et les cheveux rendus fous par la tempête.
Arrivée au fond du jardin, je m’arrête. Mon hêtre, mon très cher arbre, mon ami et le confident de mes secrets, gît sur le flanc. Déraciné. Son tronc, large et puissant, est sur le sol et ses racines pointent en l’air d’une façon obscène.
Je passe la main devant mes yeux pour dégager ma vue brouiller, et je me rends compte que je pleure. Je croyais que je ne voyais plus à cause des larmes du ciel, mais c’était en fait à cause des miennes.
Je chasse mes pleurs du bras et me dirige comme un zombie vers celui que je ne pensais pas voir chuter un jour. Je me faufile entre son système racinaire et remonte le long du tronc, une main sur son écorce dure, jusqu’à son faîte. De là, je me réfugie au cœur de ses branches, dans une fourche, et je me cache sous ses feuilles, à l’abri du vent. Serrée contre lui, les larmes coulant sur ma figure, je finis par m’endormir, trempée par la tempête et éclairée par les illuminations de l’orage.