–– Jezabel ––
Ashton me toise du regard avec ses iris vertes, sans prendre le temps d'utiliser sa salive pour répondre à ma question qui est pourtant simple.
Une fois qu'il a fini de me reluquer, il reporte son attention sur les roues de ma caisse pour continuer son travail.
- Allô la terre, ici la lune ! Tu comptes me répondre un jour ? le questionné-je sur un ton acide, agacée qu'il m'ignore autant.
- Pourquoi poser une question à laquelle tu connais déjà la réponse ? Je te pensais plus maligne que ça Jezabel, me répond-il d'un ton flegmatique.
- Tu répare surtout tes propres conneries, dis-je en faisant comme s'il avait répondu à ma première question.
- Qu'est-ce qui te fait dire que c'est moi ? apparemment intéressé par ma remarque, il finit par reposer ses iris de jades sur moi.
- Le fait que tu veuille te venger pour ta voiture.
Étant tellement assoiffée du fait d'avoir réussi à le prendre la main dans le sac, je ne me rends compte qu'une fois que j'ai terminé ma phrase que je viens de griller toute seule.
Putain mais quelle conne ! Comment est-ce que je peux être assez stupide pour m'avouer coupable ?!
Une folle envie de me taper le front me prend, mais je me retiens. Je n'ai pas envie de me rendre encore plus ridicule.
- Donc tu avoues que c'était bien toi pour ma caisse ? me demande-t-il en même temps qu'un demi sourire vient se former au coin de sa bouche, probablement satisfait que je me dénonce toute seule.
Je m'engueule mentalement, et reprends vite contenance en essayant de ne rien laisser paraître.
- Bien sûr que non, j'ai pas de temps à perdre avec des conneries du genre, lui réponds-je en croisant les bras, les sourcils froncés.
Il m'analyse scrupuleusement du regard, cherchant probablement un quelconque signe qui prouverait que je mens. Mais je reste impassible et plonge mes iris brunes dans la profonde forêt qui se trouve dans son regard, le défiant de me contredire.
Il détourne le regard le premier -ce qui me vaut un sourire- pour ramasser sa clef de croix qui jonchait le bitume.
- Enfin bref, tes roues sont à nouveau à leur place, et comme je n'ai pas réellement eu à me déplacer ni eu beaucoup de boulot à faire, je vais être sympa et dirais à mon patron de ne rien te facturer, me dit-il en s'épongeant le visage avec sa chemise à carreaux noir qui était nouée autour de bassin.
Ce semblant de courtoisie sent le roussi, il me réserve quelque chose pour la suite, c'est certain.
Je grimace légèrement, puis finis par lui répondre :
- Quelle délicate attention de ta pars, marmonné-je en affichant un sourire hypocrite sur mes lèvres une fois que j'ai réussi à détacher mon regard de son torse musclé, tout en essayant de rester indifférente face à ce corps athlétique et noirci d'encre qui se tient devant moi.
- Tu pourrais aussi simplement me remercier, il balance sa chemise sur son épaule avant de me contourner.
- Ce mot ne risque pas de franchir ma bouche pour tes beaux yeux, lui réponds-je froidement.
Il s'arrête face à moi et me domine de toute sa hauteur. C'est certainement l'une des premières fois ou je me sens aussi petite.
- Un de ces jours tu finiras par le faire, me murmure-t-il à l'oreille, persuader de sa réponse.
Il me lance une dernière œillade insistante avant de poursuivre son chemin.
Le fait de l'avoir senti aussi prêt de moi, me fait serrer les points et la mâchoire. Je me retiens de lui balancer une réplique cinglante, et ce n'est qu'une fois que j'entends le coffre de sa voiture claquer, que je me m'autorise à détendre mes phalanges et tout le reste de mon corps par la même occasion.
Ce connard a réussi à me faire monter le rouge aux joues et je n'arrive pas à savoir si c'est de colère ou désir.
Bon sang mais qu'est-ce qui ne va pas chez moi !?
J'inspire une bonne goulée d'air pour me calmer et finis par me décider à rentrer chez moi en attendant l'heure pour aller chercher ma petite sœur.
****
Il est seize heures trente de l'après-midi et j'attends Maya dans la cour de sa nouvelle école. Le microbe me saute dans les bras lorsqu'elle arrive et je la serre fort contre mon cœur avant de la reposer sur le sol pour que nous nous rendions toutes deux à la voiture.
Quand elle me raconte que les pimbêches de sa classe commencent déjà à lui chercher des crasses en faisant en sorte qu'elle mange seule à la cantine, je ressers mes mains sur mon volant à tel point que la jointure de mes phalanges en devient blanche.
Mais ce qui a le don de me mettre le plus en rogne, c'est qu'elle me dise que ça n'est rien, qu'elle préfère les ignorer.
Le truc avec ce genre de filles, c'est que tu ne peux : ni devenir amie avec elle, ni te laisser marcher sur les pieds. Sauf que Maya est beaucoup trop gentille et qu'elle n'ose pas dire « stop ». Et j'ai peur qu'elle commette la même erreur que moi et que lorsqu'elle essaiera de leur faire comprendre que s'en ai trop, il soit trop tard...
- Je ne veux pas que tu te laisses faire Maya, il faut que tu leur rentre dedans.
- Je sais... elle affiche une petite moue sur son visage enfantin. Mais j'aime pas être méchante avec tout le monde comme toi...
Je laisse un soupire s'échapper d'entre mes lèvres et desserre mes mains du volant.
- Je n'ai pas toujours été comme ça, et je ne suis pas méchante avec tout le monde, la preuve, je suis gentille avec toi.
- Oui mais c'est pas la même, on est sœur, j'sais pas tu veux pas un namoureux ?
- J'ai pas le temps pour ça, il faut que je m'occupe de toi, lui dis-je en lui adressant un sourire qu'elle me rend en mille fois mieux.
La vérité Maya, c'est que j'ai peur d'aimer, peur de perdre le contrôle de moi-même, peur de donner la possibilité à quelqu'un de me détruire dès qu'il en aura envie. J'ai peur qu'on m'abandonne, peur de ne pas être capable d'aimer quelqu'un à sa juste valeur, toutes ces peurs que j'aimerais avouer a quelqu'un mais que je préfère taire. J'ai envie de lui avouer tout ça, mais ça n'est pas à elle de se préoccuper de tout ça, alors je me résous au silence.
Je me concentre sur la route et roule jusqu'à la maison avant de me garer jusque dans son allée et une fois que le moteur est coupé, on rentre toute les deux dans la villa.
À peine ai-je le temps de poser un pied sur la moquette de ma chambre, que j'entends déjà les petits pieds de ma benjamine qui escalade les escaliers qui mènent à mon antre en criant :
- Je peux aller à la piscine ?!
Je retiens un soupire et je regarde mon lit avec envie. L'idée de m'allonger parmi tous ces coussins qui s'entassent sur mon lit pour faire une sieste est vraiment très tentante. Mais comme le soleil est au rendez-vous, je ne peux me résoudre à refuser la demande de Maya.
- Vas enfiler ton maillot, et tu m'attends avant d'y aller hein, j'appuie la fin de ma phrase en la menaçant de mon index, comme notre génitrice le ferait.
Un sourire vient illuminer son doux visage, et elle quitte ma chambre en criant pour exprimer sa joie.
Une fois que nous sommes toutes les deux fin prête, j'attrape un de mes nombreux bouquin qui trône dans ma bibliothèque avant de sortir dans le jardin avec la morveuse.
La miss saute dans l'eau tant-dis-que je m'allonge sur l'un des transats et commence à lire tout en gardant un œil sur la mini cendrillon qui patauge dans l'eau.
Une demi-heure plus tard, alors que Maya est assise sur le rebord de la piscine en train de jouer avec ses Barbie, Santa, la mère d'Ashton, fait son entrée dans le jardin. Une assiette de cookies dans une main, et ses lèvres colorées de leur habituelle teinte rouge, étirées en un magnifique grand sourire.
- Salut les filles ! Je me suis permise d'entrer comme personne ne répondait à la porte.
Je lui adresse un bref signe de la tête pour lui signaler que ça n'est rien, avant de poser mon bouquin et de la questionner :
- Tu voulais quelque chose en particulier ?
- Oh non, j'ai juste fait des cookies et je me suis dit que ça vous ferait certainement plaisir si je vous en apportais quelques-uns, me dit-elle en me tendant l'assiette que je prends et pose sur la table qui se trouve à côté de mon transat.
Maya se lève vivement en entendant le nom de ses gâteaux préférés. Elle trottine jusqu'à nous, et embarque plusieurs biscuits avec elle avant de retourner jouer.
- Tu n'es pas venue ici uniquement pour ça, je me trompe ? lui demandé-je en lui adressant un regard accusateur.
Son air coupable finit par la trahir, et je l'incite à parler.
- Tes parents et ta sœur viennent manger à la maison ce soir, et comme Ashton va à nouveau en soirée, je me disais que ça pourrait être sympa que tu l'y accompagnes. J'ai eu l'impression que ça c'était plutôt bien passé la dernière fois, sourit-elle.
Mon Dieu si elle savait.
-J'en ai parler à ta mère et elle est d'accord avec moi, finit-elle par m'avouer.
Bien sûr, il fallait qu'elle en parle à ma mère, histoire que je ne sois pas en mesure de refuser au moment où elle me poserait la question.
Bordel mais qu'est-ce qu'ils ont tous à absolument vouloir qu'on passe du temps ensemble ?!
Il ne manquerait plus qu'ils espèrent qu'on devienne ami.
Face à cette dernière réflexion que je viens de me faire, je me retiens de me taper le front face à la stupidité dont font preuve nos parents.
Je laisse un soupire s'évader d'entre mes lèvres avant d'à nouveau poser mes yeux sur Santa qui a toujours ses lèvres étirées en un doux sourire bienveillant.
D'un bref signe de la tête, je finis par accepter son invitation, à contre cœur.