–– Jezabel ––
Après avoir passé seize interminables heures dans l'avion, on a pris une voiture de location à l'aéroport d'Austin pour enchaîner avec trois heures et trente minutes de voiture. Durant ces dix-huit heures de voyage, j'ai passé mon temps à : dormir, manger, lire, écrire et tout ça sans retirer une seule fois mes écouteurs de mes oreilles. La musique aura été ma principale compagne durant ce long voyage interminable. Entre les railleries incessantes de Maya et les coups de klaxons venant des autres conducteurs qui s'énervaient tout seuls dans les bouchons, j'ai préféré m'isoler pour me rendre ce voyage le plus agréable possible.
Alors qu'il ne nous reste plus qu'une demi-heure de route, mon téléphone se décide à me lâcher. Je fouille dans mon sac de voyage et en ressors ma batterie externe. J'y branche mon chargeur auquel mon téléphone est déjà connecté. Mais le karma est semble-t-il contre moi aujourd'hui. Je retire le chargeur pour le rebrancher plusieurs fois à mon téléphone, mais il faut malheureusement que je me rende à l'évidence, le boîtier est lui aussi déchargé. Je vais devoir passer les dernières minutes de trajet sans musique. Je retire donc mes oreillettes de mon système auditif, et les ranges dans la poche droite de ma veste en jean.
Apparemment mon smartphone a décidé de me lâcher au bon moment, puisque le calme règne dans l'habitacle, seule la chanson "Gangsta's Paradise" de l'artiste Coolio, vient briser ce silence. Visiblement, Maya préfère ne pas se risquer à chanter. En même temps, ce doit être un peu trop rapide dans les paroles pour elle, surtout pour une gamine de son âge. Mais je crie victoire trop vite, puisqu'à peine la chanson est-elle finie, qu'elle recommence à jacasser. Je laisse un soupire lasse m'échapper avant de reporter mon attention sur le paysage qui défile sous mes yeux. Parmi tous les grands buildings qui se dressent derrière ma fenêtre, je me demande où notre maison peut bien se trouver. Alors que je me suis laissée aller à la contemplation de cette ville qui au final n'est plutôt pas si mal et que j'ai réussis à faire abstraction de tout ce bruit qui emplit la voiture, la voix stridente de la morveuse qui se trouve à mes côtés vient me sortir de mes songes.
- C'est quand qu'on arrive ? C'est quand qu'on arrive ? répète-t-elle sans cesse de sa voix enfantine qui commence sérieusement à me taper sur le système.
Mes parents ont arrêté de lui prêter attention après la cinquième fois qu'elle a prononcé cette foutue phrase que pratiquement chaque enfant débite sans relâche au cours d'un trajet en voiture.
On m'a toujours dit que l'ignorance était la meilleure réponse à un comportement de la sorte, mais l'agacement prend vite le dessus, et je lui colle ma main sur les lèvres. Elle me fixe de ses yeux pétillants et de son regard taquin. Je sais que quand elle a ce regard, une couille se prépare, et ça ne manque pas, alors que je sens ses lèvres s'étirer en un sourire contre ma paume, sans même que je m'y attende, je sens sa langue chaude et baveuse tracer son chemin sur mon épiderme. Je retire brusquement ma main de sa cavité buccale en ayant un mouvement de recul. Je fixe un court instant ma main emplie de sa salive répugnante avant de la fusiller de mon regard assassin. Un air de victoire s'affiche sur son joli minois avant qu'elle n'éclate de rire face à ma mine déconfite.
Agacée par son comportement enfantin bien que ce ne soit qu'une gamine et que ce soit de son âge de se comporter de la sorte, je m'essuie la main sur sa joue gauche et affiche un sourire diabolique sur mes lèvres. Mon action a l'effet escompté, elle s'arrête de rire sur le champ et me regarde les larmes aux yeux, ce à quoi je réponds par un soupire.
- Ça va Maya, tu n'as plus trois ans, lui dis-je sèchement.
Elle me fusille de ses yeux bleus et gonfle ses joues pour montrer son mécontentement. Face à sa réaction, je laisse un ricanement s'échapper de ma bouche, ce qui la contrarie d'autant plus. Et en guise de provocation, elle recommence à piailler sa foutue phrase de malheur qui est plus qu'agaçante, surtout quand elle prend cette voix nasillarde. Elle sait exactement ce qu'elle fait lorsqu'elle prend cette voix. Mais nous ne sommes pas dupes, nous aussi, on sait ce qu'elle essaie de faire. Elle attend que l'un d'entre nous finisse par céder.
Je fais tout mon possible pour me retenir de lui sauter dessus finir par l'étrangler, mais la tâche est compliquée.
Autant je peux dire que je l'aime, autant parfois elle me donne de réelles envies de meurtre.
- Je te donne mon dessert pendant le reste de la semaine, si tu te tais pendant les quinze dernières minutes de voiture, hurlé-je par-dessus ses jacassements.
Je ne le montre pas, mais intérieurement je suis frustrée par moi-même. Parce qu'elle a gagnée. Comme toujours. Il m'est presque impossible de lui tenir tête.
Mais au moins, elle se tait immédiatement et me regarde bouche bée avant de la refermer et d'étirer ses lèvres en un immense sourire qui laisse apparaitre ses dents. Au moins il lui en faut peu pour être heureuse, tant que ça peut la faire taire, ça me va. Elle s'enfonce dans le dossier de son siège puis regarde par la fenêtre.
- Jezzy ? Tu peux...
Elle va poursuivre sa phrase, mais je la coupe d'un brusque mouvement de la main et l'intime au silence. Maya laisse un soupire lasse lui échapper avant d'afficher une mine boudeuse sur son joli visage d'enfant de dix ans. Blonde aux yeux bleus, elle est tout mon contraire, ma benjamine est le parfait mélange entre nos deux parents. L'enfant rêvée quoi.
Quinze minutes plus tard, on arrive enfin. Je détache ma ceinture de sécurité, ouvre ma portière, et pose enfin les pieds sur la terre ferme. Après avoir passé trois minutes à observer cette énorme maison blanche et cette vaste allée qui me font face, Maya me sort de ma rêverie de sa douce voix enfantine.
- Jezzy tu viens ? me demande-t-elle, un sourire émerveillé sur les lèvres.
Je lui réponds par un signe approbateur de la tête avant de lui adresser un doux sourire. Je range mon ordinateur et les quelques bouquins - que j'ai laissé traîner sur la banquette arrière - dans mon sac de voyage que je glisse sur mon épaule droite avant de m'extirper entièrement de la Mercédès noir de location pour aller rejoindre ma petite sœur sur le pas de la porte.
Je la vois trépigner d'impatience, empressée que j'ouvre la porte. Elle s'est battue contre nos parents pour que je sois la première à insérer la clef dans la serrure de cette maison. Et bien que cette action soit adorable de sa part, je n'ai sincèrement pas l'envie de le faire, sauf que je n'ai pas le choix. Maya ne le fera pas à ma place et les parents sont occupés à décharger la voiture, il n'y a donc que moi qui puisse déverrouiller cette foutue porte à la con.
- Alors tu attends quoi Jezzy ? me demande la morveuse aux yeux de glaces.
- Ça va, ça vient, lui réponds-je légèrement agacée.
Je sors la clef de la poche de ma veste en jean et l'insère dans la serrure avant de la tourner jusqu'à ce que j'entende un "click", signe que l'entrée est déverrouillée et que l'on peut entrer.
Lorsque je pousse la porte et que je pénètre à l'intérieure de la demeure accompagnée de Maya, un grand escalier qui se sépare en deux après une dizaine de marches nous fait face. Les marches sont en bois coloré de noir, et les balustrades sont en fer forgés de la même teinte que les marches et le tout ressort magnifiquement sur les murs blancs cassé de la maison.
- T'as vu ?! On a une vraie maison de princesses, s'émerveille-t-elle.
Ses yeux pétillent d'excitation, un énorme sourire étire ses lèvres et celui-ci ne les quitte plus. Son bonheur me vaut un sourire, c'est l'une des rare fois ou je l'ai vue aussi heureuse, si je ne compte pas les fois où l'on est allé à Disney Land.
Tandis qu'elle part visiter toute la maison et probablement déjà se trouver un lieu qui pourra lui servir de cachette, je monte le grand double escalier et prends le côté qui part sur la gauche. Je visite les trois chambres qui se trouvent au premier étage, mais aucune d'elle ne me convient, alors je décide de monter l'escalier qui se trouve au fond du couloir du premier étage, et au second niveau de la maison, se trouve les combes, qui ont apparemment été réaménagées, puisque les murs sont eux aussi peint de blanc, que le tout semble bien isolé, et que ça sent encore la peinture fraîche.
J'ouvre la porte-fenêtre qui donne sur un vaste balcon qui semble-t-il vient d'être construit.
Mais apparemment, le monde extérieur ne veut pas de moi pour aujourd'hui, puisque j'ai à peine le temps de passer quelques minutes à l'air frais, que des goûtes d'eau viennent s'écraser sur mon visage. La pluie redouble de force et finit par tremper ma longue tignasse noire que j'avais attachée en un chignon décoiffé qui est à deux doigts de se défaire.
Mon visage et mes cheveux mouillés par toute cette pluie, je me résous à retourner à l'intérieure de ce qui est désormais ma nouvelle chambre. Je referme la porte fenêtre derrière moi, et descends au rez-de-chaussée pour récupérer les quelques cartons qui m'appartiennent.
Une heure plus tard, le nez collé à la fenêtre - qui donne sur l'allée de la maison - contre laquelle la pluie bat toujours, je regarde mes parents décharger le camion de déménagement qui est arrivé il y a déjà quelques minutes. Les habits de mes géniteurs sont complètement détrempés, mais la pluie et le vent froid qui s'est levé ne les arrête pas. Des mèches blondes mouillées de ma mère lui barrent le visage, mais elle n'en fait rien et prend un énième carton avant d'entrer pour la je ne sais combientième fois dans notre nouvelle maison.
Après avoir passé plusieurs longues minutes à les observer, je reporte mon attention sur la grande ville que je peux voir au loin. Ma fenêtre est désormais ouverte, je peux entendre la pluie tomber et venir s'écraser contre le bitume avant d'entamer une course folle vers les canalisations d'eau.
- Jezabel ?!
Je reporte mon attention sur ma mère qui m'a brusquement sortie de mes songes à l'aide de sa voix qui est très désagréable à mon oreille.
- Ouais ? la questionné-je sur mon ton froid habituel.
- Je t'ai demandé d'aller nous préparer des chocolats chauds, tu crois que tu en seras capable sans nous mettre le feu à la maison ? me demande-t-elle sur un ton acerbe.
Je lui réponds par un simple signe de la tête approbateur et referme la fenêtre d'un mouvement sec. Non mais pour qui me prend-elle ? Je ne suis pas empotée non plus.
Je m'essuie le visage à l'aide de mon sweat-shirt qui était posé dans un coin de la vaste chambre, et le repose sur mon lit -composé par un simple matelas double, posé sur un sommier- qui n'est soit dit en passant pas encore fait. Je finis par me décider à descendre à la cuisine et de me mettre à préparer les boissons chaudes pour mes parents.
Une fois les deux tasses de mes parents prêtes, je les pose sur le comptoir de la cuisine avant d'ajouter des guimauves et de la chantilly dans ma tasse. Je n'en ai pas fait pour Maya, durant le voyage elle a ingéré bien assez de sucre pour le reste de la journée. Quand ma boisson est fin prête, je me décide à remonter dans ma chambre nouvelle, et à déballer mes affaires.
Je commence par faire mon lit, j'y enfile mes draps violine tout en buvant quelques gorgées de mon délicieux breuvage sucré. Quand celui-ci est fait, je me mets à construire ma bibliothèque -meuble qui m'est essentielle-. Et alors que je m'évertue à comprendre ce foutu mode d'emplois, j'entends le camion de déménagement s'éloigner, mes parents viennent probablement de finir de le décharger.
Une heure plus tard, alors que je suis en train de ranger mes nombreux bouquins dans ma nouvelle bibliothèque que j'ai fini de monter il y a quelques instants, j'entends la sonnette de l'entrée retentir dans toute la maisonnée.
- Jezabel vas ouvrir ! m'ordonne mon père depuis le rez-de-chaussée.
Espèce de trou de cul, t'es pas capable de lever ton putain de fessier d'avocat de ton putain de canapé de bourge ? T'as déjà de l'arthrose à quarante piges ou quoi ?
Je garde ces réflexions pour moi-même, mais ça ne m'empêche pas de me laisser submerger par la colère.
Je descends les escaliers d'un pas trainant. Une fois en bas, je prends la peine et le temps pour leur tirer un doigt d'honneur qu'ils ne voient bien sûr pas et ouvre brusquement la porte d'entrée à la personne qui ose me déranger dans le précieux rangement de mes ouvrages.
- T'es qui et qu'est-ce que tu nous veux ? demandé-je sur un ton acide à mon interlocuteur.
La rage que je ressens envers mes parents coule encore dans mes veines, alors un peu malgré-moi, j'agresse le pauvre gars qui a eu le malheur de venir sonner à notre porte.
Je m'appuie contre l'encadrement de la porte, les bras croisés, et détail l'homme qui me fait face. Sa peau mate est recouverte de nombreux tatouage et son nez est percé à sa paroi nasale droite. Ses yeux d'un vert forêt s'attardent eux aussi sur moi. Je le trouvais plutôt pas mal, jusqu'à ce que je remarque sa tignasse d'un rouge vif, je me demande même comment ça se fait que je ne l'ai pas remarquée tout de suite. J'ai affaire à Charlotte aux fraises ou quoi ?
- Heureux de faire ta connaissance moi aussi. C'est ma mère qui m'envoie, elle vous invite à venir manger à la maison ce soir étant donné que vous êtes nouveaux dans le quartier.
Il me fixe de ses yeux de jades et je le fusille du regard pour bien lui faire comprendre que sa venue ne m'enchante guère, et qu'il peut se mettre son invitation là où je pense.
- Ne vas pas croire que ça me fait plaisir de t'accueillir chez moi, se contente-t-il d'ajouter.
C'est qu'il n'est peut-être pas si bête que ça finalement. Aurait-il compris qu'il est agaçant ? S'il fichait le camp sur le champ, j'aurais la certitude qu'il est un minimum intelligent, mais il n'a pas l'air décidé à partir tout de suite.
- J'en ai rien à faire de ton petit discours, dis à ta mère que mes parents viendront. Maintenant rentre chez toi tu veux, réponds-je sur un ton acerbe, n'arrivant pas à redescendre en pression.
Je suis comme une cocotte-minute en ce moment, j'attends juste le bon moment pour pouvoir exploser pour de bon.
Il laisse un soupire lasse lui échapper, probablement excédé par mon comportement. Tant mieux, au moins il n'essaiera pas de venir faire ami-ami avec moi.
- Parfait, rendez-vous à dix-neuf heures alors, me répond-il sur le même ton sans se laisser démonter.
- Ils seront là.
Ce sont les derniers mots que je lui accorde.
Sur ce, je ne lui laisse pas le temps d'ajouter quoi que ce soit et ne lui souhaite même pas une bonne fin de journée avant de lui claquer la porte au nez.