14 novembre 2010 – Circuit Yas Marina, Abou Dabi
Grand Prix d’Abou Dabi
Le départ de la 839ème course de Formule 1 retentit. La journée fut sèche, 29 degrés furent recensés dans l’air, réchauffant jusqu’à 33 degrés la piste exposée. Le soleil qui aveugle les pilotes dans certains virages laisse peu à peu sa place à une lune brillante, la chaleur déclinant à vue d’œil.
Je me cache le nez en sentant dans l’air l’odeur de la friction des pneus sur la piste tandis que Rafael, l’un des ingénieurs, ajuste mon casque sur mes oreilles. Il tend ensuite le doigt vers les écrans.
— Tu vois ce point bleu ?
Je hoche la tête en regardant le point bleu s’agiter en suivant la ligne de ce qui me semble être le dessin du circuit.
— C’est ton grand frère. La piste fait 5,554 kilomètres et ils doivent faire 55 tours.
Je hoche à nouveau la tête. Les ingénieurs de l’écurie prennent toujours le temps de m’expliquer les détails de chaque course.
— Sebastian doit effectuer 305, 355 kilomètres avant de savoir s’il sera, oui ou non, sacré champion !
— Il le sera !
Mon esprit de petite fille et mon amour pour mon frère parlent à ma place. Rafael me fait un grand sourire.
— Moi aussi j’y crois ma grande.
Il m’ébouriffe les cheveux.
Je vois mon frère faire un excellent départ qui le laisse en tête du Grand Prix, suivi de très près par James Collins et Nicholai Arteaga qui se fait dépasser par Brian Wilson.
Tout arrive très vite. Je vois soudainement le mentor de mon frère, Ulrich Meyer, partir en tête-à-queue après un léger contact avec son coéquipier l’envoyant vers l’extérieur. Les autres pilotes arrivent à le contourner sauf Ugo Trentini qui entre violemment en collision avec le octuple champion du monde. Le museau de sa monoplace vient presque effleurer le casque du mentor et ami proche de mon frère. Mon cœur bat à cent à l’heure en attendant de savoir s’ils vont bien. Meyer et Trentini sortent de leurs monoplaces et sont emmenés vers le paddock en toute sécurité.
La safety car prend finalement le relais jusqu’au 5e tour, en attendant que les débris soient enlevés de la piste.
Mon frère effectue son seul et unique arrêt aux stands lors de son 24e tour, ce qui le fait chuter juste derrière Brian Wilson qui passe en tête du peloton. L’excitation est à son comble dans le garage Red Bull après cet arrêt rapide qui n’a coûté qu’une seule place.
La tension redescend lorsque Brian Wilson effectue son arrêt aux stands lors du 40e tour et chute à la 4e place, laissant Seb reprendre la tête du Grand Prix.
Rafael tient ma petite main dans la sienne comme pour me rassurer… ou se rassurer lui-même. Les 15 derniers tours s’écoulent avec une lenteur que je n’avais jamais expérimenté auparavant, mais c’est fait. Seb à passé la ligne d’arrivée et décroche la première place sur le podium tandis que tout le monde dans le garage prie pour que les trois autres pilotes se battant pour le championnat n’obtiennent pas plus de points que mon frère.
Je vois Christophe Barzin, l’ingénieur de course de Seb, allumer son micro et parler à mon frère :
— T’as été incroyable, Seb, mais pas de précipitations. Je dois attendre que tout le monde ait franchi la ligne. Je dois attendre, mais ça s’annonce bien.
Il énonce ensuite les pilotes ayant franchi la ligne…
— Collins P2, Wilson P3. Il y a encore deux autres voitures qui arrivent aux virages 15 et 16. Encore deux voitures, mon pote. Juste ces deux voitures. Olesen P4, Almeira…
Je serre ma veste autour de moi et je ferme les yeux en priant pour mon frère.
— …Almeira P5 ! Tu es champion du monde, Seb !
J’entends la radio crépiter, puis la voix de mon frère qui crie.
— Merci les gars ! Incroyable ! Merci, je vous aime…
Sa gorge est serrée par l’émotion.
— Sebastian Hermann, tu es champion du monde ! Champion du monde ! S’exclame le directeur d’écurie Edward Jennings dans son micro.
Rafael me prend dans ses bras en chantant victoire. Je comprends très vite que Sebastian Hermann, mon grand frère, a été sacré champion du monde de 2010.
Rafael m’emporte vers le podium avec toute l’équipe et mes parents. Lorsque Seb monte sur le podium, je sens deux grandes mains m’agripper et me porter. Je me tourne pour voir Ulrich Meyer me prendre dans ses bras. Il m’embrasse la joue et pointe le podium du doigt.
— Regarde ma chérie, regarde notre champion rayonner…
Il partage la même expression que mes parents. Ses yeux sont brillants de joie et de fierté envers mon frère.