Je me réveille en sursaut dans mon lit, la lumière douce du matin perçant à travers les rideaux que j’ai mal fermés avant d’aller m’effondrer sur le matelas. Je m’étire, le corps encore lourd de fatigue… Il va falloir que j’arrête de travailler jusque si tard, Luca a raison…
Oh. Luca.
Des flashbacks de la nuit d’hier se rembobinent dans mon esprit.
Hier a été un jour étrange. Les événements me reviennent par vagues : la course de karting avec Sebastian, la vidéo qui circule maintenant partout sur les réseaux sociaux… Et cette conversation avec Luca…
Tant de questionnements fusent dans ma tête… C’est mon plus grand rêve… Mais suis-je vraiment à la hauteur ? Petite, je pensais que si j’en avais l’opportunité, je sauterais sur l’occasion… Mais maintenant que l’occasion se présente, mes plus profondes angoisses remontent à la surface.
Je m’extirpe de mes draps encore chauds et je me dirige vers la salle de bain. Une fois déshabillée, j’entre dans la cabine de douche et je laisse l’eau chaude couler sur mon visage, qui m’aide à chasser le brouillard de mes pensées.
— Un test en F4…, murmuré-je à moi-même.
Mes doutes ne me quittent pas, j’ai vraiment envie d’en parler à mon frère, ou à Noah…
En tout cas, la journée s’annonce longue. Après un petit-déjeuner rapide, je descends dans le hall de l’hôtel pour rejoindre l’équipe sur le circuit.
Arrivé au paddock, je croise Hayden, comme une malédiction matinale. Il est là, adossé à un mur, lunettes de soleil sur le nez, comme s’il attendait quelqu’un. Lorsqu’il me voit arriver, un grand sourire se dessine sur ses lèvres.
— Qui voilà… Si ce n’est pas la pilote de karting en herbe ! lance-t-il d’un ton sarcastique.
Je ne peux m’empêcher de soupirer.
— Bonjour, Hayden. Toujours aussi irritant à ce que je vois.
Je passe à côté de lui et continue mon chemin.
Hayden trotte pour me rattraper. Il se met à marcher à mes côtés en continuant à m’accabler de commentaires sur la vidéo circulant sur internet.
— Sérieux, je pourrais te donner des cours particuliers en karting, dit-il en me lançant un clin d’œil.
— Non merci, Hayden. Je préfère me débrouiller sans tes… précieux conseils…, dis-je sèchement avant d’accélérer le pas pour m’éloigner de lui.
Décidément, ce type a le don de me taper sur les nerfs.
En arrivant sur le circuit, je reprends le travail comme si de rien n’était. Luca n’est pas dans les parages, je suppose qu’il se prépare pour la course imminente.
Ce n’est que lorsque j’ai une pause que j’appelle mon frère.
— Hé, je te manque déjà ?
Sa voix familière me réconforte instantanément.
— Tu rêves !
Je prends une grande inspiration.
— En fait, j’ai besoin de tes conseils.
Je lui raconte tout : la vidéo qui a fuité – il était déjà au courant –, la proposition de Luca, …
Sebastian m’a écouté tout déballer sans m’interrompre une seule fois.
— En fait, je suis de son avis…
— Vraiment ?
— Je comprends pourquoi tu doutes. Mais je sais que tu as toujours voulu suivre la même voie que moi. Si ce test te fait envie, alors vas-y. Pourquoi ne pas essayer ? Tu n’as rien à perdre, mais tu as tout à y gagner. Et puis, si ce n’est pas fait pour toi, tu le sauras directement. C’est différent du karting, mais je sais à quel point ça te donne l’impression de vivre quand tu pilotes.
Il dit une phrase qui, finalement, restera gravée en moi pour toujours.
— Ne laisse pas tes peurs dicter ta manière de vivre.
Ne pas laisser mes peurs dicter ma vie… Ses mots font écho en moi.
Je raccroche le téléphone après plusieurs minutes de discussions avec mon frère, le cœur lourd, mais rempli d’un nouvel espoir.
Je prends la direction du garage Cupra. Le paddock est bondé : des journalistes grappillent les informations qu’ils peuvent, les photographes se préparent pour la parade des pilotes, certaines écuries finissent leurs derniers réglages pour être sûres d’avoir une voiture performante…
— Lina ! Attends ! crie quelqu’un derrière moi. Je me retourne pour voir Diego, déjà équipé de sa combinaison de course.
— Bonjour ! J’ai pas eu le temps de te voir ce matin !
— Ouais, c’était un peu la course, dit-il en frottant l’arrière de sa tête. D’ailleurs, Luca te cherche.
— Tu sais où je peux le trouver ?
— Il vient de terminer sa conférence de presse, tu pourras le retrouver dans son motorhome.
Il se baisse à ma hauteur pour m’embrasser la joue.
— J’y vais, je suis attendu par la presse, on se retrouve avant le début de la course, ma belle ! dit-il en s’éloignant en trottant.
Je souris en secouant la tête. Diego et moi nous sommes rapprochés énormément ces derniers temps, il a pris l’habitude d’agir comme un frère protecteur avec moi, ce qui n’est pas pour me déplaire. Quand je ressens le manque de Seb, je sais que je peux me réfugier chez Diego.
Je marche cinq minutes avant d’arriver devant le motorhome où un grand “43” est affiché. J’ai à peine le temps de toquer à la porte que Luca l’ouvre et sort sa tête par l’entrebâillement.
— Enfin là, mini Hermann !
Je roule des yeux. Depuis qu’il m’a donné ce surnom, il ne s’arrête plus.
— Je t’ai cherché partout ! Entre.
Il me laisse de la place pour que je puisse rentrer, c’est en m’asseyant sur le canapé que je remarque qu’il a sa combinaison qui pend sur ses hanches, son t-shirt ignifugé laissant entrevoir le début de ses abdos.
Oh.
Merde.
— Ferme la bouche, tu baves sur mon tapis, c’est dégueu !
Je lui balance un coussin sur la figure pour le faire taire.
— Hé ! C’est pas de ma faute si j’ai un corps de rêve ! rétorque-t-il, presque indigné.
— Ferme là !
— Moh, c’est qu’elle rougit en plus !
— Je suis pas en train de rougir !
Alors, ma belle, comment te dire… Bon, ok ! Je suis totalement en train de rougir !
— Mouais, si tu le dis.
Cet enfoiré me lance un clin d’œil.
— Tu veux boire un truc ? Il nous reste deux heures à tuer avant le lancement de la course.
Penser à la course à venir me rend anxieuse. Et si j’avais foiré et que la voiture n’arrive même pas à passer le premier virage ?
— Eh, arrête de cogiter. Il me tend une canette de Red Bull. Tiens, ça va te requinquer.
Je la lui prends des mains, puis je l’ouvre avant de boire une première gorgée rafraîchissante.
— À la base, si je t’ai fait venir, c’est pour reparler de notre discussion d’hier.
Je le regarde avec incompréhension.
— Mais tu avais dit que j’avais le temps d’y réflé…
Il me coupe.
— … D’y réfléchir, oui, je sais. Je voulais juste te dire que si tu as des doutes, nous pouvons toujours aller faire un tour de karting, toi et moi.
Je fronce les sourcils.
— Je… Pourquoi pas…
C’est en réalité une très bonne idée, ça m’aidera.
— Nous pourrions aller faire ça quand nous serons en Arabie Saoudite.
Je hoche la tête.
— Faisons ça, mais pour l’instant, je veux rester focus sur la course à venir.
Il acquiesce avant d’ajuster sa combinaison.
— Allons au garage.
Nous sortons du motorhome, laissant derrière nous le confort de l’endroit chaud et calme, pour retrouver l’agitation du paddock. À côté de moi, Luca marche avec détermination, les yeux vers le ciel, inspirant l’air chargé qui nous entoure.
J’ajuste mon blouson aux couleurs de l’équipe, me permettant de calmer l’excitation qui monte lentement en moi. La pression pèse sur moi, mais je ressens une énergie particulière, une sorte de petite décharge électrique qui recharge mes batteries au maximum.
Le premier E-Prix de la saison est sur le point de commencer, mais avant ça, nous devons affronter les qualifications. Lors des essais, nous avons pu tester la voiture et ajuster les données qui ont posé problème. Pour l’équipe Cupra, cette qualif est décisive, et la pression est palpable dans chaque recoin du paddock. Depuis plusieurs saisons, l’écurie peine à retrouver son niveau de compétitivité… Des résultats en demi-teinte et des monoplaces qui manquent de performance avaient laissé un goût amer au sein de l’équipe. Mais cette année, tout va changer.
Depuis mon arrivée dans l’écurie, j’ai travaillé sans relâche pour comprendre la voiture, améliorer ses faiblesses, et repousser les limites de nos performances. C’était un défi de taille, mais je me sentais prête à le relever. Les premières semaines avaient été difficiles : les regards sceptiques de mes collègues, les murmures sur mes liens familiaux avec Sebastian et les doutes sur mes compétences m’avaient souvent donné envie de tout lâcher. Mais je me suis accrochée.
Aujourd’hui, la monoplace est enfin à la hauteur. Les efforts combinés de toute l’équipe ont porté leurs fruits : une gestion de la batterie améliorée, une meilleure stabilité en virage, et un équilibre aérodynamique optimisé. Pourtant, je savais que tout cela allait être mis à l’épreuve lors de cette session de qualification où chaque millième de seconde sera comptée. C’est sur la piste que nous devons prouver que le travail de ces derniers mois n’a pas été vain.
Dès que Luca est monté à bord de sa monoplace, j’ai enfilé mon casque sur les oreilles, écoutant attentivement les retours de ses premiers tours de piste. Sa voix résonne dans mes oreilles.
— La voiture répond bien, Lina, dit-il en passant le virage 4. Et la voiture est plus stable qu’avant à la sortie de l’épingle.
— Reçu, continue comme ça.
Un sourire de satisfaction s’étire sur mon visage, mais je reste concentré sur les données qui défilent sur l’écran devant moi. Je scrute chaque détail : la température des pneus, la décharge de la batterie, les vitesses de pointe. Les courbes se dessinent, révélant une voiture qui, cette fois, pourrait réellement se battre pour la première ligne.
— Garde ce rythme, Luca. On a une bonne marge pour améliorer le secteur 2, reste propre à la chicane et attaque en sortie de courbe, je lui réponds, ma voix trahissant l’intensité de mes pensées.
— Reçu.
Sa voix crépite à la radio. Je sais qu’il a envie de prouver que cette année, ABT Cupra n’est plus cette écurie qui se contente de jouer les figurants en milieu de grille. Les dernières saisons avaient été dures pour lui aussi. Ses talents de pilote avaient trop souvent été bridés par une voiture qui n’était pas à la hauteur de ses ambitions.
Le vrombissement du moteur électrique résonne sur la piste, et bourdonne dans mes oreilles. De nouveaux temps apparaissent à l’écran pour le secteur 1, Luca a amélioré son meilleur temps.
Je me mords inconsciemment la lèvre, sentant la tension monter. Chaque virage, chaque accélération et chaque freinage sont un nouveau test pour la voiture. Le secteur 2, le plus technique, approche à toute vitesse. Les yeux rivés sur les chiffres qui défilent, j’entends la radio grésiller.
— La stabilité est parfaite ! J’ai pu freiner plus tard ici.
La voiture glisse sur la piste avec fluidité. Elle est plus agile, plus agressive. Les modifications de l’équilibre des suspensions et la répartition de poids que j’avais longuement défendues auprès de l’équipe ont porté leurs fruits. J’entends quelques exclamations derrière moi, étouffées par le casque que je porte : mes collègues réalisent aussi que nous sommes en train de signer le meilleur chrono de l’équipe depuis 2021.
Au dernier virage, la tension est à son comble. Luca déploie le reste d’énergie stockée dans la batterie et s’élance vers la ligne d’arrivée. Le dernier secteur s’affiche sur l’écran et le chrono final tombe. Je retiens mon souffle, Samir arrive derrière moi et me tient fermement l’épaule.
La voix d’Anya résonne dans tout le garage.
— Luca P3 provisoire ! Diego P4 provisoire !
Nous retenons notre souffle le temps de voir les derniers chronos des autres équipes s’afficher. D’autres pilotes sont en train de terminer leurs tours, et chaque instant pourrait faire glisser Luca ou Diego plus bas dans le classement. Je reste concentrée sur l’écran, les yeux rivés sur les temps de nos concurrents. Un à un, ils franchissent la ligne, mais le chrono de Luca tient bon. Il arrive à maintenir sa troisième position tandis que Diego chute à la cinquième place.
J’entends les applaudissements de l’équipe et je me permets enfin de souffler. P3, P5. La troisième et la cinquième position sur la grille, pour une écurie qui peinait encore l’an dernier à se qualifier en Q2. C’est un exploit et je ne peux m’empêcher de ressentir une bouffée de fierté.
Je retire enfin mon casque, mes mains tremblantes sous l’effet de l’adrénaline.
— Bien joué. Samir passe un bras autour de mes épaules, et son deuxième autour d’Anya. Je savais que tu avais du potentiel.
— C’est officiel les gars ! Cupra est de retour dans la course ! cri Hans dans tout le garage. Il passe à côté de moi en me lançant un regard approbateur.
Quelques minutes plus tard, Luca et Diego reviennent dans le garage pour célébrer avec nous.
Luca se dirige instantanément vers moi.
— Putain, on l’a fait !
Il me serre dans ses bras, rapidement suivi par Diego.
L’équipe célèbre autour de nous, j’essaye d’en profiter et de laisser dans un coin de ma tête ce qui nous attend demain. La qualification est une étape qui nous rapproche de la victoire, une étape qui prouve que cette année, nous n’allons pas nous contenter de suivre le peloton. Nous sommes prêts à nous battre.