ALBA
Je n’ai jamais vraiment aimé les cours, pourtant je me retrouve là, assise pour cinq ans d’études supplémentaires.
Il y a quelque chose d’intimidant dans le silence de l’amphithéâtre 103. La salle est bondée mais personne ne parle. Le silence n’est pas calme et studieux, non, il est tendu, presque solennel. Je tiens contre moi mon carnet de notes, comme si le cuir fatigué de ce dernier pouvait me créer un point d’ancrage permettant de me détendre.
La rentrée en première année de psychologie a un goût amer de recommencement, de nouveau départ, de nouvelle vie. Enfin, c’est ce que j’espère du plus profond de moi. Nouveau bâtiment, nouvelles têtes, mais ce même sentiment d’être un peu trop à l’écart…
Quelques étudiants à côté de moi commencent à bavarder doucement, je peux à peine entendre ce qui se disent. Certains doivent déjà se connaître. Quant à moi, je n’ose même pas lever les yeux, et je reste là, sagement assise au dernier rang.
Dans un sursaut, on entendit la porte du fond s’ouvrir dans un claquement sec. Le genre de bruit qui vous impose de vous taire, même si vous ne disiez rien.
Une femme entra dans la classe. Elle se tenait droite, sans hésitation, son regard balayait la salle avec une précision à en traverser l’âme.
Elle portait un tailleur noir, simple mais tout de même élégant. Ses cheveux étaient attachés en chignon bas et légèrement dissimulés par un chouchou assorti à sa tenue.
— Bonjour à tous et à toutes. Je suis Madame Milss, votre professeure principale pour votre première année. Nous allons principalement parler de l’esprit humain et vous allez être les premier à participer à la nouvelle options de l’école : la philo. Et sachez une chose : ce que vous croyez savoir n’est qu’une infime partie de ce que vous allez découvrir.
Mon cœur s’accélère sans aucune raison. Cette femme en face de moi, sa présence, sa voix… C’est bien plus que de l’autorité. C’est de la certitude, une distance maîtrisée à la perfection.
Sa voix continue à résonner dans ma tête bien après la fin du cours.
Je sors de mon dernier cours de la matinée et me dirige vers mon casier pour y ranger mes affaires, puis je vais vers la cantine. Elle grouille de monde.
Les bruits des plateaux qui s’entrechoquent, les rires qui éclatent de toutes parts et les discussions qui fusent dans tous les sens.
Je prends une grande respiration et avance dans la file quand tout à coup je sens quelqu’un me bousculer violemment. Il ne fait même pas attention et repart dans sa quête, sûrement sans fin.
Mon plateau dans les mains, j’ai l’impression d’être une passante dans un pauvre monde qui ne me regarde même pas.
— Plat du jour ou végétarien ? demande la cantinière, déjà passée au suivant.
— Végétarien, s’il vous plaît, murmuré-je.
Je récupère mon assiette sans un mot, puis balaie la salle du regard. Toutes les tables semblaient prises. Je ne cherche pas vraiment à m’asseoir avec quelqu’un, mais il me faut un coin, un bout de table, quelque part où disparaître.
Finalement, je m’installe seule à l’extrémité d’une table, face à une fenêtre embuée.
Je n’ai pas très faim, je touche à peine à mon assiette.
Mon esprit revenait encore et encore au regard de Mme Milss. Ce regard tranchant, presque désapprobateur, qui semblait tout voir, tout comprendre sans même dire un mot. Il était pourtant si distant.
Je ne comprends pas pourquoi je reste fixée sur des détails si peu importants ? C’est peut-être à cause de mon besoin de tout analyser chez chaque personne que je croise. Mais je ne sais pas… Là, il y a quelque chose de différent. Depuis le cours de ce matin, je ne suis plus trop présente, comme absente.
Il y a un groupe d’étudiants de ma promo assit non loin de moi.
L’un d’eux (une fille plutôt grande, aux cheveux longs et roux) parlait justement de Mme Milss :
— Elle est flippante, sérieux. On dirait qu’elle te scanne avec ses yeux.
— Elle a une manière de parler… hyper froide. Comme si elle nous tolérait à peine, ajouta un garçon du groupe.
Je baisse la tête sur mon assiette, évitant de croiser leurs regards.
Mais au fond de moi, je savais que ce n’était pas du mépris que j’avais senti chez cette femme.
C’était autre chose. Une carapace peut-être. Une armure.
Et sans savoir pourquoi, je viens d’avoir cette soudaine envie de découvrir ce qui se cache dessous.