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gina_103
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Chapitre 5

Diane

Le bruit des talons résonne dans le couloir vide.
Chaque matin, je marche de la même façon, au même rythme. Contrôlé. Mesuré. Ma tenue est impeccable.
Tailleur sobre, cheveux tirés, lèvres closes.
Il n’y a aucune place pour l’imprévu dans ma silhouette. Pas même dans mon ombre.

Aujourd’hui encore, je pousse la porte de l’amphithéâtre 103 avec cette précision presque militaire.
Les étudiants sont déjà installés. Ou plutôt… ils s’éparpillent, à moitié éveillés, les visages tirés par la fatigue ou l’ennui.
Tous, sauf une.

Elle est là, au fond. Toujours seule. Toujours silencieuse.
Alba. Je ne retiens pas habituellement le prénom de mes élèves mais défois il y a des exeptions.

Je la remarque, évidemment. Je l’ai remarquée dès le premier jour.
Son regard trop lucide. Son corps trop tendu. Elle n’a pas l’allure d’une adolescente classique, ni la distance d’une jeune adulte. Elle est entre deux âges. Entre deux mondes.
Elle est plus jeune que les autres. Je le sais.
Mais ce n’est pas ça qui m’inquiète. C’est ce que je vois dans ses yeux. Ce mélange de silence et d’effondrement contenu.

Et c’est justement pour ça que je me tiens à distance.

Je suis là pour enseigner. Pas pour réparer. Pas pour m’attacher.
Surtout pas à une élève. Surtout pas à une fille de 17 ans, quand moi, j’en ai 29.

Je commence le cours comme d’habitude. Le cerveau. L’anatomie. Les circuits de la mémoire, de la peur, de la motivation.
C’est ironique, au fond. Parler des émotions comme si elles étaient des concepts neutres, des zones dans une boîte crânienne. Alors que, moi, les miennes sont enfermées sous dix couches de glace.

Parfois, mon regard revient vers elle.
Elle prend des notes. Elle est attentive. Mais je vois ses épaules s’affaisser. Elle fatigue. Elle se perd.
Je vois tout ça.
Et pourtant, je ne dis rien.

Parce que je sais ce que ça coûte, de laisser entrer quelqu’un.

Je l’ai déjà fait.
Trois ans de relation. Et un matin, j’ai compris qu’il y avait une autre femme.
Qu’il y avait eu des silences. Des absences. Des mensonges bien tissés.
Et moi, comme une idiote, j’y avais cru.

Depuis, j’ai tout verrouillé.
Plus de “ça va ?” sincère. Plus de confidences. Plus de chaleur.
Je garde les autres à bonne distance. Là où ils ne peuvent pas me blesser.

Même Clara, ma meilleure amie, commence à s’inquiéter.

Tu ne peux pas vivre comme ça toute ta vie, me répète-t-elle sens sesse.
Tu ne veux pas rester seule, Diane. Tu crois que tu le veux, mais tu ne le veux pas.

Mais si. Parfois, je crois que si. Parce que la solitude, au moins, elle ne vous trahit pas.

Quand je rentre chez moi le soir, il n’y a personne.
Un appartement rangé. Silencieux. Trop propre. Trop vide.
Je laisse mes clés dans le même bol. Je fais chauffer de l’eau pour un thé que je ne bois pas toujours.
Je m’assois. Et je ne parle pas.

J’ai coupé les ponts avec mes parents il y a longtemps. Trop de jugements. Trop de non-dits.
J’ai pris un autre chemin. Et je n’ai jamais fait demi-tour.

C’est peut-être pour ça que cette fille me trouble autant.
Parce qu’elle est comme un miroir tordu. Une version plus jeune de ce que j’étais.
Ou de ce que je suis encore.

Mais je ne veux pas m’attacher. Je refuse.

Les jours passent.
Et soudain… elle n’est plus là.

Lundi. Absente.
Mardi. Toujours pas là.
Mercredi. Rien.

Je ne demande rien à personne. Je n’ai pas le droit, de toute façon.
Mais je lève parfois les yeux vers le fond de la salle. Le vide qu’elle a laissé me dérange plus que je ne veux l’admettre.

Je ne devrais pas m’en soucier.
Je ne devrais pas.

Et pourtant, je note son absence.
Je m’inquiète en silence.

Mais je reste droite, comme toujours.
Je continue à marcher avec la même précision, à enseigner avec la même rigueur, à parler avec la même froideur.

Parce que si je commence à craquer, ne serait-ce qu’un peu…
je sais que tout risque de s’effondrer.

Vendredi soir.

Je ferme mon ordinateur en soupirant. Une semaine de plus derrière moi. Une autre à venir, presque identique.

Je jette un œil à mon téléphone :
19h02.
Quatre messages de Clara.
Tous en majuscules.
Le dernier : « TU VIENS, POINT FINAL. Je t’attends à 20h. T’as pas le droit de dire non. »

Je souris à moitié. Clara a ce talent étrange de me faire faire des choses que je déteste, tout en me donnant l’impression que j’y ai consenti.
Et ce soir, apparemment, je n’ai pas le choix.

Je me lève à contre-cœur, retire mes vêtements de la journée. J’ouvre mon placard, hésite devant chaque tenue. Rien ne me donne envie.
Rien ne me ressemble vraiment, en dehors de mes tailleurs gris ou noirs.

Finalement, j’opte pour un jean sobre, un pull beige ample, des bottines. Pas de maquillage, juste un trait discret. Clara va râler. Tant pis. Je n’ai pas envie de me transformer pour une soirée dont je ne veux pas.

À 20h05, elle m’attend déjà devant le bar.

— Tu m’as presque fait croire que t’allais annuler, grogne-t-elle en me prenant le bras.
— J’y ai pensé, je réponds en haussant les épaules.

Elle lève les yeux au ciel et m’entraîne à l’intérieur.

L’endroit est bondé.

On s’assoit, puis on passe commande. Clara parle beaucoup de son boulot, de sa nouvelle collègue insupportable, de ses rendez-vous Tinder, de son chat qui a volé un muffin. Je fais semblant d’écouter.
J’essaie. Vraiment.
Mais je ne suis pas là.

Alba l’élève misterieuse Cela fait maintenant une semaine que je ne l’ai pas vue.
Personne ne parle d’elle.
Et moi, je n’ose pas poser de questions.

— Tu vas au moins faire un effort et t’amuser un peu ?
— Je m’amuse, je mens.
— T’as la tête de quelqu’un qui assiste à ses propres funérailles.

Je ris, malgré moi. Un petit éclat bref, sincère. Elle a raison.
Mais je ne sais pas comment faire semblant plus longtemps.

Je me lève pour aller chercher un verre d’eau au comptoir. Il y a moins de monde au fond du bar, alors je m’y glisse pour souffler un instant.

Et c’est là que je la vois.

Accoudée au bar, tête basse, un verre à moitié vide devant elle.
Alba.

Ses cheveux sont en bataille, ses joues rougies par l’alcool. Elle tangue légèrement sur son tabouret. Son regard est perdu, ailleurs.
Elle semble seule.
Et brisée.

Un nœud se forme immédiatement dans ma poitrine.

Je ne réfléchis pas. Je m’approche.

— Alba ?

Elle relève les yeux, lentement, lents, troubles.
Il lui faut une seconde pour me reconnaître.

— Madame Milss ? dit-elle, avec une voix pâteuse.
Puis elle rit. Un rire triste.
— C’est trop bizarre… Vous êtes partout ou quoi ? Même dans mes cauchemars.

Je ne souris pas.

— Tu es seule ?

Elle hausse les épaules.

— Mes "amis" m’ont laissée là. Ils ont dû comprendre que je devenais chiante. C’est ce qu’on me dit souvent, que je suis chiante quand je parle trop de trucs que personne comprend.

Je prends une grande inspiration. Je sens en moi cette barrière que je m’impose d’habitude. Celle qui me protège. Celle qui me garde froide.

Mais ce soir, je la sens faiblir.

— Tu ne peux pas rester ici, dans cet état. Viens. Je te ramène chez toi.

Elle fronce les sourcils.
— Je veux pas rentrer. Je veux rien. J’veux juste… que tout s’arrête.

Je me penche vers elle.

— Alba. Lève-toi. Je ne suis pas ton amie. Je ne suis pas ta mère. Mais je ne vais pas te laisser comme ça.

Elle me regarde, longtemps. Un regard flou, triste. Mais au fond, quelque part, je crois qu’elle est soulagée que quelqu’un l’ait vue. Juste… vue.Elle finit par hocher la tête.

Je passe son bras autour de mes épaules et l’aide à marcher, lentement, vers la sortie.

Clara nous regarde passer, les sourcils levés, mais elle ne dit rien.

Dehors, l’air frais lui fait du bien. Elle titube un peu moins.

Je l’accompagne jusqu’à ma voiture. Je conduis en silence, les yeux sur la route, les pensées embrouillées.

Je ne sais pas ce que je suis en train de faire.
Mais je sais que ce n’est pas rien et que ca n’en restera pas la...

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