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TiffanyM
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5 / Plongée Dans Le Passé

5

Plongée dans le passé

« Quand le silence parle plus fort que la mémoire, c’est que quelque chose en nous se souvient à notre place. »

-        Tiffany.M

L’aspirateur.

C’est le premier bruit que j’entends.

Je grimace, cachant mon visage sous mes bras, mais mon corps vibre — littéralement. Comme si quelque chose me secouait de l’intérieur. Je cherche à tâtons mon téléphone.

Il doit être là, quelque part…

Lui aussi, apparemment, cherche à ne pas être vu. Ni entendu.

Je soupire. Chaque samedi matin commence de la même manière.

Pas de surprise. Tout ce que j’aime.

Le soleil est haut dans le ciel et tape directement sur ma chambre, inondant tout de lumière. Sur le bureau, une rose rouge.

Parfaite.

Mon père est passé me voir ce matin, avant de prendre l’avion pour le boulot. Comme à chaque week-end où il disparaît. Et, comme toujours, il rentrera trop tard dimanche pour que je puisse le voir.

Je m’étire avant de sortir du lit, les yeux fixés un instant sur la fenêtre — la seule qui donne sur le jardin. De là, on voit chez la meilleure amie de ma mère.

Elle a un fils, plus grand que moi en tout : en taille, en âge.

Je ne saurais dire si c’est simplement parce qu’il est plus grand, mais je le trouve vraiment très beau. En fait, je l’ai toujours connu, et sa chevelure blond cendré m’a toujours étrangement attirée.

Encore aujourd’hui, je sais que chaque matin, il fait son sport, ses étirements, dans le jardin de ses parents.

Peut-être que je pourrais passer un peu de temps avec lui… ou peut-être qu’il préfère être avec ses amis.

Il est devenu distant, comme s’il avait oublié qu’on se connaît depuis toujours. Depuis qu’il est entré au lycée, il agit comme si je n’existais plus.

Et moi, chaque soir, je continue d’écrire des histoires où je l’imagine en beau prince charmant.

Je l’ai appelé Arlhon dans le monde que j’invente. Celui que je façonne, pierre par pierre, tout droit sorti de mon imagination.

Mais ici, dans cette vie, il s’appelle Maxime.

Arlhon me parle. Il me regarde vraiment. Dans ce monde, il n’oublie jamais de me sourire, même quand il est préoccupé.

Il combat des ombres, traverse des royaumes lointains, et, souvent, il revient vers moi. Toujours.

Mais Maxime, lui…

Maxime passe devant ma fenêtre sans un mot, les écouteurs dans les oreilles, l’air ailleurs. Il ne me voit plus. Peut-être qu’il ne m’a jamais vraiment vue.

Et pourtant, chaque fois qu’il s’étire dans ce jardin, à quelques mètres de moi, j’ai envie d’ouvrir la fenêtre et de lui parler. De lui dire que je me souviens. De tout.

Mais je ne dis rien. Je laisse Arlhon parler à ma place. Dans mon cahier.

Maxime vient tout juste d’entrer au lycée. Il a ce corps d’adolescent en pleine métamorphose, encore un peu fin mais déjà athlétique. Ses cheveux blond cendré tombent légèrement sur son front, souvent décoiffés par ses courses ou le vent du matin. Il ne quitte presque jamais ses vêtements de sport : un sweat gris, un short noir, des baskets usées qui racontent l’histoire de ses entraînements. C’est son uniforme de tous les jours — celui d’un footballeur passionné.

Mais dans mon monde, ce même vêtement devient une armure.

Je l’ai imaginé prince, futur roi de Dahrmara.

Un petit royaume à l’orée des forêts de l’Ouest, royaume tyrannique, mais plein de surprise. Il y apprend à gouverner avec sagesse, à se battre avec honneur, à écouter ceux qui ne parlent qu’en silence. Dahrmara n’est pas encore grand, mais il sera bientôt sien, et avec lui, tous les espoirs d’un peuple qu’il ne trahira jamais.

Dans cette vie, Dahrmara porte un autre nom : le lycée.

Un bâtiment gris aux fenêtres trop étroites, une cour bétonnée où les clans se forment et les regards s’évitent. Maxime y marche comme un soldat sans cause, une capuche sur la tête, un sac à moitié ouvert. Les profs l’appellent par son nom, mais dans mon monde, c’est Arlhon qu’il entend. Là-bas, il est déjà en train d’apprendre à devenir roi. Ici, il essaie juste de survivre aux heures de colle et aux rumeurs dans les couloirs.

Et moi, je le regarde, entre deux mondes. Celui qu’on partageait enfant, et celui que je suis la seule à encore voir.

Le week-end est passé tellement vite.

Je n’ai vu personne. Pas parce que personne n’a proposé — non, au contraire. J’ai refusé chaque sortie, chaque message, chaque tentative.

J’étais trop blessée pour faire semblant. C’était mon anniversaire. Et je n’ai rien eu de Maxime. Rien.

Pas un sourire.

Pas un mot glissé sous le rebord de ma fenêtre.

Pas même un regard, quand sa mère est venue à la maison pour me voir souffler mes bougies. Lui, il n’est pas venu.

Alors je me suis cachée dans ma chambre. J’ai écrit. Écrit jusqu’à ne plus sentir mon poignet, jusqu’à ce que mes doigts se crispent sous les crampes, jusqu’à ce que mes yeux pleurent, non pas de tristesse, mais de fatigue.

Dans mon monde, Arlhon m’avait préparé une fête secrète, sous les lanternes flottantes de Dahrmara. Il m’avait offert un livre relié d’or, avec mon nom gravé sur la couverture.

Mais ici, il n’y avait que le silence.

Ma chambre, c’est mon refuge.

Un endroit un peu en dehors du monde, suspendu quelque part entre l’enfance et les rêves que je n’ose pas dire à voix haute.

Les murs sont recouverts de dessins, de cartes que j’ai dessinées à la main, de phrases recopiées depuis mes livres préférés. Sur une étagère bancale, s’entassent mes carnets, mes cahiers, des romans que j’ai lus mille fois — leurs pages sont usées, leurs coins repliés comme des secrets.

Mon lit est couvert d’un vieux plaid bleu nuit, râpé par endroits, mais toujours doux. Au-dessus, j’ai accroché une guirlande lumineuse que je laisse souvent allumée, même quand il fait jour. Elle me réconforte, un peu. Elle rend le silence moins lourd.

Mon bureau est un vrai champ de bataille : des feuilles éparpillées, des stylos sans bouchon, des tasses oubliées. C’est là que j’ai passé tout mon week-end, penchée sur mes cahiers, à écrire sans m’arrêter. J’écrivais pour oublier. Pour survivre à l’absence.

Je me sens vide.

Ce n’est pas juste parce que Maxime n’a rien dit, rien fait, le jour de mon anniversaire. C’est parce que j’espérais. Et que maintenant, je me demande si j’ai eu tort.

Mais j’écris encore. Parce que tant qu’Arlhon existe dans mes mots, je ne suis pas complètement seule.

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