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8 / La Chose Sous La TempêTe

8

La Chose sous la Tempête

« Peut-être que tout ce que j’ai besoin de faire, c’est de m’abandonner un instant à ce regard, à cette douceur, et oublier la tempête qui fait rage dans ma tête. »

-        Elyra Otis

Je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’il nous reste encore une semaine de marche.

Une semaine dans ce désert.

Une semaine où mes pieds brûleront, encore et encore.

Une semaine de fatigue, de sueur, de silence pesant.

Mon Dieu, ce que je donnerais pour une simple douche. Sentir l’eau chaude couler sur ma peau… Je ne demande rien d’autre. Mais peut-être qu’ici, les douches n’existent même pas comme dans mon monde.

Je grimace, balayant l’horizon du regard.

Du sable.

Rien d’autre que du sable à perte de vue. Et je commence vraiment à en avoir assez. Plus jamais je ne mettrai les pieds sur une plage. Déjà que je n’aimais pas la sensation du sable sous mes pieds… mais là, dans mes chaussures, c’est encore pire.

Je pousse un long soupir, faisant rouler ma nuque pour essayer d’apaiser les tensions qui s’y sont accumulées. Je sens le regard d’Arlhon posé sur moi.

Je me retourne pour lui faire face. Il me sourit.

Je lui rends son sourire, presque par réflexe. Même s’il n’est plus vraiment le prince dont je rêvais quand j’étais enfant, il faut avouer qu’il a un beau sourire. Ça, au moins, je l’ai bien décrit.

— Comment est-ce que tu te sens ?

Sa voix se perd dans le vent. Elle me parvient comme un murmure, mais je ne ralentis pas le pas.

Il faut qu’on avance. Il faut qu’on trouve un abri. Thalorian a été clair, et si lui dit qu’on doit se hâter… alors on doit se hâter.

— Je vais bien !

Il me scrute, comme s’il essayait de détecter le moindre mensonge. Mais je ne mens pas.

Enfin… est-ce que j’ai seulement pris le temps de réfléchir à ma réponse ? Pas vraiment.

En fait, je ne réfléchis jamais vraiment à cette question.

Je réponds presque automatiquement. Parce que je crois aller bien. Parce que je dois aller bien.

Ai-je seulement le choix ?

— Je ne te demande pas si ton "toi" psychologique va bien… Je veux savoir comment tu te sens physiquement !

Je le fixe, comme s’il venait d’un autre monde. Techniquement, c’est le cas. Enfin… pour moi.

Mais pour lui, c’est moi l’étrangère. Juste une inconnue qu’il a choisi de protéger, sans savoir qui je suis. Enfin… il donne l’impression d’en savoir beaucoup plus que moi, et ça, c’est frustrant.

— J’ai répondu !

Ma voix sonne plus sèche que je ne l’aurais voulu. Je deviens distante, presque froide.

Mais au fond… je crois que c’est parce que je ne sais pas vraiment quoi répondre.

Je ne me suis jamais posé la question.

Comment est-ce que je vais ?

Combien de gens prennent vraiment le temps de se poser cette question ? Pas tant que ça, j’imagine.

Je prends une grande inspiration.

Je m’arrête un instant. Et, pour une fois, je me pose la question sincèrement, intérieurement :

« Comment est-ce que je vais ? »

« Comment est-ce que je me sens ? »

… J’EN SAIS FICHTRE RIEN.

La voix rauque de Thalorian retentit, grave et presque déchirée par le vent. Il ne nous regarde pas une seule fois.

Toujours aussi distant. Toujours un Nocten, aux yeux d’Arlhon. Mais au moins, de temps en temps, il nous parle.

— Nous sommes presque arrivés !

Arlhon se rattrape furtivement à moi pour ne pas tomber.

Le sable est traître.

Il n’est jamais au même niveau. Par endroits, il forme des vagues, presque des montagnes en creux, et le vent ne fait qu’empirer les choses. On marche, mais chaque pas est un effort. Chaque pas nous vole un peu plus d’énergie.

— Tu l’as entendu ! dis-je à Arlhon, avec un léger sourire. Un de ceux qui se veulent presque amicaux.

Sommes-nous amis, maintenant ? Peut-être pas encore… mais on s’en approche. Mais on est sur la bonne voie.

Nous ne serons jamais plus que ça — j’en suis certaine. Quelque chose en lui me le fait clairement comprendre. Et, honnêtement, je n’en ai pas envie non plus.

Il n’est plus celui de mes rêves. Ce n’était qu’une chimère de petite fille. Une petite fille qui ne se connaissait pas vraiment.

Mais maintenant…

Est-ce que je me connais mieux ?

Je n’en suis pas si sûre.

— Voilà ! Nous serons en sécurité !

La voix de Thalorian fend l’air, assurée, presque tranchante.

— En sécurité de quoi, au juste ? demande froidement Arlhon.

Je ne m’attendais pas à cette voix. Pas à cette question.

Mais surtout, je ne suis pas prête. Ici, dans cet endroit, dans ce monde... je ne suis prête à rien. Rien de ce qui m’attend, rien de ce qui va arriver. Et peut-être que c’est ça, le plus effrayant.

Thalorian ne répond pas tout de suite. Il s’arrête, le regard braqué droit devant lui, sur un point que nous ne pouvons pas encore distinguer. Son dos est tendu, presque rigide.

Il inspire profondément, comme s’il pesait ses mots.

— De ce qui rôde quand la nuit tombe.

Je sens un frisson remonter le long de ma colonne, malgré la chaleur étouffante.

Ce n’est pas la réponse que j’attendais.

Pas celle que je voulais entendre, non plus.

Arlhon se fige, et son regard glisse vers moi. Une question muette, une inquiétude qu’il ne veut pas exprimer à voix haute.

Je n’ai pas de réponse à lui offrir.

— Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? lâche-t-il entre ses dents.

Thalorian hausse à peine les épaules.

— Auriez-vous accéléré le pas ? Ou auriez-vous paniqué ?

Il se retourne enfin vers nous. Ses yeux, d’un noir profond, semblent sonder quelque chose au-delà de notre simple présence.

Un silence tombe, épais comme du sable humide.

Je baisse les yeux vers mes pieds, couverts de poussière, et je me demande à quoi ressemble la nuit ici.

Et ce qui s’y cache.

— Donc, la journée on n’est pas en sécurité… mais la nuit non plus ! Sympathique, l’ambiance ici. dis-je mi-sérieuse, mi-souriante.

Thalorian tourne lentement la tête vers moi. Ses yeux, d’un gris perçant, se posent sur moi comme une lame froide.

Je recule d’un pas. Pas parce qu’il me fait peur — pas vraiment. C’est… un réflexe. Un geste de sécurité.

Je ne sais rien de lui.

Je sais que j’ai écrit cette histoire. Que ces personnages sont sortis de mon imagination. Mais lui… lui, il n’est pas de moi.

Et cet endroit non plus.

Il y a quelque chose qui cloche. Quelque chose que je ne contrôle pas. Alors je me méfie.

Je me méfie, parce que pour une fois, ce n’est pas mon monde. Et je ne suis pas sûre d’en être la narratrice.

— Tu l’as bien vue !

Ce n’est pas un reproche. Pourtant, bizarrement, je le ressens au fond de moi, comme une vibration, une communication silencieuse entre nous.

Sa voix est froide, pourtant, j'ai l'impression qu’il y a autre chose derrière. Comme s’il me parlait à travers des ondes que je ne comprends pas tout à fait.

— Hm, on devrait en discuter dedans, dit-il, coupant court à mes pensées.

Ses mots semblent raviver un souvenir, un flash : moi, traînée dans le sable quelques heures plus tôt, hurlant et me débattant. Le goût du sable dans ma bouche, la chaleur qui m'étouffait.

Je frissonne involontairement, mais je n’ai pas le temps de me perdre dans cette sensation. Thalorian me pousse doucement vers l'entrée, me forçant à m’engouffrer dans la petite cavité de roche.

C’est la seule ouverture visible dans ce désert qui n’en finit plus. La seule, après des heures de marche.

Je n’ai pas le temps de protester. Une fois à l’intérieur, je me retrouve dans un espace exigu mais relativement à l’abri du vent. Le sable commence déjà à souffler plus fort dehors.

L’air est dense ici. À la fois humide et… chargé de quelque chose que je ne saurais décrire.

Je n’ai jamais aimé l’obscurité, mais cette fois, c’est différent. Ce n’est pas simplement une question de lumière.

C’est comme si l’abri n’était pas tout à fait accueillant.

Dedans, il fait froid.

Je ne m'y attendais pas. Les murs de pierre semblent aspirer toute la chaleur. Les bras croisés sur la poitrine, j’espère qu’un peu de chaleur résistera, mais je sais que c’est une illusion. Le froid se faufile partout.

Je soupire et me dirige vers l’arrière de la grotte, loin des deux autres. L’espace est exigu, presque oppressant. Plus petit, plus étroit, plus glacé que l’autre. Mais sous nos pieds, toujours ce sable chaud, orange, presque brûlant. Une étrange dichotomie.

Je lève les yeux. Rien.

Le vide. Ce paysage monotone, cette grotte déserte… Je ne suis pas surprise, mais j’aimerais pouvoir admirer autre chose que des cavernes et du sable. J’aimerais voir… quelque chose de vivant, quelque chose de beau, peut-être. Mais ici, rien n’est beau. Pas même l’horizon.

— On va attendre que le vent passe et avec lui, les démons de la nuit.

Thalorian parle d'une voix basse, mais ferme, presque routinière.

— Combien de temps ? demande Arlhon, visiblement agacé.

Sa patience commence à s'effriter, mais Thalorian reste impassible.

— Tout dépend.

— Dépend de quoi ?

Arlhon insiste, sa voix dure comme du métal.

Mais Thalorian ne répond pas immédiatement. Ses yeux, gris comme le ciel avant la tempête, se posent sur moi.

Il me déshabille du regard.

Je recule d’un pas, un frisson désagréable remontant le long de ma colonne. C’est étrange, ce regard. C’est comme s’il pouvait voir à travers moi. À travers mes vêtements, à travers ma peau.

Je me sens nue sous son regard, vulnérable, exposée.

— Reposez-vous, dit-il enfin, d'une voix presque... distraite, comme s'il venait de se rappeler qu’il ne voulait pas me laisser trop longtemps dans l’angoisse.

Il détourne les yeux, mais la sensation de froid ne me quitte pas. Pas juste physique, ce froid-là.

Il est intérieur. Et je n’arrive pas à m’en débarrasser.

Comme si, son regard me réchauffais.

Arlhon s’assoit plus loin, son regard toujours fixé sur l’entrée, son visage crispé. Il essaie de cacher son inquiétude, mais je le sens, cette nervosité qui se propage dans l’air comme une seconde peau. Le sable, toujours chaud sous nos pieds, semble être le seul élément qui résiste à la froideur qui nous entoure.

Thalorian, de son côté, reste implacable, son regard ailleurs, comme s’il avait déjà anticipé ce qui allait se passer. Il est calme, trop calme, mais ça ne me rassure pas. Pas du tout.

Le silence s’alourdit. Puis, un bruit léger. À peine perceptible, comme un frottement contre la pierre. Je l'entends d'abord dans ma tête avant de le percevoir à l'extérieur.

Je me redresse aussitôt, le cœur battant. Le froid me ronge, me fait trembler de l’intérieur. Arlhon aussi l’a entendu. Il se tend, ses mains glissant vers les poignées de ses armes sans un mot.

Mais Thalorian… il ne bouge pas. Son regard, toujours aussi distant, se fixe sur moi, comme s’il attendait que je comprenne. Comprenne quoi ?

Je ne sais pas. Je ne comprends rien de ce qui se passe ici. Ce qui se cache derrière les pierres, dans la nuit.

Un autre bruit, plus fort cette fois. Le sable vibre sous mes pieds.

Et je frissonne de plus belle, mais ce n'est plus la chaleur de Thalorian qui me manque. C’est tout le contraire. C'est l'absence de quelque chose que je n'arrive pas à saisir.

— Qu’est-ce que c’est ? demandai-je d’une voix tremblante.

Thalorian prend une grande inspiration, comme s’il se préparait à me répondre, mais il tarde.

— Ce que tu as vu dans le sable… les créatures qui se cachent. Elles viennent toujours avec la tempête. Elles savent quand nous sommes vulnérables. Elles nous sentent.

Il marque une pause, me laissant digérer ces mots.

— Mais elles ne sont pas encore là. Elles approchent.

Je sens le froid de plus en plus oppressant. Ce n’est pas un froid normal. Il se niche dans mes entrailles, sous ma peau. Une sensation d’inconfort qui m’envahit lentement, comme si tout autour de moi devenait incertain, menaçant.

Et dans ce froid, je comprends une chose : Il est trop tard pour fuir.

Arlhon ne lâche pas la main de son épée. Je le sens tendu, comme un ressort prêt à se détendre au moindre bruit, au moindre mouvement. Sa posture est rigide, ses muscles tendus, prêts à réagir à la moindre menace. Mais est-ce que lui se sent réellement en sécurité, ici, dans ce lieu clos ? Je me demande si, un jour, il se sentira vraiment à l'abri.

Son regard ne quitte pas l’entrée de la grotte, ses yeux scrutant l’obscurité avec une vigilance accrue. Il est prêt à dégainer à tout moment, et cette attitude me glace. Pas par peur de lui, non. Mais parce que je sens qu'il n’a jamais cessé de se préparer à la menace, comme si une partie de lui savait qu'il ne pourrait jamais baisser sa garde.

Cette idée me serre la gorge.

Je me redresse légèrement, regardant à mon tour l'entrée, le vent hurlant toujours dans l’obscurité. Le sable vibre sous nos pieds à intervalles réguliers, comme une sorte de respiration étrangère, un souffle inhumain. Et dans ce silence, entrecoupé par les bruits de la tempête, je me surprends à me demander si Arlhon a déjà connu un instant où il se soit senti totalement à l’abri, libre de toute peur.

Je le vois, là, tendu comme une corde prête à craquer, et je me dis que sa vie a toujours été marquée par cette vigilance. Un regard, une posture, une épée toujours à portée de main. Jamais de répit.

Le froid, lui, ne me lâche pas. Il continue de me mordre, de me geler de l’intérieur. Mais plus que tout, c'est cette sensation de danger imminent qui me perturbe. Je sais que quelque chose approche. Quelque chose que nous ne pouvons pas voir, mais que nous pouvons sentir.

Je me tourne vers Thalorian. Il est toujours aussi calme, toujours aussi distant. Mais il ne me semble pas plus serein que d'habitude. Il attend. Il sait, lui aussi. Mais que sait-il exactement ? Et pourquoi n'y a-t-il jamais de doute dans ses yeux ? Pourquoi est-il si… implacable ?

Son regard se pose une fois de plus sur moi. Mais contrairement à tout à l'heure, ce n’est pas le même regard. Là, il est plus lourd, plus mesuré. Comme s’il savait que quelque chose était sur le point de se produire. Mais il ne dit rien. Il se contente d’observer.

— Elles viennent, murmure-t-il finalement, sans se détourner de l’entrée.

Et c’est tout.

Le silence s’épaissit autour de nous, lourd de présages, d’incertitudes. Le vent se fait plus fort, mais les bruits à l’extérieur sont plus… dérangeants. Plus distincts. Il y a quelque chose, ou quelqu’un, qui attend dans l’obscurité.

Et dans cette tension grandissante, je me demande si nous serons prêts. Prêts à faire face à ce qui s’approche.

Debout, droite comme un piquet, je me sens prête à bondir comme une lionne sur tout ce qui croiserait mon regard — surtout ce que je ne connais pas.

Encore faudrait-il y voir quelque chose. Je grimace à cette pensée.

Thalorian agit comme s’il savait déjà tout à l’avance. Arlhon, lui, garde en permanence son air inquiet et sa main crispée sur le manche de son épée.

Et moi ? Moi, je ne suis rien. Je découvre.

Le sable gronde sous mes pieds, et j’ai la nette impression de disparaître.

Mon regard se pose sur Thalorian, comme s’il pouvait y faire quelque chose. Arlhon se redresse, les yeux scrutant les alentours.

Je ne suis donc pas la seule à avoir ressenti la secousse. J’essaie de me ressaisir, de chasser la peur qui s’accroche à mon corps.

Je pense à des choses positives, j’imagine ma chambre, le calme, le bruit du stylo glissant sur le papier… Mais rien n’y fait.

La peur continue de grimper en moi, lente et tenace, creusant un vide au creux de mon ventre.

Le silence qui suit la secousse est presque plus terrifiant que le bruit lui-même.

Thalorian s’est figé, les yeux plissés, tendu comme un arc.

Arlhon s’avance d’un pas, l’épée désormais tirée, son regard allant de l’ombre d’un rocher à l’autre.

Moi, je reste là. Je sens mon cœur battre contre mes côtes comme s’il cherchait à fuir à ma place.

Je serre les poings. Pas le moment de flancher.

Un bruit. Un froissement.

Quelque chose bouge. Pas loin.

On n’est pas seuls.

— Ne bougez pas !

— Tu veux qu’on arrête de respirer aussi ?

La voix d’Arlhon claque, sèche. Il est en colère — ou du moins, c’est l’impression qu’il donne. Je ne comprends pas vraiment pourquoi il s’en prend à Thalorian. Depuis qu’il est tombé sur nous, il nous aide. Il nous protège. Alors pourquoi cette tension soudaine entre eux ? La peur me noue encore un peu plus le ventre. Je sens que quelque chose nous échappe.

Thalorian pose son regard sur Arlhon — mais c’est un regard vide, distant. Comme s’il ne le voyait pas vraiment.

Comme si Arlhon n’était rien de plus qu’un détail, une ombre sans importance qu’il garde dans un coin de sa conscience, au cas où.

Cette indifférence me trouble. Pourquoi ?

Pourquoi ce détachement glacé, alors qu’il prétend nous protéger ? Qu’est-ce qu’il sait… que nous ignorons encore ?

— J’ai dit : ne bougez pas !

— Tu dis beaucoup de choses, mais tu n’expliques jamais pourquoi.

La chaleur remonte dans la pièce, et ce n’est pas à cause du vent qui s’est arrêté. Non. C’est eux. Les deux hommes devant moi se fusillent du regard, comme si chaque seconde de silence ajoutait une pierre de plus à un mur de colère invisible. S’ils pouvaient se tuer du regard, je suis certaine qu’ils l’auraient déjà fait.

Et, au fond de moi, je suis bien heureuse que ce ne soit pas possible.

Du moins… j’espère que ce n’est pas possible.

— Je crois que ce n’est pas vraiment le moment.

J’aimerais être aussi distante et froide qu’ils le sont, mais je n’y arrive pas. Mon cœur tremble, mon corps aussi, pas seulement à cause du froid, mais surtout à cause de la peur.

Ai-je le droit d’avoir peur, maintenant ?

Ai-je le droit de laisser cette peur envahir mon corps ?

— N’aie pas peur ! Je suis là.

Cette voix, je commence à m’y faire. Elle devient réconfortante dans cet endroit, parce qu’à chaque fois que j’en ai besoin, elle est là. Elle vient comme si elle entendait mes pensées, comme si elle dansait à travers elles sans jamais disparaître.

Cette chose qui m’a sauvée dans le désert, cette ombre que Thalorian semblait connaître, comme si c’était la sienne.

Est-ce elle, celle qui habite ma tête ? Peut-elle entendre mes doutes, mes peurs, ces pensées qui traversent mon esprit si rapidement que je n’ai même pas le temps de les arrêter ? Ou bien garde-t-elle tout cela pour elle ?

Je ne le saurai jamais, ou peut-être le saurais-je quand la mort viendra.

Comme si Thalorian l’avait senti ou entendu, il me fixe, mais ne bouge pas. Seule sa tête se tourne lentement vers moi, et ses yeux gris me dévisagent. Aucun jugement, aucune froideur — juste un homme qui me regarde avec une douceur étrange, presque inattendue.

Peut-être que c’est seulement ce que j’aimerais voir, et que, du coup, je l’invente. Ce ne serait pas la première fois que mon esprit me joue des tours. Alors j’essaye de garder la tête sur les épaules, de m’accrocher à la réalité. Mais honnêtement, en ce moment, ce n’est pas la chose la plus simple à faire. Ou alors, si. Peut-être que tout ce que j’ai besoin de faire, c’est de m’abandonner un instant à ce regard, à cette douceur, et oublier la tempête qui fait rage dans ma tête.

— Si vous faites ce que je vous dis, vous resterez peut-être en vie !

Je ris. C’est nerveux, incontrôlé. Je l’étouffe aussitôt, comme si j’avais le moindre contrôle sur ce qui m’échappe. Ce n’est pas le cas. Pas du tout.

Arlhon me fixe comme si j’étais une bête de foire, l’air mi-curieux, mi-agacé. Thalorian, lui, s’est déjà éloigné. Il s’est tourné vers l’entrée, immobile, tendu. Il sent que quelque chose approche. Et il ne dit rien.

Pourquoi ? Pourquoi ce silence ? Pourquoi cette distance ? Qu’est-ce qu’il nous cache ?

— Et si on ne fait pas ce que tu dis ?

La question m’échappe. Elle devait sortir. C’est plus fort que moi. Je suis comme ça. Même si je connais déjà la réponse. Ou du moins, je crois la connaître.

Mais Thalorian ne répond pas. Pas un mot. Pas un regard. Pas même un soupir. Il reste là, figé, les yeux rivés vers l’entrée.

Est-ce qu’il croit qu’il peut, à lui seul, retenir ce qui s’apprête à surgir de là ? Est-ce qu’il pense pouvoir nous protéger… ou se sacrifier ?

Je n’en sais rien. Je ne connais rien à ce monde, à ce genre de menace. Mais je doute qu’il puisse faire grand-chose, seul. Et je ne lui en voudrais pas d’avoir besoin de nous. Enfin… d’Arlhon, surtout.

Parce que moi ? Même s’il avait besoin de moi… je ne suis pas certaine d’être capable de quoi que ce soit.

— Arlhon !

Ma voix se brise, et il tourne la tête vers moi.

Il a l’air épuisé, au bord de l’effondrement, comme s’il allait se briser en deux si personne ne venait le soutenir. Et ça me fait mal. Vraiment mal.

Je ne sais pas pourquoi il se trouve dans ce désert. Je ne sais pas qui a eu l’idée de l’envoyer ici. Ce n’est pas moi. Je n’ai rien décidé.

Et peut-être que c’est bien là le problème.

Comme il l’a dit… je les ai laissés tomber. Je les ai abandonnés.

Je m’approche, lentement. Il ne recule pas, mais il ne bouge pas non plus. Il me regarde sans vraiment me regarder, comme si ses pensées étaient à des kilomètres d’ici.

— Je suis désolée…

Je ne suis même pas sûre qu’il m’ait entendue. Ou peut-être qu’il fait semblant de ne pas entendre. Je ne peux pas lui en vouloir.

Je baisse les yeux un instant, honteuse. J’ai beau chercher, je ne trouve rien de mieux à dire. Rien qui puisse effacer ce qui a été fait — ou plutôt, ce que je n’ai pas fait.

— Je n’ai pas su comment revenir vers vous…Je vous ai oublier.

Il ferme les yeux une seconde. Son visage est tendu, fatigué, couvert de poussière. Mais dans son souffle, quelque chose se relâche. Peut-être un peu de colère. Ou peut-être que c’est moi qui l’imagine.

— On n’avait pas besoin que tu saches comment. Juste que tu le fasses.

Sa voix est rauque. Pas dure. Juste… usée.

Je hoche la tête, incapable de parler. Un nœud me serre la gorge.

Je voudrais lui dire que j’ai eu peur. Que j’ai cru bien faire. Que je n’ai jamais cessé de penser à eux. Mais à quoi bon ? Les mots n’effacent rien.

Alors je reste là, près de lui, sans bouger. Comme une promesse silencieuse de ne plus partir.

Thalorian écoute, mais il ne dit rien. Il ne brise pas ce silence qu’il a installé entre nous trois, ce mur invisible qu’il semble vouloir maintenir à tout prix.

J’aimerais m’approcher. Trouver le courage de lui parler. De m’excuser. Parce que s’il est ici… s’il existe même… c’est aussi, quelque part, de ma faute.

Je ne sais pas comment l’expliquer. Je ne sais même pas si c’est vrai. Mais je le ressens comme ça, au plus profond de moi.

Peut-être qu’il aurait pu avoir une autre vie. Une meilleure. Un foyer. Un avenir. Pas ce désert. Pas ce froid. Pas cette peur.

Mais il reste là, immobile, comme taillé dans la pierre. Et moi, je ne bouge pas non plus.

On est deux à porter des choses qu’on ne dit pas, et je crois que c’est ce silence-là qui nous pèse le plus.

Ou alors il s’en fiche.

Je fais un pas. Juste un.

Pas assez pour vraiment réduire la distance, mais assez pour qu’il sente que je suis là. Que je ne fuis pas. Plus maintenant.

— Thalorian...

Il tourne légèrement la tête, juste assez pour que je voie le coin de son profil. Ses yeux ne quittent toujours pas l’horizon.

— Je… je suis désolée.

Les mots sont faibles, à peine audibles. Ridicules, face à tout ce qu’ils sont censés porter.

Il ne répond pas. Bien sûr qu’il ne répond pas. Peut-être qu’il n’attendait rien. Peut-être qu’il savait déjà. Ou peut-être qu’il se bat, lui aussi, contre ce qu’il ressent.

— J’aurais voulu que ce soit différent. Que tu n’aies jamais eu à être là, dans ce désert, avec nous.

Il ferme les yeux un instant. Son souffle s’échappe, lentement, comme un soupir qu’il aurait trop longtemps retenu. Puis enfin, sa voix — basse, grave, calme :

— Et si c’était ici que je devais être ?

Je reste figée. Sa phrase n’est ni amère, ni résignée. Juste… réelle.

Il se tourne enfin vers moi, pour de vrai cette fois. Son regard accroche le mien, sans jugement. Sans colère.

Un frisson me traverse. Pas de peur, cette fois. Autre chose. Quelque chose de plus doux. De plus terrible aussi.

Parce que maintenant, je n’ai plus d’excuse pour fuir, de toute façon je ne serais pas où n’y comment.

Je n’ai pas le temps de répondre. Un grondement sourd déchire l’air, comme si la terre elle-même venait de se fissurer sous nos pieds.

Thalorian se redresse d’un coup, alerte. Son regard se détache du mien pour filer droit vers l’entrée, là où le sable se met soudain à vibrer.

Arlhon, qui était resté à l’écart, se tourne à son tour.

— Ça recommence… souffle-t-il.

Mais cette fois, ce n’est pas une simple secousse.

Le sol se craquelle. De fines lignes noires serpentent entre les pierres, comme des veines en fusion. Une lumière pâle s’échappe de ces failles, pulsant au rythme d’un battement. Vivant.

— Reculez. Maintenant.

La voix de Thalorian est nette, tranchante. Il n’attend pas qu’on obéisse — il se place déjà entre nous et ce qui approche.

Je me recule, les jambes lourdes, le cœur cognant contre ma poitrine. Ce n’est pas une simple bête. Ce n’est pas un soldat.

Quelque chose émerge du sable. Lentement. Trop lentement.

D’abord une forme. Humanoïde. Trop grande. Trop mince. Puis un visage, sans traits, sans yeux, juste une surface lisse et brillante, comme un masque de cendre.

Je retiens un cri.

Arlhon lève son épée, prêt à se battre, mais même lui semble hésiter.

— Thalorian… c’est quoi ça ?

Il ne répond pas. Pas tout de suite. Il serre les mâchoires. Son regard se durcit.

— Quelque chose que vous n’êtes pas censés voir.

Puis il dégaine.

Et moi, malgré la peur, malgré le vide dans mes jambes, je me tiens droite. Parce que je ne fuirai pas. Pas cette fois.

L’air devient lourd. Chargé. Comme si chaque grain de sable portait en lui une menace.

La créature avance, sans un bruit. Ses pieds — ou ce qui en tient lieu — ne touchent presque pas le sol. Elle glisse. Une ombre vivante.

— Restez derrière moi, gronde Thalorian.

Il tend le bras légèrement, nous plaçant instinctivement en retrait, comme un barrage entre elle et nous.

Mais Arlhon ne recule pas.

— Je ne suis pas un gamin à protéger.

Et il s’élance.

Tout se passe trop vite. L’éclat de sa lame, le souffle qu’il pousse, le mouvement de son corps tendu comme un arc. Et pourtant… la créature ne bouge pas.

Elle attend.

Puis, au moment où l’arme d’Arlhon s’abat, elle lève une main. Juste une. Un geste fluide, presque paresseux Un choc invisible explose dans l’air.

Arlhon est projeté en arrière comme une poupée de chiffon, sa lame arrachée de ses mains. Il s’écrase contre la roche, sans un cri.

— Arlhon !

Je cours vers lui, sans réfléchir. Mon corps agit avant ma peur. Il est conscient, son visage tordu de douleur. Il tente de se relever mais chancelle.

— Ne t’approche pas d’elle ! crie Thalorian.

Je me fige.

Lui, il ne bouge pas d’un pouce. Sa lame est levée. Ses yeux, glacés. Il ne regarde pas la créature comme un ennemi. Il la regarde comme on regarde une fatalité.

Et la créature…

Elle penche lentement la tête. Vers moi. Comme si elle me découvrait. Comme si j’étais la seule chose ici qui l’intéressait vraiment.

— Qu’est-ce qu’elle me veut ?

Ma voix tremble. Mais Thalorian ne répond pas. Il semble comprendre, mais il garde le silence.

Comme toujours.

— Recule, murmure-t-il. Ce n’est pas à toi qu’elle doit parler.

Et là, la chose parle.

Pas avec des mots. Avec une voix qui résonne dans ma tête, comme une vibration sourde qui remue chaque pensée.

— Tu m’as appelée.

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