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AzaliaBouvry
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Chapitre 2 : Mila arrive

Le mercredi matin, Abel arriva au collège avec cinq minutes d'avance sur son horaire habituel. Il avait mal dormi, perturbé par l'idée de cette nouvelle élève qui allait bouleverser l'équilibre fragile de sa classe. Dans sa poche, son galet semblait plus lourd que d'habitude, comme chargé de toute son anxiété.

Quarante-trois pas jusqu'à la salle 12. Il compta machinalement tout en longeant le mur, évitant le centre du couloir où les groupes d'élèves commençaient déjà à se former. Le bruit de ses baskets sur le carrelage - couic, couic, couic - lui procurait son réconfort habituel.

En poussant la porte de la classe, Abel remarqua immédiatement qu'une nouvelle chaise avait été ajoutée au deuxième rang, près de la fenêtre. Pas loin de sa place à lui, au fond. Son estomac se contracta légèrement. Il espérait que cette Mila ne serait pas du genre à poser des questions ou à chercher à faire connaissance.

Il s'installa à sa place habituelle et sortit son carnet bleu marine. La routine l'apaisait : poser le carnet exactement au centre de la table, aligner son stylo Pilot noir parfaitement parallèle au bord, vérifier que son galet était bien au fond de sa poche droite.

"Mercredi 13 septembre, 8h16. Aujourd'hui, l'équilibre va changer. Une nouvelle élève arrive. Le radiateur près de la fenêtre fait toujours son petit bruit de ronronnement. Charlotte a remis son parfum vanille - décidément, elle ne comprend pas que c'est trop fort. L'air sent aussi un peu l'eau de Javel des femmes de ménage."

Petit à petit, la classe se remplissait. Tom arriva avec ses copains, toujours aussi bruyant, Sarah s'installait déjà au premier rang pour être sûre de ne rien rater, Maxime tambourinait déjà sur sa table avec son stylo - toujours le même rythme : 2 coups courts, 1 long, 2 courts.

À 8h25, Madame Rousseau poussa la porte, suivie d'une fille qu'Abel n'avait jamais vue. La nouvelle élève.

Abel leva discrètement les yeux de son carnet pour l'observer. Elle était de taille moyenne, avec de longs cheveux roux attachés en queue de cheval un peu décoiffée, comme si elle avait couru. Elle portait un jean délavé et un pull bleu marine trop grand pour elle. Ce qui frappa Abel en premier, c'était son sourire. Large, spontané, mais avec quelque chose de légèrement crispé aux coins, comme quelqu'un qui sourit pour se donner du courage.

— Bonjour tout le monde ! dit Madame Rousseau. Je vous présente Mila Delcourt, qui nous rejoint aujourd'hui. Mila vient de Clermont-Ferrand et va s'installer dans notre région avec sa maman.

Mila fit un petit signe de la main à la classe, son sourire vacillant légèrement. Abel remarqua qu'elle tripotait la bretelle de son sac à dos, l'enroulant et la déroulant autour de son index. Un geste nerveux qu'il reconnaissait bien.

— Mila, tu peux t'installer là, indiqua Madame Rousseau en désignant la chaise près de la fenêtre.

La nouvelle élève se dirigea vers sa place, croisant au passage le regard d'Abel. Elle lui adressa un sourire spontané, et Abel, surpris, détourna immédiatement les yeux vers son carnet. Il sentit ses joues chauffer légèrement.

"8h27 - La nouvelle s'appelle Mila Delcourt. Elle vient de Clermont-Ferrand. Elle sourit beaucoup, peut-être trop. Ses chaussures font un petit bruit différent sur le carrelage - plus doux que les baskets, elle doit porter des tennis en toile. Elle s'assoit à deux rangées de moi, près de la fenêtre aussi."

Pendant que Madame Rousseau faisait l'appel, Abel observa discrètement Mila du coin de l'œil. Elle sortait ses affaires de son sac en cuir marron - un grand cahier rouge, une trousse en tissu coloré qui avait l'air faite main, plusieurs stylos qu'elle alignait soigneusement sur sa table. Ses gestes étaient précis mais un peu tendus.

Abel remarqua qu'elle jetait régulièrement des coups d'œil vers la fenêtre, comme lui. Peut-être qu'elle aussi préférait regarder dehors plutôt que d'affronter tous ces visages nouveaux.

Le cours de français commença. Madame Rousseau avait prévu de faire une petite récapitulation pour permettre à Mila de rattraper le programme, mais la nouvelle élève leva la main.

— Excusez-moi, madame, mais j'ai déjà étudié les figures de style dans mon ancien collège. Les métaphores, les comparaisons, les personnifications... On peut peut-être passer à autre chose ?

Sa voix était claire, assurée, mais Abel perçut une petite note d'anxiété derrière. Elle voulait bien faire, montrer qu'elle ne retarderait pas la classe.

— Parfait ! répondit Madame Rousseau, visiblement ravie. Dans ce cas, nous allons continuer avec l'analyse de texte. Quelqu'un peut-il me rappeler les caractéristiques du récit à la première personne ?

Sarah leva la main, comme toujours. Puis Mathéo enchaîna. Abel connaissait les réponses, bien sûr, mais comme d'habitude, il préférait rester silencieux. Il remarqua que Mila aussi gardait sa main baissée, malgré son intervention de tout à l'heure. Peut-être qu'elle non plus n'aimait pas être le centre d'attention.

"8h45 - Mila connaît déjà le programme. Elle est peut-être aussi bonne élève que moi, mais en plus bavarde. Elle mâchonne le bout de son stylo quand elle réfléchit. Sa trousse sent la menthe - je le sens d'ici."

À 9h10, la sonnerie retentit. Abel grimaça et plaqua ses mains contre ses oreilles, comme d'habitude. Quand il rouvrit les yeux, il croisa le regard de Mila qui l'observait avec curiosité, mais sans moquerie. Juste... intriguée.

Direction la cour de récréation. Abel se dirigea automatiquement vers son coin habituel, sous le tilleul, près du bâtiment des sciences. Il s'installa dos au mur, sortit son carnet et commença à dessiner une feuille qui était tombée à ses pieds.

Il était tellement concentré sur les nervures délicates de la feuille qu'il ne remarqua pas tout de suite qu'une ombre était apparue devant lui. Il leva la tête et découvrit Mila, debout à quelques mètres, qui l'observait avec un sourire hésitant.

— Salut ! dit-elle simplement.

Abel referma instinctivement son carnet et la regarda sans répondre. Qu'est-ce qu'elle voulait ? Pourquoi elle ne rejoignait pas les autres filles de la classe qui discutaient près de l'entrée ?

Mila ne sembla pas perturbée par son silence. Elle s'approcha et, sans demander la permission, s'assit sur l'herbe à côté de lui, pas trop près quand même.

— C'est sympa comme endroit, dit-elle en regardant autour d'elle. J'aime bien les arbres. Dans mon ancien collège, il n'y en avait pas beaucoup dans la cour.

Abel la regardait avec méfiance. Elle allait sûrement lui poser des questions, vouloir voir ce qu'il écrivait, ou pire, essayer de l'entraîner vers les groupes d'élèves.

Mais Mila ne fit rien de tout ça. Elle sortit une pomme de son sac et commença à la croquer, regardant les autres élèves dans la cour avec la même attention qu'Abel.

— Tu vois le garçon là-bas, avec le sweat rouge ? dit-elle en désignant Julien. Il a l'air sympa. Et la fille avec les couettes, elle sourit tout le temps. C'est cool, les gens ont l'air gentils ici.

Abel suivit son regard. Il connaissait tous ces élèves maintenant, leurs habitudes, leurs groupes, leurs petites manies. Mais il n'avait jamais pensé à les analyser du point de vue de quelqu'un de nouveau.

— Tu sais, continua Mila en croquant sa pomme, moi aussi j'aime bien observer les gens au début. C'est important de comprendre comment ça fonctionne avant de se lancer, tu ne trouves pas ?

Elle jeta un coup d'œil vers le carnet qu'Abel tenait serré contre sa poitrine.

— Tu écris quoi, là-dedans ? Des histoires ?

Abel secoua la tête et serra encore plus fort son carnet. Mila haussa les épaules.

— OK, pas grave. Moi j'adorais écrire des histoires avant. Maintenant j'ai moins le temps... Avec le déménagement et tout ça...

Sa voix s'était légèrement assombrie. Abel perçut quelque chose de triste derrière ses mots, quelque chose qu'elle essayait de cacher derrière son sourire perpétuel.

Un ballon roula vers eux - le même scénario que la veille. Julien arriva en courant pour le récupérer.

— Salut Abel ! dit-il avant de remarquer Mila. Oh, salut ! Tu es la nouvelle, c'est ça ?

— Oui, moi c'est Mila, répondit-elle avec un grand sourire.

— Cool ! Tu veux venir jouer avec nous ?

Abel retint son souffle. Elle allait accepter, bien sûr, et le laisser tranquille dans son coin. C'était toujours comme ça que ça se passait.

Mais Mila secoua la tête.

— Merci, c'est gentil, mais je préfère rester ici pour l'instant. J'ai besoin de faire connaissance avec... euh... mon nouvel environnement.

Julien haussa les épaules avec bonne humeur et repartit vers ses copains. Abel regardait Mila avec incompréhension. Pourquoi avait-elle refusé ? Les autres élèves l'invitaient dans leur groupe, c'était exactement ce que tout le monde recherchait au collège.

— Pourquoi tu... ? commença-t-il avant de s'arrêter net.

Il avait parlé ! Les mots étaient sortis tout seuls, sans qu'il s'en rende compte. Mila le regardait avec un sourire ravi.

— Tu as une voix ! dit-elle en rigolant. Je commençais à me demander...

Abel sentit ses joues devenir brûlantes. Il n'arrivait pas à croire qu'il avait parlé à cette fille qu'il ne connaissait pas.

— Pourquoi j'ai refusé ? continua Mila comme s'il avait terminé sa question. Parce que j'ai pas envie de jouer au foot. Et puis... j'aime bien discuter. Enfin, parler. Même si tu ne réponds pas, ça me va.

Elle termina sa pomme et jeta le trognon dans une poubelle à quelques mètres. Puis elle sortit un carnet de son sac - plus petit que celui d'Abel, avec une couverture verte à petites fleurs.

— Moi aussi j'écris des trucs, dit-elle en l'ouvrant. Mais c'est plutôt des dessins avec des mots autour. Regarde.

Elle lui tendit le carnet ouvert. Abel hésita, puis jeta un coup d'œil. La page était couverte de petits dessins délicats - des fleurs, des oiseaux, des nuages - avec des mots écrits tout autour dans une écriture fine et penchée. "Nouveau départ", "maman fatiguée", "chambre trop grande", "odeur différente"...

— C'est... c'est joli, murmura Abel.

— Merci ! J'aime bien mélanger le dessin et les mots. Ça dit plus de choses que juste l'un ou l'autre, tu vois ?

Abel voyait très bien. C'était exactement ce qu'il ressentait quand il observait le monde et qu'il essayait de le traduire en mots dans son carnet.

Mila referma son carnet et le remit dans son sac.

— Tu sais, dit-elle en regardant droit devant elle, c'est pas facile de changer de collège en plein milieu d'année. Dans mon ancien collège, j'avais mes habitudes, mes copines... Là, tout est nouveau. Même ma chambre, elle me ressemble pas encore.

Abel l'écoutait sans rien dire, mais il comprenait. Lui aussi avait dû changer d'école après l'épisode de l'école primaire Pasteur. La peur du premier jour, l'angoisse de ne pas comprendre les codes, la difficulté de trouver sa place...

— Mes parents ont divorcé cet été, continua Mila d'une voix plus basse. Maman a trouvé du travail ici, alors on a déménagé. Papa est resté à Clermont. Je le vois un week-end sur deux maintenant.

Elle eut un petit sourire triste.

— Tu sais ce qui me manque le plus ? L'odeur de notre ancienne maison. Elle sentait toujours un peu la cannelle à cause des biscuits que faisait maman. Ici, ça sent... je sais pas... ça sent différent.

Abel hocha la tête. Il comprenait l'importance des odeurs, des petits détails que les autres ne remarquaient pas mais qui rendaient un endroit familier.

— Notre nouvelle maison, elle sent la peinture fraîche et un peu l'humidité, reprit Mila. Maman dit que ça va passer, qu'on va s'habituer. Mais moi j'ai peur qu'on perde l'odeur de papa avec...

Sa voix se brisa légèrement sur les derniers mots. Abel sentit quelque chose se serrer dans sa poitrine. Cette fille souriante et bavarde portait une tristesse qu'elle essayait de cacher, comme lui cachait son anxiété derrière ses rituels et son silence.

Sans réfléchir, il sortit son galet de sa poche et le posa sur l'herbe entre eux.

— C'est... c'est ma grand-mère qui me l'a rapporté de Bretagne, dit-il dans un murmure. Quand je le touche, ça me calme.

Mila regarda le petit galet rond et lisse, poli par la mer.

— Il est beau, dit-elle doucement. Tu peux le garder avec toi partout ?

Abel hocha la tête et remit le galet dans sa poche.

— Et ton carnet ? demanda-t-elle. C'est un peu pareil ? Quelque chose qui te rassure ?

— J'écris... j'écris ce que je vois, ce que les autres voient pas, expliqua Abel, surpris de parler autant. Les petits détails, les bruits, les odeurs...

— Comme un détective de petites choses ! dit Mila avec enthousiasme.

Abel esquissa un sourire. Personne n'avait jamais défini son activité comme ça, mais l'expression lui plaisait.

— Montre-moi ! dit Mila. S'il te plaît, juste une page ?

Abel hésita longuement, puis ouvrit son carnet à la page du jour et le tourna vers elle. Mila lut attentivement ses observations du matin.

— C'est génial ! s'exclama-t-elle. Tu as raison pour le parfum de Charlotte, il est vraiment trop fort. Et Maxime, je n'avais pas remarqué pour son rythme de tambourinement, mais maintenant que tu le dis...

Elle le regarda avec admiration.

— Tu vois tout, en fait. Tous les petits trucs qui rendent les endroits et les gens uniques.

Abel sentit une chaleur étrange se répandre dans sa poitrine. Jamais personne ne s'était intéressé à ses observations avec autant de sincérité.

— Tu pourrais m'apprendre ? demanda Mila. À observer comme toi ?

— Euh... je sais pas... balbutia Abel. C'est pas vraiment quelque chose qui s'apprend...

— Allez ! On peut essayer ensemble. Tiens, là, maintenant, qu'est-ce que tu observes ?

Abel regarda autour de lui, un peu déstabilisé par cette demande directe.

— Euh... le tilleul au-dessus de nous fait un bruit différent quand le vent souffle du nord ou du sud. Là c'est du nord, alors les feuilles font "frrou frrou" au lieu de "whoush whoush".

— Incroyable ! dit Mila en levant les yeux vers les branches. Et quoi d'autre ?

— Madame Lopez, la CPE, surveille près du bâtiment principal. Elle regarde dans notre direction toutes les trois minutes environ. Elle s'inquiète pour moi, je crois.

— Et moi, qu'est-ce que tu observes sur moi ?

La question prit Abel au dépourvu. Il rougit et baissa les yeux.

— Euh... tu... tu mâchonnes le bout de tes cheveux quand tu réfléchis. Et tu tritotes la bretelle de ton sac quand tu es nerveuse. Et... et tu souris beaucoup, mais parfois ton sourire tremble un peu.

Mila porta instinctivement la main à ses cheveux, puis sourit - un vrai sourire cette fois.

— Tu es très fort ! Tu as raison pour tout. C'est vrai que je tritote ma bretelle quand je stresse. Ma mère dit toujours que je vais la casser à force.

Elle regarda Abel avec une expression sérieuse soudain.

— Tu sais quoi ? Je crois qu'on se ressemble un peu. Toi tu observes tout pour comprendre le monde, moi je parle beaucoup pour oublier ce qui me fait peur.

Cette remarque toucha Abel en plein cœur. Cette fille qu'il connaissait depuis deux heures à peine venait de mettre des mots sur quelque chose qu'il n'avait jamais su exprimer.

La sonnerie retentit, les faisant sursauter tous les deux. Abel ferma instinctivement les yeux et porta les mains à ses oreilles. Quand il les rouvrit, Mila le regardait avec compréhension.

— Ça fait mal aux oreilles, hein ? dit-elle. Moi c'est pareil avec les klaxons de voiture. Ça me fait comme des aiguilles dans les tympans.

Ils se levèrent pour retourner en classe. Mila épousseta son jean et ramassa son sac. En se redressant, elle marcha sur sa lacet détaché et perdit l'équilibre. Elle agita les bras dans tous les sens pour ne pas tomber, avec une expression de panique totalement disproportionnée qui contrastait avec son assurance habituelle. Elle ressemblait à un oiseau qui essaie de voler avec une aile cassée.

Abel ne put s'empêcher de sourire - un vrai sourire, pas juste une petite grimace polie. C'était la première fois depuis longtemps qu'il trouvait quelque chose vraiment amusant.

Mila retrouva son équilibre et surprit son sourire.

— Tu te moques de moi ! dit-elle en feignant l'indignation.

— Non... c'est juste... tu ressemblais à... à un pingouin qui apprend à voler, murmura Abel.

— Un pingouin qui apprend à voler ! répéta Mila en éclatant de rire. C'est la comparaison la plus bizarre et la plus géniale que j'aie jamais entendue !

Elle se baissa pour refaire son lacet, toujours en riant.

— Tu sais quoi, Abel ? Je crois qu'on va bien s'entendre, tous les deux.

En marchant vers le bâtiment, Abel sentait quelque chose d'étrange et de nouveau dans sa poitrine. Pour la première fois depuis longtemps, il n'avait pas envie que la récréation se termine. Et pour la première fois depuis son arrivée au collège Jean-Baptiste Clément, il avait hâte d'être au lendemain.

À côté de lui, Mila parlait déjà de ce qu'elle allait observer pendant le cours suivant, ses yeux brillants d'excitation. Abel l'écoutait en tripotant son galet dans sa poche, et pour une fois, le bruit de leurs pas sur le bitume ne formait plus un rythme solitaire.

"9h33 - Récréation terminée. Première conversation réelle depuis mon arrivée au collège. Mila Delcourt, 13 ans, vient de Clermont-Ferrand, parents divorcés. Elle observe aussi, mais différemment. Elle parle pour oublier sa tristesse, comme moi j'écris pour comprendre les gens. Première fois que je souris vraiment depuis longtemps. Le monde semble un peu moins compliqué tout à coup."


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