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AzaliaBouvry
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Chapitre 5 : La peur qui revient

Le jeudi matin, Abel a senti que quelque chose n'allait pas. Une sorte de petite boule de froid s'était logée dans son ventre. L'air, autour de lui, lui semblait bizarre, comme avant un orage. Et les bruits... ils étaient déjà plus forts que d'habitude. Il avait mal dormi, des images de son ancienne école, de rires méchants, tournaient en boucle dans sa tête. Il aurait préféré rester caché sous sa couette.

"Jeudi 21 septembre, 8h10. Quelque chose ne va pas aujourd'hui. L'air sent... l'orage ? Pas celui du ciel, autre chose. Les élèves parlent plus fort que d'habitude. Maxime tambourine encore plus vite. Charlotte a remis son parfum vanille trop fort. Mon galet est chaud dans ma poche, comme s'il avait de la fièvre."

En cours de français, c'était un vrai défi pour Abel de se concentrer. Le cliquetis du stylo de Léa, le frottement des chaises sur le sol, même le léger souffle de son voisin... tout lui semblait mille fois plus fort, comme si quelqu'un avait tourné le volume à fond dans sa tête. Chaque fois qu'un camarade bougeait, Abel avait envie de grogner. Quand Madame Rousseau a demandé qui voulait lire, il a fait de son mieux pour rapetisser, pour devenir le plus petit et le plus invisible possible sur sa chaise, espérant que personne ne le verrait.

Mila, elle, semblait en pleine forme. Elle avait apporté une petite boîte en métal pour collecter des "échantillons sonores" pendant la récréation - des cailloux, des feuilles, des morceaux d'écorce qui faisaient chacun un bruit différent quand on les agitait.

— On va faire le plus bel exposé de tous les temps ! chuchota-t-elle à Abel en sortant ses trésors.

Mais Abel n'arrivait pas à partager son enthousiasme. Il avait cette sensation désagréable au creux du ventre, comme avant les orages.

À la récréation, ils se dirigèrent vers leur tilleul habituel. Mila était déjà en train de ramasser des feuilles de différentes tailles pour tester leurs bruits quand un ballon de foot arriva en roulant vers eux.

— Abel ! cria Julien en courant pour récupérer le ballon. Tu peux me le renvoyer ?

Abel se pencha pour pousser le ballon du pied, comme d'habitude. Mais au même moment, trois autres garçons arrivèrent en courant pour aider Julien. Tom, Lucas et Mattéo débarquèrent tous en même temps, essoufflés et excités par leur match.

— Allez Abel, shoote ! dit Tom en riant.

— Vas-y, fais-nous un beau tir ! ajouta Lucas.

— Montre-nous tes talents cachés ! renchérit Mattéo.

Ils ne voulaient pas être méchants. C'était juste des garçons de onze ans, pleins d'énergie, qui essayaient d'inclure Abel dans leur jeu. Mais pour lui, tout à coup, c'était comme une vague géante qui lui tombait dessus. Trop de garçons d'un coup, trop de rires, trop de pieds qui couraient, trop de voix qui parlaient en même temps. Son cerveau ne savait plus où donner de la tête, c'était un grand désordre.

Il se pencha vers le ballon, mais Tom, impatient, voulut l'aider et le poussa gentiment dans le dos.

— Allez, n'aie pas peur !

Le contact a été soudain, Abel ne s'y attendait pas du tout. Ce n'était qu'une petite poussée de Tom, mais pour Abel, c'était comme si un éclair venait de le frapper en plein dos. Il s'est figé d'un coup, comme une statue de pierre. Son corps est devenu raide, et ses mains se sont mises à trembler, très fort, sans qu'il puisse les arrêter.

— Ça va ? demanda Lucas, surpris.

Mais Abel n'entendait plus rien, vraiment. Dans sa tête, c'était devenu une horrible purée de sensations. Le contact de Tom sur son dos le brûlait comme du feu, les voix des garçons étaient devenues des cris assourdissants qui piquaient ses oreilles, et l'odeur du terrain, de la sueur, c'était si fort que son estomac a fait un bond, il avait envie de vomir. Tout, tout était trop, trop grand, trop fort, trop méchant.

Et d'un coup, paf ! Les souvenirs ont éclaté dans sa tête. L'école primaire Pasteur. Le visage de Killian et sa bande. « Regarde-le, il comprend rien ! » La poussée dans l'escalier, le sol qui arrive vite, la chute qui fait mal. Et puis, surtout, les rires. Des rires qui tournaient, tournaient, et le blessaient encore plus que la chute.

— Abel ? dit Mila, inquiète.

Mais c'était trop tard. Quelque chose avait explosé dans la tête d'Abel. Il se mit à crier.

— NON ! TOUCHEZ-MOI PAS ! LAISSEZ-MOI TRANQUILLE !

Sa voix était aiguë, désespérée. Il agitait les bras dans tous les sens, comme pour chasser des guêpes invisibles.

— Eh, calme-toi ! dit Julien, complètement déstabilisé. On voulait juste...

— PARTEZ ! PARTEZ TOUS ! hurla Abel en se jetant au sol.

Il se roula en boule sur l'herbe, les mains plaquées sur les oreilles, continuant à crier. Ses cris n'étaient plus des mots, juste des sons de pure panique.

Autour de lui, les élèves ont arrêté de jouer d'un coup. D'abord, ils étaient surpris. Puis, leurs yeux sont devenus curieux. Vite, un cercle s'est formé autour d'Abel. C'était comme une cage qui se refermait sur lui. Il était là, au milieu, par terre, les yeux fermés, tremblant de tout son corps, et il continuait à se débattre, comme s'il essayait de s'échapper d'un filet invisible.

— Qu'est-ce qu'il a ? chuchota quelqu'un.

— Il est devenu fou ? dit un autre.

— C'est quoi ce délire ? ricana Kevin, un élève de cinquième qui passait par là.

Mila s'agenouilla près d'Abel, ne sachant pas quoi faire.

— Abel, c'est moi, c'est Mila ! Tout va bien ! Ils sont partis !

Mais Abel ne l'entendait pas. Il était ailleurs, prisonnier de sa panique, de ses souvenirs, de cette tempête sensorielle qui déferlait sur lui.

— Il faut aller chercher une surveillante ! dit Sarah, affolée.

— Regardez-le, il bouge n'importe comment ! se moqua Kevin. On dirait un poisson hors de l'eau !

Quelques élèves ricanèrent nerveusement. D'autres regardaient, fascinés et mal à l'aise à la fois.

Madame Lopez arriva en courant, alertée par les cris. Elle écarta doucement les élèves.

— Ça suffit ! Circulez ! Il n'y a rien à voir !

Elle s'agenouilla près d'Abel avec des gestes lents et doux.

— Abel, je suis là. Tu es en sécurité. Personne ne va te faire de mal.

Sa voix était calme, apaisante. Petit à petit, les cris d'Abel diminuèrent. Il continuait à trembler, mais il se recroquevillait moins.

— Mila, tu peux aller chercher l'infirmière ? demanda doucement Madame Lopez.

Mila courut vers l'infirmerie, le cœur battant. Quand elle revint avec Madame Dubois, Abel était assis contre le tronc du tilleul, pâle et épuisé, les yeux rouges.

— On va t'emmener au calme, mon grand, dit l'infirmière. Tu as besoin de te reposer.

Ils aidèrent Abel à se relever et l'accompagnèrent vers l'infirmerie. Il marchait comme un robot, le regard vide, complètement vidé de son énergie.

Mila voulut le suivre, mais Madame Lopez l'arrêta.

— Laisse-le tranquille pour l'instant. Il a besoin de calme.

Après leur départ, la cour de récréation bourdonnait encore de commentaires.

— C'était quoi ça ? dit Charlotte à ses copines.

— Il a pété un câble ! répondit Manon. J'ai jamais vu ça !

— Moi je savais qu'il était bizarre, ajouta Kevin. Mon grand frère m'avait dit qu'il y en a comme ça, qui sont pas normaux.

— Il nous a fait peur, avoua Tom, encore secoué. On voulait juste jouer avec lui...

— C'est pas votre faute, dit Sarah. Mais... c'était flippant.

Mila serrait les poings, entendant tous ces commentaires. Elle avait envie de crier, de défendre Abel, mais elle ne savait pas quoi dire. Elle ne comprenait pas non plus ce qui s'était passé.

Le reste de la journée fut horrible. Abel ne revint pas en cours, et dans toutes les classes, on ne parlait que de sa "crise". Les versions se multipliaient, chacun ajoutant son petit détail.

— Il a mordu quelqu'un ! prétendait un sixième.

— Il s'est roulé par terre en bavant ! racontait un autre.

— Ma sœur dit qu'il est malade dans sa tête, chuchotait une fille de sa classe.

Mila essayait de ne pas écouter, mais les mots lui faisaient mal comme s'ils la visaient elle aussi. Elle pensait à Abel, seul à l'infirmerie, et elle se sentait impuissante.

Le vendredi matin, Abel était de retour en classe. Mais ce n'était plus le même garçon. Il était arrivé encore plus tôt que d'habitude et s'était installé tout au fond, dans un coin où personne ne pouvait s'asseoir à côté de lui.

Quand Mila le vit, elle eut le cœur serré. Il était tout pâle, avec des cernes sous les yeux, et il évitait soigneusement de croiser le regard de qui que ce soit.

— Salut Abel, dit-elle doucement en s'approchant.

Abel fit comme s'il ne l'avait pas entendue. Il se recroquevilla un peu plus, ouvrit son carnet et se mit à écrire, la tête penchée si bas que ses cheveux tombaient comme un rideau, cachant complètement son visage. Il ne voulait pas être vu, pas du tout.

— Abel ? insista Mila. Ça va ?

Toujours rien. Il continuait à écrire, ses épaules voûtées comme s'il portait un poids énorme.

— Pour l'exposé, on peut en parler quand tu veux, dit-elle encore.

Cette fois, Abel leva les yeux une seconde, mais son regard était froid, distant. Puis il se remit à écrire.

Mila retourna à sa place, troublée. Autour d'elle, elle sentait les regards des autres élèves. Certains la regardaient avec pitié, d'autres avec curiosité. Comme si être l'amie d'Abel la rendait suspecte elle aussi.

Pendant la récréation, Abel ne vint pas sous le tilleul. Mila l'aperçut au bout de la cour, près des poubelles, assis tout seul sur un banc, son carnet ouvert sur les genoux.

Elle hésita à aller le voir. Mais quand elle fit un pas dans sa direction, il referma brusquement son carnet et partit se cacher derrière le bâtiment des sciences.

— Tu ferais mieux de le laisser tranquille, lui dit Charlotte en passant. Après ce qui s'est passé hier...

— Qu'est-ce qui s'est passé hier ? demanda Mila, agacée.

— Ben... sa crise. C'était flippant. Mon père dit que les gens comme ça, des fois c'est dangereux.

— Dangereux ? répéta Mila, incrédule. Abel ? Il ferait pas de mal à une mouche !

 Charlotte haussa les épaules, un peu mal à l'aise.

 — Peut-être, mais... il a fait peur maintenant. Hier, on aurait dit... on aurait dit qu'il était possédé ou un truc comme ça, c'était vraiment trop bizarre.

Mila s'éloigna, dégoûtée. Comment les gens pouvaient-ils être si bêtes ? Abel n'était pas dangereux, il était juste... différent. Et il avait eu peur, c'est tout.

Mais en même temps, elle ne comprenait pas pourquoi il l'évitait maintenant. Elle qui croyait qu'ils étaient devenus amis...

Le weekend fut long et triste. Mila pensa tout le temps à Abel, se demandant s'il allait bien, s'il préparait encore leur exposé, s'il lui pardonnerait de... de quoi, d'ailleurs ? Elle n'avait rien fait de mal !

Le lundi matin, elle arriva au collège avec un petit cadeau pour Abel : une jolie pierre qu'elle avait trouvée dans son jardin, lisse et douce comme son galet porte-bonheur.

Mais Abel n'était pas sous le tilleul. Il n'était même pas dans la cour. Elle le trouva enfin, caché dans les toilettes du rez-de-chaussée, assis par terre dans un coin, son carnet serré contre lui.

— Abel ! dit-elle, soulagée de l'avoir trouvé.

Il leva les yeux, et elle vit qu'il avait pleuré. Ses joues étaient toutes rouges et gonflées.

— Va-t'en, murmura-t-il. Laisse-moi tranquille.

— Mais Abel...

— J'AI DIT VA-T'EN ! cria-t-il en se recroquevillant encore plus.

Mila sursauta. C'était la première fois qu'Abel lui criait dessus.

— Je... j'ai apporté ça pour toi, dit-elle en posant la petite pierre par terre entre eux.

Abel regarda la pierre, puis Mila, puis détourna la tête.

— Je veux plus te parler, dit-il d'une voix cassée. Je veux plus parler à personne. C'est fini.

— Mais pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

— Tu as vu ! cria-t-il en la regardant avec des yeux brillants de larmes. Tu as vu comme je suis ! Bizarre ! Fou ! Pas normal ! Maintenant tu sais, alors laisse-moi tranquille !

— Mais moi je m'en fiche ! protesta Mila. Tu es mon ami !

— On peut pas être amis ! dit Abel en secouant la tête. Les gens comme moi, on n'a pas d'amis ! On fait peur ! On est tout seuls !

Il ramassa son carnet comme si c'était le seul trésor qu'il avait et se leva d'un bond pour partir, comme un chat qui fuit un danger.

— Abel, attends !

Mais il était déjà sorti des toilettes, la laissant seule avec la petite pierre et le cœur gros.

Ce jour-là, Mila ne mangea presque rien à la cantine. Elle regardait Abel, tout seul à sa table du fond, qui grignotait son sandwich sans lever les yeux de son carnet. Il avait l'air tellement triste, tellement seul.

Elle prit sa décision. Elle ne savait pas ce qui s'était passé jeudi, elle ne comprenait pas pourquoi Abel avait eu si peur, mais elle savait une chose : un ami, ça ne laisse pas tomber.

Même si Abel ne voulait plus lui parler, elle allait rester là. Elle allait attendre qu'il comprenne qu'elle ne le jugeait pas, qu'elle ne le trouvait pas bizarre ou fou.

Elle allait lui prouver que l'amitié, c'est plus fort que la peur.

"Lundi 25 septembre, 12h45. Abel ne me parle plus. Il croit que je vais l'abandonner comme les autres. Il ne sait pas que moi, j'abandonne jamais. Pas quand c'est important. Et Abel, c'est important."

Elle écrivit ces mots dans son carnet fleuri, en pensant à son ami qui se cachait de l'autre côté de la cantine. Elle allait trouver un moyen de lui montrer qu'il n'était pas tout seul.

Même s'il fallait du temps. Même si c'était difficile.

Parce que les vrais amis, ça reste.


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