Le hurlement du vent couvrait presque les craquements du bois. Althea Marlow s'agrippait à la barre de son sloop avec une détermination féroce, ses muscles tendus à l'extrême sous le déluge qui s'abattait sur elle. La mer, autrefois son alliée fidèle, s'était transformée en un monstre déchaîné de vagues noires comme l'encre qui s'élevaient telles des montagnes liquides avant de s'effondrer sur le petit navire.
— Tiens bon, ma belle, murmura-t-elle à son embarcation, comme si le Libre Horizon pouvait l'entendre par-dessus la furie des éléments.
La tempête avait surgi de nulle part. Un instant plus tôt, le ciel était clair, parsemé d'étoiles qu'Althea avait l'habitude de lire comme une carte. L'instant d'après, les nuages s'étaient amoncelés, si épais et si sombres qu'ils avaient dévoré la lumière des étoiles. Son esprit de navigatrice luttait pour donner un sens à cette apparition brutale. Jamais une tempête ne se formait aussi vite, aussi violemment, sans le moindre signe avant-coureur – c'était... contre nature.
Une vague monstrueuse souleva le sloop, l'inclinant à un angle si aigu qu'Althea crut un moment que c'était la fin. Une nausée glacée lui vrilla les entrailles tandis que le navire basculait, mais par quelque miracle, il se redressa en gémissant, l'eau ruisselant de ses ponts comme des larmes. À travers les rideaux de pluie, un éclair illumina soudain l'horizon.
Pendant cette fraction de seconde de clarté brutale, Althea aperçut une silhouette qui n'aurait pas dû se trouver là. Un navire aux voiles sombres, bien plus grand que son modeste sloop, fendait les vagues avec une aisance surnaturelle.
— Impossible, souffla-t-elle, clignant des yeux pour chasser l'eau salée qui brûlait son regard.
L'éclair suivant confirma sa vision. Le navire approchait, ses voiles noires gonflées malgré la tempête, comme s'il naviguait avec elle plutôt que contre elle. Sur son grand mât flottait un pavillon que même la nuit ne pouvait obscurcir : un crâne traversé non pas d'os croisés, mais d'un éclair déchirant.
Le Tempête Noire.
Ce nom murmuré avec crainte dans tous les ports qu'Althea avait fréquentés. Un navire pirate insaisissable, commandé par une femme dont la réputation de cruauté n'avait d'égale que son intelligence tactique. Le capitaine Mira Belleville.
— Pas maintenant, pas comme ça, grogna Althea, redoublant d'efforts sur la barre pour tenter d'échapper à ce nouveau danger.
Mais la mer semblait conspirer contre elle. Chaque fois qu'elle essayait de virer, une vague la ramenait inexorablement vers le vaisseau pirate qui se rapprochait. Comme si la tempête elle-même était un piège, orchestré pour la livrer à ses ennemis.
Un craquement sinistre retentit au-dessus du vacarme de la tempête. Althea leva les yeux juste à temps pour voir le mât principal se fissurer. Avec un gémissement déchirant, il céda, entraînant dans sa chute voiles et cordages dans un enchevêtrement de tissu et de chanvre.
Althea plongea pour éviter d'être écrasée, mais un cordage s'enroula autour de sa cheville comme un serpent, la tirant violemment vers le bastingage. Sa tête heurta le bois dur et, pendant un instant, le monde vacilla autour d'elle.
Lorsqu'elle retrouva ses esprits, le Tempête Noire n'était plus qu'à quelques dizaines de mètres, ses flancs noirs luisants sous la pluie comme la peau d'une créature marine. Des grappins fendirent l'air, s'accrochant aux rambardes de son sloop avec une précision mortelle.
D'un mouvement fluide, Althea dégaina le sabre accroché à sa ceinture. Si elle devait tomber, ce serait en combattant. Les premiers pirates s'élancèrent sur les cordages tendus entre les deux navires, leurs silhouettes se découpant contre la nuit à chaque éclair.
Le premier homme à atterrir sur le pont s'approcha avec un sourire suffisant, une hache à la main. Il ne souriait plus lorsque la lame d'Althea traça une ligne écarlate sur sa poitrine. Il tomba à genoux, mais deux autres prenaient déjà sa place.
Althea dansa entre les lames avec la grâce forgée par des années de navigation et de combats. Son sabre sifflait dans l'air humide, trouvant chair et os avec une précision chirurgicale. Un homme, deux hommes tombèrent sous ses coups.
Mais ils étaient trop nombreux, et elle était seule.
Un coup violent entre les omoplates la projeta en avant. Elle trébucha, retrouva son équilibre, mais une nouvelle attaque la prit de côté. La douleur explosa dans ses côtes. Son sabre glissa de ses doigts soudain engourdis et cliqueta sur le pont.
Luttant pour rester consciente, Althea leva les yeux vers son assaillant. Une femme se tenait devant elle, grande et implacable comme la figure de proue d'un navire de guerre. Ses cheveux noirs, tressés serrés contre son crâne, ruisselaient d'eau de mer. Une cicatrice pâle barrait son visage aux traits durs, de la tempe gauche à la mâchoire. Mais ce furent ses yeux qui captèrent l'attention d'Althea – gris comme un ciel d'orage, et tout aussi impitoyables.
— Capitaine Belleville, je présume, articula Althea, le goût du sang dans sa bouche.
Un sourire froid étira les lèvres de la femme.
— Et vous devez être Althea Marlow. Votre réputation vous précède.
Althea tenta de se redresser, mais la douleur la força à rester à genoux.
— Prenez-la, ordonna Mira Belleville à ses hommes. Vivante. Elle a plus de valeur ainsi.
Des mains rugueuses s'emparèrent d'Althea, la soulevant sans ménagement. La dernière chose qu'elle vit avant que l'obscurité ne l'engloutisse fut le regard calculateur de Mira Belleville, aussi impénétrable que les profondeurs de l'océan.
La tempête continua de rugir, indifférente au drame qui venait de se jouer sur ses vagues noire