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MirandaFlanders
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Chapitre 2

— LE MARQUIS VA ARRIVER, QUE TOUT LE MONDE SE PRÉPARE. 

Le manoir était en effervescence. Tout le monde s’empressait de terminer ses tâches avant l’arrivée du marquis de Vergy. Que ce soit préparer le salon, la salle à manger, lustrer l’argenterie, repasser un énième coup de balais et de plumeau pour qu’il n’y ait pas une trace de poussière… Tout se devait d’être parfait. Et lorsqu’on put entendre les roues crisser sur le sol et les hennissements des chevaux, tous les employés du manoir se tenaient en ligne, immobiles, les uniformes impeccablement repassés, prêts à saluer silencieusement le marquis. 

Le cocher, d’un coup de fouet léger, fit stopper les chevaux devant les escaliers de marbre, et la porte de la calèche s’ouvrit sur un homme grand et droit, vêtu d’un pantalon noir, d’une chemise en lin immaculées à col haut, d’une cravate parfaitement nouée et d’un manteau ébène à longue queue. Ses cheveux, courts et légèrement bouclés, étaient d’un blond riche qui mettait son regard marron en valeur. Contrairement à ce que Rosélia lui avait dit, il n’était pas « aussi charismatique qu’une porte » mais plutôt bel homme. L’arc busqué de son nez, loin de l’enlaidir, lui donnait même du charme. Dans un même geste, tous les employés saluèrent le marquis avant que celui-ci n’entre dans la demeure par la porte principale, accompagné du baron et de sa famille. 

— Que tout le monde retourne à son poste, annonça la mère de Blaike en intimant les employés à se diriger vers la porte leur étant réservée. Tous se remirent en mouvement en échangeant quelques mots sur l’arrivée du marquis et son apparence, sur ce qu’ils pensaient allait se passer dans les prochains jours, et Blaike crut voir Marinette rentrer en trombe avec les joues toutes rouges après une remarque de Georgia. 

Son père partit aussitôt en direction du grand salon où nul doute que le baron et le marquis allaient échanger un verre de bienvenue en discutant, d’un côté, tandis que Rosélia et sa mère allaient partager un thé comme souvent de l’autre. Aucun doute que la discussion allait être à son sujet : le marquis était là, après tout, dans leur maison et, avec lui, l’annonce qui allait bouleverser la vie de Rosélia. Les fiançailles. Une union arrangée. Une décision prise bien avant qu’elle ne puisse avoir son mot à dire. Et ça avait beau être habituel dans les familles nobles, Blaike ne pouvait s’empêcher de penser que c’était triste de ne pas pouvoir choisir la personne qui prendrait un rôle aussi important que celui de compagnon de vie. 

Une fois sûre que Rosélia et sa mère avaient leur thé et leurs petits gâteaux, Blaike partit s’occuper des vêtements de celle-ci. Elle s’assura que sa tenue de promenade préférée soit prête au cas où le marquis et elle, évidemment accompagnés d’un chaperon, voudraient partir en balade. Puis, une fois ceci fait, s’occupa de laver et de repasser les robes qu’elle avait mises. Le travail dans la chambre était toujours une évasion, un moment où elle pouvait laisser ses pensées errer sans contrainte tellement il s’agissait de gestes habituels et répétitifs. Rosélia allait se marier. C’était une pensée très étrange étant donné qu’elles se connaissaient depuis toujours et avaient grandi ensemble. Certes, pas de la même manière – on ne mélangeait après tout pas les torchons avec les serviettes –, mais Blaike avait vu la jeune femme grandir, à distance, avant d’être mise à son service comme femme de chambre. Elles avaient à peu près le même âge, c’était donc assez perturbant de la voir bientôt passer une étape de sa vie. Ça soulevait des questions : qu’est-ce qui allait changer, exactement ? Allait-elle devoir suivre Rosélia lorsqu’elle partira vivre avec le marquis ou resterait-elle au manoir ? 

Plus que ça, ça questionnait Blaike quant à sa propre vision du mariage. Elle ne fréquentait personne, n’aimait personne suffisamment de cette façon pour imaginer se marier, et elle n’était même pas certaine que ce soit une étape de la vie qu’elle aie envie de franchir. Elle se sentait bien avec son quotidien actuel, au manoir, et ça lui suffisait. Pas besoin de mari ou, pire encore, d’enfants à charge. Blaike savait que ses parents n’attendaient que d’être grands-parents, que c’était le « rôle » de toute femme que de continuer la lignée, mais ces envies-là ne correspondaient absolument pas aux siennes. Elle n’aimait même pas les enfants ! Non, si elle avait pu, elle aurait voulu être majordome comme son père. Porter l’uniforme masculin, superviser les employés, les finances, et s’occuper du maître de maison comme elle s’occupait de Rosélia. Mais porter des vêtements masculins lorsqu’on était une femme était très mal vu. Blaike l’avait fait une fois, quand elle était enfant, avec un pantalon qu’elle avait elle-même cousu ; ses parents l’avaient grondée et punie au point qu’elle n’avait plus recommencé, en lui expliquant qu’une femme se devait d’être féminine et de porter des robes ou des jupes, que c’était la règle. Aujourd’hui, elle savait qu’ils l’avaient fait pour son bien, que c’était pour lui éviter une punition du baron et, de manière plus générale, lui inculquer le regard critique que posait la société sur les femmes. Ça ne l’empêchait pas de trouver cela injuste, mais elle savait que tant qu’elle vivait au manoir, ça ne serait tout bonnement pas envisageable : Ses faits et gestes reflétaient l’image du baron et de sa famille. Elle ne pouvait pas risquer de l’entacher de la moindre manière. 

La dernière robe repassée et rangée, Blaike referma les portes de l’armoire après avoir préparé la chemise de nuit de Rosélia. Elle se dirigea ensuite vers la fenêtre, poussant les rideaux de soie pour observer la lumière du jour qui s’amenuisait lentement. Les jardins du manoir, toujours impeccablement entretenus, semblaient figés dans une tranquillité trompeuse. Rien ne laissait deviner le tumulte qui bourdonnait à l'intérieur des murs du manoir. Les employés, derrière leur façade de politesse, étaient tous aussi nerveux que Blaike. La pression de l’événement était palpable dans l’air. 

Elle s’éloigna de la fenêtre et se dirigea vers le bureau de Rosélia, où elle rangea quelques lettres éparpillées. Le parfum des fleurs fraîches dans le vase posé sur la table lui chatouilla les narines, un parfum doux et sucré, presque enfantin. Chaque objet dans cette pièce semblait appartenir à un autre monde. Le monde de Rosélia. Un monde où les décisions étaient prises par d’autres, un monde où l’on n’avait pas son mot à dire.

Quand le dîner approcha, Blaike partit en direction des cuisines pour voir si elle pouvait donner un coup de main. Elle croisa son père, les traits tirés par des années de service auprès des Beauregard, qui lui fit un clin d’œil complice avant de partir avec des valets de pied pour le service à table. S’il était passé en vitesse en cuisine, c’était que tout était prêt à la salle à manger : les assiettes, couverts et chauffe-plats avaient été impeccablement placés, leur emplacement et géométrie contrôlés à la règle ; le vin avait été décanté, aéré et placé en carafe, et il ne restait plus qu’à sonner le gong pour intimer à la famille de venir s’installer. 

Les premiers plats partirent à la salle à manger et l’estomac de Blaike gargouilla à leur vue. Elle avait hâte que le service se termine, lessivée par les préparatifs et l’agitation générale de la journée. Elle ne rêvait que de son lit pour se reposer quelques heures, mais avant cela il lui fallait encore s’occuper de Rosélia avant qu’elle n’aille se coucher, puis manger avec les autres. Elle n’avait pas assez sommeil pour manquer le repas. 

— Blaike, que penses-tu du marquis ?  l’interpella Aimée, une des filles de cuisine qui s’occupait de laver les marmites et les assiettes des employés. Celles du baron et de sa famille, c’était à la charge d’un des valets de s’en occuper car elles étaient plus précieuses et délicates. Non, Aimée avait beau faire partie des plus jeunes, à treize ans, elle s’occupait de balayer, d’éplucher les légumes, d’écailler les poissons, de sortir les ordures … plein de tâches ingrates que Blaike avait elle-même faites, à son début. Elle était heureusement vite passée de fille de cuisine à bonne à tout faire, gérant assez vite le linge du manoir sous la supervision des bonnes plus âgées et de sa mère. Elle avait sûrement eu de la chance, étant donné que ses parents étaient à la tête des employés et chapeautaient le tout. 

Aimée l’observait avec des yeux verts pétillants. 

— Rien de particulier, pourquoi ? répondit Blaike en observant la jeune fille essuyer ses mains sales sur son tablier blanc. 

— Tout le monde ne parle que de lui, aujourd’hui… et je comprends mieux pourquoi. Mademoiselle a trouvé un très bon mari !

— Ils ne sont encore que fiancés, mais si tout se passe bien ce sera pour bientôt oui ! » 

Aimée gloussa, le regard brillant, visiblement ravie pour Rosélia. 

— Je rêve de me marier un jour, moi-aussi ! Et de porter une belle robe blanche ! , continua-t-elle en faisant valser sa robe noire. Blaike sourit, attendrie : 

— Dans quelques années, peut-être ! Tu m’inviteras à ton mariage ?

— Oui ! J’inviterai tous les employés du manoir, ce sera une grande fête !

— J’attends de voir ça, alors. 

Les valets revinrent bientôt avec des assiettes vides, remplissant la cuisine pour s’occuper de l’argenterie. Aimée fit un dernier grand sourire à Blaike avant de partir ranger des affaires, alors cette dernière quitta les cuisines et attendit dans l’ombre que Rosélia ne sorte de la salle à manger pour l’accompagner à sa chambre et l’aider à se dévêtir. 

— Comment était votre soirée, Mademoiselle ? , Blaike lança la discussion, sachant que Rosélia aimait qu’elle s’intéresse à elle. 

— Mon père et le marquis ont passé la soirée à discuter. Ce n’était pas bien palpitant… mais j’en ai appris davantage à son sujet.

— et…?

— Et il ne m’intéresse pas vraiment. Je ne sais pas ce qu’il nous trouve, à ma famille et à moi.

— Il doit bien vous trouver quelque chose. Il y a beaucoup de choses à voir, vous concernant, après tout. 

Une fois en robe de chambre et une légère toilette faite, Rosélia s’assit sur son lit. Son regard ne lâchait pas Blaike. 

— Ma mère raconte déjà que nous sommes faits l’un pour l’autre, la preuve étant nos prénoms qui s’accordent si bien. Elle prit un timbre plus excité et aigu qui devait appartenir à sa mère, « Lysandre et Rosélia, c’est si parfait! » Puis son visage délicat se ferma instantanément. Elle semblait plus incertaine concernant ses fiançailles qu’avant, maintenant que le marquis était là. « Je ne suis pas certaine de vouloir me marier maintenant, Blaike. Fonder ma famille… c’est trop tôt pour moi. 

— Alors pourquoi ne pas demander au baron et au marquis de faire durer les fiançailles ? Un mariage le printemps prochain, par exemple. 

— vous connaissez mon père… il est impatient à l’idée de réunir nos deux familles. S’il pouvait nous marier à la fin de cet été, il serait comblé.

— Essayez de lui en parler malgré tout, on ne sait jamais.

— Très bien, j’essayerai. 

Blaike souhaita bonne nuit à Rosélia avant de retourner aux cuisines, et plus précisément à la grande table que les employés utilisaient pour manger, afin d’aider à mettre les couverts avant le repas. La journée était enfin terminée, tout le beau monde du manoir était parti se coucher. La tablée était animée en discussions : le majordome et les valets s’étaient déjà installés et discutaient de la journée écoulée, tandis que le cuisinier et les filles de cuisine terminaient le repas pour le servir. Aujourd’hui, ils avaient du beefsteak accompagné de pommes de terre, de soupe de légumes, de pain et de bière.  

Blaike s’installa à son tour, proche de son père et des valets, remarquant d’ailleurs une nouvelle tête : il s’agissait du valet de pied accompagnant le marquis, Kennan. Avec ses épaules larges et sa grande taille, il était très repérable autour de la tablée. Blaike était toutefois trop loin pour véritablement le saluer, mais elle se dit qu’elle aurait d’autres occasions, ce dernier allant rester indéfiniment au manoir.

Lorsque le repas fut servi, elle attendit à peine que ses parents commencent à manger - sa mère étant arrivée entre - temps - pour attaquer à son tour. Les discussions tournaient autour de l’arrivée du marquis et de ce qui les attendait, elle ne participa donc pas beaucoup et se contenta d’écouter d’une oreille distraite. L’animation autour de Lysandre de Vergy allait bien vite se tarir, de toute façon. Une fois le dîner terminé, Blaike retourna avec soulagement dans sa chambre, impatiente de se coucher. Elle détacha son chignon serré, ses boucles noires retombant sur ses épaules. Elle retira ensuite sa robe, son corset, puis sa chemise afin d’en enfiler une autre pour la nuit, et se glissa délicieusement sous les draps. Le sommeil ne tarda pas à arriver, tant elle était fatiguée de la journée, et elle passa une nuit sans le moindre rêve.

Ses yeux se rouvrirent quelques heures plus tard, à l’aube. Le soleil commençait à peine à percer l’horizon qu’elle remettait déjà ses vêtements, prête à recommencer une nouvelle journée. Elle retrouva les autres employés dans les cuisines pour le petit-déjeuner, avant d’aller réveiller et aider Rosélia à s’habiller pour ce qui l’attendait aujourd’hui. À ce qu’elle avait vu du programme, après le repas de midi, cette dernière partirait avec le marquis pour une promenade. Blaike allait donc devoir l’aider à changer à nouveau de vêtements pour l’occasion. Elle réfléchissait déjà à ce qui serait le mieux, le plus flatteur et le plus à la mode…  

Les deux femmes, une fois Rosélia prête et maquillée, partirent en direction de la salle à manger. Elles croisèrent le marquis de Vergy, en chemin, qui posa un regard lourd sur Blaike. 

— Vous êtes la femme de chambre de Rosélia, n’est-ce pas ?, questionna-t-il en haussant un sourcil, ses yeux marron détaillant son visage. 

— C’est cela.

Par automatisme, Blaike lissa la frange qui tombait sur son œil droit afin qu’il ne soit pas remarqué, ne croisant pas son regard, et le marquis sembla voir quelque chose qui lui plut car il hocha légèrement de la tête. 

— Je vois. 

Et la discussion s’arrêta là, Lysandre et Rosélia rentrant dans la salle à manger pour le petit déjeuner. Blaike fronça les sourcils à l’étrange interaction avant de retourner dans la chambre de sa maîtresse pour aérer les vêtements qu’elle utiliserait ensuite et faire le lit. C’était étrange, que le marquis s’intéresse aux employés - à elle ? -, alors qu’ils faisaient en général tout pour être invisibles. On ne leur parlait habituellement pas, ils agissaient comme des ombres. Mais peut-être s’intéressait-il à elle car il serait amené à la voir souvent, s’il mariait la fille du baron ? N’y pensant pas davantage, Blaike se mit au travail, nettoya, rangea, et ne s’arrêta que pour faire une pause peu avant midi. La chambre de Rosélia était impeccable, les fenêtres avaient été ouvertes pour changer l’air et tout était propre et en ordre. 

En sortant de la chambre, elle tomba sur Kennan, le valet de pied du marquis. Kennan était un homme ayant l’air très droit et sérieux, avec des cheveux bruns ramenés vers l’arrière et un regard anthracite acéré. Il s’arrêta devant elle, la jaugeant du regard, et lui fit un petit sourire de salutation. Blaike se surprit à l’observer de longues secondes. 

— Bonjour Blaike. Je viens de la part de Monsieur, il voudrait offrir des fleurs à Rosélia et m’a demandé de trouver ce qu’elle aimait…

— Oh, bien sûr ! Elle aime beaucoup les lilas et les fleurs violettes en général. 

— C’est noté. Ce sera aussi l’occasion de découvrir un peu la ville de Crimsonne.

— Vous ne voulez pas les faire livrer ici ? 

— Non, je pensais profiter d’aller visiter la ville, justement, et d’aller les chercher moi-même chez le fleuriste. 

Blaike se sentit soudain très sûre d’elle, un petit sourire étirant ses lèvres alors qu’elle proposait : 

— Besoin d’un guide ? 

C’était l’occasion d’en apprendre plus sur lui et de faire une pause au passage. Elle serait restée dans sa chambre, sinon, alors autant prendre l’air avec une possible bonne compagnie. 

— N’êtes-vous pas occupée ? , répondit-il du tac au tac en croisant les bras sur son torse.  

— Je pense que nous avons facilement une heure à deux heures de libre, à partir du moment où ils seront partis en balade. Je sais que c’est la gouvernante qui va les chaperonner… Quant à mon travail, il me faut juste encore m’occuper de Mademoiselle avant de pouvoir partir, mais le reste est fait. 

— Fort bien. Retrouvons nous quand ils partiront promener, alors. 

Kennan fit volte face et partit en direction des escaliers, laissant une Blaike souriante derrière lui. Elle n’eut d’ailleurs pas à attendre bien longtemps pour que Rosélia revienne du déjeuner et qu’elle puisse l’aider à se changer. Par dessus une belle robe en mousseline blanche, Rosélia enfila une pelisse en soie fine violette, à col haut et garni de dentelle. Des gants, une ceinture marquant le dessous de la poitrine et un beau chapeau complétèrent le tout. Blaike retoucha ensuite légèrement son maquillage avant de la laisser sortir, prête et absolument ravissante pour sa balade avec le marquis. 

Elle partit ensuite dans sa chambre chercher un manteau et ses affaires afin de sortir, prévenant son père qu’elle s’absentait un moment chercher des fleurs pour Rosélia. « Pas de bêtises », qu’il lui dit avec un petit sourire lorsqu’elle franchit la porte des employés, rejoignant Kennan non loin. Quelques minutes supplémentaires le temps qu’une calèche leur soit préparée et ils partirent en direction de la ville.

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