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MirandaFlanders
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Chapitre 8

 LA PLUIE S’ABATTAIT SUR LE TOIT DU MANOIR DE NOXMOURNE. 

Blaike s’affairait à la tâche depuis le matin ; les trous dans le toit laissaient passer des trombes d’eau qui venaient inonder les couloirs de la bâtisse, c’était la première chose à réparer pour rendre l’endroit un semblant plus accueillant. Elle avait donc fouillé toutes les armoires à la recherche de seaux à disposer en dessous pour récolter l’eau, le temps qu’elle parvienne à combler les trous. Certains vieux tapis indiens étaient tellement imbibés d’eau et de saleté qu’elle allait devoir s’en débarrasser, devenus des nids à moisissure et à de nouveaux écosystèmes douteux. Il y avait tant à faire pour rendre le manoir vivable qu’elle ne savait où donner de la tête. C’était à la fois stressant et motivant : ça lui donnait un but à atteindre et une occupation lui évitant de penser à ce qu’elle allait bien pouvoir faire de sa vie maintenant qu’elle avait été remerciée du service des Beauregard. Et juste penser à la réputation qu’elle allait maintenant avoir lui glaçait le sang. Comment retourner au service de quelqu’un, après tout ça ? 

Une goutte s’écrasa soudain sur son front, la sortant aussitôt de ses pensées. Ah oui, le toit. À quoi bon s’inquiéter de tout ça maintenant, alors qu’elle avait un toit - certes fuyant - sur la tête ? Ses quelques économies lui permettraient de vivre quelque temps sans trop s’inquiéter des vivres, tant qu’elle faisait attention. Alors chaque chose en son temps. Résolue, Blaike se retroussa les manches et se remit au travail. Éponger le sol, sortir les tapis, vider les seaux de temps en temps, débarrasser les toiles d’araignée, les feuilles et la boue qui s’étaient accumulées à l’intérieur… Sauf que tout ça était bien joli, mais le problème ne serait pas résolu tant qu’elle n’aurait pas colmaté les trous qui laissaient vagabonder la pluie à l’intérieur. Essuyant son front trempé de sueur, elle se mit en quête d’une échelle et d’une boîte à outils. Elle avait beau ne jamais avoir fait ça, elle savait que ça n’avait pas besoin d’être parfait ou particulièrement beau. Il n’y avait qu’elle, dans ce grand manoir, et elle ne comptait pas inviter qui que ce soit à l’intérieur pour le moment… 

Elle trouva le nécessaire après de longues recherches, dans un vieil établi situé en dehors du manoir. Les allers retours pour ramener l’échelle, les outils nécessaires et diverses planches de bois la trempèrent très rapidement, la laissant avec des vêtements froids et dégoulinants. 

— Fait chier, soupira-t-elle en marchant à grand pas dans la chambre qu’elle s’était choisie en arrivant. Elle se changea rapidement, enfilant une nouvelle chemise, propre et sèche, ainsi qu’un corset et une robe simple. Revenant sur ses pas, dans le couloir qui laissait passer vent et pluie, Blaike positionna l’échelle, marteau et planches en main, clous coincés entre les lèvres, et se mit au travail de réparer le toit. Ce n’était pas particulièrement difficile : positionner les planches pour recouvrir les trous, les clouer solidement, recommencer… mais c’était long à faire seule et elle ne se leurrait pas : réparer le manoir pour le rendre habitable, à la force de sa conviction et de ses bras, allait être un travail de longue haleine. Et la solitude avait beau ne pas être pesante, à l’accoutumée, ça lui faisait très bizarre d’être passée d’un environnement bourdonnant de vie, de majordomes lustrant la vaisselle, de femmes de chambre époussetant les meubles, des cuisiniers affairés derrière leurs fourneaux… à ça. À cette obscurité, à ce silence entrecoupé par des coups de marteau et le seul son de sa respiration. Ca lui rappelait à quel point la rupture avait été soudaine et inattendue : un jour, elle était avec ses parents et une ribambelle de domestiques à travailler, à rire, à vivre ; et le suivant, à partir, valises en main, sans savoir où aller ou chez qui crécher. Avoir trouvé un manoir inhabité dans des conditions relativement passables, ça revenait du miracle. 

Le vieux parquet sous ses pieds semblait de plus en plus instable. Chaque mouvement de Blaike faisait grincer le bois, comme s’il protestait contre l’occupation d’un corps trop lourd pour lui. De petites fissures s’étaient ouvertes çà et là, noircies par la moisissure, la poussière et l’humidité qui imprégnaient l’air. Des taches sombres sur les planches laissaient deviner une usure bien plus profonde qu’elle ne l’avait imaginé en arrivant. Le sol semblait sur le point de céder, comme si le manoir tout entier était en train de se vider de son essence, se fissurant sous les assauts du temps. Dans un coin, elle aperçut un petit amas de moisissure qui se propageait lentement, dévorant les joints entre les planches, et une odeur aigre montait du sol à chaque pas. Elle frissonna, consciente que ce n'était qu'une question de temps avant que l’édifice ne montre sa véritable fragilité.

Le sol craqua violemment et Blaike n’eut le temps de réagir qu’il s’ouvrit soudain sous ses pieds. Un cri de terreur s’échappa de sa gorge alors qu’elle chutait dans une pièce en dessous, s’écrasant lourdement contre un sol fait de pierres froides. La respiration haletante, les yeux ouverts comme des soucoupes, elle essaya de percevoir ce qui l’entourait, où elle était bien tombée, mais l’obscurité était presque impénétrable. Seul un trait de lumière coupait la noirceur, venant de l’étage d’où elle venait, et lui indiquait qu’elle devait se trouver dans une cave, ou une quelconque réserve. 

Expirant bruyamment de soulagement, Blaike prit quelques secondes pour s’assurer que tout allait bien avant de se redresser. Ses jambes lui faisaient mal et ses mains étaient écorchées d’avoir voulu se rattraper en tombant, mais ça avait l’air d’aller. Rien de cassé, heureusement. Observant la fissure au-dessus d’elle, elle se demanda un instant comment remonter, le manoir semblant avoir voulu littéralement l’avaler… mais une porte, devant elle, sembla lui indiquer la sortie. Peut-être menait-elle vers des escaliers pour remonter ? Elle ne rêvait que de retourner dans sa chambre se reposer et laisser à la Blaike du futur le soin d’investiguer les dégâts. En tout cas, une chose était sûr : le manoir était dans un état bien plus déplorable qu’elle ne le pensait. La moisissure était telle que le sol avait dû céder sous son poids, le bois ayant lâché après avoir tant pris l’eau. Ou peut-être avait-il déjà été fragilisé avant, du temps de ses anciens propriétaires ? 

Se dirigeant vers la porte close, Blaike l’ouvrit et découvrit une autre pièce, tout aussi sombre que la précédente. À la différence que celle-ci avait une fenêtre. La lumière de la lune filtrait à travers les carreaux poussiéreux et sales, illuminant… une forme indistincte. Elle se rapprocha doucement, un lourd sursaut la secouant lorsqu’elle s’aperçut qu’il s’agissait d’une personne. Attachée au mur par des chaînes épaisses. La lumière avait beau être légère, elle ne cachait rien au fait que la peau de la personne semblait brûlée, à vif, d’un rouge sanglant par endroit. De longs cheveux emmêlés dissimulaient le visage de la personne, agenouillée sur le sol froid. Prenant une inspiration difficile, Blaike s’approcha encore. Était-elle encore en vie ? Depuis combien de temps était-elle là ?  Une odeur de poussière, de vieux et de brûlé l’assaillit soudain, lui donnant un instant la nausée. Que fallait-il faire, dans ce genre de situation exactement ? 

— Est-ce que ça va ? 

Clairement pas. 

— Êtes-vous en vie ? Répondez-moi… 

S’approchant encore de quelques pas, le cœur battant à lui en fracasser les côtes, Blaike s’accroupit en face de la personne dans l’idée d’avoir une meilleure vision. Et soudain, la personne se jeta sur elle et une vive douleur lui lacéra le bras. Quelque chose venait de s’y enfoncer, des dents ? Elle hurla et se dégagea aussitôt, se précipitant contre le mur de la pièce, et la personne eut beau vouloir la suivre ses chaînes tintèrent et l’en empêchèrent. Elle croisa alors un regard qui n’avait rien d’humain, à la sclère noire et à l’iris rougeoyant.  

— Oh merde, qu’êtes-vous ? 

Tremblante, elle jeta un œil à son bras blessé qui pleurait de petits filets de sang. Deux marques de crocs bien visibles marquaient sa chair. 

La personne devant elle releva la tête, ses longs cheveux dissimulant son visage, mais elle ne manqua pas son petit sourire. Ni son regard, rivé sur elle comme celui d’un prédateur sur sa proie. Du sang maculait ses lèvres abîmées, le sien. 

— Enfin, répondit une voix rauque et basse. « Enfin… »

Parler semblait difficile, au vu du timbre rauque que l’homme avait. Il tira mollement sur ses chaînes avant de poursuivre.

— Détachez-moi, je ne vous ferai pas de mal.

Danger ou victime ? À en voir l’état de son propre bras, elle songeait davantage au premier. 

— J’en doute… 

Sous ses yeux, les brûlures de l’homme semblaient soudain moins profondes, d’une teinte moins violente. 

— Je ne vous ferai pas de mal, il répéta, ses épaules se baissant comme pour paraître moins dangereux que ce qu’il n’était. Mais Blaike n’était pas dupe… Agissant sur une pulsion, elle se précipita vers la porte, de l’autre côté de la pièce. 

— Ne partez pas… S'il vous plaît !

Malgré sa supplique, elle ouvrit la porte et s’empressa de monter les escaliers qu’elle trouva deux à deux, laissant derrière elle la silhouette brisée et enchaînée de la personne qu’elle venait de trouver.

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