Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
MirandaFlanders
Share the book

Chapitre 4

LES JOURS S'ÉCOULÈRENT PAISIBLEMENT AU MANOIR, DANS UNE ROUTINE RONDEMENT MENÉE. 

Réveiller Rosélia pour l’aider à se vêtir, ranger et nettoyer sa chambre, repasser et réparer ses vêtements, s’assurer qu’elle aie assez de parfum et de cosmétiques… Sa mère lui avait même donné la tâche de s’assurer que le garde-manger était toujours plein, le temps d’une semaine, toujours dans l’idée de la former petit à petit à reprendre son travail le temps venu. La seule particularité au milieu de tout cela, pour Blaike, était le marquis de Vergy : Depuis son arrivée, il n’avait de cesse de la suivre du regard, de la repérer même au milieu des autres employés alors qu’elle voulait se faire discrète. Elle n’avait pas eu de nouvelles discussions avec Kennan, à part quelques regards échangés lorsqu’ils se croisaient, mais elle hésitait à poser ce sujet sur la table pour lui demander s’il savait quelque chose. C’était un peu pesant. Heureusement, personne ne semblait y avoir fait attention, le marquis étant discret. Mais pas suffisamment pour que Blaike ne le remarque pas. 

Elle faisait donc particulièrement attention à bien présenter, aucun pli, aucune mèche qui rebique ; qu’on ne puisse rien lui reprocher. Ca n’empêcha pas Marinette de la confronter concernant les nouvelles responsabilités que lui donnait la gouvernante, visiblement peu ravie de cette différence de traitement entre elles. 

— Ce n’est pas parce que tu es sa fille que tu devrais avoir des privilèges !,  qu’elle lui avait dit en fulminant avant de repartir à son poste, sans lui laisser l’opportunité de répondre. Ce qui n’était pas plus mal car Blaike avait beau être patiente, elle n’hésitait pas à dire ce qu’elle pensait quitte à faire du mal à son interlocuteur. Et elle n’aurait eu aucune pitié pour Marinette. 

Mis à part cela, la journée se passa sans anicroche. Et, lors du dîner, son père leur fit savoir qu’une fête allait se préparer en l’honneur des fiançailles de Rosélia ; elle aurait lieu dans moins d’une semaine, le temps de recevoir tout le nécessaire pour les mets et les décorations. D’autres familles de nobles allaient être invitées et certaines resteraient pour la nuit avant de repartir le lendemain, il allait donc y avoir du pain sur la planche. Ça allait rendre les jours à venir intéressants, le baron invitait peu souvent autant de monde au manoir : ça allait être challengeant. Blaike espérait juste que Rosélia ne décide pas de mettre son plan à exécution en voyant que les fiançailles s’officialisaient auprès de l’extérieur. Elle ne lui avait d’ailleurs pas redit s’il y avait eu une discussion avec son père ou non, mais il valait mieux ne pas lui demander et la laisser venir d’elle-même sur le sujet. 

Après le dîner, Blaike s’extirpa à l’extérieur. L'air frais de la nuit était un véritable soulagement. Le ciel était dégagé et la lueur pâle de la lune faisait briller les pierres du jardin. Elle aimait ces moments de solitude après une journée interminable, où elle pouvait enfin respirer loin des regards curieux et des obligations.

Elle s'approcha d'un petit banc en bois près d'un vieux chêne, en espérant que l’isolement lui permettrait de chasser les pensées désagréables qui l’assaillaient, surtout celles concernant le marquis de Vergy. Depuis son arrivée, il ne cessait de la suivre du regard, la scrutant chaque fois qu'elle croisait son chemin. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à mal, qu’il s’intéressait trop à elle pour que ce soit normal. Comparé à Rosélia, elle n’avait ni statut ni beauté angélique à offrir, alors pourquoi ces regards insistants ? 

À peine installée sur le banc, un bruit de pas se fit entendre derrière elle. Blaike tourna discrètement la tête et aperçut une silhouette qui s'approchait dans l'obscurité. Quand on parle du loup, le marquis de Vergy. Elle ne pouvait pas le manquer, sa silhouette élancée et sa démarche élégante trahissaient sa noblesse. Lorsqu'il la remarqua, il s'arrêta quelques instants, et un léger sourire se dessina sur ses lèvres.

— Mademoiselle Blaike, salua-t-il. 

Elle se leva rapidement, polie mais consciente de son statut. 

— Monsieur le marquis. Elle s'inclina brièvement, évitant de croiser trop longtemps son regard. Elle savait qu'une domestique comme elle n'était pas censée se retrouver dans une conversation avec un homme de cette stature - fiancé de surcroît ! -, et surtout pas le soir en dehors du manoir. Elle se contenta donc de garder une posture respectueuse, prête à repartir.

Cependant, il ne semblait pas pressé de la laisser s’en aller. Il la regarda longuement, ses yeux fixés sur elle avec une insistance qui n'échappait pas à Blaike. Un frisson parcourut sa nuque, mais elle ne laissa rien paraître.

— Vous vous promenez sous la lune ? Il semble que la nuit vous préfère, mademoiselle, dit-il, son regard glissant le long de sa silhouette d'une manière qui, bien que polie, semblait beaucoup trop scrutatrice.

Blaike hésita un instant, avant de répondre par une simple formule.

— Oui, monsieur, l'air est agréable ce soir. J'apprécie un moment de tranquillité après une longue journée de travail.

— Je vois... Mais il faut avouer que vous avez l’air de travailler avec une aisance remarquable, répondit-il, un sourire subtil aux lèvres.

Elle baissa brièvement les yeux. Il était trop observateur. Trop curieux. C’était décidément étrange. Blaike se força à sourire poliment.

— C'est un travail comme un autre, monsieur. Il faut simplement savoir être discret. Elle se redressa légèrement, ses mains jointes devant elle, une posture qui lui permettait de se tenir droite tout en restant humble.

Le marquis demeura silencieux quelques instants, comme s’il pesait ses mots. Puis, d’un ton presque pensif, il ajouta, son regard cherchant le sien :

— Discrétion... Une qualité précieuse. 

Blaike, sentant une gêne grandir en elle, chercha à rompre cet échange. Elle tourna légèrement la tête, tendant l’oreille. Là, dans la pénombre, un bruit de pas se fit entendre, plus proche cette fois, comme si quelqu’un d’autre s’approchait ou s’éloignait du jardin. Quelqu’un pouvait les avoir vus, ou risquait de les voir. 

Elle se redressa un peu plus et, bien qu’un malaise flottait dans l’air, elle se résolut à rompre l'échange. Il était préférable qu’elle ne traîne pas davantage en la présence du marquis. 

— Je vous souhaite une bonne soirée, monsieur le marquis. Elle s’inclina une dernière fois, un peu plus pressée cette fois, avant de s’éloigner vers la porte du manoir.

Il la regarda partir sans dire un mot, son regard toujours aussi perçant, et Blaike sentit ses yeux sur elle même lorsqu'elle tourna les talons pour regagner l’intérieur. Elle se hâta de rentrer, la porte du manoir se refermant derrière elle dans un bruit sourd. Le calme et la chaleur de l’intérieur l’accueillirent et l’aidèrent à se détendre. L’échange avec le marquis avait été étrange et, décidée, Blaike se fit la remarque qu’elle chercherait à en parler avec Kennan le lendemain. Si quelqu’un savait quelque chose, ça devait être lui. 

Ses pas, plus silencieux que ses pensées, sur les tapis de l’entrée, elle rejoignit le couloir des employés et attrapa une bougie qu’elle alluma avant de se rendre dans sa chambre. Tout était plongé dans l’obscurité et, éclairée par la lueur de la flamme, elle ne tarda pas à y parvenir. Déposant la bougie sur la table de nuit, Blaike se dévêtit rapidement avant de plier ses affaires sur une chaise, le même rituel tous les soirs : son tablier, sa robe noire, son corset, sa chemise pour en enfiler une pour la nuit à la place… Et elle se retrouva bientôt sous les draps, bien au chaud dans son lit pour la nuit. 

Le lendemain, après s’être occupée de Rosélia (qui ne lui parla toujours pas d’une discussion avec son père), Blaike se mit en quête de trouver Kennan pour lui poser quelques questions. Tout le monde était assez occupé, entre les tâches quotidiennes et les préparations de la fête à venir, mais ce n’était pas encore le stress des derniers jours. Ils avaient le temps et ça se sentait dans la manière dont les employés travaillaient, efficacement mais à leur rythme. Avec un peu de chance, donc, le valet aurait quelques minutes à lui accorder. Elle n’eût d’ailleurs pas à chercher longtemps avant de le repérer : il se tenait dans la cour, en train de parler à un palefrenier. Il portait toujours son habit sombre, aux boutons argentés qui brillaient sous les rayons du soleil, et son regard affûté scrutait tout avec une attention particulière.

— Je vous prie de m’excuser, Kennan, si je vous dérange, commença Blaike, en se rapprochant de lui. « Auriez-vous un instant à m’accorder ? J’aurais une question à vous poser. »

Il l’observa quelques secondes, un petit sourire étirant ses lèvres. « Il semblerait que nous ayons peu de temps, mais je vous écoute avec attention, Blaike. »

Elle l'invita à s’écarter un peu plus loin dans la cour, et, après quelques secondes de silence, se lança :

— J’ai constaté récemment que le marquis semble s'intéresser particulièrement à moi. Est-ce que vous auriez une idée de la raison pour laquelle il semble si curieux ?

Il resta silencieux un moment avant de répondre, sa voix légèrement plus basse, comme s’il pesait chacun de ses mots.

— Le marquis est un homme curieux, certes, mais il a ses raisons. Il vous observe, en effet… Il m’a interrogé à plusieurs reprises au sujet de... de vos yeux. 

Blaike écarquilla les yeux, surprise. Le marquis n’était pas censé les avoir vu, ou même savoir. Cela signifiait que Rosélia, ou Kennan, lui avait parlé de leur qualité vairon. 

— Mes yeux ? Lui avez-vous dit ? 

— Oui, répondit-il, ses lèvres se pinçant comme s’il reconnaissait avoir fait une erreur, votre œil droit, ambré, et votre œil gauche, noir. Il trouve cela... intrigant. 

— Je vous avais dit que je désirais que ça reste secret ! Que je n’aimais pas que ça se sache. 

— Je ne pensais pas à mal, je vous le promets. 

Pour le coup, Kennan n’avait pas réfléchi, n’avait pas compris leur discussion. Blaike sentait la colère monter par vague mais se força à respirer calmement et à ne rien faire de ce que ses pensées lui suggéraient sur le moment. Elle poussa un profond soupir. 

— Est-ce tout ? Y a-t-il autre chose ? 

— Je ne saurais dire. 

Le regard de Blaike avait l’air honnête, elle ne poussa donc pas davantage. 

Blaike croisa les bras, inspirant profondément pour contenir sa frustration. Elle n’aimait pas cette sensation d’être observée comme une curiosité de foire, et encore moins l’idée que le marquis puisse nourrir une fascination pour quelque chose d’aussi personnel que ses yeux.

— Très bien, Kennan. Je vous remercie pour votre honnêteté. 

Elle se détourna, laissant le valet à ses pensées. Son humeur s’était assombrie, mais elle n’avait pas le temps de s’y attarder. Les préparatifs pour la fête de fiançailles demandaient encore beaucoup de travail, et elle ne pouvait se permettre d’être distraite. D’autant plus sous le regard appuyé et critique de Marinette, qu’elle sentait ne pas la lâcher. 

Les jours suivants furent un tourbillon d'activité. Le manoir bourdonnait d’excitation : les cuisiniers testaient des plats raffinés, les bonnes astiquaient chaque recoin et s’affairaient à dresser les chambres pour les invités. Blaike, de son côté, veillait à ce que tout soit en ordre, à la demande de la gouvernante, tout en s’occupant de Rosélia et de ses besoins. Cette dernière restait d’une humeur changeante, oscillant entre un calme apparent et des éclats de nervosité dès que le sujet de ses fiançailles était évoqué.

Ce fut la veille de la fête que Blaike sentit à nouveau ce regard pesant sur elle. Elle rangeait des linges dans un couloir adjacent au grand salon lorsqu’une voix grave s’éleva derrière elle.

— Vous semblez toujours aussi appliquée à votre tâche, mademoiselle Blaike. 

Elle se raidit avant de se retourner lentement. Le marquis de Vergy se tenait là, impeccablement vêtu, son expression indéchiffrable. Son regard parcourut son visage, s’attardant un instant de trop sur la mèche recouvrant son œil. 

— Monsieur le marquis, répondit-elle avec une inclinaison mesurée.

Il avança d’un pas, et Blaike eut l’impression que l’air s’épaississait autour d’eux.

— Je crains que ma curiosité vous ait mise mal à l’aise. Ce n’était pas mon intention. 

Elle pinça les lèvres, pesant ses mots avant de répondre.

— Un simple domestique n’a pas pour habitude d’attirer l’attention d’un noble, monsieur. 

Il esquissa un sourire.

— Vous êtes bien plus qu’un simple domestique, Blaike. 

Son cœur rata un battement. Pourquoi disait-il cela ? Était-ce une flatterie creuse ou y avait-il un sens plus profond derrière ses paroles ? Elle sentit un frisson lui parcourir l’échine, mais elle se força à garder contenance.

— Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, je n’aspire à rien d’autre que mon devoir. 

Le marquis la fixa encore un instant avant de s’incliner légèrement.

— C’est une qualité admirable. Mais parfois, le destin nous réserve des chemins que nous ne choisissons pas. 

Puis, sans un mot de plus, il s’éloigna, la laissant troublée. Blaike inspira profondément, tentant de calmer l’étrange sensation qui lui nouait le ventre. Elle ne savait pas ce que le marquis attendait d’elle, ni pourquoi il semblait si intéressé. Mais elle sentait que cela ne s’arrêterait pas là.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet