âđđđ đđđđđ - đđđđđđ đđđđ đđđđđđđđÂ
đđđđđđ đđđđđđ'đ đđđđđđđđđ
 đđđđ - đđđđâ
 - ŰȘŰłÙÙÙ ŰłŰ§Ű±ÙŰ©
 đls me tenaient les mains derriĂšre le dos, me poussant afin que j'avance. Mais les Ă©troits couloirs gris, bien trop lumineux, ne me donnaient pas envie d'avancer.
â  Avance putain ! m'hurla vivement un des hommes qui me tenait.
En guise de rĂ©ponse, je me suis retournĂ©e, un grand sourire tirant mon visage. Une lueur de dĂ©tresse effrayĂ©e passa dans son regard. Il relĂącha de suite la pression qu'il avait mise sur mon poignet. C'Ă©tait ridicule. Ils souhaitaient nous donner des ordres et s'occuper de nous, mais nous leur faisions peur. Ils avaient acceptĂ© de tels tafs Ă contrecĆur.
J'ai accĂ©lĂ©rĂ© le pas, pendant qu'ils tentaient de me retenir. Mais on ne retenait pas Tasnim Sariya. C'Ă©tait quand je l'avais poussĂ© qu'il aurait fallu me retenir. Et je savais oĂč j'allais, je n'avais besoin d'aucune escorte.
Finalement, j'arrivais Ă la salle oĂč ils cherchaient Ă m'amener depuis vingt minutes. On allait encore me prendre la tĂȘte parce que je les avais semĂ©s, mais tant pis, j'aimais bien. Sans qu'on m'ait invitĂ© Ă quoi que ce soit, j'entrais brusquement dans la piĂšce. C'Ă©tait chez moi une habitude et aprĂšs tout, c'Ă©tait normal ici.
â Vous vouliez me dire quoi de si important ? fis-je, encore sur le seuil de la salle.
La docteure me regarda d'un air peiné, comme à son habitude. Ces derniers temps, je la voyais beaucoup à cause de mon amaigrissement et de mes douleurs épigastriques impossibles à soulager.
A cĂŽtĂ© d'elle, assis, me toisait un homme qui avait l'air plutĂŽt grand, assez matte de peau, mais quand mĂȘme clair pour ĂȘtre des Emirats. Il ne semblait pas venir d'ici, oĂč les tempĂ©ratures Ă©taient des plus Ă©levĂ©es. Son visage ne portait pas sur lui le charme que les hommes du moyen- orient avait pour coutume d'avoir, ses traits s'apparentaient plus Ă ceux d'un maghrĂ©bin, et sa couleur de peau Ă©galement.
Je ne m'attardai pas plus que ça sur lui, alors que la docteure me tirait une chaise. Elle me tendit une pochette qui contenait plusieurs documents. Mes doigts glissÚrent doucement sur chacun des documents, caressant le papier velouté. Je débutait une lente lecture, soigneuse et intrigante, qui dans son entiÚreté concernait ma santé. Je pris le grand soin de ne sauter aucune ligne ni aucun mot.
Je finis de lire les quelques pages sous leurs deux regards. Doucement, je refermai la pochette et la posait sur mes genoux. Je ne savais pas si je devais me rĂ©jouir ou ĂȘtre sidĂ©rĂ©e, c'Ă©tait pour moi Ă la fois attendu mais choquant.
â Un an Ă peine ? interrogeais je, impassible, ne sachant toujours pas quoi ressentir.
â A peine.
Mon corps sursauta. Alors que je m'attendais à une réponse silencieuse en guise d'affirmation de la part de la médecin, l'homme avait pris la parole, de sa voix grave et rauque.
â Et la suite ? dis-je en faisant mine de rien, alors qu'en rĂ©alitĂ© j'Ă©tais complĂštement dĂ©stabilisĂ©e. Je dois finir mes 365 jours agonisante ici ? Qui aurait rĂȘvĂ© de mieux ?
L'homme me foudroya du regard et je rigolais intérieurement, amusée par son attitude. Il m'adressa un regard sombre, qui ne présageait rien de bon, et d'un geste de la main, il invita la femme en blouse blanche à sortir. Presque tremblante, elle obéit et il referma doucement la lourde porte de bois finement sculpté derriÚre elle. Il se mit face à moi, prenant place dans un siÚge noir.
â EnchantĂ©, Tasnim Sariya.
Il me tendit sa main, que je n'avais aucune envie de serrer. Je pris donc son bras pour le ranger en souriant.
â Ici les hommes ne touchent pas les femmes, le recadrais- je.
Il haussa ses sourcils bruns et arqués, faisant abstraction de ma remarque, en se calant bien au fond de sa chaise, toujours face à moi, croisant les jambes.
â Il ne vous reste que prĂšs d'un an Ă vivre, commença-t-il. Femme que vous ĂȘtes, personne n'a envie que vous dĂ©cĂ©diez ici. Ca fait dĂ©j-
â Va droit au but s'il-te-plaĂźt, l'interrompis -je soudainement, troquant le ton formel de ma voix contre un ton agressif et dictateur.
Sa voix, en à peine quelques mots, m'avait agacée, je n'avais que pour envie qu'il aille vite, surtout au vu de la situation dans laquelle je me trouvais désormais.
Il me regarda de travers, ce qui ne fit que m'amuser encore plus. Il virait pathétiquement au ridicule, alors que ne faisait que débuter.
â Vous ĂȘtes sĂ»re ? Je vous engage et vous dĂ©couvrez les derniĂšres vĂ©ritĂ©s de ce monde.
Un grand sourire vint déformer mon visage et un hurlement de rire jailli de ma poitrine à l'entente de sa phrase. Il l'avait dite avec tant d'aplomb que c'en était déconcertant.
â Comme on est dans un film amĂ©ricain c'est bien ! lui lançais -je, le dĂ©crĂ©dibilisant encore plus.
â Pourtant, vos anciens articles ressemblaient bien Ă des scĂ©narios de films amĂ©ricains.
Mon sourire, pourtant tiré jusque mes oreilles, disparu immédiatement à sa réplique. Comment savait-il ? Mon dernier article devait dater de plusieurs années, ayant été internée je n'avais pu en écrire d'autre. J'avais un passé connu de moi seule et d'Abu Dhabi, et lui qui ne semblait pas d'ici avait connaissance de cela. C'était plus qu'étrange, de surcroßt, je ne savais pas qui il était, mais lui savait bien en quoi je consistais.
Je soufflais fort, sous son regard froncé, qui attendait une réponse de ma part.
â Oui, mais c'est trĂšs clairement rĂ©volu. Je n'ai plus ni le temps, ni les moyens d'enquĂȘter sur les propos que je tenais.
â Je vous fourni les moyens, alors, et vous me donnez le temps qu'il vous reste.
Il se leva pour se mettre devant moi. Il devait faire au moins un mĂštre quatre-vingt, et, imposant, il se pensait intimidant et convaincant. Il n'avait mĂȘme pas pris la peine de faire des prĂ©sentations mais voulait presque m'imposer une chose.
â Vous saurez ce que vous avez toujours voulu savoir, insista-t-il.
â Et qu'est-ce que je dois faire exactement ?
â Ce que vous avez dĂ©jĂ fait une fois.
J'ai relevé les yeux, alors qu'ils étaient rivés sur le parquet. Mon visage entier devait refléter de l'incompréhension, ce qu'il dû remarquer :
â Vous avez tuĂ© un homme, vous pouvez bien en assassiner un millier d'autres.
Il m'avait lĂąchĂ© cette phrase, toujours aussi impassible. Elle Ă©tait sortie froidement, et aucune lueur reflĂ©tant un quelconque sentiment n'Ă©tait passĂ©e dans son regard. Il venait pourtant de faire une rĂ©fĂ©rence importante Ă un acte Ă prĂ©sent lointain pour moi. Qui Ă©tait -il et que savait-il de moi ? Avait-il Ă©tĂ© cherchĂ© l'Ă©vĂšnement qui avait donnĂ© lieu Ă mon internat, ou travaillait- il ici ? Avec cette seule phrase, il me montrait qu'il en savait dĂ©jĂ trop, alors qu'aux Emirats cette histoire Ă©tait dĂ©jĂ enterrĂ©e depuis quelques temps. Ou peut-ĂȘtre n'Ă©tait -il pas des Emirats ? Au vu de ses traits, c'Ă©tait tout Ă fait possible.
â C'est toi que j'vais tuer.
Mon agressivitĂ© le surprit, et sans qu'il ai eu le temps d'anticiper, je lui sautai Ă la gorge, le faisant tomber par terre. J'avais enfoncĂ© profondĂ©ment mes ongles dans la peau de son cou, cherchant Ă lui procurer la mĂȘme sensation qu'une lame venant lacĂ©rer sa chair. Mon corps Ă©tait sur le sien, et il hurla, tentant de me dĂ©gager alors que je m'agrippais Ă lui et lui donnait un coup.
Etant Ă force Ă©gale de la mienne, chose Ă©tonnante pour un homme de sa carrure, il ne parvint pas Ă se dĂ©faire. Il avait cru pouvoir m'imposer quelque chose, il avait cherchĂ© Ă jouer Ă la persuasion avec moi, alors que je ne savais mĂȘme pas qui il Ă©tait et que je ne lui devais rien. Je ne connaissais pas son nom, mais je voulais dĂ©jĂ l'Ă©liminer de la surface de la terre.
La porte derriÚre s'ouvrit à la volée, alors que j'étais sur lui. Nos deux chaises étaient tombées, ce qui avait dû faire un fracas abominable et alertant pour toute l'aile du bùtiment.
Je l'ai secouĂ© une derniĂšre fois avant de le lĂącher. Le pauvre, il s'Ă©tait retrouvĂ© face Ă une folle internĂ©e depuis deux annĂ©es, et alors qu'il frĂŽlait les deux mĂštres, il n'avait mĂȘme pas su se dĂ©fendre.
â En espĂ©rant que tu aies compris, lui lançais -je en me relevant d'une intonation Ă la fois moqueuse et satisfaite.
Sous le regard de la médecin, il se releva lui aussi et m'observa sortir de la piÚce. Je sentais son regard me tailler, me décomposer et s'interroger à mon sujet. Malgré cela, je retournai à ma chambre tranquillement, lui tournant le dos avec aplomb cette fois-ci sans escorte. C'était ma premiÚre rencontre avec lui, et elle s'était faite relativement rapide et violente.
Vingt bonnes minutes s'étaient écoulées depuis mon retour à ma chambre, et pourtant, mon esprit était toujours dérangé. Certes j'étais folle, mais autre chose me tracassait. Quelque chose de bien plus profond et personnel, liés à ma matinée .
" Vous avez tué un homme, vous pouvez bien en assassiner un millier d'autres."
Sa phrase était restée ancrée dans mon esprit, sans doute à cause de sa véracité. Si je devais refaire ce que j'avais fait, je le ferais sans hésiter à condition d'en avoir une raison .
" Mais Tasnim..."
Mes yeux, l'espace d'une fraction de seconde, s'Ă©taient refermĂ©s, laissant ces deux mots refaire surface. Deux mots prononcĂ©s de sa bouche, avec sa voix, et dont le souvenir Ă©tait restĂ© intact dans mon esprit. Deux mots dĂ©sespĂ©rĂ©s, deux mots qui avaient Ă©tĂ© amplement mĂ©ritĂ©s d'ĂȘtre prononcĂ©s.
J'ai frotté mes doigts les uns contre les autres, ressentant la sensation de la gùchette contre ma peau. Cette sensation ne disparaßtrait donc jamais ? Aurais -je encore l'occasion de la ressentir ? Ou cette sensation était -elle une condamnation à l'éternelle folie vengeresse ?
[...]
Un an à vivre. C'était tout ce qu'il me restait. J'en prenais seulement conscience maintenant, alors qu'on me l'avait annoncé dans la matinée. C'était une tragique vérité, mais qui était en vérité le mieux pour ma personne. Cela faisait bien deux années que j'étais enfermée ici, la plupart du temps entre les quatre murs de plùtre de ma chambre. A quoi bon continuer à vivre de la sorte ?
Ma vie Ă©tait monotone, et la seule couleur dont elle Ă©tait faite Ă©tait l'amertume, parfois nuancĂ© de haine ou mĂȘme d'ennui. J'Ă©tais chaque jour entre quatre murs, je ne sortirais sans doute jamais de l' enceinte de cet hĂŽpital. MalgrĂ© le fait que l'on vienne de me diagnostiquer quelques mois Ă vivre , personne ne viendrait me dĂ©livrer.
J'avais ouvert la petit fenĂȘtre, et il faisait nuit. La lune dĂ©filait, m'adressant sa lumiĂšre pour illuminer mes rĂ©flexions. Un vent frais venait agiter le feuillage des arbres et caresser mon visage. Comme Ă son habitude, le sommeil se faisait dĂ©sirer. Je promenais donc une Ă©niĂšme fois mon regard sur la piĂšce, alors que j'en connaissais dĂ©jĂ chaque dĂ©tail, composĂ©e d'Ă peine quelques meubles : une armoire, un bureau, un lit, et une table de chevet... sur laquelle Ă©tait posĂ© un bout de papier ?
Je n'avais aucun souvenir d'avoir laissĂ© quelque chose dessus en dehors de quelques comprimĂ©s que je ne prenais mĂȘme. Je n'Ă©crivais plus depuis plusieurs semaines, j'avais dĂ©laissĂ© mon journal intime dans une armoire, et il devait mĂȘme commencer Ă moisir, qu'est-ce qu'un petit bout de papier viendrait faire Ă traĂźner ici au milieu de mon traitement ?
Doucement, je me levais et m'en approchais. Je la dĂ©pliais prudemment, pour en dĂ©couvrir le contenu, qui n'Ă©tait que quelques mots griffonnĂ©s sur le papier rĂȘche, accompagnĂ© d'un nom et d'une ville.
" Il ne vous reste qu'un an, pourquoi le finir agonisante aux Emirats ? Les vĂ©ritĂ©s mĂ©ritent d'ĂȘtre connues. J'Ă©tais lĂ pour vous, soyez lĂ pour nous.
Abu Dhabi - Ben Sayour Ryan "
Il me fallut bien trois lectures pour saisir la totalité du contenu ainsi que son sens. C'était si étrange et ne signifiait en réalité pas grand chose pour moi.
" J'étais là pour vous, soyez là pour nous "
Qu'avait -il donc voulu dire par là ? Visiblement, ce mec était aussi atteint que moi.
J'observais fixement son nom. Ryan Ben Sayour. Il pourrait parfaitement correspondre Ă l'homme de ce matin, du fait que j'avais pu clairement voir sur ses traits qu'il n'Ă©tait pas originaire du golfe, ni mĂȘme des pays du soleil levant. D'ailleurs, la question ne se posait mĂȘme pas rĂ©ellement, c'Ă©tait forcĂ©ment lui. Du peu que j'en avais vu en quelques minutes, il n'y avait bien que quelqu'un comme lui pour Ă©crire un mot aussi tordu.
C'Ă©tait probablement un maghrĂ©bin, puisqu'il avait un Ben au lieu d'un Ibn. Qui plus Ă©tait, son nom me disait quelque chose. Je ne saurais pas dire quoi exactement, mais il m'Ă©tait lointainement familier. Mais c'Ă©tait un nom qui pourrait ĂȘtre qualifiĂ© de tout sauf de rare, peut-ĂȘtre avais -je dĂ©jĂ croisĂ© quelqu'un portant le mĂȘme.
Je détournai mon attention de lui pour recommencer à fixer la lune au dehors, elle avait bien plus de valeur à mes yeux que lui. Fatidiquement, j'écrasais du bout de mes doigts le bout de papier, le chiffonnant plutÎt, et le laissait tomber à terre, sur le carrelage de ma chambre.
" Les vĂ©ritĂ©s mĂ©ritent d'ĂȘtre connues..."
Je voulais les connaĂźtre. Elles avaient Ă©tĂ© ma raison de vivre, ces vĂ©ritĂ©s inconnues du monde entier. Elles avaient Ă©tĂ© mon obsession dans chacun de mes articles, Ă©crits trois ans auparavant, alors que j'Ă©tais une journaliste. J'avais Ă©tĂ© la risĂ©e de mon mĂ©tier, mais n'avait jamais dĂ©laissĂ© mes idĂ©es, tant j'en Ă©tais convaincue. Et mes convictions ne s'Ă©taient pas effacĂ©es, peut-ĂȘtre seulement estompĂ©es.
Soufflant, je revis mes mots sur le papier journal, mes articles que j'avais pris tant de temps à écrire et à argumenter, souvent commencés par " qui dirige réellement notre monde ? ". Je n'avais jamais vraiment répondu à cette question, et sans doute n'y trouverais- je jamais réponse.
Sauf si ce fameux Ben Sayour avait vraiment la possibilité de me permettre de résoudre cette énigme ? J'avais décliné fermement et catégoriquement sa pseudo -invitation à le rejoindre qu'il m'avait faite, alors allais -je finir agonisante aux Emirats sans avoir été au bout de ce que j'avais commencé ? Je n'avais plus que quelques mois devant moi, et j'avais refusé la promesse de tout découvrir.
Finalement, peut-ĂȘtre avais -je eu tort de le repousser comme je l'avais fait. Certes, j'aimais le conflit, mais j'avais agi trop vite avec lui. Il avait des moyens et moi je n'avais rien Ă faire de ma vie, je ne possĂ©dais aucune occupation si ce n'Ă©tait la marginalitĂ©, le conflit avec l'ordre bien Ă©tabli. Pourquoi avoir prononcĂ© un tel refus, exprimĂ© de cette façon violente et traumatisante ? De plus, il m'aurait sĂ»rement fait sortir d'hĂŽpital, et je ne voulais en aucun cas finir ici, agonisante avec mille et unes questions en tĂȘte.
Ma rĂ©action se comprenait, j'aimais tellement me trouver en marge de la sociĂ©tĂ©, et j'Ă©tais si facilement irritable, mais il fallait tout de mĂȘme, avant d'agir, un minimum rĂ©flĂ©chir, chose que je n'avais pas faite, et je commençais sincĂšrement Ă croire que je l'aurais dĂ».
Brusquement, je me levais de mon lit alors que j'Ă©tais jusque lĂ assise. Peut-ĂȘtre Ă©tait- il encore ici ?
Je pris la direction de la lourde porte de chĂȘne, que je savais pertinemment fermĂ©e. MalgrĂ© ça, je cherchais par tous les moyens de tourner la poignĂ©e vers moi. Mais la serrure Ă©tait conçue pour les gens de mon type, et ne lĂącherait pas facilement. Il n'y avait qu'une option pour sortir : la fenĂȘtre, que j'avais dĂ©jĂ empruntĂ© Ă de nombreuses reprises. J'y passais, en montant sur le bureau qui oscilla Ă mon poids, et atterrissait sur la terre humide, mouillant ma abaya dĂ©jĂ usĂ©e.
L'hĂŽpital oĂč j'Ă©tais possĂ©dait un grand jardin, qui s'apparentait mĂȘme plus Ă un parc et Ă©tait encerclĂ© de hauts murs surmontĂ©s de barbelĂ©s. Quand je ne trouvais pas le sommeil, je me dĂ©brouillais pour sortir et venir en faire le tour, puisqu'on nous y sortait rarement, et jamais de nuit.
Je me relevais et commençais Ă marcher. J'avançais, pensant Ă tout sauf vraiment Ă lui, les yeux fixĂ©s sur mes pensĂ©es, alors qu'Ă la base j'Ă©tais sortie dans l'espoir de le croiser. Mes dĂ©sirs, dans mon esprit, tendaient la main Ă mes convictions. J'Ă©tais dans un silence plein de rĂ©flexion, qui rapidement ne finit par ne plus en ĂȘtre un.
Des Ă©clats de voix avaient percĂ© ma bulle de rĂȘverie. Je m'arrĂȘtais pour tenter de les Ă©couter. La voix qui parlait me semblait... vaguement familiĂšre, grave et rauque. Elle parlait en arabe, dans un dialecte qui m'Ă©tait en revanche Ă©tranger. C'Ă©tait un dialecte plutĂŽt brutal, assez cassant, avec un accent grave, rempli de "wash" et de "k". Un dialecte maghrĂ©bin, Ă l'Ă©vidence. L'Emirati Ă©tait bien plus joli.
Mais un dialecte maghrébin et une voix que je connaissais ? Avais- je vraiment bien fait de sortir ?
DiscrĂštement, je m'approchais d'oĂč provenait la voix. Je me penchais un peu pour voir. Je ne m'Ă©tais pas trompĂ©e. C'Ă©tait lui. Que faisait -il encore lĂ Ă minuit au tĂ©lĂ©phone ? Intriguant, mais arrangeant. J'essayais de me concentrer pour comprendre ce qu'il racontait, mais cela m'Ă©tait quasiment impossible. Je ne saisissais que les mots de base que nos langues partageaient. J'avais compris qu'il parlait avec un homme, mais sans plus.
Finalement, il acheva sa conversation. Il souffla, sans se soucier du bruit qu'il pourrait faire. Je me décalais et le surprenais alors qu'il se retournait.
â Tu fais quoi ? l'interpellais -je vivement.
â C'est moi qui devrais te poser la question ! me cracha -t -il en plein sursaut.
Sa réponse avait été presque agressive, alors qu'il avait été plutÎt formel ce matin, sûrement sur le coup de la surprise.
â Je me balade c'est tout, je n'en ai donc pas le droit ? Et avant de retourner une question, on y rĂ©pond.
â Non, tu n'as pas le droit justement, Sariya.
â Et si je dĂ©cide de m'octroyer ce droit, en quoi cela t'impacte ? rĂ©pliquai -je fermement en ancrant mon regard dans le sien.
Il détourna le regard en quelques secondes, tant le mien était insoutenable, ce qui m'arracha un sourire intérieur.
â Donc toi tu fais quoi lĂ ? repris -je aprĂšs le vide qui s'Ă©tait installĂ©.
â J'avais juste une chose Ă rĂ©gler.
â TrĂšs loquace, me moquais -je en me rapprochant d'un pas.
â Recule, s'il-te-plaĂźt, aprĂšs tu vas encore me sauter dessus.
Il se décala, et le cou illuminé par la lumiÚre de l'astre nocturne qu'était la lune, je pu voir avec clarté que je lui avait infligé une sérieuse blessure au niveau du cou, ce matin, lorsque de mes ongles j'avais lacéré sa chair.
â D'ailleurs Ă propos de ça j'ai rĂ©flĂ©chi et -
â Avec ta tĂȘte tu es sĂ»re d'avoir rĂ©flĂ©chi, Sariya ?
Il m'avait coupée pour me dire quelque chose d'aussi stupide. J'étais de nouveau à deux doigts de le renverser, et d'approfondir la blessure qu'il avait. J'espérai sincÚrement qu'il ne l'ait pas désinfectée.
â Si j'ai trĂšs bien rĂ©flĂ©chi. Je n'ai aucune envie de finir seule aux Emirats. Je veux faire quelque chose de cette derniĂšre annĂ©e. Je suis prĂȘte Ă tuer de nouveau pour obtenir ce que je veux.
Il a cessé d'esquiver mon regard dans lequel on pouvait voir la ferveur qui appuyait mes paroles, pour m'examiner avec ses deux sourcils relevés et sa bouche crispée.
â Tu ne pourras pas faire marche arriĂšre, m'informa -t-il. Je te ferais sortir bientĂŽt alors, j'ai besoin de toi et tu n'as pas vraiment le choix.
â DĂ©jĂ ? fis-je avec un sourcil relevĂ© en faisant tant bien que mal abstraction de sa derniĂšre phrase.
â Oui, de toute façon plus personne ne veut de toi ici. Ni dans ce pays d'ailleurs.
â C'est vrai, il est grand temps que je m'en aille.
Il approuva du menton et me dit, presque ennuyé, comme saoulé de la conversation :
â Bon, si cela ne te dĂ©range pas je vais m'en aller. Je vais me promener comme toi, sauf qu'Ă ta diffĂ©rence, j'en ai le droit.
Il ressortit son portable et tapa quelque chose, un message sans doute. Je considérais irrespectueux qu'il se détourne de moi comme cela, mais aprÚs tout, je lui avais bien sauté à la gorge lors de notre premiÚre rencontre qui avait eu lieu ce matin. Je l'observais donc, remarquant qu'il possédait de grandes mains, mais dont aucun des doigts n'était paré d'anneau.
â Je peux venir avec toi ? questionnais- je alors que je connaissais dĂ©jĂ la rĂ©ponse, qui Ă l'Ă©vidence serait nĂ©gative.
â Non, va dormir c'est mieux pour toi. Peut-ĂȘtre quand tu seras sortie, mais pour le moment non. Tu vas encore me faire mal sinon.
â Tu es d'origine algĂ©rienne ? demandais -je en forçant mon visage Ă former une expression de dĂ©goĂ»t.
Je n'Ă©tais pas sĂ»re de ce que je venais de dire, mais son dialecte pouvait trĂšs bien ĂȘtre du darija, et ses traits s'apparentaient Ă ceux du Maghreb.
â C'est si facile Ă deviner ?
Je passais ma main plusieurs fois devant mon visage, et il comprit le geste.
â De plus, Ă ta maniĂšre d'ĂȘtre et ton dialecte arabe, c'Ă©tait aisĂ© Ă deviner, ajoutais -je.
Il haussa les sourcils, l'air de se demander sur quelle dĂ©traquĂ©e Ă©tait -il tombĂ©, alors que c'Ă©tait lui qui Ă©tait venu Ă moi. Il me tourna le dos, et je fis de mĂȘme en m'en allant doucement. En regardant derriĂšre moi, je pu voir sa silhouette s'effacer peu Ă peu dans la pĂ©nombre.
Je reprenais place dans ma chambre, rejouant ma conversation avec lui dans ma tĂȘte et parfois mĂȘme sur mes lĂšvres. J'avais une folle envie de crier et de causer du trouble, alors qu'ici il Ă©tait dĂ©fendu d'en faire. Mais j'aimais faire tout ce qui Ă©tait dĂ©fendu d'ĂȘtre fait. Si les limites des gens ordinaires Ă©taient l'interdit, les miennes Ă©taient inexistantes.
J'observais ma porte fermĂ©e Ă double tour. Ryan, lui, allait faire un tour, et moi j'Ă©tais enfermĂ©e entre quatre murs qui eux-mĂȘmes Ă©taient encerclĂ©s. Je comptais bien sortir cette nuit. Je me relevais, et cette fois-ci, forçait sur ma porte, la secouant presque.
Le bruit alerta vite puisque j'entendis des interrupteurs s'allumer. Je commençais à faire du tambour sur le panneau de bois et à crier. TrÚs vite, on déverrouilla ma porte. J'avais eu ce que je voulais, j'avais dérangé les gens et je n'étais plus enfermée.
â C'est quoi ton problĂšme encore, Sariya !
â J'en ai marreeeee !!!!! hurlai -je en guise de rĂ©ponse
Autour de moi, le chaos s'Ă©tait installĂ©. D'autres patients s'Ă©taient mis Ă taper contre les portes et les murs, certains mĂȘme criaient, j'avais encore Ă©tĂ© l'instigatrice d'un mouvement tapageur. Me concernant, deux hommes m'avaient saisie mais je me dĂ©battais.
â Calme- toi bordel ! me rĂ©pĂ©taient -ils sans effet.
Plus ils me le disaient, plus je m'agitais. La mĂ©decin de l'hĂŽpital Ă©tait elle aussi lĂ , mais n'agissait en rien face Ă ma crise. Elle s'Ă©tait mĂȘme reculĂ©e, et de par sa distance, je pu l'apercevoir passer un coup de fil. Je voulais entendre sa conversation, qui semblait intĂ©ressante puisqu'elle tentait de la faire discrĂšte, alors je cessais momentanĂ©ment mon vacarme, et rapidement celui des autres aussi s'arrĂȘta. MalgrĂ© tout, la seule chose que je pu comprendre fut : " viens la rĂ©cupĂ©rer".
J'étais à présent plaquée contre le sol, étant donné que j'avais cessé de me débattre.
â Reste lĂ cinq minutes, me dit la docteure, l'homme de tout Ă l'heure va venir te chercher.
â Ben Sayour ? fis-je, surprise sans vraiment l'ĂȘtre .
D'un mouvement de la tĂȘte, elle me dit que oui et s'en alla spontanĂ©ment. Je me dĂ©gageais des hommes qui me tenaient pourtant fermement et me relevais. Alors qu'il me ressaisissaient, je prenais la fuite, bifurquant vers la droite, dans un couloir silencieux. Je ne regardais pas oĂč j'allais, mon regard Ă©tait rivĂ©s sur le sol et mes pieds.
Cognant quelque chose - ou bien quelqu'un ?- je tombait à terre, m'écroulant sur le carrelage froid.
â Mais putain, toi !
J'ai relevé les yeux. C'était lui qui était au dessus de moi.
â Tu devais venir me chercher, au final c'est moi qui viens Ă toi et ça te mĂ©contente ?
â Bien sĂ»r que oui, je suis fatiguĂ©, j'avais pas que ça Ă faire de te gĂ©rer.
Je l'ai regardĂ©, avec la mĂȘme expression de dĂ©goĂ»t que dans le jardin, une dizaine de minutes auparavant. Il semblait bien que ma relation avec ce Ryan Ben Sayour allait ĂȘtre spĂ©ciale. Je devais maintenant travailler pour lui pour dĂ©couvrir les derniĂšres vĂ©ritĂ©s de ce monde, je devrais aussi tuer pour lui par la mĂȘme occasion, et nos rapports s'entamaient sur une base de sarcasme.
â Bon. Viens, je t'emmĂšne quelque part.
Il consulta rapidement son téléphone, alors que j'étais toujours par terre.
â OĂč ? demandais -je brutalement en me relevant sur mon douloureux sĂ©ant tant bien que mal.
â Tu verras. Ca va te parler tu vas voir.
Il n'avait donc pas fini de faire le mystĂ©rieux. Je me levais correctement, me remettant debout, et lui emboĂźtai le pas. Je marchais jusqu'Ă la sortie derriĂšre lui, le taillant. Il avait de larges Ă©paules, ce n'Ă©tait pas Ă©tonnant qu'il m'ait complĂštement renversĂ©e en me cognant, mĂȘme si ce matin, j'avais fait preuve de plus de force que lui. Il devait bien avoir trois tĂȘtes de plus que moi, et il avançait vite sans pourtant avoir le pas rapide. Une fois dehors, nous passions le contrĂŽle, qui Ă©tait sans doute au courant que je sortais, puisque Ryan n'eut rien Ă dire Ă mon sujet.
â Tu montes et me fait pas de dinguerie cette fois-ci, fit-il derriĂšre une RSQ3 en sortant les clĂ©s. Et tu pĂštes pas de crise une fois arrivĂ©e lĂ -bas.
Son langage s'était fait brusque et vulgaire, sûrement pour me percuter, mais ça ne faisait que plus me donner envie d'aller à l'encontre de ce qu'il avait établi.
â On verra.
Il m'ouvrit la portiÚre, ce qui une nouvelle fois me donna envie de le baffer. A quoi jouait- il ? Malgré tout, je ne m'offusquait pas et montait. Il prit ensuite la place du conducteur et démarra.
â Je peux toujours pas savoir oĂč nous allons ?
Il ne répondit pas, concentré sur la route.
Abu Dhabi Ă©tait illuminĂ©, toutes les tours en Ă©taient allumĂ©es. Voir la ville animĂ©e de cette maniĂšre m'avait manquĂ©. Ceux qui Ă©taient diagnostiquĂ©s psychopathes comme moi je l'avais Ă©tĂ© Ă©taient placĂ©s en hĂŽpitaux psychiatriques, chose normale, mais ces hĂŽpitaux s'apparentaient souvent plus Ă des prisons qu' autre chose, nous privant de nos libertĂ©s, nous canalisant sans nous rĂ©tablir. Cela faisait prĂšs de deux ans que j'Ă©tais internĂ©e, et mon internat m'avait plus semblĂ© ĂȘtre une captivitĂ©.
â C'est le quartier des affaires, fis-je en regardant Ă travers la fenĂȘtre.
â Oui.
â C'est lĂ que tu m'emmĂšnes ?
â Oui.
Je l'ai regardĂ©, commençant Ă comprendre. Ce quartier, Ă©tait pour moi bien plus que simplement le quartier des affaires de l'Ă©mirat, il avait une valeur personnelle, ancrĂ©e dans mon cĆur qui ne ressentait plus grand-chose Ă jamais.
J'ai continuĂ© de regarder les bĂątiments dĂ©filer. Tout depuis ce matin s'Ă©tait enchaĂźnĂ© trop vite, et j'avais la sensation que tout allait se poursuivre de mĂȘme, sans me laisser de rĂ©pit. Mais je n'avais plus qu'un an Ă faire, je tendais plus Ă considĂ©rer cette condamnation comme une bĂ©nĂ©diction qu'une maladie.
â C'est bon, tu vois oĂč nous sommes, maintenant ?
Il avait enfin dit une phrase de plus d'un mot. Je suis sortie de l'habitacle à la fin de sa phrase, observant tout autour de moi. Il était fou. ComplÚtement fou de m'avoir ramenée ici.