âđđđ đđđđđ - đđđđđđ đđđđ đđđđđđđđÂ
đđđđđđ đđđđđđ'đ đđđđđđđđđÂ
đđđđ - đđđđâ
Il Ă©tait complĂštement fou de m'avoir ramenĂ©e ici. Ces bĂątiments Ă©taient ma hantise depuis deux longues annĂ©es, en particulier un. Avançant, je me plaçai face Ă lui, qui demeurait si spĂ©cial Ă mes yeux. Il devait composer au minimum quinze Ă©tages. Quelques fenĂȘtres Ă©taient illuminĂ©es par-ci, par-lĂ , et j'avais du mal Ă croire que des gens habitaient vraiment ici aprĂšs ce qu'il s'Ă©tait passĂ©, deux annĂ©es auparavant. Ils ne craignaient sĂ»rement pas les drames, ni les retours de flammes.
Toute la façade du bùtiment était faite de vitre, alliant modernité et luxe en son architecture. C'étaient des chambres ou des salons qui possédaient comme dernier mur cette baie vitrée. Je scrutais en particulier le huitiÚme étage, qui avait été rénové, la vitre en étant de nouveau complÚte et luisante.
Ryan se mit Ă cĂŽtĂ© de moi. Il hochait de façon continue la tĂȘte, comme perdu dans ses pensĂ©es. Quant Ă moi, j'avais ressassĂ© de maints souvenirs en Ă peine quelques minutes. Des souvenirs accompagnĂ©s de sentiments, alors qu'il Ă©tait mort, ma rage envers lui, elle, Ă©tait belle et bien encore vivante.
Elle habitait mon coeur depuis tant d'annĂ©es, le consumant, faisant de moi sa proie, me poussant Ă d'innombrables actes innommables. Elle me semblait ĂȘtre Ă©ternelle, bien que ma vengeance m'eut satisfaite, elle ne s'Ă©tait jamais estompĂ©e. . Une rage, une haine, un ressenti sombre comme le ciel d'Abu Dhabi ce soir. Ce ciel Ă©tait la couverture des bĂątiments qui venaient le chatouiller, et il semblait ĂȘtre cette nuit un prĂ©sage de mauvais augure, teintĂ© de bleu et de gris au nuance malheureuses. Peut-ĂȘtre l'Ămirat avait-il ressenti ma sortie ?
Mes lÚvres, à cette pensée, se sont tordues dans un léger sourire, expression terrible de ma folie.
 " Mais Ali... Regarde-moi, je suis Tasnim Sariya, qui m'arrĂȘtera ? "
J'avais eu ce mĂȘme sourire lorsque j'avais prononcĂ© cette phrase. Une phrase prononcĂ©e au huitiĂšme bĂątiment de cet Ă©difice, une phrase qui avait signĂ© un arrĂȘt de mort, et un internat.
Ryan souffla, me tirant de ma rĂȘverie qui pour certains s'apparenterait plutĂŽt Ă un cauchemar. Mes doigts vinrent trouver une mĂšche de mes cheveux, et le bout de la manche de ma abaya voleta sous l'effet de la lĂ©gĂšre brise, alors que je pivotais lĂ©gĂšrement mon buste vers lui.
â Tu te souviens de tout avant ton internat ou pas ? me demanda-t-il presque soudainement.
â Pas de qui tu es, Ben Sayour. Parce que je sais bien que tu Ă©tais lĂ Ă un moment donnĂ©.
Ma rĂ©ponse avait Ă©tĂ© sĂšche et cassante, ce qui lui fit hausser les sourcils. J'avais l'air de l'agacer et ça me plaisait, cela m'enchantait mĂȘme. Qui plus est, il semblait s'irriter avec une grande facilitĂ©.
â J'Ă©tais l'avocat qui t'as dĂ©fendu alors qu'on rĂ©clamait pour toi la peine de mort.
Sa réponse avait été encore plus sÚche que la mienne, alors qu'il était difficile de faire plus sec. Sans répliquer, j'ai commencé à le fixer, pendant que son regard était concentré sur l'édifice, si concentré que dans quelques minutes, il aurait réussi à en ancrer chaque détail dans sa mémoire.
Autour de nous, Abu Dhabi s'Ă©levait, ses hautes tours nous surplombant avec dĂ©dain, contemplant nos deux personnes qui se lançaient quelques remarques, avec des tons froids et venimeux, comme l'air autour de nous. Nous respirions un air glacĂ©, qui tendait notre conversation, et ne faisait que renchĂ©rir mon dĂ©sir de l'irriter.Â
â Ce qui explique la phrase ' J'Ă©tais lĂ pour vous, soyez lĂ pour nous' sur le bout de papier ?
â Exact, fit l'AlgĂ©rien, la tĂȘte ailleurs.
â Et je dois t'ĂȘtre redevable ? me moquais -je, avec un rictus aigu.
Il ne rĂ©pliqua pas, prĂ©fĂ©rant serrer les dents, contenant son irritation. Un silence de mort s'installa entre nous et les secondes dĂ©filĂšrent de la mĂȘme maniĂšre que les voitures, malgrĂ© le fait qu'il devait bien ĂȘtre minuit passĂ©. Les Emirats Ă©taient vivants Ă tout heure, en particulier Abu Dhabi et DubaĂŻ, qui accueillaient de nombreux Ă©trangers. Des Ă©trangers visitaient, et d'autres s'installaient , comme des YĂ©mĂ©nites, aux peaux trĂšs mattes et aux yeux bruns.
â C'Ă©tait lĂ , lĂącha -t-il finalement, de façon affirmative et distante.
â Oui.
J'avais spontanĂ©ment compris ce dont il parlait. Alors, il savait mĂȘme oĂč cela s'Ă©tait passĂ©. Il prĂ©tendait ĂȘtre celui qui m'avait dĂ©fendu devant la justice, pourtant je n'avais aucun souvenir de lui, pas mĂȘme vague. Je n'avais mĂȘme pas le souvenir que l'on ait rĂ©clamĂ© la peine de mort pour moi, mais aprĂšs tout, cela allait dans la logique des choses, dans la loi Emiratie, le meurtre Ă©tait considĂ©rĂ© comme un crime capital, et la peine de mort y Ă©tait souvent appliquĂ©e, en particulier avec des motivations comme les miennes.
Une nouvelle fois, je baladais mon regard sur l'immeuble qui s'élevait devant nous. Je me souvenais à peine des lieux intérieurs, bien que j'aurai voulu m'en souvenir dans les moindres détails toute ma vie, ou tout du moins, ce qu'il m'en restait.
â On peut monter ? interrogeais -je subitement l'autre, qui rĂ©agit avec un sourcil levĂ© Ă ma question.
â Non, des gens ont reprit l'appartement. Tu ne voudrais quand mĂȘme pas faire une Ali Ă©dition deux ?
Cette fois-ci, ce fut moi qui leva un sourcil en le toisant avec dĂ©dain. Lui-mĂȘme, quelques heures auparavant, m'avait proposĂ© de tuer de nouvelles fois pour son compte, et maintenant, il se permettait d'utiliser le sarcasme avec mon crime.
â Tu ne voudrais quand mĂȘme pas ĂȘtre le Ali d'une Ali Ă©dition deux, Ben Sayour ?
Il ne rĂ©pondit pas, s'Ă©tant dĂ©sintĂ©ressĂ© de moi avec une notification. Il extirpa de nouveau son tĂ©lĂ©phone de sa poche, tout en s'Ă©loignant doucement de moi. Sur le clavier, il composa une nouvelle fois un message, qui de nouveau suscita mon intĂ©rĂȘt. Qu'avait-il donc Ă dire et Ă qui ? Je le connaissais depuis un un peu moins d'une journĂ©e, mais voilĂ que je cherchais dĂ©jĂ Ă m'immiscer dans sa vie. Toutefois, si je travaillais pour lui, j'allais bien devoir en faire partie.
Il revint à ma gauche, tenant encore son portable de sa main droite. Il en regarda attentivement l'écran, avant de toucher à un réglage sur le cÎté. Il le rangea ensuite, sous mes yeux qui le scrutait soucieusement.
Relevant la tĂȘte vers moi, il ouvrit la bouche, semblant vouloir agiter ses lĂšvres plutĂŽt pulpeuses, mais la referma. C'Ă©tait quelque chose que je dĂ©testais que l'on me fasse, aussi son action, eĂ»t-elle durĂ© quelque seconde, ne pu faire autre chose que m'agacer.
â Si tu as une chose Ă dire, dis- la, au moins tu en seras dĂ©barrassĂ©, l'exhortais- je vivement avec les bras croisĂ©s.
â C'est ici que tout a commencĂ© pour toi, hĂ©sita-t-il alors que j'approuvais son propos du menton. Mais peut-ĂȘtre que ça ne finira jamais. Ca pourrait s'Ă©tendre sur chacun des derniers mois qu'il te reste Ă vivre, mais avec moi, tu auras toutes tes rĂ©ponses. Et comme je te l'ai dit, aucune marche arriĂšre n'est possible...
Il mit son discours en suspension pour ancrer son regard vert aux reflets bruns dans le mien, presque d'émeraude et souligné de khÎl à la couleur charbonneuse :
â Es- tu rĂ©ellement sĂ»re de ce que tu fais, Tasnim Sariya ?
Sa question avait été prononcée gravement, accompagnée d'un froncement de sourcils. Avec son ton, il avait voulu montrer l'importance d'un tel questionnement, et il semblait douter de mon engagement pris une ou deux heures auparavant. Et je n'avais donc vraiment plus qu'une année à vivre. Une année pour trouver réponse à chacune de mes interrogations.
Je pris un instant pour dĂ©tourner le regard vers le bĂątiment. Abu Dhabi avait beau composer des dizaines et des dizaines d'immeubles, il n'y aurait jamais que celui-ci qui me marquerait rĂ©ellement, en particulier son huitiĂšme Ă©tage. Cet appartement Ă©tait pour moi un point de dĂ©part, mais aussi un point de non-retour. Il consistait en le lieu inoubliable ou j'avais tuĂ© le yĂ©mĂ©nite qui lui-mĂȘme m'avait ruinĂ©e. Un yĂ©mĂ©nite qui m'avait lui aussi apportĂ© des rĂ©ponses faisant naĂźtre de nouvelles rĂ©ponses. Et ma volontĂ©, Ă moi, Tasnim Sariya, Ă©tait de connaĂźtre toutes les vĂ©ritĂ©s que renfermait ce monde. A l'instar de cette planĂšte, elles seraient sĂ»rement laide, mais qu'importe, je voulais les dĂ©tenir, et ce mĂȘme sur mon lit de mort.Â
Je reposais mes yeux sur l'Algérien, qui demeurait toujours dans l'expectation d'un refus ou d'une approbation de ma part. Je forçais mes traits d'habitude inexpressifs à prendre un air sérieux, presque professionnel, afin m'accorder un peu plus de crédit face à son attitude souvent insolente, et pouvoir donner ma réponse.
â Oui, je suis sĂ»re et certaine de ce que je fais. C'est soit ça, soit l'agonie et l'asile.
Il approuva froidement du menton, puis baissa son regard sur le bitume. Cette fois-ci, non pas comme ce matin, ses yeux furent expressifs. Mais ils reflĂ©taient une Ă©motion complexe, incomprĂ©hensible, que mĂȘme moi, avec tout ce que j'avais pu ressentir tout au long de ma vie, Ă©tait incapable d'interprĂ©ter. Finalement, aprĂšs quelques secondes oĂč il sembla avoir Ă©tĂ© Ă©trangement propulsĂ© dans une dimension parallĂšle Ă la nĂŽtre, il releva ses yeux sur moi.
â Excellent choix, alors. Je t'emmĂšne donc autre part, me soupira-t-il, ayant perdu de sa vivacitĂ©.
â OĂč ? Je peux savoir cette fois-ci ?
â A Al Hakikah, rĂ©pondit-il briĂšvement.
Il plongea sa main dans la poche intérieure de sa veste pour en sortir les clefs de sa Audi. J'y remontais à sa suite. Du bout des doigts, je touchais la ceinture, hésitante. Finalement, je renonçais à la mettre.
â Mets-lĂ , m'ordonna Ryan, qui m'avait vu dubitative devant l'objet.
Avec une moue, j'obĂ©issais, ravalant mon envie de lui sauter une nouvelle fois dessus. A mes yeux, c'Ă©tait loin d'ĂȘtre important de la mettre, la sĂ©curitĂ© Ă©tait pour ceux qui craignait la mort et les blessures : les faibles.
Il attendit que je l'ai bien mise, pour tourner la clef d'un geste fatigué et quitter le quartier des affaires pour un coin plus banlieusard. Il avait dit qu'il m'emmenait à " Al Hakikah", qui signifiait " La vérité" en arabe. Avait-il fait allusion à un véritable lieu, ou simplement avait-il manqué de pragmatisme en voulant dire qu'il m'emmenait découvrir les derniÚres vérités de ce monde ?
Mes questions resteraient probablement pour l'instant sans rĂ©ponse, alors je fis l'effort de les laisser de cĂŽtĂ©. J'ai Ă©tirĂ© ma main, pour ensuite ouvrir le panneau devant moi pour regarder mon visage dans le miroir. J'avais les cernes creusĂ©es, mais cela ne m'Ă©tonnait mĂȘme pas, le tableau de bord affichait minuit 24, et j'avais l'habitude de peu dormir.
AprĂšs quelques minutes de route, la ville commença Ă se dĂ©construire autour de l'habitacle, les aires devinrent planes, et je les observais d'un oeil aiguisĂ©, mais intriguĂ©. Toute ma vie, c'Ă©taient les bĂątiments plus hauts les uns que les autres, chaque soir illuminĂ©s par toutes les fenĂȘtres et les Ă©miratis avec leur longues kanduras et abayas qui m'avaient bercĂ©s, alors voir mon Ă©mirat en campagne me perturbait fortement, surtout aprĂšs deux ans passĂ©s enfermĂ©e comme une bĂȘte de foire loin des gens.Â
Ryan se dĂ©concentra un instant de la route dĂ©serte et peu Ă©clairĂ©e pour me jeter un bref coup d'oeil, alors que je commençais Ă examiner toute les coutures de mon visage. Cela devait bien faire une annĂ©e que je ne m'Ă©tais pas vue de la sorte, ça m'Ă©tait presque Ă©tranger de me voir d'aussi prĂšs. Mes cheveux Ă©taient maintenus par un lĂąche Ă©lastique blanc, un peu crasseux , et ils Ă©taient emmĂȘlĂ©s. Les dĂ©tachant avec mal, je passais l'Ă©lastique Ă mon poignet en y faisant deux tours. Ils Ă©taient restĂ©s longs, mais s'Ă©taient abĂźmĂ©s, et durant mon sĂ©jour en hĂŽpital psychiatrique, j'avais dĂ» en perdre les deux tiers. Mes traits Ă©taient tirĂ©s, si tirĂ©s que l'on pouvait lire dessus d'oĂč je venais.
J'ai refermé le panneau, d'un geste brusque. Le tableau de bord affichait maintenant minuit vingt-sept, et l'autre conduisait toujours, les bras raides maintenu sur le volant. Il devait effectuer de maints efforts de concentration, son air fatigué le trahissait, ses cernes violacées ressortaient sur sa peau matte.
Nous avions complÚtement quitté la ville et son quartier des affaires pour la campagne, ou plutÎt la banlieue. Au cours de mon existence, j'étais peu sortie du centre d'Abu Dhabi, les champs et les grandes autoroutes peu fréquentées ne m'étaient pas familiÚres. Le paysage était plat et monotone, j'y préférais largement les hauts bùtiments de luxe et de modernité.
â Tu peux dormir, on a encore un quart d'heure devant nous avant de rentrer dans la ville pour arriver lĂ -bas, me lança l'AlgĂ©rien.
Il n'avait plus qu'une main sur le volant, l'autre Ă©tait Ă prĂ©sent posĂ©e sur sa cuisse, et il avait l'air plus dĂ©tachĂ© que quelques minutes avant. En l'occurrence, il avait mentionnĂ©e Al Hakikah comme Ă©tant un lieu, Ă©claircissant ma majeure interrogation et suscitant encore plus mon intĂ©rĂȘt, dĂ©jĂ bien grand.
â Je n'ai pas sommeil, lui rĂ©pondis-je.
Il sembla ignorer ma rĂ©ponse. Son portable vibra dans la poche droite de son pantalon noir, et il le sorti, de sa main du mĂȘme cĂŽtĂ©, s'occupant du volant avec la gauche. Il en regarda l'Ă©cran et souffla, ennuyĂ© de ce qu'il avait pu lire dessus. Il l'Ă©teignit et remit sa main droite sur le volant, prenant un virage.
â Tu regrettes, des fois ?
Sa question avait été hors sujet, détachée comme son attitude et son regard.
â Pour Ali ?
Il approuva d'un hochement de la tĂȘte.
â En toute sincĂ©ritĂ©, lui confiais-je, pas une seule seconde. J'ai le coeur bien plus lĂ©ger depuis ça? J'ai accompli ce qu'il fallait.
â Et pour sa femme ?
Sa seconde question avait été suivie d'une grimace, alors que la premiÚre s'était posée avec impassibilité.
â Non plus, Ben Sayour, le regret ne fait pas partie de moi et le remords encore moins.
â Je l'espĂšre, avec ce qui t'attends, tu ne devras pas Ă©prouver une once de ses deux sentiments.
Il mit un point final Ă la conversation avec cette phrase, prononcĂ©e fermement de sa voix rauque, puisque je n'y trouvai rien Ă rĂ©pondre. Laissant ma tĂȘte s'abandonner contre le siĂšge, je commençais Ă rejouer les Ă©vĂšnements de la journĂ©e dans mon esprit. Je rencontrais cet homme, puis je sortais d'hĂŽpital et je me retrouvais avec lui, dans un milieu inexistant d'Abu Dhabi. Je fermais les paupiĂšres, fatiguĂ©e, et poussait un long soupir qui dĂ» attirer l'attention de l'AlgĂ©rien. Quelques minutes aprĂšs, je les rouvrais. A l'extĂ©rieur, la ville avait ressurgi, les bĂątiments avaient repris en hauteur, mais n'Ă©taient pas trop serrĂ©s.
â On arrive bientĂŽt, m'apprit froidement Ben Sayour.
Un ou deux instants aprĂšs, il s'arrĂȘta devant un bĂątiment, un peu moins haut qu'au quartier des affaires. Il me fit descendre, et d'un long geste de la main, m'invita Ă le suivre, ce que je ne fis pas, j'Ă©tais bien trop absorbĂ©e par l'univers dans lequel j'avais Ă©tĂ© projetĂ©e.
Le quartier oĂč nous Ă©tions Ă prĂ©sent, consistait en un lieu bien moins riche et bien moins dĂ©veloppĂ© que ce que j'avais pu voir d'Abu Dhabi au cours de mon existence. Il Ă©tait aussi moins frĂ©quentĂ©, plus discret. Contrairement Ă beaucoup de choses aujourd'hui, il Ă©tait loin de m'ĂȘtre familier. Il rassemblait quelques groupes d'immeubles, dont quelques fenĂȘtres Ă©taient illuminĂ©es de jaune et de orange. Avec la lumiĂšre de la Lune, les ombres des Ă©difices subsistaient avec noirceur.
Ryan, lui, m'attendait d'un air complÚtement saoulé, mais je ne le rejoignis seulement que lorsque j'eu fini d'observer les alentours. Il se mit à mon niveau, et pour me faire avancer un peu plus vite, me poussa de temps en temps devant lui dans la pénombre silencieuse. Je rangeai mon envie de lui faire la moindre remarque, de peur de finir sur lui comme ce matin.
Rapidement, il pénétra dans le bùtiment, avec moi à sa suite. Je sursautai vivement à l'entente des échos de nos pas, qui l'avaient pourtant lui, laissé impassible. Alors que je me dirigeais vers les escaliers devant nous pour monter, il saisit vivement mon poignet et me tira vers lui.
â Mais lĂąche-moi !
Je m'étais écriée, presque de peur, tant il m'avait surprise avec son action. Il m'adressa un sombre regard menaçant, et me rendit mon poignet.
PlutĂŽt que d'emprunter les marches vers lesquelles j'avais bifurquĂ© quelques antĂ©rieures secondes, il en prit d'autres derriĂšre une lourde porte de mĂ©tal. Si j'avais estimĂ© que le bĂątiment composait une dizaine d'Ă©tages, il devait bien y en avoir le mĂȘme nombre en souterrain, tant les escaliers qui s'enfonçaient face Ă nous donnaient une impression de profondeur.
Ryan commença Ă en descendre les marches, sans plus de me prĂȘter d'attention que cela. Il semblait bien connaĂźtre les lieux, malgrĂ© combien les escaliers Ă©taient bancals, il s'y dĂ©plaçait aisĂ©ment, avec agilitĂ©.
Comme moi dans son appartement.
J'ai tournĂ© la tĂȘte une fraction de seconde, cherchant Ă chasser cette pensĂ©e qui avait jailli de mon inconscient. La comparaison Ă©tait pourtant juste, je m'Ă©tais mouvĂ©e de cette sorte lorsque j'avais accompli ce que je m'Ă©tais promis de faire, deux ans auparavant.
D'un revers de la main, j'Ă©cartais mes souvenirs pour reconcentrer mon regard sur les escaliers. Maladroitement taillĂ©s dans le marbre, nos pas y rĂ©sonnaient, de la mĂȘme maniĂšre que dans le hall. De sĂ©rieuses questions dĂ©butaient leur naissance dans mon esprit, avais-je rĂ©ellement bien fait de le suivre ? Mon envie de lui sauter Ă la gorge n'Ă©tait toujours pas passĂ©e, elle commençait mĂȘme Ă revenir, plus vivace et poignante.
Mais, Ă ma grande dĂ©ception, je n'eus pas le temps de rĂ©itĂ©rer l'action de la matinĂ©e, puisqu'il tourna enfin une poignĂ©e dorĂ©e. Le geste avait Ă©tĂ© prĂ©cipitĂ©, comme si il avait senti que quelque chose bouillonnait en moi, ou comme s'il avait eu hĂąte de retrouver je-ne-sais-quoi derriĂšre le lourd panneau de bois, sans doute du chĂȘne.
La porte s'ouvrit sur un somptueux hall, qui engendra immédiatement chez moi de grands questionnements et une agréable surprise. Alors que je m'attendais à un style de cave ou de souterrain lugubre et pouilleux en dépit du fait que nous soyons à Abu Dhabi, je me retrouvais face à une sorte de palais sous terre, qui pourtant ne m'inspirait guÚre confiance.
â EnlĂšve tes chaussures, m'ordonna Ryan
Le ton de sa voix avait Ă©tĂ©, non pas sec et distant, mais sĂ©vĂšre, chose que j'Ă©tais loin d'apprĂ©cier. NĂ©anmoins, j'obĂ©issais Ă sa consigne et en retirant ma paire de chaussons d'extĂ©rieurs, comparables Ă des UGGS, trempĂ©s Ă cause de ma sortie nocturne dans l'herbe humide de l'hĂŽpital psychiatrique. Mes pieds, chacun enveloppĂ© d'une fine chaussettes elles aussi mouillĂ©es, touchĂšrent le sol revĂȘtu d'un Ă©pais tapis d'un rouge presque sanguinolent. Tandis que lui, devant moi, fit de mĂȘme. Il ouvrit ensuite un placard Ă la porte coulissante, conçu directement dans le mur et en tira une paire de pantoufles, qu'il enfila rapidement.
â Viens, me commanda-t-il.
Il sortit du hall, qui donnait sur une grande piĂšce. Etant illuminĂ©e par un majestueux lustre, son ambiance Ă©tait de luxe, avec une puissante lumiĂšre blanche. Elle devait bien faire la taille d'un grand salon, et elle Ă©tait meublĂ©e. A ma droite, se trouvait un large comptoir, sur lequel Ă©taient posĂ©s quelques journaux. Ryan s'en approcha, marchant doucement. Il semblait faire attention d'ĂȘtre le plus discret possible.
Arrivé au comptoir, il feuilleta les pages de chacun des périodiques. Debout derriÚre lui, je le voyais en mettre certains de cÎtés, formant rapidement un petit tas.
â Tiens, Sariya.
D'un geste de sa grande main, il m'incita à venir prÚs de lui. Alors que j'arrivais à son niveau, il poussa vers moi la pile à présent composée d'une dizaine de journaux et de deux ou trois magazines. Hésitante, je saisis le premier et le retournai pour le consulter. Seulement aprÚs avoir lu quelques mots de la une, je me tournai vers Ryan, qui lui avait fini son tri.
â C'est quoi ça ? persiflais-je, Ă la fois surprise et colĂ©rique.
Il fronça les sourcils devant l'expression de mon visage. Mes pupilles entrÚrent en collision avec les siennes. Son iris vert et mordoré me guettait, une lourde menace y pesant, sa couleur assombrie montrant clairement son désir de me recadrer.
â Lis, tu sauras.
Il ne me donna que ces trois mots pour rĂ©ponse. Je n'eus donc d'autre choix que de m'exĂ©cuter. Je poursuivais furtivement ma lecture ; il n'avait pas menti en disant qu'il avait Ă©tĂ© l'avocat m'ayant dĂ©fendue. Il avait fait plusieurs gros titres et mĂȘme la une de " Abu Dhabi Noor", un journal que je connaissais bien. Un des journaux oĂč son nom ainsi que le mien avait Ă©tĂ© affichĂ©s en une datait de la troisiĂšme semaine du mois d'octobre 2018.
" Ryan Ben Sayour, l'avocat présent pour défendre Sariya".
Il avait occupé quatre pages de ce numéro, rédigées en anglais comme la majorité des articles de ce journal.
â Et tout ça est fidĂšle Ă la rĂ©alitĂ© ? demandais-je en laissant l'hebdomadaire retomber lourdement contre le bois lustrĂ©.
â Oui, pour la plupart.
Avec un haussement de sourcils, je regardais les autres unes du tas. Elles nous concernaient toutes, c'était sans doute pour cela que l'Algérien les avaient séparés du reste. Je me plongeai dans la lecture d'une des plus intéressantes, pendant que Ryan s'appliquait à passer subrepticement de l'autre cÎté du bureau. Il en revint avec un tabouret, qu'il me mit à disposition. Il retourna ensuite s'assoir en face de moi, bien qu'un peu en décalé.
Il ressorti son tĂ©lĂ©phone de la poche de son pantalon, pour recommencer Ă taper de multiples messages. Il paraissait en recevoir aussi, l'un deux lui arracha mĂȘme un sourire. J'ignorais, puisque me concernant, il me restait encore quelques lignes de lecture, que je pu largement finir le temps qu'il passa derriĂšre son Ă©cran.
A la fin de ma lecture, je remettais les journaux dans le tas, puis reposait lentement mon regard sur l'avocat. Il releva le sien de son Ă©cran qui lui illuminait la face d'une pĂąle lumiĂšre, ayant senti mes yeux le toiser. Lorsque nos iris s'entrechoquĂšrent de nouveau, il perçut mon incomprĂ©hension et mon effarement. En consĂ©quence, il posa son portable, l'Ă©cran contre la table. Il enleva mĂ©thodiquement sa veste et les clefs qu'elle contenait clinquĂšrent lorsqu'elle atterrit sur la table. De la mĂȘme maniĂšre, il retira sa chemise d'un blanc cassĂ© immaculĂ©, pour se retrouver en large t-shirt noir, le vĂȘtement rejoignant sa veste.
Il étira ses bras vers l'arriÚre, sollicitant activement ses larges épaules. J'attendis qu'il eut fini pour recommencer à le toiser.
â Tu as fini, Ben Sayour ?
Il me répondit par un regard sombre comme les précédents, alors que je l'avais interrogé avec dédain.
â Donc tout ça c'est vrai ? enchaĂźnais-je sans ĂȘtre plus attentive que cela a son Ă©ventuel agacement.
â Je t'expliquerai la suite demain, pour le moment va dormir.
Tout cet étirement pour une phrase de la sorte. Il souhaitait sans doute une nouvelle agression, alors que la marque que je lui avais faite était déjà flagrante.
Sans me laisser le temps de répliquer, il se releva et me fit signe de le suivre. Il emprunta de nouveau des escaliers, toujours cachés derriÚre une porte. Ils étaient cette fois ci bien moins lugubres et bien plus courts. Ils débouchaient sur un autre long couloir. Arrivés en bas, Ryan me passa devant lui et me guida en posant ses mains sur mes deux épaules. Je me crispai à son acte, qui m'avais fortement dérangée. Il créait de l'ambiguïté pour rien, à quoi bon me tenir de la sorte ?
Je tentais de me dégager, mais il faisait preuve d'une force nouvelle, que je ne lui avais pas connu ce matin.
â Ne me tiens pas comme ça !
Au lieu de m'obéir, il ajouta de la pression sur mes muscles.
â Eh Ă©coute, Sariya. Ici c'est pas ton hĂŽpital, c'est Al-Hakikah. Je ne peux pas me mettre de te laisser faire une folie. Je ne peux pas te lĂącher et prendre le risque que tu ailles te balader mais je ne veux pas non plus te faire de mal.
Il s'était penché prÚs de mon oreille, et tout mon corps s'était crispé à l'entente de sa voix. Ses lÚvres avaient été si proches de moi et son ton si distant et menaçant, à la limite de l'injure. Je recommençais donc à avancer.
Ryan me fit repasser par une autre grande salle, jusqu'Ă m'emmener devant une grande porte, qu'il ouvrit en me poussant lĂ©gĂšrement. Tout le long de mon trajet, mon habit dont je me considĂ©rais tout de mĂȘme Ă©lĂ©gamment vĂȘtue bien que faisant tĂąche dans tout ce luxe, n'avait cessĂ© d'Ă©pouser le sol.Â
â Tiens, ça c'est Ă toi, Sariya.
Je le regardai d'un air interrogatif, et il me fit pĂ©nĂ©trer dans la piĂšce. C'Ă©tait une grande chambre, voire mĂȘme une suite, puisqu'il y avait un autre battant dans le mur. Pour le moins que l'on puisse dire, tout Ă©tait luxueux, le changement avec l'hĂŽpital psychiatrique Ă©tait aussi étonnant que radical.
â Tu fais partie de nous maintenant, donc tu as ta piĂšce, juste sois un minimum propre. Normalement tu as de quoi t'habiller dans la garde-robe
, ajoutai-t-il en désignant un placard.
J'approuvai du menton, sans vraiment ĂȘtre attentive aux meubles composant la chambre, pourtant imposants. M'asseyant sur le bord du lit, je fermais les yeux, frĂ©missante, en proie Ă une profonde fatigue . J'entendis Ryan refermer la porte, aprĂšs avoir jetĂ© les clefs sur la coiffeuse et je soupirais. Je sentis mon corps s'alourdir, et bientĂŽt je ne le sentis mĂȘme plus. Je m'Ă©tais assoupie.
[...]
â Tasnim, lĂšve toi !
â Hum...
Je me retournai, encore lourde, sentant à peine mes membres. Une voix grave était venue me lever. J'ouvrais difficilement les paupiÚres, le regard distordu par la fatigue. C'était un homme aux yeux vert, brun et au teint matte qui se tenait devant moi.
Ryan. Ben Sayour. L'avocat. Qui conduit une RSQ3.Â
â LĂšve-toi, prĂ©pare-toi et remonte, m'ordonna-t-il lorsqu'il constata que j'avais enfin ouvert les yeux.
Il ressortit directement aprÚs m'avoir donné cette consigne. Je m'exécutais, ouvrant la garde-robe dont il m'avait parlé la veille. J'y trouvais une ample abaya noire au col roulé et un trÚs long kimono satiné d'un rose assez pùle, certes simple, mais discret et agréable à porter. Je les enfilai et sortis de la chambre qui m'avait été attribuée.
Je repris les escaliers au bout desquels l'AlgĂ©rien m'avait tenue par les Ă©paules la veille. Ils me semblaient plus angoissants Ă prĂ©sent, et mĂȘme, plus archaĂŻques. Si j'avais bien tout compris, ici, c'Ă©tait Al-Hakikah. Je n'avais jamais pĂ©nĂ©trĂ© dans un lieu qui dĂ©gageait autant d'aisance et de pouvoir, il y avait des tableaux, et les marches Ă©taient taillĂ©es dans le marbre noir et or.
Durant mon retour Ă la piĂšce qui disposait du comptoir, je pris grand soin d'examiner chaque dĂ©tail des lieux. Je faisais mĂȘme fi du bruit qui rĂ©gnait Ă prĂ©sent, les Ă©tages frĂ©missaient et je ne le remarquais que tard. Cela me perturba, mais ne m'empĂȘcha pas de revenir Ă la salle d'hier. Ryan m'y attendait, en face d'une grande femme au visage encadrĂ© d'un foulard culturel et au teint , elle aussi vĂȘtue d'un kimono, tandis que lui l'Ă©tait d'une grande djellaba blanche aux dĂ©tails tissĂ©s, reflĂ©tant ses origines.
Mais leurs airs graves m'interpellÚrent, et de par eux, je ne lançais aucune pique à l'Algérien, mais plutÎt imitait leur expression. L'avocat avait dans sa main, tenu fermement, le numéro d'Abu Dhabi Noor du jour.
Il me le tendit avec un soupir, et nos noms, en grand sur la une, me frappÚrent directement. En la lisant, je compris pourquoi l'allure de ses traits était si crispée.
â Il n'y a plus que moi Ă qui l'on veut du mal, Ă ce que je vois, commentais-je, avec une pointe d'amusement.
â Tu vois bien.
Mes sourcils sautĂšrent, Ă l'entente de la voix de la femme, et Ă la lecture de l'article.
â IntĂ©ressant..., soufflais-je en commençant Ă lire le texte en petit caractĂšres.Â