âđđđđđđđđ đâ
âđđđ đđđđđ - đđđđđđ đđđđ đđđđđđđđ
đđđđđđ đđđđđđ'đ đđđđđđđđđ
đđđđ - đđđđâ
- ŰȘŰłÙÙÙ ŰłŰ§Ű±ÙŰ©
" đČđđđđ đđđ đ đđéé đđ đđđđ đđ đđ đđđ đđđđ đđ đđđđ đđđđđđ Ă đ'Ă©đđđđđđ đđ đđ đđđđ đđđ đđ đđđđ đđđđđđđđđđ đđđ Ćđđđđđ đđđ đđđđ đĂ©đđđđđđđđ. đžđ đđđ đđ đđđđ-đżđđđđđđđ, đđ đđĂšđ đČđĂ©đđđđ. "
đđđđđđđ đŒđœ, đ đđđđđ đž
Je quittais mon pays, ma natalitĂ© pour m'envoler vers le crime. Ce dernier rimait pour le moment avec rĂ©ussite et vĂ©ritĂ©, j'y trouverais rĂ©ponse Ă tout, bien qu'il y aurait Ă l'Ă©vidence une contre- partie, que j'Ă©tais prĂȘte Ă payer. J'Ă©tais loin de savoir si je reviendrais ici, mais j'avais marquĂ© les Ă©mirats, et marquerais le monde entier, dans la limite du temps qu'il me restait Ă vivre.
Quelques mois. C'Ă©tait ce que j'avais pour mener Ă bien mes missions, et tout dĂ©couvrir. Le temps m'Ă©tait comptĂ©, tout Ă©tait allĂ© vite jusqu'ici, ce qui Ă©tait en ma faveur, et je ferais en sorte que tout le reste aille aussi vite. J'Ă©tais Tasnim Sariya, qui pouvait donc m'arrĂȘter ?
Ryan et moi Ă©tions au guichet, oĂč nos identitĂ©s Ă©taient contrĂŽlĂ©es. Je sentais des regards sur nous, aussi bien sur moi que sur lui, mais je n'en avais strictement rien Ă faire. Ca ne faisait que tĂ©moigner de la peur qui Ă©manait de ma personne et mon passĂ©.
Peut-ĂȘtre Ibn Hillal Ă©tait elle lĂ , avec sa collĂšgue sĂ©nĂ©galaise, Ă nous guetter, pour encore nous prendre en photo. Je me demandais ce qu'elle pourraient inventer Ă notre sujet, sĂ»rement un voyage aux Maldives ? A cette pensĂ©e, je ricanais intĂ©rieurement. C'Ă©tait si pathĂ©tique de vouloir inventer des vies aux gens de la sorte pour se faire remarquer. Ibn Hillal, de ce que j'en avais aperçu, jouissait dĂ©jĂ d'une forte popularitĂ© Ă travers les Ă©mirats, bien qu'elles soit essentiellement connue Ă Abu Dhabi.Â
On cherchait Ă me faire passer pour la bĂȘte de foire que je n'Ă©tais pas, en oubliant de me prendre pour la psychopathe que j'Ă©tais rĂ©ellement. J'Ă©tais le danger principal des Ă©mirats, au lieu de s'occuper des dĂ©pendances Ă©conomiques au pĂ©trole et au gaz, des vĂ©ritables sujets d'actualitĂ©, des touristes non respectueux de nos cultures, les mĂ©dias voulaient s'occuper de mon cas, calmĂ© depuis un certain temps, alors qu'il y avait bien plus important.
AprÚs le guichet, nous passions à la douane. Il était six heures moins cinq. Nous n'allions pas tarder à embarquer. Ryan adressa une salutation au douanier, qui la lui rendit avec un sourire. L'avocat semblait avoir des contacts de partout, quoique, en avoir un à la douane d'Abu Dhabi était essentiel, surtout lorsqu'on avait des activités mitigées comme les siennes, tirant entre défense du bien et illégalité pour parvenir à des fins personnelles.
â C'est bon, Sariya, on est tranquilles.
Ben Sayour Ă©tait serein, pour quelqu'un qui s'apprĂȘtait Ă faire passer une autre personne par sa volontĂ© dans un rĂ©seau criminel Ă l'autre bout du monde. J'Ă©tais tout de mĂȘme aussi volontaire que lui, il me fournissait des moyens dont je ne pouvais pas me passer. Sa froideur ainsi que son dĂ©tachement Ă©taient impressionnants, il se dĂ©robait de la situation aussi vite qu'il pouvait s'irriter.
Il s'assit sur une banquette rouge, s'y affalant presque. Il semblait fatiguĂ©, tout comme moi je l'Ă©tais, mais lui n'Ă©tait pas gĂȘnĂ© de le montrer et ne tentait mĂȘme pas de rĂ©sister Ă sa condition physique. Il me tendit mon ticket, quand je fus assise Ă cĂŽtĂ© de lui. J'y regardais le numĂ©ro du vol, avec attention afin d'ĂȘtre certaine de ne pas le louper. Je ne pouvais pas compter sur lui pour ĂȘtre Ă l'affĂ»t, en lui jetant un simple coup d'oeil, je pu constater que ses paupiĂšres se fermaient sans qu'il tente de faire face Ă sa somnolence. Il avait Ă©tĂ© capable de faire face Ă la justice pour me dĂ©fendre, ayant soi-disant trouvĂ© ma peine immorale, mais Ă©tait incapable de tenir tĂȘte Ă lui-mĂȘme.
Me charger d'ĂȘtre attentive Ă l'annonciation du vol que nous allions prendre Ă©tait comme prendre une responsabilitĂ©, en fait, ça l'Ă©tait. Et ça me dĂ©mangeait terriblement de le rater en le faisant exprĂšs, je prenais la responsabilitĂ© de faire l'inverse contre mon grĂ©. J'avais mĂȘme envie de laisser la chose de cĂŽtĂ©, mais ce n'Ă©tait pas dans mon intĂ©rĂȘt, j'en avais d'autres Ă remplir, alors il fallait bien que je sois Ă l'Ă©coute pour ne pas rater le vol.
Il fut annoncé un peu aprÚs, alors que Ryan avait les paupiÚres fermées. Je l'observait en posant sur lui un regard qui se voulait dégoûté. Avec une moue, je le secouais par l'épaule d'un geste de la main qui sollicita pourtant tous les muscles de mon bras. Il était plus lourd qu'il n'en avait l'air.
â Tu n'aurais pas l'impression qu'il est l'heure d'y aller, non ?
Je tapotai mon index contre mon poignet, mimant le geste de dĂ©signer l'heure sur une montre, alors que je n'en possĂ©dais pas. Il souffla et se releva, en s'Ă©tirant mĂȘme un peu. Il avait vraiment rĂ©ussi Ă s'endormir affalĂ© dans un aĂ©roport bondĂ©. A sa place, le brouhaha ambiant m'en aurait empĂȘchĂ©, mais visiblement ça ne l'avait pas dĂ©rangĂ©, et ma compagnie encore moi.
La montée se fit silencieusement, sans doute n'était il pas sorti du coma dans lequel il était tombé. Nos places étaient à cÎté, et nous n'étions environ qu'une vingtaine de personnes dans l'avion. L'escale se faisait à Paris, la plupart devaient descendre là -bas. Voyager d'Abu Dhabi à Rotterdam était plutÎt quelque chose d'étrange et peu fait.
J'Ă©tais assise du cĂŽtĂ© de la fenĂȘtre, par laquelle j'observais la piste de dĂ©collage. Ryan retomberait sans doute dans un profond coma dans les minutes qui venaient. Il somnolait dĂ©jĂ , la tĂȘte contre le moelleux siĂšge. Il avait pris les billets de la classe la plus haute, mais au vu de la luxure son organisation, je n'Ă©tais mĂȘme plus surprise.
Dix. C'était le nombre d'heures qu'il me restait avant d'arriver à Rotterdam, comme il me l'avait promis. Au début, j'avais trouvé l'avocat louche, il me parlait de vérité et utilisait mes propres idées pour me convaincre, mais j'avais vu qu'il tenait ses promesses et qu'il ne mentait pas. Je l'avais mis à terre dÚs notre premiÚre rencontre, sûrement cela influait -il sur le respect qu'il manifestait à mon égard.
Il m'avait ramenĂ©e en bas du bĂątiment oĂč j'avais tuĂ© Ali. Je m'Ă©tais revue haut huitiĂšme Ă©tage, le poussant d'une main vers l'abĂźme, guidĂ©e par la soif de vengeance et la haine. J'avais converti ma tristesse en ce dernier sentiment, pour achever comme il m'avait tuĂ©e intĂ©rieurement.
Il ne fallait pas mourir pour perdre la vie, c'était lui qui me l'avait enseigné. Et maintenant, j'étais sous les vibrations d'un avion ayant pour destination Rotterdam, ayant retrouvé une existence, sans pourtant y reprendre goût. Tandis que lui était six pieds sous terre, ayant amÚrement payé le prix de ses actes.
J'avais plongé dans une profonde réflexion, aussi profonde que le coma dans lequel avait sombré Ryan. J'allais de nouveau sombrer dans la haine et le crime, lui préférait dormir, c'était chacun son domaine d'expertise. Je pensais que nous aurions l'occasion de parler et que durant ces dix heures je pourrais améliorer encore ma répartie, mais je m'étais trompée, il s'était endormi, désarticulé comme le cadavre de ma victime d'il y a deux ans.
Je l'observais, ancrant chacun de ses traits dans ma mĂ©moire. J'en profitais, endormi comme il Ă©tait, il ne pouvait pas sentir mon regard le scruter dans les moindres dĂ©tails. Ses paupiĂšres Ă©taient closes sur ses yeux que je savais bruns, quelques fois avec des lueurs vertes, et ses cheveux, qu'il n'essayait encore moins de boucler qu'il n'essayait de lutter contre sa fatigue, lui tombaient sur le front, cachant en partie ce dernier ainsi que ses sourcils.Â
 Il Ă©tait un avocat diplĂŽmĂ© des Ă©mirats arabes unis, dĂ©tenteur d'un doctorat, et se retrouvait avec moi dans un avion ayant pour destination finale Rotterdam aux Pays-Bas, aprĂšs m'avoir dĂ©fendue. Il s'apprĂȘtait Ă me faire passer dans une mafia europĂ©enne plus ou moins rĂ©putĂ©e, avec aplomb et confiance en lui. Je doutais fortement de ses vĂ©ritables intentions, mais si il nourrissait mes intĂ©rĂȘts, je n'avais aucune raison d'aller Ă son encontre.Â
Je n'avais quasiment plus de batterie sur mon portable, que je ne savais par oĂč charger, je n'avais mĂȘme pas avec moi mon chargeur. Le sommeil n'Ă©tait pas prĂšs de moi, si on exceptait la prĂ©sence de Ben Sayour, et je savais aussi qu'il ne viendrait pas, ce seraient 7 heures tortionnaires.
J'espérais que l'Algérien ne dorme pas tout le trajet. Une forte envie de tirer son téléphone de sa poche me démangeait, il en dépassait un peu. Je délaissais pourtant l'idée, l'action risquerait de le réveiller, je ne devais pas prendre le risque. J'avais déjà eu l'occasion de faire un tour dans l'appareil, la veille, lorsqu'il était descendu chercher à son bureau la brique de feuille que j'avais refusée de lire. Il avait dans sa messagerie, de nombreux numéros non- répertoriés et beaucoup de dossier à gérer. D'aprÚs mes connaissances, il plaidait souvent, avec ardeur et volonté, et se déplaçait au quatre coins du monde pour son activité.
Il dĂ©fendait le bien, ordonnait le convenable et condamnait le blĂąmable, mais s'apprĂȘtait pourtant Ă me faire passer dans un rĂ©seau mafieux particuliĂšrement dangereux et actif dans le monde criminel. L'ambition d'un homme ne devrait jamais dĂ©passer ses valeurs. Il fallait qu'il l'apprenne, autrement et contrairement Ă moi, il finirait par amĂšrement regretter ses actes. Je savais pertinemment que si nous Ă©tions lĂ , ici et maintenant, c'Ă©tait parce qu'il nourrissait ses intĂ©rĂȘts, et il avait pour cela besoin de moi. Un avocat luttait pour la justice, et lui y faillait, si on l'attrapait, son droit d'exercer lui serait Ă l'Ă©vidence retirĂ©.
Mais tout ça ne me concernerait pas, je venais juste prendre les informations nĂ©cessaires Ă mon enquĂȘte, je n'avais pas Ă me soucier de ce qui lui arriverait. Le temps m'Ă©tait comptĂ©, c'Ă©tait seulement une dizaine de mois qu'il me restait Ă vivre, tĂŽt ou tard je succomberais Ă l'agonie, et filerais entre les griffes de ceux qui voudraient me faire regretter.
âđđđđđđđđđ - đđđđđđđđđđđ
đđđđđđ đđđđđđ'đ đđđđđđđđđ
đđđđ - đđđđâ
C'était fini. Il était vingt heures, et nous étions depuis quelques temps entrés dans l'atmosphÚre des Pays-Bas. L'avion se préparait à atterrir, et ses passagers aussi. L'excitation commençait à monter en moi, fébrilement, j'imaginais la suite des évÚnements, n'ayant pas reçu de détails dessus de la part de l'avocat.
Ce dernier s'Ă©tait rĂ©veillĂ© et avait pris ma place du cĂŽtĂ© du hublot durant l'escale. Son tĂ©lĂ©phone lui ayant fait dĂ©faut, il s'Ă©tait occupĂ© avec un dossier juridique, et avait passĂ© plusieurs heures Ă trouver les bons arguments, de sorte Ă ĂȘtre le plus convaincant possible. Des murmures en darija s'Ă©chappaient de ses lĂšvres alors qu'il Ă©crivait, dans cette mĂȘme langue qui lui Ă©tait propre, et dont je comprenais Ă peine quelques mots.
L'escale Ă Paris s'Ă©tait faite sentir rapide, alors qu'elle avait bien durĂ© trois heures. Je n'avais mĂȘme pas pris la peine de sortir et de visiter la France, je ne voulais pas savoir Ă quoi elle ressemblait, et j'espĂ©rais Ă ne jamais avoir Ă poser les pieds sur son territoire.
La descente se fit dans le calme, ce dernier était si apaisant que j'eus envie de le déranger. Nos identités furent encore vérifiées, et nos bagages avec. C'était long et redondant, surtout un soir, mais il était aux yeux du monde trop grave de confondre un Homme avec un autre.
Mais que ce fut agrĂ©able ne pas sentir un seul regard mal placĂ© sur mon corps ! Certes ma tenue Ă©tait extravagante aux Pays-Bas, mais ma rĂ©putation n'Ă©tait pas arrivĂ©e jusqu'ici, que ce fut doux de ne pas ĂȘtre toisĂ© avec hargne et dĂ©dain. Bien au contraire, je sentais dans les regards un peu d'admiration et d'intrigue, sans doute dĂ©gageais- je l'aura de mon pays, les Ă©mirats n'Ă©tant que charisme, modernitĂ© et culture.
Au dehors, le soleil avait depuis bien longtemps tiré sa longue révérence, offrant comme chaque soir sa place à la Lune, la laissant défiler de longues heures.
Ryan, qui avait rĂ©cupĂ©rer nos deux sacs, relativement lĂ©gers, revint vers moi alors qu'il s'Ă©tait Ă©loignĂ© quelques minutes auparavant. Il avait le portable collĂ© Ă l'oreille, en appel, ça ne me surprenait mĂȘme plus.
â Oui... J'ai le doubles des clefs... Merci, tu gĂšres... Non, je peux...
Sa voix, avec laquelle il m'avait toujours froidement adressé la parole, grave, qui se voulait rauque et relativement froide, était cette fois-ci douce et calme je pouvais y sentir qu'il appréciait un minimum la personne à l'autre bout du fil, ou que tout du moins il la considérait un minimum. Ou alors était -ce la fatigue qui donnait cette impression. C'était possible, puisque je sentais son ton un poil las.
â Viens, Sariya.
D'un signe de la main, il m'invita Ă le suivre. Il faisait toujours ce geste de la mĂȘme maniĂšre, et lorsqu'il parlait, s'exprimait beaucoup avec le corps. Nous Ă©tions Ă la sortie d'un terminal d'aĂ©roport, ce dernier Ă©tant gigantesque, non loin de la sortie. Ryan chercha rapidement dans son sac quelque chose, qui s'avĂ©rait ĂȘtre des clefs de voiture. Je commençais Ă me demander combien en possĂ©dait- il, mais il vivait dans l'aisance et le luxe. AprĂšs tout, c'Ă©tait un avocat qui avait rĂ©ussi dans la vie, alors qu'il devait avoir mon Ăąge ou un peu plus. C'Ă©tait cette fois-ci les clefs d'une Porsche qu'il tenait dans la main. La personne avec qui il Ă©tait au tĂ©lĂ©phone quelques instant auparavant devait ĂȘtre un contact des Pays-Bas, m'infiltrer ici devait ĂȘtre prĂ©vu depuis un certain temps.
Le parking sur lequel nous Ă©tions arrivĂ©s Ă©tait Ă©norme, mais Ă moitiĂ© vide. Il s'en dirigea au fond, avec aplomb, sachant parfaitement oĂč il allait. Il me fit monter dans la voiture dont il tenait les clefs. Elle Ă©tait immatriculĂ©e avec le sigle de l'union europĂ©enne, et la lettre latine "N", pour Netherlands. Les Ă©toiles en cercle qui venaient reprĂ©senter dessus l'Union EuropĂ©enne me rĂ©pugnaient, en les voyant j'avais mĂȘme eu une petite moue.
â On y est... me souffla l'AlgĂ©rien derriĂšre le volant, venant Ă peine de dĂ©marrer.
J'approuvais d'un signe du menton. Nous passions aux choses sĂ©rieuses, j'avais quittĂ© les Emirats pour les Pays-Bas. On me chercherait sĂ»rement dans mon pays, en demandant partout sur les unes " OĂč est Sariya ?", mais personne ne me retrouverais.
â Qui se doutera que je suis ici, rĂ©pondis -je avec un Ă©clat de rire et l'expiration qui allait avec.
â Personne. J'ai dĂ©jĂ fait en sorte qu'on ne puisse pas te retracer.
Il avait pensĂ© Ă tout. Mais je savais qu'on pensait aussi pour lui, il avait beaucoup trop de charge pour ĂȘtre opĂ©rationnel Ă ce point lĂ . Je doutais fort de ses capacitĂ©s Ă gĂ©rer stress, multiples informations et charge mentale, mais tant qu'il faisait les choses dans nos intĂ©rĂȘts communs, ainsi que les miens personnel, je n'avais rien Ă dire.
Je pris un instant pour regarder par la fenĂȘtre. Rotterdam Ă©tait une grande ville, un centre Ă©conomique international. Je savais que beaucoup d'immigration arabe et maghrĂ©bine s'y Ă©tait faite, et mĂȘme dans tout le pays. Les bĂątiments Ă©taient hauts, comme ceux d'Abu Dhabi, mon Ă©mirat que je venais tout juste de quitter, mais dans leur forme s'en dĂ©marquaient. Il Ă©taient plus carrĂ©s, moins illuminĂ©s, et semblaient aussi moins animĂ©s. Pourtant, ils restaient tout aussi importants, et s'Ă©levaient comme le port Ă ses cĂŽtĂ©s pour Ă©touffer le monde de leur grandeur.
La plupart des panneaux étaient en néerlandais, et beaucoup soient accompagnés de leur traduction anglaise. Ben Sayour conduisait, les mains raides sur le volant, loin d'avoir l'air ravi de se trouver ici, et la mine préoccupée. Il ne m'avait pas adressé la parole depuis plusieurs minutes, ayant plongé en immersion dans ses pensées qui semblaient le torturer.
â Comportes -toi bien, Tasnim Sariya, on passe aux choses sĂ©rieuses, me lĂącha-t-il lorsqu'il senti mon regard sur le sien. C'est ici que tout commence et que tout se saura.
Son ton s'était fait formel, bien qu'il ait presque sonné comme une menace, sûrement pour accentuer son sérieux. Il ne paraissait pas avoir fini de parler, ses lÚvres étaient restées suspendues en l'air.
â Le temps t'es comptĂ©, ne le perds pas, Sariya. ADAK est bien loin d'ĂȘtre une fausse piste , ils en savent bien plus que nous le pensons.
â Je sais. Je ne faillerais pas, aprĂšs tout, je suis Tasnim Sariya, lui rĂ©pondis-je avec un sourire Ă la fois confiant et satisfait.
â Nourris mes intĂ©rĂȘts, je nourris les tiens.
Il avait ajouté cette phrase d'un ton grave, que la sincérité réussissait à venir troubler.
â Et oĂč est basĂ© ADAK exactement ici ?
J'avais brutalement changé de conversation, ne sachant pas quoi répondre à sa précédente phrase, et ayant des informations à lui soutirer.
â PrĂšs d'ici, nous sommes vers le port, regarde bien. Le centre Ă©conomique de Rotterdam, et un moyen d'exportation, oĂč auraient -ils pu ĂȘtre mieux ?
Il avait raison. Il était en fait peu étonnant qu'ils soient ici, c'était pour eux le plus pratique, et si un réseau avec de telles activités et de telles idéologies, cela signifiait clairement qu'il était discret et dissimulé.
â Par contre, on ne sait pas qui est Ă la tĂȘte d'ADAK. Sans doute un homme influent, mais le rĂ©seau Ă©tant divisĂ© en secteur eux-mĂȘmes chacun gĂ©rĂ© par quelqu'un, on ne sait pas qui gĂšre le rĂ©seau en entier. Ce qu'on sait en revanche, c'est que cette personne est comme toi, un fervent croyant des thĂ©ories du complot.
â Excellent, je vais trouver qui est-ce et devenir amie avec lui. Nous allons bien nous entendre.
â Fais-en ton objectif et renverse- le.
Il me jeta un bref regard Ă l'instant oĂč il finit sa phrase. Il m'avait dit ça presque de façon rhĂ©torique, comme si c'Ă©tait une Ă©vidence et qu'y parvenir serait aisĂ©. Mais, au vu de qui Ă©tais -je et de mon absence d'Ă©ventuel sens moral, je comprenais qu'il ait de telles attentes Ă mon Ă©gard. C'Ă©tait en fait logique, je me devais de renverser ce rĂ©seau et en prendre le contrĂŽle si je voulais tout savoir, cet objectif n'Ă©tait qu'un passage vers la vĂ©ritĂ©.
â Ce que tu dois en revanche savoir, c'est que c'est bien une mafia, et que leurs agissements ne sont pas des moindres. Ils ne prennent pas n'importe qui non plus, mais ne t'en fais pas pour ça, tu corresponds Ă ce qu'ils recherchent. Il y a lĂ -bas, comme dans toute mafia, une grande solidaritĂ©, que tu devras respecter. MĂȘme si ça te fait mal.
Il marqua une pause, comme pour me faire méditer, avant de reprendre :
â Ils ne te feront quand mĂȘme pas passer sans raison. Tu auras Ă prouver, Sariya.
â A prouver de quelle maniĂšre ?
â De celle qu'ils t'imposeront, et dans ton intĂ©rĂȘt, ou plutĂŽt dans le nĂŽtre, tu t'exĂ©cuteras.
â Dans tous les cas je suis sĂ»re que ça me plaira, fis-je avec un petit rictus.
Nous parlions d'une mafia de façon banale, comme si ce n'était rien. Mais pour une journaliste psychopathe et un avocat ayant fondé une organisation illégale dans un pays plutÎt serré sur ses lois, c'était en fait vraiment banal. J'allais m'infiltrer dans une mafia qui avait pour nom l'état caché, sous ses ordres, afin de découvrir les derniÚres vérités de ce monde. Cela pouvait bien paraßtre quelques fois ridicule dit de cette maniÚre, mais c'était en vérité d'un sérieux implacable.
â Je ne rigole pas, Tasnim. On parle de corruption, de crime, de trafics, d'illĂ©galitĂ© et de violence Ă l'Ă©tat pur, me rĂ©primanda- t -il en dĂ©tachant un instant son regard de la route.
â Mais on parle aussi d'importantes dĂ©couvertes, soulevais -je.
â Mais aussi de lourdes pertes.
Il se tu et je ne pris pas la peine de le relancer, voyant ses sourcils se froncer. Nous rentrions dans du concret, je ne pouvais pas me permettre d'aller contre lui, ni de susciter son irritation. Je me devais de me retenir, mĂȘme si cela me coĂ»tait. La frustration enflait en moi comme une bulle, mais dĂšs que j'en aurais l'occasion, je la percerai d'un coup sec.
Ryan se gara enfin devant un haut bĂątiment, qui s'avĂ©rait ĂȘtre un hĂŽtel. Je lui adressais un regard interrogatif, auquel il rĂ©pondit par un geste de la main comme il avait l'habitude de le faire. Il parlait beaucoup, mais Ă©tait incapable d'exprimer une telle consigne par des mots, prĂ©fĂ©rant utiliser un mouvement qui souvent n'Ă©tait que peu explicite.
â Prends tes affaires dans le coffre, m'ordonna- t -il.
Je claquais la portiĂšre Ă ma sortie, tandis que lui me devançais en rentrant dans le bĂątiment. J'exĂ©cutais sa consigne, saisissant mon sac que j'avais peut-ĂȘtre un peu trop chargĂ©. Je pĂ©nĂ©trais ensuite dans l'Ă©difice, pour le croiser allant dans le sens inverse. Il dĂ©posa au creux de ma main une clef accompagnĂ©e d'une Ă©tiquette numĂ©rotĂ©e.
â TroisiĂšme Ă©tage, dĂ©pose tes affaires et redescends.
Cette fois-ci, ce fut un regard mauvais dont je le gratifiais. J'estimais que de par sa sécheresse, il l'avait amplement mérité, et il ferait mieux de cesser avec ce type d'intonation, ou nous aurions une altercation comme celle qui avait constituée notre premiÚre rencontre.
J'ouvrais fébrilement la porte et en allumai la lumiÚre. C'était une spacieuse chambre, similaire à celle que l'Algérien m'avait attribué à Al-Hakikah, mais bien plus dans l'esprit européen et moderne. Je déposais rapidement mes affaires non -loin de l'entrée, et redescendais. Je sentais quelques paires d'yeux se poser sur moi avec curiosité, mais j'ignorais. Je faisais tùche, au milieu de la nuit, en Europe, avec mon kimono crÚme tirant sur le marron, ample et luxueux, qui criait qu'il venait des émirats, en utilisant comme voix l'élégance.
Ben Sayour avait redémarré, et m'attendait, avec une main posée sur le volant de la Porsche et une autre tenant son téléphone.
â La nuit risque d'ĂȘtre longue, Sariya, m'annonça-t-il lorsque je m'assis Ă cĂŽtĂ© droit.
â IntĂ©ressante et pleine de progrĂšs, je l'espĂšre surtout.
Il eut un petit haussement de sourcils dubitatif, et reprit la route sur le macadam bien lisse, oĂč en cette nuit noire du deux dĂ©cembre peu voyageaient. Il n'y avait qu'un vingtaine de voitures avec la nĂŽtre, alors qu'il Ă©tait encore tĂŽt. Il Ă©tait vingt et une heures, vingt et une heures sombres comme mon existence, vingt et une heures de secrets se prĂ©parant Ă se divulguer.
Ben Sayour n'alla pas bien loin, nous n'Ă©tions qu'Ă quelques avenues seulement de l'hĂŽtel oĂč il m'avait fait dĂ©poser mes affaires. Par la fenĂȘtre de l'habitacle, j'observai qu'il s'Ă©tait arrĂȘtĂ© en bas d'un certain bĂątiment, et que les quelques voitures qui Ă©taient ici Ă©taient luxueuses, donnant l'impression que le bĂątiment Ă©tait plutĂŽt important. La plupart Ă©taient des Porsches, des Range Rover, de grosses Mercedes, et toutes Ă©taient immatriculĂ©es des Pays-Bas. L'Allemagne se trouvant juste en dessous, il serait peu Ă©tonnant que beaucoup aillent les chercher lĂ -bas.
â Souffle un bon coup, Sariya. PrĂ©pares -toi, me pria l'AlgĂ©rien qui Ă©tait jusque-lĂ restĂ© silencieux.
J'expirai donc, alors qu'il approchait sa main de mes genoux. J'eus peur et les renfrognai, mais en réalité il ne faisait qu'ouvrir la boßte à gants. Il en tira quelques papiers, que je ne pu qu'apercevoir briÚvement. Malgré tout, je vis clairement que dans la liasse se trouvait un journal, ou tout du moins un morceau de journal. J'étais pratiquement sûre qu'il s'agissait de l'un de mes articles, c'était évident.
Mon coeur commençait à pulser dans ma poitrine, enflant, prenant plus de place qu'il n'en avait besoin dans ma cage thoracique. Je savais que l'édifice, aussi large que haut devant lequel nous nous trouvions était la base d'ADAK. Quelque chose s'en dégageait, comme une aura malfaisante, similaire à celle que j'avais ressenti lorsque je m'étais trouvée avec Ryan en bas du bùtiment d'Ali, à Abu Dhabi. C'était là la deuxiÚme étape de ma vie, la premiÚre ayant été l'assassinat d'Ali.
L'avocat, qui tentait d'avancer Ă mon rythme alors qu'il allait bien plus vite, avait remontĂ© la fermeture Ă©clair du col de son haut et l'avait lĂ©gĂšrement ajustĂ©. Il n'allait quand mĂȘme pas venir avec moi, si ? Cela devait ĂȘtre su qu'il Ă©tait un avocat, soit une autoritĂ©, s'il m'accompagnait, cela ne ferait que rĂ©vĂ©ler notre jeu, alors que nous devions nous emparer de vĂ©ritĂ©s et de secrets.
â Je suppose que tu as un contact au sein d'eux, Ben Sayour, qui connaĂźt nos plans.
â J'en ai eu quelques-uns, oui. Et pas la peine de t'inquiĂ©ter pour ça, ADAK est au courant de ta venue, ils s'y attendent depuis un bout de temps.
Il avait parlĂ© au passĂ©, ce qui ne me rassura pas. De plus, sa seconde phrase portait Ă confusion.Â
â Comment ça ?
â Tu le verras de toi-mĂȘme.
Il prit mon bras, que je tentais de lui retirer, il l'avait saisi d'une bien trop ferme maniĂšre. Il mit dans ma main, de la mĂȘme façon qu'il y avait mit les clefs tout Ă l'heure, les quelques papiers qu'il tenait dans la sienne. Je les regardai, et constatai que je ne m'Ă©tais pas trompĂ©e, plusieurs Ă©taient bien des articles que j'avais Ă©crit il y a trois ou quatre annĂ©es. Il y avait aussi des pages de magazines Ă©miratis, oĂč l'on avait relatĂ© mon homicide exĂ©cutĂ© au quartier des affaires d'Abu Dhabi, des extraits transcrits de journaux tĂ©lĂ©visĂ©s, et le tout datĂ©. Chaque Ă©lĂ©ment visait Ă prouver ma criminalitĂ©, et Ă appuyer mes idĂ©ologies, faisant de moi l'idĂ©ale recrue.
Une petite pochette était entre deux papiers, contenant une toute petite carte, qui s'apparentait à une SIM.
â A toi Tasnim. Tu sais comment me contacter, et moi j'ai Ă faire. Tiens moi au courant de tout.
Et sur ces mots, il me tourna les talons et s'en alla doucement, me laissant seule face au large édifice. Il ne m'avait pas donné plus d'informations que cela, sans doute parce qu'elles me seront fournies de suite. Ou bien devrais -je me débrouiller seule ? AprÚs tout, j'avais des consignes, des objectifs et des désirs.
J'Ă©tais Tasnim Sariya, femme de volontĂ© originaire des Emirats Arabes Unis, qui Ă dĂ©faut de changer le monde, le marquerai Ă jamais. Je savais oĂč j'allais et ce que je voulais : connaĂźtre chacune des vĂ©ritĂ©s de ce monde. Je savais pertinemment que les fils de la vĂ©ritĂ© Ă©taient manipulĂ©s par des figures inconnues du peuple. Et je comptais bien couper ces fils, mettant un terme au rĂšgne de l'invisible.
C'était mon serment.
Hey / Salam a3leykoum amiraati
Bienvenue dans un nouveau chapitre de LW ENKASART | SI JE ME BRISAIS, avec un point de vue de Tasnim, en espĂ©rant que l'histoire vous plaise toujours autant.Â
MĂȘme si je traverse une passe compliquĂ©e, je fais de mon mieux pour vous sortir des chapitres en me surpassant, mĂȘme si en se comparant constamment aux autres et en Ă©tant mise Ă l'Ă©cart des autres autrices c'est compliquĂ©.
âđđđđđđđđ đâ
âđđđ đđđđđ - đđđđđđ đđđđ đđđđđđđđ
đđđđđđ đđđđđđ'đ đđđđđđđđđ
đđđđ - đđđđâ
- ŰȘŰłÙÙÙ ŰłŰ§Ű±ÙŰ©
" đČđđđđ đđđ đ đđéé đđ đđđđ đđ đđ đđđ đđđđ đđ đđđđ đđđđđđ Ă đ'Ă©đđđđđđ đđ đđ đđđđ đđđ đđ đđđđ đđđđđđđđđđ đđđ Ćđđđđđ đđđ đđđđ đĂ©đđđđđđđđ. đžđ đđđ đđ đđđđ-đżđđđđđđđ, đđ đđĂšđ đČđĂ©đđđđ. "
đđđđđđđ đŒđœ, đ đđđđđ đž
Je quittais mon pays, ma natalitĂ© pour m'envoler vers le crime. Ce dernier rimait pour le moment avec rĂ©ussite et vĂ©ritĂ©, j'y trouverais rĂ©ponse Ă tout, bien qu'il y aurait Ă l'Ă©vidence une contre- partie, que j'Ă©tais prĂȘte Ă payer. J'Ă©tais loin de savoir si je reviendrais ici, mais j'avais marquĂ© les Ă©mirats, et marquerais le monde entier, dans la limite du temps qu'il me restait Ă vivre.
Quelques mois. C'Ă©tait ce que j'avais pour mener Ă bien mes missions, et tout dĂ©couvrir. Le temps m'Ă©tait comptĂ©, tout Ă©tait allĂ© vite jusqu'ici, ce qui Ă©tait en ma faveur, et je ferais en sorte que tout le reste aille aussi vite. J'Ă©tais Tasnim Sariya, qui pouvait donc m'arrĂȘter ?
Ryan et moi Ă©tions au guichet, oĂč nos identitĂ©s Ă©taient contrĂŽlĂ©es. Je sentais des regards sur nous, aussi bien sur moi que sur lui, mais je n'en avais strictement rien Ă faire. Ca ne faisait que tĂ©moigner de la peur qui Ă©manait de ma personne et mon passĂ©.
Peut-ĂȘtre Ibn Hillal Ă©tait elle lĂ , avec sa collĂšgue sĂ©nĂ©galaise, Ă nous guetter, pour encore nous prendre en photo. Je me demandais ce qu'elle pourraient inventer Ă notre sujet, sĂ»rement un voyage aux Maldives ? A cette pensĂ©e, je ricanais intĂ©rieurement. C'Ă©tait si pathĂ©tique de vouloir inventer des vies aux gens de la sorte pour se faire remarquer. Ibn Hillal, de ce que j'en avais aperçu, jouissait dĂ©jĂ d'une forte popularitĂ© Ă travers les Ă©mirats, bien qu'elles soit essentiellement connue Ă Abu Dhabi.Â
On cherchait Ă me faire passer pour la bĂȘte de foire que je n'Ă©tais pas, en oubliant de me prendre pour la psychopathe que j'Ă©tais rĂ©ellement. J'Ă©tais le danger principal des Ă©mirats, au lieu de s'occuper des dĂ©pendances Ă©conomiques au pĂ©trole et au gaz, des vĂ©ritables sujets d'actualitĂ©, des touristes non respectueux de nos cultures, les mĂ©dias voulaient s'occuper de mon cas, calmĂ© depuis un certain temps, alors qu'il y avait bien plus important.
AprÚs le guichet, nous passions à la douane. Il était six heures moins cinq. Nous n'allions pas tarder à embarquer. Ryan adressa une salutation au douanier, qui la lui rendit avec un sourire. L'avocat semblait avoir des contacts de partout, quoique, en avoir un à la douane d'Abu Dhabi était essentiel, surtout lorsqu'on avait des activités mitigées comme les siennes, tirant entre défense du bien et illégalité pour parvenir à des fins personnelles.
â C'est bon, Sariya, on est tranquilles.
Ben Sayour Ă©tait serein, pour quelqu'un qui s'apprĂȘtait Ă faire passer une autre personne par sa volontĂ© dans un rĂ©seau criminel Ă l'autre bout du monde. J'Ă©tais tout de mĂȘme aussi volontaire que lui, il me fournissait des moyens dont je ne pouvais pas me passer. Sa froideur ainsi que son dĂ©tachement Ă©taient impressionnants, il se dĂ©robait de la situation aussi vite qu'il pouvait s'irriter.
Il s'assit sur une banquette rouge, s'y affalant presque. Il semblait fatiguĂ©, tout comme moi je l'Ă©tais, mais lui n'Ă©tait pas gĂȘnĂ© de le montrer et ne tentait mĂȘme pas de rĂ©sister Ă sa condition physique. Il me tendit mon ticket, quand je fus assise Ă cĂŽtĂ© de lui. J'y regardais le numĂ©ro du vol, avec attention afin d'ĂȘtre certaine de ne pas le louper. Je ne pouvais pas compter sur lui pour ĂȘtre Ă l'affĂ»t, en lui jetant un simple coup d'oeil, je pu constater que ses paupiĂšres se fermaient sans qu'il tente de faire face Ă sa somnolence. Il avait Ă©tĂ© capable de faire face Ă la justice pour me dĂ©fendre, ayant soi-disant trouvĂ© ma peine immorale, mais Ă©tait incapable de tenir tĂȘte Ă lui-mĂȘme.
Me charger d'ĂȘtre attentive Ă l'annonciation du vol que nous allions prendre Ă©tait comme prendre une responsabilitĂ©, en fait, ça l'Ă©tait. Et ça me dĂ©mangeait terriblement de le rater en le faisant exprĂšs, je prenais la responsabilitĂ© de faire l'inverse contre mon grĂ©. J'avais mĂȘme envie de laisser la chose de cĂŽtĂ©, mais ce n'Ă©tait pas dans mon intĂ©rĂȘt, j'en avais d'autres Ă remplir, alors il fallait bien que je sois Ă l'Ă©coute pour ne pas rater le vol.
Il fut annoncé un peu aprÚs, alors que Ryan avait les paupiÚres fermées. Je l'observait en posant sur lui un regard qui se voulait dégoûté. Avec une moue, je le secouais par l'épaule d'un geste de la main qui sollicita pourtant tous les muscles de mon bras. Il était plus lourd qu'il n'en avait l'air.
â Tu n'aurais pas l'impression qu'il est l'heure d'y aller, non ?
Je tapotai mon index contre mon poignet, mimant le geste de dĂ©signer l'heure sur une montre, alors que je n'en possĂ©dais pas. Il souffla et se releva, en s'Ă©tirant mĂȘme un peu. Il avait vraiment rĂ©ussi Ă s'endormir affalĂ© dans un aĂ©roport bondĂ©. A sa place, le brouhaha ambiant m'en aurait empĂȘchĂ©, mais visiblement ça ne l'avait pas dĂ©rangĂ©, et ma compagnie encore moi.
La montée se fit silencieusement, sans doute n'était il pas sorti du coma dans lequel il était tombé. Nos places étaient à cÎté, et nous n'étions environ qu'une vingtaine de personnes dans l'avion. L'escale se faisait à Paris, la plupart devaient descendre là -bas. Voyager d'Abu Dhabi à Rotterdam était plutÎt quelque chose d'étrange et peu fait.
J'Ă©tais assise du cĂŽtĂ© de la fenĂȘtre, par laquelle j'observais la piste de dĂ©collage. Ryan retomberait sans doute dans un profond coma dans les minutes qui venaient. Il somnolait dĂ©jĂ , la tĂȘte contre le moelleux siĂšge. Il avait pris les billets de la classe la plus haute, mais au vu de la luxure son organisation, je n'Ă©tais mĂȘme plus surprise.
Dix. C'était le nombre d'heures qu'il me restait avant d'arriver à Rotterdam, comme il me l'avait promis. Au début, j'avais trouvé l'avocat louche, il me parlait de vérité et utilisait mes propres idées pour me convaincre, mais j'avais vu qu'il tenait ses promesses et qu'il ne mentait pas. Je l'avais mis à terre dÚs notre premiÚre rencontre, sûrement cela influait -il sur le respect qu'il manifestait à mon égard.
Il m'avait ramenĂ©e en bas du bĂątiment oĂč j'avais tuĂ© Ali. Je m'Ă©tais revue haut huitiĂšme Ă©tage, le poussant d'une main vers l'abĂźme, guidĂ©e par la soif de vengeance et la haine. J'avais converti ma tristesse en ce dernier sentiment, pour achever comme il m'avait tuĂ©e intĂ©rieurement.
Il ne fallait pas mourir pour perdre la vie, c'était lui qui me l'avait enseigné. Et maintenant, j'étais sous les vibrations d'un avion ayant pour destination Rotterdam, ayant retrouvé une existence, sans pourtant y reprendre goût. Tandis que lui était six pieds sous terre, ayant amÚrement payé le prix de ses actes.
J'avais plongé dans une profonde réflexion, aussi profonde que le coma dans lequel avait sombré Ryan. J'allais de nouveau sombrer dans la haine et le crime, lui préférait dormir, c'était chacun son domaine d'expertise. Je pensais que nous aurions l'occasion de parler et que durant ces dix heures je pourrais améliorer encore ma répartie, mais je m'étais trompée, il s'était endormi, désarticulé comme le cadavre de ma victime d'il y a deux ans.
Je l'observais, ancrant chacun de ses traits dans ma mĂ©moire. J'en profitais, endormi comme il Ă©tait, il ne pouvait pas sentir mon regard le scruter dans les moindres dĂ©tails. Ses paupiĂšres Ă©taient closes sur ses yeux que je savais bruns, quelques fois avec des lueurs vertes, et ses cheveux, qu'il n'essayait encore moins de boucler qu'il n'essayait de lutter contre sa fatigue, lui tombaient sur le front, cachant en partie ce dernier ainsi que ses sourcils.Â
 Il Ă©tait un avocat diplĂŽmĂ© des Ă©mirats arabes unis, dĂ©tenteur d'un doctorat, et se retrouvait avec moi dans un avion ayant pour destination finale Rotterdam aux Pays-Bas, aprĂšs m'avoir dĂ©fendue. Il s'apprĂȘtait Ă me faire passer dans une mafia europĂ©enne plus ou moins rĂ©putĂ©e, avec aplomb et confiance en lui. Je doutais fortement de ses vĂ©ritables intentions, mais si il nourrissait mes intĂ©rĂȘts, je n'avais aucune raison d'aller Ă son encontre.Â
Je n'avais quasiment plus de batterie sur mon portable, que je ne savais par oĂč charger, je n'avais mĂȘme pas avec moi mon chargeur. Le sommeil n'Ă©tait pas prĂšs de moi, si on exceptait la prĂ©sence de Ben Sayour, et je savais aussi qu'il ne viendrait pas, ce seraient 7 heures tortionnaires.
J'espérais que l'Algérien ne dorme pas tout le trajet. Une forte envie de tirer son téléphone de sa poche me démangeait, il en dépassait un peu. Je délaissais pourtant l'idée, l'action risquerait de le réveiller, je ne devais pas prendre le risque. J'avais déjà eu l'occasion de faire un tour dans l'appareil, la veille, lorsqu'il était descendu chercher à son bureau la brique de feuille que j'avais refusée de lire. Il avait dans sa messagerie, de nombreux numéros non- répertoriés et beaucoup de dossier à gérer. D'aprÚs mes connaissances, il plaidait souvent, avec ardeur et volonté, et se déplaçait au quatre coins du monde pour son activité.
Il dĂ©fendait le bien, ordonnait le convenable et condamnait le blĂąmable, mais s'apprĂȘtait pourtant Ă me faire passer dans un rĂ©seau mafieux particuliĂšrement dangereux et actif dans le monde criminel. L'ambition d'un homme ne devrait jamais dĂ©passer ses valeurs. Il fallait qu'il l'apprenne, autrement et contrairement Ă moi, il finirait par amĂšrement regretter ses actes. Je savais pertinemment que si nous Ă©tions lĂ , ici et maintenant, c'Ă©tait parce qu'il nourrissait ses intĂ©rĂȘts, et il avait pour cela besoin de moi. Un avocat luttait pour la justice, et lui y faillait, si on l'attrapait, son droit d'exercer lui serait Ă l'Ă©vidence retirĂ©.
Mais tout ça ne me concernerait pas, je venais juste prendre les informations nĂ©cessaires Ă mon enquĂȘte, je n'avais pas Ă me soucier de ce qui lui arriverait. Le temps m'Ă©tait comptĂ©, c'Ă©tait seulement une dizaine de mois qu'il me restait Ă vivre, tĂŽt ou tard je succomberais Ă l'agonie, et filerais entre les griffes de ceux qui voudraient me faire regretter.
âđđđđđđđđđ - đđđđđđđđđđđ
đđđđđđ đđđđđđ'đ đđđđđđđđđ
đđđđ - đđđđâ
C'était fini. Il était vingt heures, et nous étions depuis quelques temps entrés dans l'atmosphÚre des Pays-Bas. L'avion se préparait à atterrir, et ses passagers aussi. L'excitation commençait à monter en moi, fébrilement, j'imaginais la suite des évÚnements, n'ayant pas reçu de détails dessus de la part de l'avocat.
Ce dernier s'Ă©tait rĂ©veillĂ© et avait pris ma place du cĂŽtĂ© du hublot durant l'escale. Son tĂ©lĂ©phone lui ayant fait dĂ©faut, il s'Ă©tait occupĂ© avec un dossier juridique, et avait passĂ© plusieurs heures Ă trouver les bons arguments, de sorte Ă ĂȘtre le plus convaincant possible. Des murmures en darija s'Ă©chappaient de ses lĂšvres alors qu'il Ă©crivait, dans cette mĂȘme langue qui lui Ă©tait propre, et dont je comprenais Ă peine quelques mots.
L'escale Ă Paris s'Ă©tait faite sentir rapide, alors qu'elle avait bien durĂ© trois heures. Je n'avais mĂȘme pas pris la peine de sortir et de visiter la France, je ne voulais pas savoir Ă quoi elle ressemblait, et j'espĂ©rais Ă ne jamais avoir Ă poser les pieds sur son territoire.
La descente se fit dans le calme, ce dernier était si apaisant que j'eus envie de le déranger. Nos identités furent encore vérifiées, et nos bagages avec. C'était long et redondant, surtout un soir, mais il était aux yeux du monde trop grave de confondre un Homme avec un autre.
Mais que ce fut agrĂ©able ne pas sentir un seul regard mal placĂ© sur mon corps ! Certes ma tenue Ă©tait extravagante aux Pays-Bas, mais ma rĂ©putation n'Ă©tait pas arrivĂ©e jusqu'ici, que ce fut doux de ne pas ĂȘtre toisĂ© avec hargne et dĂ©dain. Bien au contraire, je sentais dans les regards un peu d'admiration et d'intrigue, sans doute dĂ©gageais- je l'aura de mon pays, les Ă©mirats n'Ă©tant que charisme, modernitĂ© et culture.
Au dehors, le soleil avait depuis bien longtemps tiré sa longue révérence, offrant comme chaque soir sa place à la Lune, la laissant défiler de longues heures.
Ryan, qui avait rĂ©cupĂ©rer nos deux sacs, relativement lĂ©gers, revint vers moi alors qu'il s'Ă©tait Ă©loignĂ© quelques minutes auparavant. Il avait le portable collĂ© Ă l'oreille, en appel, ça ne me surprenait mĂȘme plus.
â Oui... J'ai le doubles des clefs... Merci, tu gĂšres... Non, je peux...
Sa voix, avec laquelle il m'avait toujours froidement adressé la parole, grave, qui se voulait rauque et relativement froide, était cette fois-ci douce et calme je pouvais y sentir qu'il appréciait un minimum la personne à l'autre bout du fil, ou que tout du moins il la considérait un minimum. Ou alors était -ce la fatigue qui donnait cette impression. C'était possible, puisque je sentais son ton un poil las.
â Viens, Sariya.
D'un signe de la main, il m'invita Ă le suivre. Il faisait toujours ce geste de la mĂȘme maniĂšre, et lorsqu'il parlait, s'exprimait beaucoup avec le corps. Nous Ă©tions Ă la sortie d'un terminal d'aĂ©roport, ce dernier Ă©tant gigantesque, non loin de la sortie. Ryan chercha rapidement dans son sac quelque chose, qui s'avĂ©rait ĂȘtre des clefs de voiture. Je commençais Ă me demander combien en possĂ©dait- il, mais il vivait dans l'aisance et le luxe. AprĂšs tout, c'Ă©tait un avocat qui avait rĂ©ussi dans la vie, alors qu'il devait avoir mon Ăąge ou un peu plus. C'Ă©tait cette fois-ci les clefs d'une Porsche qu'il tenait dans la main. La personne avec qui il Ă©tait au tĂ©lĂ©phone quelques instant auparavant devait ĂȘtre un contact des Pays-Bas, m'infiltrer ici devait ĂȘtre prĂ©vu depuis un certain temps.
Le parking sur lequel nous Ă©tions arrivĂ©s Ă©tait Ă©norme, mais Ă moitiĂ© vide. Il s'en dirigea au fond, avec aplomb, sachant parfaitement oĂč il allait. Il me fit monter dans la voiture dont il tenait les clefs. Elle Ă©tait immatriculĂ©e avec le sigle de l'union europĂ©enne, et la lettre latine "N", pour Netherlands. Les Ă©toiles en cercle qui venaient reprĂ©senter dessus l'Union EuropĂ©enne me rĂ©pugnaient, en les voyant j'avais mĂȘme eu une petite moue.
â On y est... me souffla l'AlgĂ©rien derriĂšre le volant, venant Ă peine de dĂ©marrer.
J'approuvais d'un signe du menton. Nous passions aux choses sĂ©rieuses, j'avais quittĂ© les Emirats pour les Pays-Bas. On me chercherait sĂ»rement dans mon pays, en demandant partout sur les unes " OĂč est Sariya ?", mais personne ne me retrouverais.
â Qui se doutera que je suis ici, rĂ©pondis -je avec un Ă©clat de rire et l'expiration qui allait avec.
â Personne. J'ai dĂ©jĂ fait en sorte qu'on ne puisse pas te retracer.
Il avait pensĂ© Ă tout. Mais je savais qu'on pensait aussi pour lui, il avait beaucoup trop de charge pour ĂȘtre opĂ©rationnel Ă ce point lĂ . Je doutais fort de ses capacitĂ©s Ă gĂ©rer stress, multiples informations et charge mentale, mais tant qu'il faisait les choses dans nos intĂ©rĂȘts communs, ainsi que les miens personnel, je n'avais rien Ă dire.
Je pris un instant pour regarder par la fenĂȘtre. Rotterdam Ă©tait une grande ville, un centre Ă©conomique international. Je savais que beaucoup d'immigration arabe et maghrĂ©bine s'y Ă©tait faite, et mĂȘme dans tout le pays. Les bĂątiments Ă©taient hauts, comme ceux d'Abu Dhabi, mon Ă©mirat que je venais tout juste de quitter, mais dans leur forme s'en dĂ©marquaient. Il Ă©taient plus carrĂ©s, moins illuminĂ©s, et semblaient aussi moins animĂ©s. Pourtant, ils restaient tout aussi importants, et s'Ă©levaient comme le port Ă ses cĂŽtĂ©s pour Ă©touffer le monde de leur grandeur.
La plupart des panneaux étaient en néerlandais, et beaucoup soient accompagnés de leur traduction anglaise. Ben Sayour conduisait, les mains raides sur le volant, loin d'avoir l'air ravi de se trouver ici, et la mine préoccupée. Il ne m'avait pas adressé la parole depuis plusieurs minutes, ayant plongé en immersion dans ses pensées qui semblaient le torturer.
â Comportes -toi bien, Tasnim Sariya, on passe aux choses sĂ©rieuses, me lĂącha-t-il lorsqu'il senti mon regard sur le sien. C'est ici que tout commence et que tout se saura.
Son ton s'était fait formel, bien qu'il ait presque sonné comme une menace, sûrement pour accentuer son sérieux. Il ne paraissait pas avoir fini de parler, ses lÚvres étaient restées suspendues en l'air.
â Le temps t'es comptĂ©, ne le perds pas, Sariya. ADAK est bien loin d'ĂȘtre une fausse piste , ils en savent bien plus que nous le pensons.
â Je sais. Je ne faillerais pas, aprĂšs tout, je suis Tasnim Sariya, lui rĂ©pondis-je avec un sourire Ă la fois confiant et satisfait.
â Nourris mes intĂ©rĂȘts, je nourris les tiens.
Il avait ajouté cette phrase d'un ton grave, que la sincérité réussissait à venir troubler.
â Et oĂč est basĂ© ADAK exactement ici ?
J'avais brutalement changé de conversation, ne sachant pas quoi répondre à sa précédente phrase, et ayant des informations à lui soutirer.
â PrĂšs d'ici, nous sommes vers le port, regarde bien. Le centre Ă©conomique de Rotterdam, et un moyen d'exportation, oĂč auraient -ils pu ĂȘtre mieux ?
Il avait raison. Il était en fait peu étonnant qu'ils soient ici, c'était pour eux le plus pratique, et si un réseau avec de telles activités et de telles idéologies, cela signifiait clairement qu'il était discret et dissimulé.
â Par contre, on ne sait pas qui est Ă la tĂȘte d'ADAK. Sans doute un homme influent, mais le rĂ©seau Ă©tant divisĂ© en secteur eux-mĂȘmes chacun gĂ©rĂ© par quelqu'un, on ne sait pas qui gĂšre le rĂ©seau en entier. Ce qu'on sait en revanche, c'est que cette personne est comme toi, un fervent croyant des thĂ©ories du complot.
â Excellent, je vais trouver qui est-ce et devenir amie avec lui. Nous allons bien nous entendre.
â Fais-en ton objectif et renverse- le.
Il me jeta un bref regard Ă l'instant oĂč il finit sa phrase. Il m'avait dit ça presque de façon rhĂ©torique, comme si c'Ă©tait une Ă©vidence et qu'y parvenir serait aisĂ©. Mais, au vu de qui Ă©tais -je et de mon absence d'Ă©ventuel sens moral, je comprenais qu'il ait de telles attentes Ă mon Ă©gard. C'Ă©tait en fait logique, je me devais de renverser ce rĂ©seau et en prendre le contrĂŽle si je voulais tout savoir, cet objectif n'Ă©tait qu'un passage vers la vĂ©ritĂ©.
â Ce que tu dois en revanche savoir, c'est que c'est bien une mafia, et que leurs agissements ne sont pas des moindres. Ils ne prennent pas n'importe qui non plus, mais ne t'en fais pas pour ça, tu corresponds Ă ce qu'ils recherchent. Il y a lĂ -bas, comme dans toute mafia, une grande solidaritĂ©, que tu devras respecter. MĂȘme si ça te fait mal.
Il marqua une pause, comme pour me faire méditer, avant de reprendre :
â Ils ne te feront quand mĂȘme pas passer sans raison. Tu auras Ă prouver, Sariya.
â A prouver de quelle maniĂšre ?
â De celle qu'ils t'imposeront, et dans ton intĂ©rĂȘt, ou plutĂŽt dans le nĂŽtre, tu t'exĂ©cuteras.
â Dans tous les cas je suis sĂ»re que ça me plaira, fis-je avec un petit rictus.
Nous parlions d'une mafia de façon banale, comme si ce n'était rien. Mais pour une journaliste psychopathe et un avocat ayant fondé une organisation illégale dans un pays plutÎt serré sur ses lois, c'était en fait vraiment banal. J'allais m'infiltrer dans une mafia qui avait pour nom l'état caché, sous ses ordres, afin de découvrir les derniÚres vérités de ce monde. Cela pouvait bien paraßtre quelques fois ridicule dit de cette maniÚre, mais c'était en vérité d'un sérieux implacable.
â Je ne rigole pas, Tasnim. On parle de corruption, de crime, de trafics, d'illĂ©galitĂ© et de violence Ă l'Ă©tat pur, me rĂ©primanda- t -il en dĂ©tachant un instant son regard de la route.
â Mais on parle aussi d'importantes dĂ©couvertes, soulevais -je.
â Mais aussi de lourdes pertes.
Il se tu et je ne pris pas la peine de le relancer, voyant ses sourcils se froncer. Nous rentrions dans du concret, je ne pouvais pas me permettre d'aller contre lui, ni de susciter son irritation. Je me devais de me retenir, mĂȘme si cela me coĂ»tait. La frustration enflait en moi comme une bulle, mais dĂšs que j'en aurais l'occasion, je la percerai d'un coup sec.
Ryan se gara enfin devant un haut bĂątiment, qui s'avĂ©rait ĂȘtre un hĂŽtel. Je lui adressais un regard interrogatif, auquel il rĂ©pondit par un geste de la main comme il avait l'habitude de le faire. Il parlait beaucoup, mais Ă©tait incapable d'exprimer une telle consigne par des mots, prĂ©fĂ©rant utiliser un mouvement qui souvent n'Ă©tait que peu explicite.
â Prends tes affaires dans le coffre, m'ordonna- t -il.
Je claquais la portiĂšre Ă ma sortie, tandis que lui me devançais en rentrant dans le bĂątiment. J'exĂ©cutais sa consigne, saisissant mon sac que j'avais peut-ĂȘtre un peu trop chargĂ©. Je pĂ©nĂ©trais ensuite dans l'Ă©difice, pour le croiser allant dans le sens inverse. Il dĂ©posa au creux de ma main une clef accompagnĂ©e d'une Ă©tiquette numĂ©rotĂ©e.
â TroisiĂšme Ă©tage, dĂ©pose tes affaires et redescends.
Cette fois-ci, ce fut un regard mauvais dont je le gratifiais. J'estimais que de par sa sécheresse, il l'avait amplement mérité, et il ferait mieux de cesser avec ce type d'intonation, ou nous aurions une altercation comme celle qui avait constituée notre premiÚre rencontre.
J'ouvrais fébrilement la porte et en allumai la lumiÚre. C'était une spacieuse chambre, similaire à celle que l'Algérien m'avait attribué à Al-Hakikah, mais bien plus dans l'esprit européen et moderne. Je déposais rapidement mes affaires non -loin de l'entrée, et redescendais. Je sentais quelques paires d'yeux se poser sur moi avec curiosité, mais j'ignorais. Je faisais tùche, au milieu de la nuit, en Europe, avec mon kimono crÚme tirant sur le marron, ample et luxueux, qui criait qu'il venait des émirats, en utilisant comme voix l'élégance.
Ben Sayour avait redémarré, et m'attendait, avec une main posée sur le volant de la Porsche et une autre tenant son téléphone.
â La nuit risque d'ĂȘtre longue, Sariya, m'annonça-t-il lorsque je m'assis Ă cĂŽtĂ© droit.
â IntĂ©ressante et pleine de progrĂšs, je l'espĂšre surtout.
Il eut un petit haussement de sourcils dubitatif, et reprit la route sur le macadam bien lisse, oĂč en cette nuit noire du deux dĂ©cembre peu voyageaient. Il n'y avait qu'un vingtaine de voitures avec la nĂŽtre, alors qu'il Ă©tait encore tĂŽt. Il Ă©tait vingt et une heures, vingt et une heures sombres comme mon existence, vingt et une heures de secrets se prĂ©parant Ă se divulguer.
Ben Sayour n'alla pas bien loin, nous n'Ă©tions qu'Ă quelques avenues seulement de l'hĂŽtel oĂč il m'avait fait dĂ©poser mes affaires. Par la fenĂȘtre de l'habitacle, j'observai qu'il s'Ă©tait arrĂȘtĂ© en bas d'un certain bĂątiment, et que les quelques voitures qui Ă©taient ici Ă©taient luxueuses, donnant l'impression que le bĂątiment Ă©tait plutĂŽt important. La plupart Ă©taient des Porsches, des Range Rover, de grosses Mercedes, et toutes Ă©taient immatriculĂ©es des Pays-Bas. L'Allemagne se trouvant juste en dessous, il serait peu Ă©tonnant que beaucoup aillent les chercher lĂ -bas.
â Souffle un bon coup, Sariya. PrĂ©pares -toi, me pria l'AlgĂ©rien qui Ă©tait jusque-lĂ restĂ© silencieux.
J'expirai donc, alors qu'il approchait sa main de mes genoux. J'eus peur et les renfrognai, mais en réalité il ne faisait qu'ouvrir la boßte à gants. Il en tira quelques papiers, que je ne pu qu'apercevoir briÚvement. Malgré tout, je vis clairement que dans la liasse se trouvait un journal, ou tout du moins un morceau de journal. J'étais pratiquement sûre qu'il s'agissait de l'un de mes articles, c'était évident.
Mon coeur commençait à pulser dans ma poitrine, enflant, prenant plus de place qu'il n'en avait besoin dans ma cage thoracique. Je savais que l'édifice, aussi large que haut devant lequel nous nous trouvions était la base d'ADAK. Quelque chose s'en dégageait, comme une aura malfaisante, similaire à celle que j'avais ressenti lorsque je m'étais trouvée avec Ryan en bas du bùtiment d'Ali, à Abu Dhabi. C'était là la deuxiÚme étape de ma vie, la premiÚre ayant été l'assassinat d'Ali.
L'avocat, qui tentait d'avancer Ă mon rythme alors qu'il allait bien plus vite, avait remontĂ© la fermeture Ă©clair du col de son haut et l'avait lĂ©gĂšrement ajustĂ©. Il n'allait quand mĂȘme pas venir avec moi, si ? Cela devait ĂȘtre su qu'il Ă©tait un avocat, soit une autoritĂ©, s'il m'accompagnait, cela ne ferait que rĂ©vĂ©ler notre jeu, alors que nous devions nous emparer de vĂ©ritĂ©s et de secrets.
â Je suppose que tu as un contact au sein d'eux, Ben Sayour, qui connaĂźt nos plans.
â J'en ai eu quelques-uns, oui. Et pas la peine de t'inquiĂ©ter pour ça, ADAK est au courant de ta venue, ils s'y attendent depuis un bout de temps.
Il avait parlĂ© au passĂ©, ce qui ne me rassura pas. De plus, sa seconde phrase portait Ă confusion.Â
â Comment ça ?
â Tu le verras de toi-mĂȘme.
Il prit mon bras, que je tentais de lui retirer, il l'avait saisi d'une bien trop ferme maniĂšre. Il mit dans ma main, de la mĂȘme façon qu'il y avait mit les clefs tout Ă l'heure, les quelques papiers qu'il tenait dans la sienne. Je les regardai, et constatai que je ne m'Ă©tais pas trompĂ©e, plusieurs Ă©taient bien des articles que j'avais Ă©crit il y a trois ou quatre annĂ©es. Il y avait aussi des pages de magazines Ă©miratis, oĂč l'on avait relatĂ© mon homicide exĂ©cutĂ© au quartier des affaires d'Abu Dhabi, des extraits transcrits de journaux tĂ©lĂ©visĂ©s, et le tout datĂ©. Chaque Ă©lĂ©ment visait Ă prouver ma criminalitĂ©, et Ă appuyer mes idĂ©ologies, faisant de moi l'idĂ©ale recrue.
Une petite pochette était entre deux papiers, contenant une toute petite carte, qui s'apparentait à une SIM.
â A toi Tasnim. Tu sais comment me contacter, et moi j'ai Ă faire. Tiens moi au courant de tout.
Et sur ces mots, il me tourna les talons et s'en alla doucement, me laissant seule face au large édifice. Il ne m'avait pas donné plus d'informations que cela, sans doute parce qu'elles me seront fournies de suite. Ou bien devrais -je me débrouiller seule ? AprÚs tout, j'avais des consignes, des objectifs et des désirs.
J'Ă©tais Tasnim Sariya, femme de volontĂ© originaire des Emirats Arabes Unis, qui Ă dĂ©faut de changer le monde, le marquerai Ă jamais. Je savais oĂč j'allais et ce que je voulais : connaĂźtre chacune des vĂ©ritĂ©s de ce monde. Je savais pertinemment que les fils de la vĂ©ritĂ© Ă©taient manipulĂ©s par des figures inconnues du peuple. Et je comptais bien couper ces fils, mettant un terme au rĂšgne de l'invisible.
C'était mon serment.