Villaverde Del RĂo, 2009Â
~ Plaza de Andalucia ~Â
Irina
Je sors du taxi qui sâarrĂȘte en face de la place Andalucia, ici, dans ce petit village, Villaverde Del Rio. Une commune de la Vega Del Guadalquivir. Villaverde Del RĂo est un charmant village, situĂ© dans la province de SĂ©ville Ă seulement 30 kilomĂštres. Elle se distingue par sa riche histoire, son architecture andalouse traditionnelle et son atmosphĂšre trĂšs accueillante.Â
Ce village est connu pour ses cortĂšges, notamment avec des Rois mages, et son pĂšlerinage, en plus des fĂȘtes organisĂ©es. Quand jâĂ©tais petite, jâaimais beaucoup y participer, regarder le dĂ©filĂ© des Rois mages et surtout quand ils offraient de nombreux cadeaux Ă tous les enfants qui Ă©taient prĂ©sents.
C'était amusant et trÚs divertissant.
Villaverde Del RĂo a de belles rues avec des maisons blanches et des vĂ©gĂ©tations abondantes Ă offrir aux touristes. Jâaime ce village, il est petit, mais il est trĂšs sympa. Et puis tous les Villaverderos sont agrĂ©ables. Ce village est toute ma vie, jâai grandi ici et tous les coins de rues me rappellent mon enfance.Â
Une enfance plutĂŽt heureuse jusquâĂ le dĂ©cĂšs de ma mamanâŠ
Ă chaque fois que je pense Ă elle, les larmes me montent aux yeux.Â
Ma mĂšre est morte. Clara Guerrero Gonzalez est morte dans un accident de voiture et elle nâĂ©tait pas seule, Antonio Rodriguez Ă©tait dans cette voiture avec elle. Le jour oĂč deux policiers ont sonnĂ© Ă la porte et quâils sont venus nous lâannoncer, je n'en croyais pas mes oreilles.
~ Flashback ~
Treize ans plus tĂŽtâŠ
â Bonsoir, madame, Monsieur Gonzalez est ici ?
â Bonsoir, oui, que puis-je faire pour vous ? demande DolorĂšs, inquiĂšte.
 â Nous sommes lĂ pour vous informer de lâaccident qui sâest produit sur la voie express A-4/E-05 et qui traverse le parc naturel de Despeñaperros Ă lâaxe principal de lâAndalousie.
â Un accident ? De qui sâagit-il⊠? sâenquit-elle les sourcils froncĂ©s ?
â DâAntonio Rodriguez et Clara Gonzalez.Â
â Mais⊠Vous ĂȘtes sĂ»r ? Il sâagit sĂ»rement dâune erreur, messieurs.Â
â Bonsoir. Que se passe-t-il ici ? demande mon pĂšre en arrivant et se tourne vers les policiers. Il sâest passĂ© quelque chose ?
â Ces messieurs viennent de mâannoncer quâil y aurait eu un accident. Et que⊠Madame est morte, ainsi que votre ami, Monsieur Antonio Rodriguez, rĂ©pond-elle, lentement et choquĂ©e.Â
Mon pÚre fronce les sourcils avec incompréhension et il se tourne vers les deux hommes.
â Je ne comprends pas. OĂč est ma femme ? Dites-moi oĂč est ma femme ?
â Votre femme a eu un trĂšs grave accident, lui rĂ©pond le second policier et il Ă©tait trop tard lorsque nous sommes arrivĂ©s sur les lieux. Ils sont morts tous les deux.
â Ils ?
â Oui, elle Ă©tait avec Antonio Rodriguez au moment du drame, monsieur.Â
Maman est morte⊠? murmuré-je tout bas.
â Non, ce nâest pas impossible. Que faisait-il au mĂȘme endroit ? Ăa nâa pas de sens.
â Je ne sais pas. Câest tout ce que nous savons, Monsieur Gonzalez.
â Non, je ne vous crois pas. Ma femme ne peut pas ĂȘtre morte. Laissez-moi, passĂ©. Il faut que jây aille voir.
Il sâempresse de sortir, mais lâun des policiers lui barre le chemin.
â Vous ne pouvez pas vous y rendre, monsieur Gonzalez, rĂ©plique le deuxiĂšme policier, la zone est sĂ©curisĂ©e. Il est interdit dây accĂ©der.
â Ăa mâest complĂštement Ă©gal, rĂ©torque-t-il, furieux. Je dois voir lâaccident de mes propres yeux !
â Calmez-vous, nous vous y emmenons. Allons-y.
Mon pĂšre sort de la maison en suivant les policiers.
â DolorĂšs, dis-je la voix presque tremblante en me tournant vers elle. Ce nâest pas vrai, hein ? Ma maman nâest pas morte ? Elle nâest pas morte ?
â Calme-toi, ma puce. Bien sĂ»r quâelle ne peut pas ĂȘtre morte. Ta mĂšre va revenir. Elle nâest pas morte, dit-elle en essayant de me rassurer le mieux que possible.Â
â Je veux ma mamanâŠÂ
Elle me prend dans ses bras tout en me caressant les cheveux.Â
~ Fin du flashback ~
Ce jour-lĂ , ma vie sâest bouleversĂ©e. DolorĂšs a tout fait pour me rassurer, me dire que ma maman nâĂ©tait pas morte et quâelle Ă©tait toujours en vie, et je lâai cru comme elle lâa cru. Je me disais quâelle allait revenir et que tout ceci Ă©tait un Ă©norme mensonge. DolorĂšs a beau mâavoir convaincu et se convaincre elle-mĂȘme, malheureusement, câĂ©tait vrai, ma mĂšre Ă©tait bien morte.
~ Flashback ~
Treize ans plus tĂŽtâŠ
Mon pĂšre rentre quelques heures plus tard Ă la maison, totalement anĂ©anti. Je m'approche de lui pour lui demander oĂč est ma maman.Â
â Papa, oĂč est maman⊠? Dis-moi que maman nâest pas morte, sâil te plaĂźt⊠?
Je pleure, mes larmes ne cessent de couler sur mes joues.
â Juan, dis-nous ce qui se passe ? OĂč est ma sĆur ? demande ma tante, complĂštement dĂ©vastĂ©e, derriĂšre moi
Il ne nous rĂ©pond pas. Il se dirige vers son bureau et sây enferme sans nous calculer. Ma tante hurle aprĂšs lui en sâapprochant de la porte tout en lui demande oĂč est ma mĂšre. Elle pleure. Je mâapproche dâelle et lui demande : Â
â Tata⊠Ma mĂšre nâest pas morte nâest-ce pas⊠? Elle nâest pas morte, hein ?Â
Elle se tourne vers moi et me dévisage du regard, les yeux larmoyants.
â Elle est morte ! Ta mĂšre est morte, Irina ! Et tout ça, câest ta faute ! hurle-t-elle.
â Non, ce nâest pas vrai, tu mens ! Tu es une menteuse ! Maman nâest pas morte ! rĂ©pliquĂ©-je en pleurant.
â Si ! Câest la vĂ©ritĂ© ! Jâai perdu ta mĂšre Ă cause de toi ! Maintenant, laisse-moi tranquille et va pleurer ailleurs !
Je lâobserve en pleurant, la gorge nouĂ©e, complĂštement accablĂ©e, pendant quâelle sâĂ©loigne de moi.
â Non⊠Ma maman nâest pas morte par ma faute⊠Je refuseâŠ
Je me retourne vers la porte du bureau et frappe de toutes les forces que je peux.Â
â Papa⊠! Papa⊠! Dis-moi que maman nâest pas morte sâil te plaĂźt⊠? Sâil te plaĂźt⊠Sâil te plaĂźtâŠÂ
Ă bout de force, je reste silencieux, le front contre la porte. Ma voix et mon corps ne me rĂ©pondent plus. Seules, mes larmes se manifestent, coulant avec abondance.Â
~ Fin du flashback ~
Je mâen rappelle comme si câĂ©tait hier⊠Et Ă ce moment-lĂ , jâai compris sans que mon pĂšre ne me rĂ©ponde. Jâai compris que ma mĂšre Ă©tait morte. Quâelle nâĂ©tait plus lĂ . Quâelle Ă©tait partie. DĂ©finitivement. Ma vie Ă complĂštement Ă©tĂ© dĂ©truite. Je ne buvais plus, je ne mangeais plus. Je voulais seulement revoir ma mĂšre.Â
Mon pĂšre, câĂ©tait pire. Il s'est enfermĂ© dans son bureau pendant des mois entiers. Il ne parlait Ă personne. Il ne voulait ni boire ni manger. Ma tante a tentĂ© tous les moyens possibles pour quâil aille mieux, mais mĂȘme avec elle, il nâa pas dâeffort.Â
Treize ans ont passĂ© et mon pĂšre ne mâa pas dit un seul mot sur ce drame. Il sâest dĂ©barrassĂ© de tous les souvenirs quâil avait avec ma mĂšre. Il ne voulait plus entendre parler dâelle. Car il pense quâelle sâest enfuie avec Antonio Rodriguez, son « supposĂ© amant ».Â
Mais le pire reste Ă venir.
Mon pĂšre a fini par Ă©pouser ma tante.Â
Quelques jours aprĂšs la mort de ma mĂšre, il lâa Ă©pousĂ©e. Je ne sais pas ce qui lui est passĂ© par la tĂȘte de faire ça, mais je ne le croyais pas capable de le faire. Pourtant, je lui ai suppliĂ© de ne pas se marier avec elle et il lâa fait quand mĂȘme.
Ă mĂȘme pas quelques jours de l'enterrement de ma mĂšre.
Ăa mâa terriblement affectĂ©. Mais je nâĂ©tais quâune enfant et je ne pouvais pas aller Ă lâencontre quâil voulait Ă©pouser.Â
Ăa mâa tellement affectĂ© que jâai fui de la maison pour mâĂ©loigner dâeux, mais ils ont fini par vite me retrouver. Je nâavais pas le choix que de revenir chez moi.
Bien que mon pĂšre se soit mariĂ© avec ma tante, ça nâa rien changĂ©. Car, durant ces treize annĂ©es, il n'a pas arrĂȘtĂ© dâĂȘtre triste et de boire. Ma tante ne lâa pas aidĂ©e bien quâelle soit devenue sa femme. Ils ne vivent pas un mariage heureux. La plupart, câest que dispute sur dispute, il se hurle dessus constamment. Jâentends parfois ma tante lui reprocher de boire beaucoup. Jâai beau mây mettre et lâaider, mon pĂšre ne nous Ă©coute pas. Il se contente de nous envoyer promener.Â
Aujourdâhui, mon pĂšre continue de croire que ma mĂšre lâa trompĂ© avec cet homme, Antonio Rodriguez. Pour couronner le tout, la moitiĂ© des gens du village colportent des sales rumeurs sur elle.
« Une femme infidÚle »
« Une Marie-couche-toi-là »
« Une aguicheuse »
« Une mauvaise femme »
« Clara Gonzalez nâa Ă©tĂ© quâune sale traĂźnĂ©e. »
Plein dâautres ragots dans ce genre et qui me glacent complĂštement le sang.Â
Moi, je nâai jamais cru Ă tout ça. Jâai toujours cru que ma mĂšre nâavait jamais trompĂ© mon pĂšre. Ma mĂšre aimait mon pĂšre et jâen suis certaine.Â
Petite, jâai voulu en savoir plus sur ce qui sâest passĂ©. Donc, jâen ai parlĂ© Ă DolorĂšs qui mâa rĂ©pondu : « Ta mĂšre nâa jamais trompĂ© ton pĂšre, mon poussin, ce ne sont que des rumeurs, ne crois pas Ă ses sottises. »Â
MalgrĂ© ce quâelle mâa dit, ça me rend toujours autant folle, furieuse et impuissante que son nom soit sali de cette façon. Ă chaque fois que je les entends mal parler dâelle, je nâhĂ©site pas une seule seconde Ă les remettre Ă leur place, et mĂȘme quand il sâagit de moi.Â
Oui.
Moi aussi, ils mâinsultent, ils mâhumilient et ils me blessent. Mais je ne me laisse pas faire. MĂȘme devant les hommes. Jâenvoie paĂźtre tous les hommes qui sâapprochent de moi qui ne cherche quâĂ mâutiliser pour leur propre plaisir.Â
Les hommes ne mâintĂ©ressent pas et au contraire, je les dĂ©teste pour ce quâils veulent de moi. Je les mets tous dans le mĂȘme sac. Des pauvres imbĂ©ciles qui pensent qu'avec quelques mots, nous serons conquises.
Je ne suis pas le genre de femme qui offre son corps pour de lâargent. MĂȘme si tous pensent le contraire. Jâai des valeurs et des principes. Je me respecte et je ne me donnerai pas au premier venu.
Quand jâĂ©tais petite, je rĂȘvais des princes charmants et je voulais tomber amoureuse dâun beau prince charmant. En grandissant, mon rĂȘve sâest volatilisĂ©. Jâai vu comment les femmes sont traitĂ©es dans ce village et comment ces salauds les courtisent.Â
En voyant mes parents si heureux et amoureux, je voulais aussi connaĂźtre un amour aussi beau que le leur.Â
JâespĂ©rais trouver mon prince charmant.
HĂ©las, aujourdâhui, câest une femme qui vous parle. Je suis une jeune femme adulte et mĂ»re. Je veux vivre ma vie, accomplir mes projets et sans avoir affaire aux hommes.Â
Je ne veux pas tomber amoureuse, lâamour ça fait trop mal.Â
La souffrance mâimpacte dĂ©jĂ au quotidien et je ne veux pas en rajouter.
Lâamour nâest quâun sentiment et lâhomme, câest autre chose.
Vous lâavez sĂ»rement compris.
Mon nom est Irina Gonzalez.
La petite fille si joyeuse est devenue une jeune femme aujourdâhui.
Ma vie nâa pas Ă©tĂ© facile depuis la disparition de ma mĂšre. Mon pĂšre mâa complĂštement dĂ©laissĂ© et me voit comme une Ă©trangĂšre. Ăa me peine profondĂ©ment.
Je pleure chaque jour la mort de ma mĂšre, car elle me manque terriblement.
Et pourtant, la vie continue.Â
Ma mĂšre, qui Ă©tait peintre, m'a transmis lâart. Câest lâune de mes passions que jâadore, dont lâĂ©criture et la lecture.
Mes peintures sont un succĂšs auprĂšs de certains gens au village qui ne me juge pas et veulent bien acheter mes Ćuvres. Jâai eu lâidĂ©e de les vendre au dĂ©but quand je voulais aider mon pĂšre pour ses problĂšmes financiers. Les ventes ont Ă©tĂ© un succĂšs malgrĂ© le refus catĂ©gorique de mon pĂšre pour mon aide. JâĂ©tais encore un enfant Ă cette Ă©poque-lĂ . Encore, je ne pouvais pas aller Ă l'encontre de ce qui ne voulait pas.
Jâai donc continuĂ© Ă les vendre pour moi et Ă Ă©conomiser jusqu'Ă ce que jâaie pu avoir une somme suffisante pour pouvoir me payer l'universitĂ©. JâĂ©tudie depuis plus de cinq ans lâart dans une universitĂ© Ă SĂ©ville. Je suis si heureuse de pouvoir Ă©tudier lâart et de suivre les pas de ma mĂšre. Ma mĂšre serait tellement fiĂšre de moi de lĂ oĂč elle est.
Aujourdâhui, câest lâanniversaire de sa mort. Et tous les jours, sans en manquer un, je lui rends visite au cimetiĂšre. Si seulement elle Ă©tait encore lĂ , ma vie serait plus facile.
â HĂ© ma beautĂ© !Â
Alors que je marche tranquillement sur le trottoir en face dâun bar, deux hommes dâune quarantaine d'annĂ©es sont attablĂ©s lâun en face de lâautre. Lâun dâentre eux vient de me siffler. Je lâignore volontairement en roulant des yeux.
â Mais viens tâinstaller avec nous, on ne mord pas ! sâexclame le second, derriĂšre moi.
Câest ça, tu ne mords pas, mais tu ne penses quâĂ passer du bon temps. ImbĂ©cile !
Dâautres hommes se rincent lâĆil pendant que je marche, mais je les ignore aussi. Certains passants me dĂ©visagent, que ce soient hommes ou femmes. Jâen souris Ă quelques-uns qui me saluent en retour. Jâai dit que les habitants de Villaverde Del Rio sont agrĂ©ables et ils le sont, mais pas tous, dâautres sont des goujats et dâautres sont sympas.
Tous ces regards sur moi sont dus au fait que je ressemble énormément à ma mÚre. Je suis son portrait craché comme dirait Adriana Rodriguez.
Notre ressemblance est frappante, je lâavoue : une silhouette en V, les cheveux dâun brun chĂątain clair, les yeux marron clair en amande, des lĂšvres joliment dĂ©finies et rosĂ©es, le visage fin et harmonieux.   Â
Pour tout vous dire, je suis contente de lui ressembler. Ma mĂšre Ă©tait une femme magnifique de son vivant. Tout le monde voyait sa beautĂ© rayonner dans les rues du village. Aujourdâhui, câest comme si j'Ă©tais un copier-coller dâelle.Â
MalgrĂ© tout ce qui peut ĂȘtre racontĂ© sur moi, je ne mâen soucie pas. Ăa me passe au-dessus, car je sais ce que je suis.Â
Mes forces sont mes valeurs et mes principes. Ils permettent de survivre.          Â
âĄ
~ Propiedad Del GonzĂĄlez ~
â Ma petite est rentrĂ©e ! sâexclame-t-elle heureuse de me voir.
â Bonjour, DolorĂšs
Cette femme est la prunelle de mes yeux. Câest une femme brave et trĂšs belle Ă lâintĂ©rieur quâĂ lâextĂ©rieur. Elle a des cheveux dâun chĂątain foncĂ©, coupĂ©s au carrĂ©, toujours ramassĂ©s en un chignon haut, qui embellit son teint mat et ses yeux clairs.Â
DolorĂšs travaille pour nous en tant que domestique, mais pour moi, elle est plus quâune domestique. DolorĂšs a toujours su s'occuper de moi, toute mon enfance, comme si jâĂ©tais sa propre fille. Elle a Ă©tĂ© encore plus prĂ©sente pour moi lors du dĂ©cĂšs de ma mĂšre. Je la considĂšre comme une deuxiĂšme mĂšre et je ne l'Ă©changerai pour rien au monde. Je lui en serais toujours reconnaissante dâavoir toujours Ă©tĂ© lĂ pour moi.Â
â Comment s'est passĂ© ta matinĂ©e, mon poussin ? me demande-t-elle en souriant.
â Bien. TrĂšs bien, DolorĂšs.
â JâespĂšre que ce nâest pas trop dur ?
Je souris.
â Bien sĂ»r que non. L'art est ma passion et je ne mâen lasse jamais.
â Oh oui, jâen suis tĂ©moin. Je suis heureuse pour toi et contente que tu suives les pas de ta mĂšre.
â Oui, je lui rĂ©ponds dâune pointe de tristesse, me souvenant encore quâaujourdâhui, câest l'anniversaire de sa date de mort.
â Tu es passĂ© au cimetiĂšre ?
â Je vais mây rendre. Je vais d'abord voir papa. OĂč est-ce qu'il est ?
â Oui, il y travaille depuis ce matin.Â
â Dâaccord.Â
â Ne tarde pas trop quand tu iras dĂ©poser les fleurs sur la tombe de ta mĂšre. Tu sais que je n'aime pas que tu traĂźnes autant dehors, ma chĂ©rie.
Elle me dit ça pour les gens qui circulent ses ragots sur moi. Mais elle nâa pas Ă sâen faire, car ce qu'ils peuvent dire sur moi, mâest complĂštement Ă©gale. Je lui offre un sourire qui se veut rassurant.
â Ne tâinquiĂšte pas pour moi. Je fais un tour au marchĂ© et me rends sur la tombe de ma mĂšre puis je rentre.
â TrĂšs bien, sourit-elle.
Je lui souris et je me dirige jusqu'au bureau de mon pĂšre. Je toque puis ouvre la porte. Jâentre.
Le bureau est sombre. Il nây a quasiment pas dâĂ©clairage. Les rideaux sont fermĂ©s. La piĂšce est complĂštement Ă l'opposĂ© du monde extĂ©rieur.Â
Je laisse Ă©chapper un soupir en voyant mon pĂšre assis dans son fauteuil. Jâavance tout en lâobservant. Ses cheveux chĂątain clair mi-longs sont lĂ©gĂšrement en bataille et son teint normalement bronzĂ© est terne. Ses iris grises lui donnent aujourdâhui un air froid. Câest un homme robuste et solitaire.
Mon regard se porte sur sa bouteille alcoolisée posée sur son bureau.
Ăa, câest du travailâŠ
Comme dâhabitude, il passe son temps Ă boire.
â Papa.
â Qu'est-ce que tu fais ici, Irina ? demande-t-il dâun ton froid.
â Je voulais te voir. Je viens de rentrer de l'universitĂ© et je voudrais qu'on discute tous les deux avant que je nâaille au cimetiĂšre sur la tombe de maman.
â Tu nâas quâĂ y aller dans ce cas.
â Mais je voudrais quâon parle. Et puis⊠Câest lâanniversaire de sa mort. Tu ne voudrais pas mâaccompagner ?
Il relĂšve la tĂȘte pour me regarder.
â Je nâai pas lâintention de rendre visite Ă ta mĂšre, tu as compris ? Sors de mon bureau.
â PapaâŠ
Je coupe ma phrase en voyant le regard noir quâil me lance.
Encore un coup de poignard dans le cĆurâŠ
â Sors immĂ©diatement de mon bureau et ne reviens plus me dĂ©ranger, Irina, ordonne-t-il, autoritaire.
Blessée, je me tourne vers la porte et l'ouvre directement lorsque que je tombe sur ma tante juste devant. Je referme la porte derriÚre moi.
â Irina, quâest-ce que tu essaies de faire ? Tu vois bien que ton pĂšre ne veut pas te voir, laisse-le tranquille, dit-elle, l'air exaspĂ©rĂ©e.Â
Ma tante Carolina.Â
Elle me voit comme une Ă©trangĂšre, dans cette maison. Elle ne mâaime pas. MĂȘme si elle fait semblant de mâaimer, je sais quâelle ne me porte pas dans son cĆur. Je me suis toujours demandĂ© pourquoi. Mais jâai toujours eu la rĂ©ponse. Je ressemble tellement Ă ma mĂšre quâelle me rejette. Au fond de moi, jâai toujours su quâelle dĂ©testait sa sĆur bien quâelle le nie.
Je me demande ce que serait-il passĂ© si ma mĂšre Ă©tait encore lĂ . Peut-ĂȘtre quâelle serait trĂšs loin de cette maison et que je vivrai en paix. Je me souviens quâelle avait prĂ©vu de voyager, mais elle nâest jamais partie. Quand ma mĂšre est dĂ©cĂ©dĂ©e elle a pris sa place. Elle s'est mariĂ©e avec mon pĂšre puis elle est tombĂ©e enceinte.Â
Mais le bĂ©bĂ© nâa pas survĂ©cu.
Par ma fauteâŠ
Pourtant, je nâai jamais voulu que ça arrive.
Malheureusement, câest arrivĂ©.Â
~ Flashback ~
Treize ans plus tĂŽtâŠ
Je suis assise sur le rebord de la piscine qui vient juste dâĂȘtre vidĂ© sur la dĂ©cision de tata. Elle ne voulait plus de piscine Ă la maison, car plus personne ne lâutilisait. Je suis triste et je pleure. Jâaurais aimĂ© quâelle ne vide pas la piscine. Je pleure aussi Ă cause de maman puisque quâelle nâest plus lĂ pour me consoler et pour me dire que tout ira bien. Elle est partie. Je ne la reverrai plus jamais.
â Maman⊠Maman, tu me manquesâŠ
â ArrĂȘte de chouiner Irina, ta mĂšre est morte et enterrĂ©e. Tu ne le sais pas ? dit la voix de tata Carolina derriĂšre moi.
Je me lĂšve et me tourne vers elle et hurle tout en articulant :Â
â Maman, nâest pas morte !Â
â Si, elle est morte, rĂ©torque-t-elle, agacĂ©e.
â Elle nâest pas morte, je te dis ! Ma maman va revenir !
â Tais-toi ! Je tâai dit quâelle Ă©tait morte ! Câest fini ! Tu ne la reverras plus jamais !
â Ma mĂšre reviendra⊠suffoquĂ©-je alors quâelle mâobserve avec mĂ©pris.
Je soutiens son regard avec insolence puis je la contourne en courant, mais elle me rattrape dans mon élan.
â Reste lĂ ! Je nâen ai pas fini avec toi.
â Laisse-moi tranquille, tu me fais mal⊠!
â Je te prĂ©viens, si tu continues Ă chouiner, je dirais Ă ton pĂšre de tâemmener loin dâici loin et de ce foutu village, tu mâentends ?Â
â Laisse-moi ! Je nâirai nulle part et mon pĂšre ne mâenverra pas loin !
Je retire mon bras de son emprise puis jâentends un cri aigu. Je me retourne et jâĂ©carquille les yeux, effrayĂ©e :Â
â Tataaaa !Â
Ma tante vient de tomber dans la piscine. Elle sâest Ă©crasĂ©e au sol avec son bĂ©bĂ© dans le ventre.Â
â Irina, Irina, quâest-ce qui se passe ? Pourquoi tu criais ? Oh mon Dieu ! Madame, sâaffole DolorĂšs Ă mes cĂŽtĂ©s, voyant ma tante Ă©tendue sur le sol de la piscine.
â Du⊠Sang⊠Du sang, DolorĂšs, balbutiĂ©-je, en sanglotant. Je nâai pas fait exprĂšs, je nâai pas fait exprĂšs, je te jureâŠ
â Non... Je sais⊠Mais allons vite Ă lâintĂ©rieur prĂ©venir ton pĂšre.Â
~ Fin du flashback ~