Les terres de ma mĂšre *
~ Villaverde Del Rio ~
Irina
â Comme je te lâai dĂ©jĂ dit, les rĂ©coltes de ton pĂšre vont de pire en pire. Et lâusine de Santa Cruz vient tout juste de rompre le contrat. Tout Ă lâheure, il mâa avouĂ© quâil veut arrĂȘter toute la production des aubergines. Jâai essayĂ© de le convaincre en lui disant de ne pas laisser tomber et quâon peut trouver une solution.
Hugo et moi marchons sur le trottoir prĂšs de la place alors quâil me raconte en dĂ©tail les problĂšmes que rencontre mon pĂšre avec ses rĂ©coltes. Je laisse Ă©chapper un soupir. Mon pĂšre a travaillĂ© si dur pour entretenir ces terres. Ăa me laisse triste et impuissante d'entendre ça.
â Je veux vraiment lâaider, Hugo, vraiment, mais il ne me laissera pas le faire. Mon pĂšre est si tĂȘtu et ne voudra pas entendre raison.
â Et ça m'Ă©nerve qui le soit Ă ce point. Je sais quâon peut trouver cette solution. On peut faire en sorte que les terres de ton pĂšre ne fassent pas faillite.
â Pourquoi est-ce que tu tiens tant Ă ces terres Hugo alors qu'elles ne sont mĂȘme pas Ă toi ?
â Parce qu'elle ne peut pas rester inactive, Irina. Ces terres doivent continuer Ă ĂȘtre cultivĂ©es. J'aime y travailler et j'y tiens. Si tu voyais tous les ouvriers qui travaillent avec la mĂȘme envie et le mĂȘme plaisir que moi, tu me comprendrais. Ăa serait dommage qu'on abandonne tous.
Je soupire à nouveau et retire ma main, qui était accrochée autour de son bras depuis que nous avons quitté la maison.
â Tu as raison. Mais quâest-ce que tu veux faire ? Quoi que tu puisses faire, il ne tâĂ©coutera pas, Hugo. Je pense que tu devrais laisser tomber.
â Non, me dit-il en s'arrĂȘtant face Ă moi, car jâai pu effectuer des recherches et devine quoi ?
Je hausse les sourcils en attendant qu'il continue.
â J'ai dĂ©couvert que les terres qui sont derriĂšre vos serres et qui n'appartiennent Ă personne sont en rĂ©alitĂ© au nom de ta mĂšre.
Je suis surprise. Ma mĂšre avait des terres et je n'Ă©tais pas au courant ? Je ne m'attendais pas Ă ce retournement de situation. Pourquoi je ne lâai pas su avant ? Ăa aurait tout changĂ©.
â Quoi ? Tu es sĂ»r de ce que tu dis ? Alors... Ces terres font forcĂ©ment partie de mon hĂ©ritage Hugo.
â Peut-ĂȘtre, mais il faudrait que tu te renseignes.
â Celui qui peut me renseigner exactement, c'est mon pĂšre. Mais je pense qu'il ne voudra pas les utiliser et encore plus parce qu'elles ont appartenu Ă ma mĂšre.
â Ăa, tu ne peux pas en ĂȘtre sĂ»r avant de lui demander, Irina. Tu dois le faire, c'est trĂšs important.
â Oui, mais... Hugo... Je ne sais pas. Laisse-moi, y rĂ©flĂ©chir. Je vais voir ce que je peux faire.
âĄ
~ Propiedad Del GonzĂĄlez ~
Je peigne depuis deux heures dans ma chambre, perdu dans mes pensĂ©es. Ma discussion avec Hugo, mâa donnĂ© un peu dâespoir. Je suis certaine que les terres de ma mĂšre font partie de mon hĂ©ritage. Je nâen ai aucun doute. Mais je dois quand mĂȘme le demander Ă mon pĂšre. Quand il me l'aura confirmĂ©, je lui dirais de les prendre et de les utiliser. Il faut qui les utilisent. Il pourra alors de nouveau produire ses aubergines sur de nouvelles terres.
J'observe ma toile. Ce soir, jâai peint avec envie et plaisir. Je me suis rappelĂ© le moment oĂč jâĂ©tais seule dans le jardin en regardant les Ă©toiles. Jâai alors reproduit cette image en peinture : moi de dos contre un tronc dâarbre en train dâobserver les Ă©toiles. Ma reprĂ©sentation est magnifique.
Ăa me plaĂźt.
Je range mes affaires de peinture puis je me dirige dans ma salle de bain afin de me laver les mains. Jâen sors quelques secondes plus tard. Ensuite, je vais au lit aprĂšs avoir enfilĂ© un pyjama. Je rĂ©cupĂšre la photo de ma mĂšre sous mon oreiller. Les yeux humidifiĂ©s par mes larmes, jâobserve la photo : ses cheveux sont attachĂ©s dans un chignon haut, une mĂšche retombe sur son front. Son teint bronzĂ© illumine son visage. Son sourire Ă©clatant rend mon cĆur plus meurtri. Ses iris en amande brillent. Elle avait l'air si heureuse, apaisĂ©e. Elle Ă©tait si belle.
Petite, je ne comprenais pas forcĂ©ment pourquoi tout le monde la regardait quand elle marchait dans les rues en mâaccompagnant Ă lâĂ©cole. Je lâai compris en grandissant que câest parce que tout le village la trouvait trĂšs belle. Et câest vrai, elle Ă©tait resplendissante et je le lui disais souvent. Je lui disais quâelle Ă©tait la plus belle maman du monde. CâĂ©tait la meilleure. Elle me grondait souvent mais, elle Ă©tait trĂšs comprĂ©hensive.
Si seulement tu Ă©tais lĂ âŠ
â Tu me manques tellement maman.
Je dĂ©pose un baiser sur ma photo quand soudain, j'entends des bruits de pas prĂšs de la porte de ma chambre. J'Ă©teins rapidement ma lampe de chevet et me couche avec la photo de ma mĂšre collĂ©e contre ma poitrine. Le bruit de la porte grince dans la piĂšce. Le son des pas se dirigent vers mon lit. JusquâĂ ce que je sente cette prĂ©sence s'asseoir sur mon lit. Je reconnais mĂȘme son odeur.
Je connais cette odeur par cĆur.
L'odeur de papa.
Je ne bouge pas et continue de fermer les yeux. Jâattends de savoir ce quâil lâamĂšne jusquâici.
â Irina... commence-t-il, lentement. Je sais Ă quel point tu as dĂ» souffrir quand ta mĂšre nous a quittĂ©e. Jâaimerais te dire que ce nâest pas ta faute. Tu sais comment jâai vĂ©cu cette trahison. Tu en es tĂ©moin. Aussi, je me suis rendu compte Ă cause de ça, je nâai pas pu ĂȘtre lĂ pour toi et Ă quel point tu es devenue une femme. Irina⊠Je suis dĂ©solĂ© que tu nâaies pas eu cette figure paternelle durant ces treize derniĂšres annĂ©es. Je mâen excuse. Mais⊠comme je te lâai dit, je ne peux plus ĂȘtre ce pĂšre que tu voudrais que je sois. Ce nâest plus possible.
Ce nâest plus possible⊠? Pourquoi⊠? Pourquoi papa ?
â Alors⊠jâespĂšre que me le pardonneras, ajoute-t-il lentement.
Mon regard est plongĂ© dans le vide, encore sous le choc de ses paroles. Je ne comprends pas. Je ne comprends rien. Une larme glisse sur ma joue lorsque je mâapprĂȘte Ă me tourner vers lui.
â PapaâŠ
Il est parti. Mon pĂšre vient de quitter ma chambre. Je laisse Ă©chapper un soupir de tristesse et me redresse en mâadossant sur la tĂȘte du lit. Jâallume ensuite ma lampe de chevet et reprends la photo de ma mĂšre dans mes mains. Les larmes aux yeux, je contemple lâimage de ma mĂšre.
â Pourquoi papa mâa dit ça ? Tu es la seule personne Ă pouvoir me lâexpliquerâŠ
Je colle fermement sa photo contre ma poitrine, oĂč se situent les battements de mon cĆur, brisĂ©e. Une larme perle Ă nouveau sur ma joue tandis que mes yeux se ferment lentement.
âĄ
Le lendemainâŠ
â Ma maison nâest pas une auberge. Alors je vous en prie, prenez vos valises et sortez de chez moi.
Je sors de lâatelier de ma mĂšre en entendant la voix de ma tante depuis le hall. Je fronce immĂ©diatement les sourcils en voyant ma marraine avec ses valises. PrĂšs dâelle, DolorĂšs est lĂ aussi Je mâapproche dâeux.
â Quâest-ce qui se passe ici ? Je peux savoir ?
â Ta marraine doit sâen aller. Elle nâa plus rien Ă faire ici, me rĂ©pond ma tante.
â Elle est arrivĂ©e hier. Tu ne peux pas la chasser.
â Bien sĂ»r que je peux. Câest ma maison, Irina. Je dĂ©cide de qui entre et sort dans cette maison.
Je roule des yeux, trÚs agacée.
â Ne me provoque pas et ne joue pas la carte de lâinsolence avec moi, ça ne marchera pas, Elena doit partir. mâordonne-t-elle dâun ton autoritaire et irritĂ©.
â Elle doit rester ici, intervient DolorĂšs. Ce nâest pas juste que vous la chassez de la maison madame. Elle fait partie de la famille.
â Toi boucles lĂ oĂč je ferais de mĂȘme avec toi. Qui tâa demandĂ© de lâouvrir, DolorĂšs ? Tu nâes personne ici quâune simple domestique.
â Je suis bien plus quâune servante, madame, rĂ©torque-t-elle, sĂšchement. Je veille sur ma petite Irina comme une mĂšre. Le rĂŽle que vous deviez tenir quand votre sĆur est morte.
â Ah assez ! siffle-t-elle. Je vois que tu te rebelles, mais ça ne va pas se passer comme ça. Toi aussi, tu pars.
â Elle nâira nulle part, dis-je, furieuse contre elle. DolorĂšs va rester ici et ma marraine Ă©galement. Câest plutĂŽt toi qui dois quitter cette maison, Carolina.
â Je ne te ferais pas ce plaisir, Irina, me dit-elle dâun regard noir. Je sais trĂšs bien que ton rĂȘve, câest de me voir quitter cette maison, mais je ne bougerai pas. Car ma place est ici aux cĂŽtĂ©s de mon mari. Tu piges ?
Je la foudroie dĂ©libĂ©rĂ©ment du regard. Mais comment peut-on ĂȘtre aussi point mĂ©chante ?
â Ma chĂ©rie, ce nâest pas grave, dĂ©clare-t-elle dâune voix empreinte de sagesse, les mains sur mes bras. (Je me retourne pour lui faire face.) Ne t'en fais pas pour moi, je sais oĂč aller vivre.
Mon cĆur se serre. Je suis tellement en colĂšre !
â Non, marraine, je ne veux pas que tu partes. Tu restes ici. Je vais le dire Ă papa⊠et tu pourras rester.
â Non, ce nâest pas la peine. Je prĂ©fĂšre de loin aller vivre ailleurs que de subir la mĂ©chancetĂ© de ta tante, dit-elle en lui lançant un regard rempli de froideur.
â Partez, ça me fera des vacances, rĂ©torque-t-elle.
â Mais je vais partir, Carolina, dit-elle en se rapprochant dâelle. JâespĂšre juste pour toi que tu laisseras, Irina tranquille et que tu cesseras de lui faire du mal. Elle ne le mĂ©rite pas. Si je le pouvais, je lâemmĂšnerais loin de toi et de tes griffes !
Ma tante lĂšve les yeux au ciel pendant quâelle lâobserve avec condescendance.
â Faites ce que vous voulez avec votre filleul, mais vous sortez de chez moi, lĂąche-t-elle avec mĂ©pris.
â Quâest-ce qui se passe ici ? demande-t-il les sourcils froncĂ©s.
Mon pĂšre sâest approchĂ© de nous en se plaçant Ă cĂŽtĂ© de Carolina. Jâallais lui rĂ©pondre, mais Elena prend la parole avant :
â Jâai pris la dĂ©cision de partir. Je ne souhaite pas dĂ©ranger davantage.
â MarraineâŠ
Elle me coupe, me lance un regard rassurant pour me prier de ne pas en dire davantage.
Je ne veux pas quâelle parte. Câest vraiment injuste.
â Je pensais que vous alliez rester plus longtemps Elena et puis⊠Irina est trĂšs heureuse de vous savoir ici et moi aussi. Je vous en prie, restez. Il y a assez de la place dans la propriĂ©tĂ©.
â Tu vois ? MĂȘme papa veut que tu restes.
â Câest gentil Ă tous les deux, mais je prĂ©fĂšre partir de la maison. Je ne quitte pas le village tout de suite. Je vais prendre un hĂŽtel le temps que je reparte.
â Si câest ce que vous souhaitez, trĂšs bien. Au revoir Elena.
Mon pÚre nous tourne le dos et rejoint son bureau. Je laisse échapper un soupir en fusillant ma tante du regard qui jubile de la situation. Puis je regarde ma marraine avec peine. Elle dépose sa main sur ma joue.
â Elena ne part pas, sâil te plaĂźt. Papa nây voit aucun inconvĂ©nient Ă ce que tu restes.
â Nâinsiste pas, ma chĂ©rie. Câest mieux que je parte. Et puis, je ne serais pas loin ma chĂ©rie. Tu pourras venir me voir quand tu veux, sourit-elle.
â ArrĂȘte de chouiner Irina et laisse lĂ partir, gronde ma tante derriĂšre moi.
â Ferme-la Carolina, lui lance ma marraine.
Je ferme les yeux et soupire. Je fais face Ă ma tante et contiens toute la rage qui me consume. Je nâai mĂȘme plus les mots pour dĂ©crire sa cruautĂ© au point de rendre ma vie pĂ©nible quâelle ne lâest dĂ©jĂ . Carolina lĂšve les yeux au ciel puis elle dĂ©vie son regard sur DolorĂšs.
â Tu me prĂ©viendras quand elle sera partie. Les adieux ce nâest pas ce que je prĂ©fĂšre, ironise-t-elle dâun sourire hypocrite.
Je lâobserve pendant quâelle quitte le hall pour disparaĂźtre dans le couloir.
â Quelle vieille peau celle-lĂ , souffle DolorĂšs de colĂšre.
â Ce nâest pas grave, lui sourit, Elena. Allez, ma chĂ©rie, ne pleure pas.
â Je t'accompagne, dis-je Ă contrecĆur.
Elle ouvre la porte et nous sortons ses valises.
â Ă tout Ă l'heure, DolorĂšs.
â Ă tout Ă lâheure, mon poussin.
âĄ
~ Hotel ~
â Marraine, je peux rester avec toi ? je lui demande alors que nous entrions dans la chambre d'hĂŽtel quâon lui a donnĂ©e.
Elle hausse les sourcils.
â Restez ici ? Non ma belle. Tu dois retourner chez ton pĂšre.
â Chez mon pĂšre ? Ah non, marraine, je ne veux pas retourner lĂ -bas oĂč rĂšgne toute son indiffĂ©rence. Il a osĂ© te laisser partir vivre dans un hĂŽtel alors quâil pouvait encore insister Ă ce que tu restes. Il se fiche que je souffre. Câest incroyable !
â Oui, mais ce nâest pas grave. Ne tâĂ©nerve pas contre lui, ma chĂ©rie. Calme-toi. Je sais que câest difficile, mais câest ton pĂšre et tu dois vivre avec lui. Tu ne peux pas vivre dans cette chambre avec moi.
Je soupire et baisse les yeux puis elle relĂšve ma tĂȘte aussitĂŽt, plongeant ses yeux verts dans les miens.
â Ăcoute-moi, dâaccord ? Tout va bien pour moi.
Je lâenlace et la serre fort contre moi.
â Je tâaime beaucoup.
â Moi aussi, ma grande.
~ Propiedad Del GonzĂĄlez ~
Quelques heures se sont Ă©coulĂ©es. Le soleil vient Ă peine de se coucher lorsque je rentre chez moi. Je suis allĂ©e me balader prĂšs de lâĂ©tang. Au fond de mon cĆur, jâespĂ©rais rencontrer Bruno, comme la derniĂšre fois. Malheureusement, je nâai vu aucune trace de lui. NĂ©anmoins, jâai encore mal quâil ne mâa pas reconnue lâautre jour. Ăa mâa vexĂ© et mis trĂšs en colĂšre. Je ne comprends pas pourquoi il a fait comme si on ne sâĂ©tait jamais frĂ©quentĂ©s ou quâon nâa jamais Ă©tĂ© amis. Ai-je changĂ© Ă ce point ? Il ne me voit plus comme avant ? Câest Ă©trange. Soit il a fait semblant, soit câest vraiment vrai et il mâa complĂštement oubliĂ©. Effacer de sa vie.
Hugo nâavait pas tort, je dois lâoublier. Car si notre amitiĂ© de lâĂ©poque Ă vraiment compter pour Bruno, il se serait souvenu de moi. Je dois arrĂȘter de penser Ă lui. Il nâest plus notre ami maintenant. Il ne fait plus partie de notre monde.
â OĂč est-ce que tu Ă©tais, Irina ?
Mon pĂšre me questionne en me croisant dans le couloir. Alors que je suis envahi par mes pensĂ©es. Je mâarrĂȘte et le regarde, les sourcils lĂ©gĂšrement froncĂ©s, surprise quâil veuille savoir oĂč jâĂ©tais. Dâhabitude, ce que je fais ne l'intĂ©resse pas.
â Jâai accompagnĂ© ma marraine Ă lâhĂŽtel et ensuite, je suis allĂ© me promener aux cascades.
â Aux cascades ? JâespĂšre juste que câest vrai et que tu n'Ă©tais pas avec n'importe qui, Irina.
â Je ne suis pas avec nâimporte qui papa, rĂ©pliquĂ©-je, le ton lĂ©gĂšrement agacĂ©. Pourquoi tu ne me crois jamais ?
â Je prĂ©fĂšre te prĂ©venir. Je sais ce qui est dit sur toi au village. Et je ne tolĂšre pas que tu puisses salir mon nom en suivant les maudits pas de ta mĂšre. Tu as compris ? lĂąche-t-il froidement en me dĂ©visageant du regard.
Je soutiens son regard et rétorque :
â Ma mĂšre n'a jamais rien fait ça. J'ai toujours cru qu'elle ne t'a pas trompĂ© comme tu le penses. Tu as prĂ©fĂ©rĂ© croire tous les mensonges de ma tante et tu lâas Ă©pousĂ©.
â Ăa ne sâest pas passĂ© comme ça, rĂ©torque-t-il Ă son tour. Si je lâai Ă©pousĂ©, câest parce que je lâai voulu, Irina.
â Oui, bien sĂ»r⊠Au point, dâoublier maman qui tâaimait sincĂšrement. Tu lâas remplacĂ© tellement vite.
â Et comment tu peux savoir quâelle mâa aimĂ© ?
â Parce que je le sais quâelle t'a toujours aimĂ©e.
â Tais-toi. Tu ne sais rien de lâamour, Irina.
â Jâen sais suffisamment pour ĂȘtre certaine, que maman, tâas toujours aimĂ© et si profondĂ©ment quâelle n'oserait jamais te tromper papa.
â Je tâai dit de te taire, rugit-il.
Ces mots, bien qu'ils me fassent de la peine, je reste fiĂšre, soutenant ses prunelles qui me fusille du regard.
â Me taire, rĂ©pĂ©tĂ©-je exaspĂ©rĂ©e, câest ce que tu as fait quand ma tante Ă chasser ma marraine de la maison. Tu ne lâas mĂȘme pas contredit.
â Jâai proposĂ© Ă ta marraine de rester et tu Ă©tais lĂ . Tu as tout entendu, Irina. Alors ne me rejette pas la faute dessus. Compris ?
â La seule fautive dans cette histoire, câest Carolina. Câest elle qui lâa poussĂ© Ă partir et tu tâen fiches que ça mâaffecte. Tout tourne autour de ton Ă©pouse, insistĂ©-je sur le mot Ă©pouse
â Carolina est mon Ă©pouse Irina, rĂ©torque-t-il.
â Maman aussi lâa Ă©tĂ©.
â Ta mĂšre mâa trompĂ© !
Je laisse échapper un soupir.
â En fin de compte, câest toi qui ne lâas pas aimĂ©.
Il sâapproche de moi puis attrape mon bras fermement, tout en me fixant froidement :
â Tu ne sais pas ce que tu dis ! Jâai aimĂ© ta mĂšre et tellement, mais elle nâa pas su en profiter parce quâelle mâa quittĂ© pour un autre ! Maintenant, tu comprends ?!
â LĂąche-moi.
Sa respiration haletante, il finit par me lĂącher le bras de façon brusque, le regard dur toujours fixĂ© au mien. Je repense Ă cette nuit, Ă ces mots quâil mâa prononcĂ©s en pensant que je dormais. Ce quâil mâa avouĂ© n'a plus de valeur aujourdâhui. Car jâai compris que mon pĂšre ne changera jamais. Il accusera encore et toujours ma mĂšre.
Ăa me dĂ©truit.
Pourtant, je fais tout pour rester fiĂšre devant lui. Mais au fond de moi, de mon cĆur, sa rĂ©action me brise une nouvelle fois, encore plus quâavant. Câest affreux. Il ne cessera jamais de me faire du mal et je lui en voudrais toujours pour ça.
â Maintenant, je ne veux plus jamais que tu me parles de ta mĂšre et ce qui sâest produit par le passĂ©, est-ce que câest clair, Irina ?
â TrĂšs clair.
Les mots sortent de ma bouche automatiquement, sans pour autant ĂȘtre dâaccord avec lui. Je suis trĂšs indiffĂ©rente.
Mon pĂšre dĂ©tourne le regard. Ensuite, il part, me laissant de marbre. Je me dirige dans ma chambre. Une fois Ă l'intĂ©rieur, je la referme aussitĂŽt. Je laisse Ă©chapper un soupir tandis que mes pieds me mĂšnent vers mon lit. Je mâallonge, le corps Ă©puisĂ© par la vie que je mĂšne. Jâai besoin de me reposer. De dormir. Ăa me fera du bien.
AprĂšs ma petite sieste dâune heure environ, je me suis mise Ă Ă©tudier mon devoir maison pour lâuniversitĂ©. TrĂšs concentrĂ©, je nâai pas entendu DolorĂšs entrer dans ma chambre. Je lĂšve les yeux de ma feuille pour la regarder.
â Tu as de la visite, Irina, sourit-elle.
Et si câĂ©tait Bruno ?
Ah non, Irina arrĂȘte de te faire des films sâil te plait !
Je reporte mon attention sur DolorĂšs.
â Qui câest ?
â Sofia est venue te voir. Mais quâest-ce qui se passe ? Ă qui tu pensais ?
Son regard curieux et suspicieux me fait sourire.
â Ă personne, DolorĂšs. Allez, dis-lui dâentrer, je la presse.
â Oh, tu ne me dis pas tout, toi, dit-elle en levant un sourcil, le sourire aux lĂšvres. Mais ok, d'accord, si tu veux le garder pour toi, je nâinsiste pas. Je vais chercher ton amie.
Elle sort de la chambre pendant que je souriais toujours avant de secouer la tĂȘte. DolorĂšs revient avec Sofia quelques secondes aprĂšs. Je pousse mes affaires de cours pour lui laisser de la place sur le lit.
â Vous avez faim ? nous, propose DolorĂšs.
Je regarde Sofia.
â Tu as mangĂ© ? je lui demande.
â Non. Mais ça me dit de dĂźner chez toi, sourit-elle.
â TrĂšs bien, je vous apporte ça tout de suite.
DolorĂšs sort.
â Alors, toi ça va ? Tu avais l'air trĂšs occupĂ©.
â Câest le cas oui, mais je finirai une fois quâon aura dĂźnĂ© et discuter ensemble.
â Tu as des choses Ă me dire Ă ce que je vois, hum ?
â Oui et ça tombe bien que tu sois lĂ . Jâai vu Bruno. Il est de retour au village.
â Je suis au courant. Tout le monde au village le sait, Irina.
â Ah, oui, Ă©videmment.
â Et alors, vous avez parlĂ© ? Comment il est ? Est-ce quâil a changĂ© ?
Je souris, et la regarde sans trop savoir par oĂč commencer. Je suis encore toute retournĂ©e par son retour. Elle fronce les sourcils sans effacer ce sourire bĂ©at qu'elle a aux lĂšvres.
â Allez, dis-moi ? Quâest-ce qui se passe, Irina ?
â Oui, il a beaucoup changĂ©, jusquâà ⊠ne pas savoir qui jâĂ©tais.
â Quoi ? Comment ça, il nâa pas su qui tu Ă©tais ?
â Il ne mâa pas reconnu Sofia. Ăa mâattriste beaucoup et sans compter ma colĂšre.
â Attends, vraiment ? Ce nâest pas une blague ?
â Jâai lâair de plaisanter ? Câest la vĂ©ritĂ©, il ne sait plus qui je suis. MĂȘme quand je lui ai dit qui jâĂ©tais.
â Mais câest impossible, Irina. Il doit forcĂ©ment avoir une erreur. Si ça se trouve, il est beaucoup perturbĂ© par ta beautĂ© et de la femme que tu es devenue aujourdâhui, que tu lâas sans doute intimidĂ©e.
â Non, ne dis pas de bĂȘtise, Sofia. Je te lâai dit : Bruno ne mâa pas reconnue. Il mâa oubliĂ©. Je dois faire pareil.
â Bon, et comment est-il ? Tu ne mâas pas dit. Beau ?
â TrĂšs⊠beau.
â Il te plaĂźt ?
â Mais non ! Câest juste⊠Un ami. Un ami. Comme toi, Hugo et Rosa.
â Humm, mais est si, ça devenait plus quâun ami ?
â Ăa nâarrivera jamais, et mĂȘme si je le voudrais, Sofia. Bruno appartient Ă un autre monde. Et moi, je ne suis quâune femme qui fait parler tout le villageâŠ
â Ah non, Irina, ne parle pas comme ça ! Tu sais que je nâaime pas quand tu te dĂ©valorises.
Je soupire puis je me lĂšve. Je fais quelques pas et me tourne vers elle :
â Pourtant, câest la vĂ©ritĂ©, ces rumeurs n'arrĂȘteront pas de me poursuivre oĂč que jây aille.
Elle se lĂšve du lit et sâapproche de moi.
â Je sais, mais tu ne dois pas te sentir dĂ©faitiste. Les gens finiront par parler dâautre chose. Tu dois juste ĂȘtre fiĂšre de la personne que tu es, Irina.
Je la regarde et lui offre un sourire en guise de remerciement. Ces mots me réconfortent.
â Votre repas est lĂ , les filles. Oh, quâest-ce qui se passe ? demande-t-elle en nous regardant une par une, inquiĂšte.
â Tout va bien, DolorĂšs, merci pour le dĂźner. Tu peux le poser. Nous allons manger, lui rĂ©ponds Sofia en souriant.
â TrĂšs bien, dit-elle en dĂ©posant le plateau contenant deux assiettes de tapas, avant de se tourner vers nous. Appelez-moi, si vous avez besoin dâautres choses. N'hĂ©sitez pas.
â Merci, DolorĂšs.
Elle quitte ma chambre et nous retournant sur le lit pour commencer Ă manger.
â Je pense que tu devrais essayer d'aller le voir, non ?
â Chez lui ? Non, Adriana va sĂ»rement me renvoyer de chez elle si elle me trouve lĂ -bas. Je ne veux prendre aucun risque. Et souviens-toi quand Hugo et moi on a voulu voir Bruno, pour quâil sorte jouer avec nous. Sa mĂšre l'a interdit de nous voir.
â Oui, mais nous avons tous grandis, Irina. Nous sommes des adultes. Cette bonne femme ne va tout de mĂȘme pas continuer de tâinterdire de voir Bruno.
â Elle ne s'arrĂȘtera pas, et mĂȘme sâil est revenu. Ăa ne changera rien Sofia. Adriana Rodriguez me dĂ©teste. Elle serait prĂȘte Ă tout pour que je mâen aille loin de son fils.
â Elle est cruelle. Mais toi, tu es plus intelligente quâelle. Tu sais lui tenir tĂȘte.
â Je ne veux pas me battre avec elle, Sofia. Si elle ne veut pas que Bruno soit proche de moi, alors je prĂ©fĂšre rester loin de lui et de sa famille. Câest mieux.
â Si tu le dis Irina. Mais câest dommage que tu te laisses vaincu, Ă cause, dâelle.
Je soupire et hausse les épaules.
â De toute façon, je ne compte plus pour Bruno, notre ancienne amitiĂ© ne compte plus pour lui.
â Tu ne sais pas, tant que tu ne le lui auras pas demandĂ©, Irina.
â Tu sais quoi ? Changeons de sujet parce que si je continue de parler de Bruno avec toi, ça ne finira jamais ! Et puis, il faut que je te raconte ce quâHugo mâa dit hier soir
â Hier ? Vous vous ĂȘtes vu ? demande-t-elle, les sourcils haussĂ©s.
â Oui. Il est venu me voir pour me parler de mon pĂšre.
â Ton pĂšre ? Quâest-ce quâil lui arrive ?
â En fait, il a des problĂšmes au travail et jâaimerais l'aider Ă rĂ©soudre son problĂšme.
â Quel genre de problĂšme ?
â Sa production va mal et si on ne fait rien, il risque de tout perdre. Et je ne veux pas que ça arrive. Mon pĂšre a eu tellement de mal Ă se reprendre en main aprĂšs la mort de ma mĂšre que je ne veux pas quâil perde aussi la derniĂšre chose quâil lui reste.
â Je comprends. Que comptes-tu faire ?
â Eh bien, Hugo mâa dit que ma mĂšre avait des terres Ă son nom. Elle a sĂ»rement dĂ» les hĂ©riter de mon grand-pĂšre. Je pense quâelles font partie de mon hĂ©ritage.
â Câest possible, Irina. Et tu penses, les offrir Ă ton pĂšre ?
â Oui, câest ce que je compte faire. Mais je suis sĂ»r quâil savait dĂ©jĂ pour ces terres et si vraiment, il en avait besoin, il les aurait utilisĂ©es depuis longtemps.
â Tu crois que câest parce quâelles ont appartenu Ă ta mĂšre quâil ne veut pas les utiliser ?
â Oui, je nâen ai aucun doute lĂ -dessus. Donc, je ne suis pas sĂ»r qu'il voudra les utiliser si je lui demande.
â Je comprends ton pĂšre, et je sais que ce nâest pas facile ce qui vous est arrivĂ©. Mais il ne doit pas oublier que ta mĂšre Ă compter pour toi. Il devrait faire la part des choses et prendre les terres de ta mĂšre.
â Mon pĂšre ne veut pas entendre raison. Il ne veut mĂȘme plus que son nom soit mentionnĂ© Ă la maison. Il lâa effacĂ© de sa mĂ©moire en Ă©pousant ma tante.
â Câest triste et je sais combien tu en souffres, Irina.
Je dĂ©tourne le regard, en restant silencieuse jusquâĂ ce qu'elle me pose une question, dont jâĂ©tais loin d'imaginer :
â Irina, tu es amoureuse de Hugo ?
â Quoi ? Non.
â Vraiment... ? Enfin, je veux dire, il ne t'intĂ©resse pas ?
â Non, Sofia, il ne m'intĂ©resse pas, affirmĂ©-je, toujours surprise. Pourquoi tu me demandes tout ça ?
Elle secoue la tĂȘte.
â Pour rien, Irina, rien.
â Dis-le-moi. Es-tu amoureuse de lui ?
Elle Ă©vite mon regard qui se montre insistant. Jâavais des soupçons depuis quelque temps, et maintenant, câest confirmĂ©.
â Sofia⊠Pourquoi tu ne me lâas jamais dit ?
Elle me regarde.
â Eh bien⊠J'ai prĂ©fĂ©rĂ© le garder pour moi, tu vois. Parce quâHugo est amoureux de toi.
Je laisse échapper un soupir.
â Non, ce nâest pas possible, tu te trompes, Sofia. Hugo⊠Hugo nâest pas amoureux de moi.
â Irina, ne me dis pas que tu nâas rien remarquĂ© ?
â Mais remarquez quoi ?
â Quâil tâaime.
Je lĂšve les yeux au ciel, ennuyĂ©e d'entendre la mĂȘme chose.
â Tu es aveugle, Irina, insiste-t-elle. Ne fais pas cette tĂȘte. Hugo est bien amoureux de toi. Il a toujours eu des sentiments pour toi, mais tu lâas toujours ignorĂ©.
â ArrĂȘte Sofia, stop. Je nây crois pas un mot. Quâest-ce que tu me racontes ? Non, je ne peux pas le croire.
â Pourtant, câest la vĂ©ritĂ©. Il tâaime.
â Sofia...
â Je sais que tu n'as pas forcĂ©ment envie de l'entendre, mais il Ă©tait temps que je tâouvre les yeux.
â Peu importe la vĂ©ritĂ© Sofia. Tout ce qui m'intĂ©resse, câest toi, car maintenant que, tu mâas dit que tu lâaimais, je me sens vraiment mal pour toi. Jâai lâimpression que je te gĂȘne.
â Oui, je lâaime, Irina, dit-elle en baissant les yeux. MaĂŻs non, tu ne me gĂȘnes pas. Hugo⊠Ne sâintĂ©ressera jamais Ă moi, je le sais.
â Ne dis pas ça, dis-je en la prenant par la main pour quâelle me regarde. Tu es trĂšs belle, et mĂȘme si Hugo, lui, ne le voit pas. Il y aura forcĂ©ment un autre que tu aimeras, non ?
â Non Irina. Jâaime Hugo du plus profond de mon cĆur et je ne pense pas aimer quelquâun dâautre que lui.
â Sofia⊠soupirĂ©-je, lĂ©gĂšrement. Tout ce que j'espĂšre, câest que tu finisses par ĂȘtre heureuse avec l'homme qui tâaimera en retour, que ce soit lui ou un autre.
Elle esquisse un petit sourire triste.
Quelques minutes aprĂšs le dĂ©part de Sofia, je sors sur le perron. DolorĂšs mâa dit que jâavais une autre visite, mais jâignore qui c'est, puisque je ne vois personne. Je descends des escaliers et fais quelques pas en cherchant mon visiteur aux alentours. Personne. Câest une blague ? Personne ne mâattend dehors. DolorĂšs a sĂ»rement dĂ» se tromper.
â Bonsoir.