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III – Douceur Rose

La Folie des Merveilles

III – Douceur Rose 

      Lucie poursuivait son chemin à travers les méandres captivants de ce monde étrange. Après une courte marche à travers les herbes géantes, elle finit par l’apercevoir : le champignon évoqué par l’homme-papillon.

     Majestueux, il se dressait tel un pilier fabuleux, avec son tronc rose tendre et son chapeau arrondi de pois bleus. 

      Mais cette merveille pâlissait face à ce qui se trouvait juste à ses côtés.

      Une boulangerie colossale trônait là, comme surgie d’un songe sucré. Les murs semblaient avoir été peints avec du sucre et un soupçon de baisers. Les vitres étaient délicatement teintées de glaçage filé. Un parfum de vanille, de cannelle et de fruits confits flottait dans l’air - si doux qu’on aurait pu croire qu’il caressait les pensées.

"Bienvenue chez Douceur Rose".

Il était écrit sur la devanture.

      Devant la façade, deux portes attirèrent l'attention de Lucie : l'une immense, digne d'un géant et l'autre plus discrète, à sa taille.    Après une brève hésitation, elle poussa la petite porte. 

      Une clochette tinta, cristalline.

      À l’instant même, elle ressentit une chaleur réconfortante si savoureuse qu’elle aurait pu faire pleurer un roi. Les étagères croulaient sous les gâteaux moelleux, les brioches rebondies, les tartes juteuses et les pains dodus.

     Mais le plus étrange — et peut-être le plus merveilleux — était encore à venir.

      Sous ses yeux ébahis, les pâtisseries prirent vie. 

     Les macarons se mirent à rouler en farandole, les cupcakes tourbillonnaient comme des ballerines en robe de chantilly et les tartelettes bondissaient gracieusement dans les airs. 

      À son passage, de petits oiseaux en guimauve gonflèrent leur poitrine rose et entonnèrent, d’une voix sucrée :

      — Chez Douceur Rose, le sucre s'impose, et même les rois en tombent de leur trône ! 

      Lucie sourit, amusée.

      Elle s'approcha du comptoir et fit tinter une petite clochette. Depuis l'arrière-cuisine, une voix pleine de gaieté se fit entendre :

      — Oui, oui, une minute ! J'arrive tout de suite ! 

      Un homme à la moustache ondulée fit son entrée. Vêtu d’une toque rose presque trop grande et d’une veste assortie recouverte de farine. Il tenait dans ses mains une tour d'assiettes si haute qu'elle menaçait de s'écrouler.

      — Me voici ! Un peu de patience ! 

     Il lutta pour maintenir l'équilibre. 

      — Ma chérie en sucre ! Où dois-je poser la porcelaine de grand-maman... ? 

      Une voix douce et chantante répondit depuis le fond :

      — Près des sablés au miel, mon ourson d'amande… ! 

     L’homme traversa la boutique sous les applaudissements d’un bataillon de biscuits au miel, puis déposa sa pile d'assiettes. Il tapota ensuite ses mains avec satisfaction, un large sourire illuminant son visage.

      — Voilà ! Grand-maman sera fort fière de voir sa précieuse porcelaine si bien utilisée !

      — Oh, absolument ! Et pourquoi ne pas lui envoyer quelques douceurs aussi ?

      — Une idée brillante, ma pomme d'amour ! Je vais lui concocter quelque chose de sensationnel !

      — Tu es un homme si attentionné, mon tendre pain d'épice... Ta bonté fait chavirer mon cœur... ! 

      — Non. C'est toi, ma sucette à la fraise, qui fais battre mon cœur comme un fouet en plein sabayon !

      — Oh, mon doux esquimau... ! 

      — Ma tendre meringue... ! 

        Lucie écoutait l'échange candide de ses deux nouveaux personnages. "En voilà des conjoints niaiseux… Ils vont fondre, à force de se sucrer la parole." Pensa-t-elle, un sourcil arqué.

      — Tiens donc... 

     Le boulanger interrompit soudain sa tirade mielleuse pour fouiller ses poches, un pli soucieux barrant son front. 

      — Où ai-je pu égarer mon carnet de recettes... ? Il gratta sa moustache poudrée de farine.  Ma praline aux noix, l'aurais-tu aperçu... ?!

      — Peut-être dans les tiroirs des cloches en chocolat… ? 

      Lucie baissa les yeux.

      Elle aperçut un carnet posé sur le comptoir. Sur sa couverture dorée, on lisait en lettres bouclées : “Douces recettes de gourmandises”

      — Il est ici, monsieur… ! 

      Le boulanger se tourna. Un sourire éclatant s’étira sur ses lèvres.

      — Ah ! Merci bien, jeune demoi... !

Sa phrase mourut avant même d’atteindre la fin.

      Son regard se figea et son sourire s’éteignit comme une bougie sous la pluie.

     — Oh quel malheur…

     Il recula d’un pas, tenant son carnet écorné devant lui tel un bouclier dérisoire, les mains légèrement tremblantes.

      — C-Cerise ! Il balbutia. Viens vite... ! Il... Il y a une petite fille ! Ici, dans notre boulangerie... ! 

      — Une petite fille... ? Répéta la femme, refermant son four. Et bien ? Pourquoi sembles-tu si perturbé par cela ? 

      — Tu ne comprends point, Cerise... Ce n'est pas n'importe quelle enfant... ! 

    — Enfin, voyons mon chou à la crème, de quoi parles-tu... ?!

    La boulangère entra dans la boutique. 

     C’était une femme au visage plein et rayonnant, les joues dorées par la chaleur du four, les mains encore poudrées de sucre glace. Son chignon brun miellé était si parfaitement noué qu’il aurait pu rivaliser avec une brioche de compétition. Sa robe pastel était parsemée de petites fleurs. Elle semblait incarner la chaleur d’un foyer bienveillant, une douceur sucrée en robe d’été.

      — Alors, qu'y a-t-il... ?

      — Là, regarde... !

       La femme tourna la tête vers Lucie.

      Son visage se figea aussitôt. Un cri étouffé s'échappa de ses lèvres avant de porter ses mains à sa bouche. 

      Avec effroi, celle-ci se glissa derrière son mari comme pour se protéger d'une menace invisible mais lourde de sens.

      — Non… ce n’est pas possible… Dis-moi que ce n’est pas…

      — Aucun doute. Elle ne vient pas d'ici. Regarde-la : son visage, ses vêtements... cet air perdu. Il n'y a aucun doute... C'est Alice... ! 

      À ces mots, il frissonna comme s'il venait de prononcer une terrible malédiction.

      — C'est impossible, Berry... Cela fait des années qu'aucune Alice n'a mis les pieds dans notre monde !

      — Et pourtant, en voilà une devant nous !

       Ce fichu nom, 'Alice', rebondissait dans sa tête comme une balle perdue. Pourquoi tout le monde lui collait ce prénom comme une étiquette ?

      — Quel désastre... Si quelqu'un l'apprend, s'en est fini de nous ! 

      — Pourquoi dites-vous cela ? Questionna Lucie, un sourcil levé. Ai-je fait quelque chose de mal... ?

      Le boulanger bafouilla, gêné :

      — Non, non... ! Du tout...

      — Alors, posez cela. Je vous vois très bien même cacher derrière. 

      Le mari gémit avant de poser lentement le cahier sur le comptoir.

      — Oh non, Cerise ! J'ai croisé son regard ! Je suis perdu, je le sens... 

     — Courage, mon Berrinounet ! Tant que nous demeurons ensembles, nous pourrons surmonter toutes épreuves… !

      — Tu as raison, ma chouquette. Oui... Tout ira pour le mieux… Nous devons juste la faire partir d’ici.

          Il se tourna alors vers Lucie. 

      — Nous sommes navrés, mais tu n'appartiens pas aux Merveilles. Nous ne pouvons te servir. 

      — Et alors ? Quel est le problème à venir d'ailleurs ? Répondit Lucie. Vous me parlez comme si j'étais une personne dangereuse… !

      — Ce n'est pas toi, ma petite... La douce femme intervint hésitante. C'est ce que ton arrivée représente.

      — Et qu'est-ce que ça signifie ?

      — Des ennuis pour tout le monde... 

      — Berry Honeycutt, ne dit pas de telles choses !

      La boulangère se tourna vers la fillette, un sourire forcé sur le visage, bien que son regard trahisse de l'inquiétude.

      — Excuse-le, ma petite. Mon Berrinounet se laisse parfois submerger par ses peurs. Mais ici, tu n'as rien à craindre... Pas de nous, en tout cas…

      Lucie s’interrogeait. L'incompréhension flottait dans l'air, lui échappant comme une brume insaisissable.

Et cela la frustrait grandement.

      — C'est un homme-papillon qui m'a guidée jusqu'ici. Raconta-elle. Il m’a assuré que vous pourriez m'aider.

      — Un papillon, dis-tu... ? Écarquilla la femme. Serait-ce Absolem... ?!

      — Impossible ! Cette vieille chenille ne s'occupe jamais de personne. Tout ce qu'il fait, c'est fumer sa pipe et paresser à longueur de journée… !

      — Mais... Peut-être a-t-il changé, mon chéri… ?

      — Changer ? Lui ? Ne sois pas naïve, Cerise... Souviens-toi de sa dernière entrevue avec l'ancienne Alice. Une véritable catastrophe !

      — Cela remonte à plus de vingt ans. Nous ne pouvons exclure qu’Absolem ait enfin consenti à accorder une seconde chance aux Alices… 

      — Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons rien faire... Désolé, petite. Tu dois partir et vite. 

      Lucie resta figée, la colère montant en elle.

      — Vous me jetez dehors ? Comme ça ? Je ne suis point une poussière qu'on balaie d'un revers de main... 

      Mais le boulanger ne répondit rien. Cerise, en revanche, la fixait, visiblement troublée.

      — Très bien. Je me débrouillerai seule... comme j’ai toujours su le faire.

      L'orpheline se détourna, mais avant qu'elle n'atteigne la porte, la boulangère sentit son cœur se compresser. Une émotion profonde s'empara d’elle, mêlant compassion et inquiétude.

      — Non Berry, nous ne pouvons pas la laisser dehors ! Il ne faut pas abandonner une enfant égarée… 

      — Cerise, je comprends ton empathie, mais les risques sont trop grands. Tu sais combien les Merveilles sont périlleuses et instables…

      — Précisément. Si nous la laissons seule, ils la trouveront… ! Rappelle-toi, quand les Alices venaient ici. Ces instants de joie... N'aimerais-tu pas les revivre… ?

      L'époux se remémora ses jours joyeux. Il soupira, déchiré entre la prudence et le désir de faire une différence.

      — Je te comprends, mais les choses ont changé. Cette enfant... Elle représente un péril, car elle est…

      — Lucie... ! Je ne suis pas Alice, mais Lucie.

      — Entends-tu, Berry ? Elle est Lucie. Et son destin sera différent des autres, car cette fois-ci, elle aura des alliés dans ce monde.

      Le boulanger, touché par la détermination de sa femme, se laissa convaincre.

      — Très bien, Lucie… Nous allons t'aider.

      — Vraiment... ? 

     Sa femme fut attendri.

      — Merci, mon sucre d'orge… 

      — Je ferai tout pour toi, ma crème brûlée... 

      Les deux complices se dévisagèrent avec tendresse et baisers soufflés dans les airs.

      — Oh, mais… quelle impolitesse de notre part ! 

      La boulangère sursauta, une main sur la poitrine.

      — Dans toute cette agitation, nous ne nous sommes même pas convenablement présentés à Lucie, mon chéri ! 

      — Ah, certes ! Nous n’avons guère entonné notre chanson de bienvenue ! Il est grand temps de remédier à cela !

      Lucie haussa un sourcil. "Une chanson... de bienvenue ?" 

Pensa-t-elle, à moitié sceptique et intriguée.

      — Assieds-toi, mon enfant ! 

La boulangère la guida vers un canapé moelleux. 

      — Voici un thé, préparé avec amour à l’aide des fleurs de notre jardin. Tu verras, il est exquis… ! 

      Lucie accepta la tasse, mais n'eut pas le temps de tremper ses lèvres que Berry commença à bloquer la lumière de la boulangerie.

      Les rideaux furent fermés.

      — Mes délicieuses salutations à toutes nos précieuses créations ! Aujourd'hui, nous avons l'honneur de recevoir la plus illustre des invitées des Merveilles ! Alors, exposez-lui vos talents les plus exquis ! 

      Prenant enfin une gorgée, la jeune Liddell se demandait avec curiosité ce qui allait se produire.

      Une douce mélodie soudaine s'éleva, la boulangerie se mit à scintiller et les pâtisseries, réveillées, se mirent toutes à bouger. Les macarons dansaient, les cupcakes virevoltaient, et les éclairs bondissaient joyeusement. Un véritable ballet sucré. Au centre, Cerise fit son entrée. 

      Fixant Lucie avec bienveillance, la boulangère entonna joyeusement :

♪♫

« — Bienvenue à toi, Lucie, dans notre douce boulangerie,

Où les gourmandises font chanter la mélodie.

Je suis Cerise Honeycutt, quel immense plaisir !

Croissants dorés, biscuits fondants,

Nougatine et viennoiseries sont mes talents !

Un soupçon de bonheur pour chaque instant !

Mon secret ? Ton sourire, tout chaud.

La cerise sur le gâteau... ! »

      Alors que la douce femme balançait son corps au rythme de la chanson, Berry fit son entrée derrière elle, ses yeux remplis de tendresse.

      — Tu es resplendissante, ma douce Cerise. Murmura-t-il d'un amour sincère. Une vraie vedette de gourmandise… 

      Il saisit la main de sa femme, y déposa un baiser délicat puis la fit tournoyer. Avec un pas de danse léger, Berry se tourna vers Lucie après un petit toussotement et chanta avec enthousiasme :

♪♫

« — Bienvenue, Lucie, dans notre boulangerie,

Berry Honeycutt à ton service, petite lady !

Mille-feuille croustillant, tarte légère,

Mains farinées, je vais te faire le meilleur des desserts !

Découvre donc les gâteaux de non-anniversaire.

Emballe-le, retourne-le, mets une décoration dessus.

Et avec, il ne manquera plus que la théière et un sucre... ! »

      La maison des sucreries débordait de douceur et de rires, une oasis de chaleur où Lucie, un instant, oubliait les ténèbres de son monde. Berry et Cerise, rayonnants, semblaient faits de lumière et de tendresse, enveloppant la fillette d'une bienveillance réconfortante.

      Cependant, alors que la paix et la joie semblaient régner, une étrange dissonance vint troubler cet instant parfait. La mélodie légère ralentit, s'alourdissant d'un ton mélancolique. 

     Une note sombre perça l'harmonie, stridente et discordante. Elle s'immisça dans l'air, brisant la sérénité et faisant frissonner Lucie, dont l'oreille capta immédiatement cette anomalie troublante.

      Berry réapparut. Son visage, arborant une expression dramatique et tourmentée, comme s'il portait un fardeau qui le malmenait. D'un geste solennel, il posa une main sur son cœur et commença d'une voix lourde de sens :

♪♫

« — Je dois t'avouer, petite Lucie, que te voir me fait frissonner.

Il ne faut pas m'en vouloir.

T'as venu n'est pas signe de chance assurer.

Mon doux cœur rouge coule de sirop à la framboise.

Quand je pense à l'Armée impériale venir nous décapiter... ! »

      Cerise croisa les bras devant son époux.

      — Berry chéri, je t’en prie, épargne-nous ces sombres paroles... Elles n'ont rien à faire dans notre présentation... !

      Mais celui-ci ne sembla pas l'entendre. Le regard absent, il semblait englouti par ses tourments.

♪♫

« — Il ne faut pas trop parler.

Les secrets de ce monde sont lourds à porter.

Les ombres rôdent, nous menacent à tout moment,

Nous rappelles qui sont les pions dans cet échiquier géant. »

Alors, Alice.

Laisse-moi te demander :

« Qui sera la prochaine pièce à tomber... ? »

      — Berry Honeycutt, cela suffit ! Tu vas finir par effrayer notre invitée ! 

      La boulangère rouvrit les rideaux, les éclats de soleil revenant dans la boulangerie. 

       Les pâtisseries retournèrent tristement à leurs vitrines, comprenant que le spectacle était désormais terminé.

      Berry, un peu chancelant, sembla revenir à lui. Un hoquet nerveux échappa à ses lèvres, signe qu'il avait pris conscience de son élan de dramaturge. 

      — Pardonne-moi, ma sucette au caramel. Murmura-t-il en déposant un baiser sur sa paume. Je me suis laissé emporter par mes émotions... Les mots m’ont échappé sans que j’en prenne garde.

      — Je le sais, mon sucre d’orge. Mais souviens-toi, il faut toujours répandre un peu de douceur et de joie. Les temps sont déjà bien assez sombres, ils ont besoin d'un moment de répit. 

      — Tu as raison, comme toujours. Quelle chance j'ai de t'avoir à mes côtés... 

      — Mon Berinounet... !

      — Ma Cerise d'amour... ! 

      Lucie les regarda, abasourdie. "Ils ont vraiment un don pour m'ignorer, ceux-là..." pensa-t-elle, exaspérée par leur cocon d'amour débordant.  Troublée, la jeune fille oscillait entre agacement et inquiétude, les paroles énigmatiques de la chanson de Berry tournaient en boucle dans son esprit.

      Lucie ouvrit la bouche pour demander des explications. Mais un cri soudain l'interrompit.

     — Berry ! Cerise ! J'ai une grande nouvelle... ! 

     Blême, l'homme à la moustache se figea :

      — Par tous les gâteaux du monde... C'est Roselyne. 

     Cerise écarquilla les yeux, portant une main à sa bouche.

      — Vite, Lucie ! Il faut te cacher avant qu'elle ne te voie ! 

      — Q-quoi ?! Mais... ! Avant tout, je souhaite comprendre ces paroles… !

      — Plus tard, ma chère, plus tard ! 

      Sans attendre davantage, Cerise Honeycutt l'entraîna précipitamment à l'étage. La boulangère referma la porte derrière elles, le souffle court, comme si le moindre bruit pouvait trahir leur présence.

      En bas, Madame Roselyne Oreillefine fit irruption, un panier à la main. Sa peau d'ébène et ses cheveux crépus formaient un nuage volumineux, doux comme une barbe à papa. Elle portait une imposante robe verte, ornée de froufrous et de volants blancs qui bruissaient à chacun de ses mouvements.

      La femme s'immobilisa au centre de la pièce, redressant sa tête coiffée d'un extravagant couvre-chef de plumes et de clochettes.

      — Berry ! Cerise ! Où vous cachez-vous donc… ? Ne me dites pas que vous m’évitez, mes chers amis… !

      Le boulanger, accroupie derrière le comptoir, se redressa d’un sourire crispé :

      — Roselyne… ! Quel… euh… plaisir… ! Que me vaut cette visite fort inespérée… ?

      — Oh Berry, tu ne devineras JAMAIS ce que j'ai appris ce matin au marché de l'Oubliette... !

      Elle se pencha, ses clochettes sonnantes depuis son chapeau.

      — On dit... qu'Alice est revenue... ! 

      — U-une... A-Alice ? Il bégaya. 

      — Mais oui ! N'est-ce point exaltant ?! Je savais que cela te troublerait !

      — Des rumeurs, Roselyne, des rumeurs voyons...

      — Oh, mais celles-ci sont bien plus que de simples racontars ! Une Alice revenue... ça ne s'était pas vu depuis des décennies. C'est le signe que quelque chose de GRAND se prépare. Quelque chose d'énorme, je te le dis !

      Le boulanger sentit son estomac se nouer tandis que la cliente balayait le coin du regard.

      — Mais où est donc Cerise... ? Elle n’est jamais loin, toujours collée à toi, tel le glaçage sur un mille-feuille !

      — Elle est... partie dans les bois… cueillir de sublimes framboises ! Tu sais combien elle chérit les fruits frais pour ses tartes…

      Il espérait être convaincant.

      — Cueillir des framboises, hein... ? 

      La femme plissa les yeux, sondant le boulanger. 

      — Ah, Berry… Tu n’es point un habile menteur, tu sais. Quoi qu’il en soit, je vais te laisser pour aujourd’hui, mais ne crois pas m’avoir dupée… ! Si quelque chose se trame ici, je le saurai. Rien ne se cache à Roselyne Oreillefine… !

      Avant qu'elle ne puisse renchérir, Berry trouva une distraction.

      — Et si nous passions aux douceurs, ma chère… ?! J'ai justement des pains aux mûres tout juste sortis du four... Encore chauds, comme tu les aimes !

     La femme frémit d’impateince. 

      — Oh, mais tu sais parler à mon cœur, mon ami ! Montre-moi donc ça, et vite… !

      Elle s'engouffra dans la cuisine, tandis que Berry referma précipitamment la porte derrière eux, un soupir discret s'échappant de ses lèvres.

      — Par le croissant d'or d'une brioche... Elle va vraiment finir par me cuire à petit feu, celle-là..

      À l'étage, Cerise surveillait les bruits du rez-de-chaussée.

      —  Ils sont dans les cuisines, ma petite. Avançons avec délicatesse… Ce n’est pas par hasard que Roselyne porte le nom d’Oreillefine… !

      Lucie effleura le tissu d'une robe en velours, ses yeux parcourant les portants chargés de vêtements.

      — Une salle d'essayage... dans une boulangerie ? 

      — Bien sûr voyons ! Croissant et tenue élégante, que demander de mieux... ?

      La fillette ouvrit la bouche pour répliquer, puis la referma, confuse. À vrai dire, elle ne savait pas quoi répondre à une logique aussi absurde qu'implacable.

      L'étage de la boutique était un mélange curieux : un salon de thé aux murs pastel où des vêtements colorés s'entassaient, suspendus sur des portants. À l'arrière, des cabines d'essayage se cachaient derrière des rideaux brodés.

      — À présent, il te faut une nouvelle tenue... On ne traverse pas les Merveilles dans une robe froissée et poussiéreuse… Et puis, elle ne t'ira bientôt plus.

      Lucie la regarda, confuse.

      — Pourquoi ça ?       

      — Disons que les Merveilles se plaisent à jouer avec les proportions. Et en tant qu'Alice, il me faut te préparer !

      La petite Liddell croisa ses bras, soudainement agacée.

      — Encore ce nom... Pourquoi m'appelle-t-on ainsi ?

     Cerise lui sourit.

      — Ici, le nom d’Alice est conféré à celles qui viennent d’ailleurs, égarées dans notre monde, cherchant à retrouver leur chemin.

      — Et… combien d'Alices y a-t-il eu avant moi ?

      — Fort nombreuses, en soi. Chacune a laissé son empreinte, une histoire, parfois belle, parfois tragique…

     — Comme… une certaine Ayline... ?

    Une ombre passa sur le visage de la boulangère. 

      — Oui. Ayline était comme toi... Une jeune enfant en quête de son chemin... Une Alice.

      — Cette fille et les autres... où sont-elles maintenant ? Comment ont-elles réussi à rentrer ?

      Cerise détourna les yeux.

      — Toutes les Alices ne trouvent pas leur chemin. Certaines ont cherché jusqu’à l’épuisement, tandis que d’autres ont disparu sans laisser de traces.

      — Tu veux dire que… aucune n'a réussi à revenir… ?!

     La boulangère secoua la tête.

      — Pas que nous le sachions. Elles sont restées piégées ici... Les Merveilles ne libèrent personne facilement.

      Elle décrocha une robe. 

      — Ah, voilà... !

      La douce boulangère ajouta un tablier blanc brodé, des souliers vernis et des sous-vêtements, qu'elle glissa dans une trappe murale avant de la refermer d'un claquement discret.

      — Tout est prêt désormais. Entre donc… !

      La cabine était exiguë mais raffinée avec juste ce qu'il fallait : un tabouret lilas trônait et un peignoir moelleux accroché à un crochet.

      — Déshabille-toi, mon enfant !

      — Euh… Entièrement... ? Lucie hésita.

      — Bien sûr, voyons… !

     L'orpheline soupira, résignée. Ses doigts hésitèrent sur le bouton de son col et elle jeta un regard furtif vers le rideau, s'assurant qu'il ne risquait pas de s'ouvrir.

      — Dans cette cabine, il se trouve une porte dissimulée. Ouvre-la et avance, on se rejoint de l’autre côté ! Avertit Cerise, laissant l'enfant seule. 

"De l'autre côté... ?"

      Intriguée, Lucie aperçut une fine ligne verticale sur le mur de la cabine. Elle serra la ceinture de son peignoir et posa la main sur la surface. La porte glissa, révélant un couloir étroit aux murs roses.

      Au bout, une porte blanche et une table portant une boîte. 

      S'approchant, l'orpheline découvrit une inscription soigneusement posée à côté : « N'en prenez qu'un. » Celle-ci souleva le couvercle, pour découvrir des biscuits aux beurres décorés.

"Mange-moi."

Il était écrit dessus.

      Lucie hésita, puis en prit un. La première bouchée savourée, un étrange frisson parcourut son corps, montant de ses orteils jusqu'au sommet de sa tête.

      N'y prêtant pas attention, la jeune Liddell ouvrit la porte suivante.

      Et elle s'arrêta net.

      La pièce ressemblait à celle quitter précédemment, mais tout y était gigantesque. Le tabouret lilas était tel une montagne, les souliers noirs des sculptures pour géants et au centre pendait une robe bleue majestueuse. 

      Et puis, alors... 

      Un second frisson la traversa à nouveau.

      Soudain, son corps commença à grandir et à grandir.

      Encore et encore. 

      Ses mains tremblaient, ses membres s'étiraient tandis que le monde gigantesque autour d'elle rapetissait.

      Finalement, la fillette ouvrit les yeux. 

      Elle ne mesurait plus quelques millimètres.

      Non, plus maintenant.

      “Comment était-ce possible ?”

S'interrogea-t-elle, son esprit chamboulé par sa transformation.

      Mais bien que surprise, la fillette nue enfila rapidement la robe bleue. Le tissu soyeux et les souliers noirs vernis s'ajustèrent parfaitement à sa nouvelle taille. 

     Lucie sortit de la cabine et se planta devant un grand miroir doré. Elle inclina légèrement la tête. Quelque chose dans son reflet la dérangeait… ou peut-être était-ce l’inverse. Une robe bleue. Des souliers noirs. Elle pinça les lèvres, sans savoir pourquoi. 

    Son reflet, élégant et raffiné, dévoilait une image d'elle qu'elle n'avait pas reconnue depuis bien longtemps. 

      Les voix de Berry et Cerise, provenant du rez-de-chaussée, la tirèrent de ses pensées. Elle descendit de l'étage sans tarder.

      — Pourquoi ne pas choisir l’herboriste… ? Proposa Berry.

      — Il hait les Alices. 

      — Alors, Dumbty ?

      — Trop maladroit pour parer un danger, voyons. 

      — Et Mme Winifred, la fleuriste ?

      — Non, je n'aime pas sa coupe de cheveux.

      Lucie haussa un sourcil par cette réponse inattendue. Elle sentait que les boulangers débattaient sérieusement de son sort, mais elle ne comprenait pas pourquoi certains choix semblaient si étrangement exclus.

      — De quoi parlez-vous.. ? Intervient-elle. La dame n’est plus là ?

      Berry hocha, souriant.

      — Roselyne est partie depuis quelque temps… mais non sans quelques pains aux mûres ! 

      — Oh, mais quelle sucrerie exquise ! S'exclama Cerise en admiration. Te voilà resplendissante, ma petite Lucie, et parfaitement à la taille pour la suite !

      — Après avoir mangé ce biscuit, j'ai grandi... encore et encore, en un clin d’œil !

      — Tu as dû être surprise ! Alors, comment te sens-tu ?

      — Bien. Enfin, je crois...

      — Excellent ! Tu t'en es bien sortie. Nombreux sont ceux qui, après une transformation si subite, en finissent pâles et nauséeux… sans compter que nos tapis en ont souvent souffert… !

      — Mon Berrinounet, épargne-moi ces douloureux souvenirs… J’ai dû jeter les plus beaux, tant ces incidents furent terribles…

      — Pardonne-moi, ma praline… ! Peut-être faudrait-il racheter ces tapis ?

     Cerise baissa tristement la tête.

      — Hélas, c'est impossible. Ils ne sont plus à la friperie…

      Le boulanger se tapa le cœur, meurtri.

      — Oh, quelle tragédie ! Comment allons-nous survivre sans eux ?!

      — Je me le demande bien…

       Lucie esquissa une grimace en écoutant les conjoints débattre de tapis et de friperies. Leur excentricité, à la fois amusante et déroutante, lui fit se demander si tous les habitants des Merveilles partageaient cette étrange habitude de passer d'un sujet à l'autre sans transition. 

      — Ces biscuits dans le couloir... Est-ce vraiment cela qui m’a fait grandir ?

      — Exactement, ma petite Lucie ! 

      Cerise se tourna vers elle, un sourire radieux. 

      — L’étage de notre boulangerie offre un service spécial : nos pâtisseries peuvent, selon le besoin, modifier la taille de ceux qui les consomment, pour grandir ou rapetir.

      Berry hocha la tête.

      —  Les Merveilles se divisent en deux régions : Little Hope, où tout est minuscule, et Grand Despair, où tout est gigantesque. Étant  à la frontière, nous aidons ceux qui désirent ajuster leur stature selon leur destination. 

      — Nous sommes, en quelque sorte, les passeurs des Merveilles... ! Conclut la boulangère, toujours enthousiaste.

      Soudain, un bruit sourd fit trembler la porte d'entrée. Cerise porta une main à son cœur, tandis que Berry fronça les sourcils, déjà sur le qui-vive.

      — Un coup de vent, peut-être... ?

      Le pâtissier s'approcha prudemment de la porte. Ses yeux scrutèrent l'allée bordée de bosquets de roses entourant leur boutique.

      — Je ne vois personne…

      Mais il s'arrêta net. 

      — Cerise... Tu as bien retourné le panneau d'ouverture ?

      — Bien sûr, mon pain d'épice, je l'ai fait. J'en suis certaine !

      — Pourtant, i-il n'est plus là… ! Q-quelqu'un est passé par ici... !

La boulangère pâlit.

      — Vite, Lucie ! Il te faut partir… !

      — Quoi, maintenant... ? Interrogea la jeune fille, surprise.

      — Notre boulangerie est trop fréquentée, et toi, tu es recherchée. On te poursuivra sans relâche. 

      — Alors, je dois retrouver le Lapin Blanc. Il pourrait m'aider.

      Cerise et Berry échangèrent un regard.

      — Nivens... ? Il serait revenu aux Merveilles ?

     La femme regarda son mari avec espoir. 

      — Mais…, même s’il est revenu, je crains qu’il ne puisse t’aider comme tu l’espères. Ramener les Alices de lui-même... ce n'est pas dans ses pouvoirs.

      Un second bruit fit claquer la porte, accentuant l'urgence. Cerise se précipita pour écrire une lettre qu'elle scella dans une enveloppe.

      —  Tu iras chez le Chapelier Fou. Il est imprévisible, mais te protégera.

      Berry revint avec un petit sachet en tissu.

      — Prends ceci : un biscuit pour grandir, une fiole pour rapetisser. Garde-les précieusement, tu pourrais en avoir besoin en temps de grand péril.

      — Les Merveilles peuvent être magnifiques, mais aussi mortelles Lucie. Tu dois être prudente. 

     Cerise l’avertit. 

      — Tes vêtements s'adapteront à ta taille, d’accord… ? Le Chapelier adore les énigmes, fait preuve d'audace et d’esprit, et il pourrait se révéler un allié précieux.

      — Très bien... Je vais tâcher d’y parvenir.

       Les boulangers poussèrent la porte de l'arrière-boutique, dévoilant un petit jardin, bordé par une dense forêt.

      — Suis le sentier. Un panneau te mènera à la demeure du Chapelier. Et évite la Ville de Cœur, les soldats y sont omniprésents. Si tu les rencontres, tu devras fuir !

       Lucie hocha la tête, tandis que la boulangère l'entoura de ses bras.

      — Prends soin de toi, ma chérie. N'oublie pas que tu as des amis ici qui se soucient de toi. Si jamais tu as besoin d'aide, n'hésite pas à revenir.

      — Merci... vraiment.

     L'orpheline fut touchée, bien qu'un peu maladroite dans cette accolade inhabituelle.

      Berry posa une main bienveillante sur son épaule.

      — Bonne chance, Lucie… Et sois prudente.

     Et ainsi, la jeune fille s'engageait sur le sentier, son cœur lourd d'incertitude, mais empli de courage.

       Les boulangers contemplèrent le départ de la fillette jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la forêt. Cerise esquissa un sourire peiné. Berry, inquiet, passa une main nerveuse sur sa moustache poudrée.

      — Penses-tu qu'elle s'en sortira... ? Murmura la femme.

      — Difficile à dire. C'est une Alice, elle ne pourra pas échapper aux ombres des Merveilles...

      Cerise se blottit contre lui, trouvant un maigre réconfort dans l'étreinte rassurante de son mari.

      — J'espère qu'elle trouvera son chemin, Berry. Et peut-être, avec un peu de chance, des alliés pour veiller sur elle...

      — Seul le temps nous le dira, ma douce.

     La femme resta silencieuse. Elle s'attachait facilement aux âmes égarées et Lucie n'y avait pas échappé. L'idée de cette enfant parcourant seule un monde si imprévisible lui pesait.

      Un bruit sec la tira brusquement de ses pensées. La pancarte de la porte d'entrée, disparue plus tôt, s'écrasa soudainement au sol. 

     Berry se tourna, son regard oscillant entre l'objet et le plafond.

      — Mais… comment... ? 

     Cerise avança d'un pas hésitant.

     Et puis, finalement.

     Elle comprit.

     La douce femme inspira profondément, tentant de calmer le trouble qui l'envahissait. Il n'était pas la peine de chercher.

Car après tout…

Cette personne était déjà parmi eux.

♫ — Je crois bien qu'on m'a trouvé... ♫ 

      Une silhouette ténébreuse surgit d’un coin. Appuyé contre une poutre de bois, un jeune homme aux oreilles pointues et à la queue ondulante les fixait, un sourire acéré illuminant son visage.

      — Quelle joie de vous voir… Cela faisait longtemps que je frappais sans réponse. Alors, je suis entré.

      — Que veux-tu, Cheshire… ? Si c'est pour semer le trouble, tu peux repartir immédiatement. 

      Le félin s’étira, sa queue ondulant tel un serpent.

      — Voyons, Cerise. Quelle hostilité... ! Je venais simplement saluer mes boulangers favoris. Vos douceurs me manquaient...

      — Nous ne sommes rien pour toi. Pas après tout ce que tu as fait…

      Le demi-chat haussa un sourcil, un éclat moqueur dans ses yeux félins.

      — Voyons, Berry. N'est-ce point un peu sévère… ? Je viens simplement admirer notre nouvelle invitée... La nouvelle Alice est plutôt charmante, ne trouvez-vous pas… ?

     La femme le toisa amèrement du regard.   

      — Prends garde, nous ne tolérerons que tu lui fasses du mal.

      — Moi, lui faire du mal ? Oh, quelle idée... Susurra-t-il, son ton mielleux dégoulinant de sarcasme. Mais je dois avouer que la tentation est parfois... difficile à ignorer.

      Avant qu'ils ne puissent réagir, le félin disparut soudainement, avant de réapparaître sur le comptoir, sa queue se balançant doucement.

      — Rassurez-vous. Pour l'instant, je ne compte n'être qu'un simple spectateur curieux à cette pièce…

      Il se pencha vers eux, son sourire acéré.

      — Mais dites-moi, pourquoi la protéger… ? Vous savez fort bien ce qu’elle représente…

     Cheshire ricana.

      — Vous pensez qu'elle peut briser le cycle ? Quelle naïveté… Chaque Alice, tôt ou tard, tombe… inévitablement. 

      — Pas cette fois... La boulangère serra son tablier. Lucie sera différente des autres. Nous en sommes convaincus. 

      Le chat à moitié humain éclata d'un rire tonitruant, résonnant dans la boulangerie comme une cloche sinistre.

      — Continuez donc à jouer les protecteurs… C’est si touchant. Mais dites-moi… Ayline fut elle-même une enfant. Où était donc votre bravoure, à l’époque… ?

      Les mots frappèrent les conjoints tel une massue.

      — Nous n’avons fait qu’aider une enfant en détresse... Répondit le boulanger. Elle avait besoin d'aide, et nous ne pouvions pas la laisser.

      Cheshire sourit davantage, savourant leurs réponses comme une friandise.

      — Je vois que le poids des remords a enfin fait son œuvre. Après tout, la lâcheté est un péché qui finit toujours par peser...

      — Ça suffit, Cheshire. Pars.

      — Vous pouvez tout me confier, vous savez. N'étions-nous pas proches, autrefois ?

      — Peut-être. Mais ce temps est révolu... Nous savons désormais combien tu peux être une nuisance pour ceux qui t’approchent.

     Berry, les bras croisés, ajouta d'un ton curieux mais incisif :

      — Toi qui aimes tant attiser les esprits, pourquoi ne nous dis-tu pas où tu étais passé… ? Comme le Lapin, tu as disparu sans un mot.

      Le demi-chat semblait amusé à ses paroles.

      — Disons que je suis partout et nulle part à la fois. Tel une ombre insaisissable, je glisse entre les recoins de ce monde. Mais rassurez-vous, je reste toujours... bien informé.

      — Voilà que tu éludes la question. J'imagine que tu as tes raisons... On a tous nos excuses quand on fuit le monde, pas vrai, Cheshire… ?

      Le sourire du félin persista, mais cette fois, il semblait légèrement contrarié par la remarque de la boulangère.

      — Toujours aussi perspicace, Cerise. Oui, j'ai mes raisons de préférer l'obscurité à la lumière. Mais c'est ce qui me rend si mystérieux et fascinant, n'est-ce pas… ?

      — Mystérieux ? Peut-être. Fascinant ? Ça reste à voir.

      Le rire de Cheshire s'éleva.

      — Ah, mes chers amis, vous m'aviez presque manqué. Il y a longtemps, que je n’avais point ri ainsi… !

      — Ne nous appelle pas ainsi. On ne peut faire confiance à quelqu'un qui traite la vie comme un simple jeu. 

      — Les amis, les ennemis... tout n'est qu'une question de point de vue. Les rôles changent, les masques tombent, et les vérités deviennent floues.

      — Cesse tes intrigues et dis-nous, une bonne fois pour toutes, ce que tu veux… ?!

      Le Chat sembla réfléchir un instant puis il se rapprocha d'eux, son sourire narquois inchangé.

      Et il murmura :

« — Je veux être aux premières loges…

...quand Alice perdra la tête. »


                                                                                         

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        

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