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V – Identique 

La Folie des Merveilles

V – Identique 

      Dans l'immensité de l'univers, où chaque étoile murmure des histoires et chaque planète recèle des secrets anciens, il existait des phénomènes si rares qu'ils défiaient l'entendement.

"Mais qu'était-ce réellement ?"

      Un artefact antique perdu ? Une voûte cosmique unique en mille ans ? Ou quelque chose de plus simple encore — un papillon quittant sa torpeur, un lapin s'accordant une pause, ou une reine cruelle dévoilant un éclat de tendresse.

      Dans les Merveilles, où l'extraordinaire était une norme, l'inimaginable prenait une forme plus subtile : celui de deux êtres d'une seule essence.

Lohan et Sohan.

Oui, voilà une rareté incroyable.

Deux corps pour une seule âme.

      Dès leur premier souffle, un lien insaisissable les unissait. Ils partageaient tout : pensées, émotions, silence et ce, dans une parfaite harmonie. Bien au-delà des mots, au-delà du temps, et de tout ce qu'on pouvait comprendre. Telles les faces d'une même pièce, inséparables et appariées.

Lohan et Sohan.

Rien sans l'un, rien sans l'autre.

Si l'un existe, l'autre aussi.

Ils étaient la clé et la serrure.

L'encre et le papier.

Bonnet Blanc - Blanc Bonnet, le parfait miroir de l'un et de l'autre.

Le Frère et la Sœur.

      Le garçon, allongé sur un coussin bien large, balançait ses jambes dans le vide. Son regard était rivé sur un petit rectangle de papier blanc posé devant lui.

      — Regarde, Sohan ! Qu'est-ce donc cela... ? 

      En face de lui, la fillette, le menton appuyé sur ses mains, balançait ses jambes en rythme. Son regard curieux posé sur le bout de papier.

      — Hmm... Je ne saurais dire... Qu'est-ce que cela pourrait être, hein, Lohan ? 

      Un large sourire éclaira le visage du garçon.

      — Serait-ce un dessin ? Avec des arbres et des fleurs ! Et un grand soleil... !

      — Oui ! Un soleil rose !

      — Mais non, Sohan. Le soleil n'est pas rose, il est vert voyons !

      La jumelle haussa un sourcil.

      — Tu dis n’importe quoi. Il est évidemment bleu, mon frère !

      — Bien sûr ! Tu as raison, ma sœur... Il est gris, c’est évident !

      Ils se fixèrent, puis éclatèrent de rire. Un rire clair, complice, qui emplissait la pièce comme une chanson à deux voix.

      — Pourtant... ce ne sont pas des dessins, mais des mots… ! 

      Lohan fronça les sourcils, se penchant plus près.

      — Mais oui ! Ce sont des mots ! Que tu es brillante, Sohan !

      Elle bomba le torse, fière.

      — Évidemment. Je suis la plus intelligente de nous deux.

      — Sans aucun doute, ma chère sœur ! Acquiesça-t-il. Mais alors... que disent-ils ?

      —  Je n'en sais rien ! C'est toi le cerveau de nous deux, Lohan ! Tu es plus perspicace que moi.

      — Cela est incontestable, Sohan. Je suis bien plus supérieur !

      Ils échangèrent un clin d’œil malicieux, puis baissèrent les yeux vers le papier, leurs têtes presque collées. Le silence rare tomba un instant, léger, suspendu.

"Elle est en chemin."

      — "Préparez-vous à la recevoir avec soin." Relit Lohan. Qui cela peut-il bien être, hein, Sohan ?

      Le garçon releva les yeux vers sa sœur, grattant ses cheveux blond mielleux.

      — Hmm... peut-être s'agit-il de Tante Cerise, venant nous apporter des pains aux raisins ?

      — Mais Tante Cerise est déjà venue... Il fit la moue, songeur. Le Chapelier, alors ? Peut-être vient-il jouer avec nous.

      — Allons, Lohan... "Elle" ne peut être autre qu'une demoiselle !

      — Mais bien sûr ! Comme tu es brillante !

      Sohan sourit fièrement, ses boucles dansant au rythme de son contentement.

      — Assurément, je suis le cerveau de nous deux !

      —  Et si "Elle" fût notre nouveau chiot ?! S'exclama soudain le jumeau.

      Les yeux de sa sœur s’écarquillèrent.

      — Quelle idée brillante ! Mais... depuis que Clafoutis nous a quittés, on ne nous autorise plus à avoir d'animaux, tu te souviens ?

      — Oh oui, depuis qu'il s'est fait manger... On n'a plus le droit… Alors, qui pourrait bien être ce "Elle" ? Peut-être quelqu'un que nous avons oublié ?

      Sohan fronça les sourcils.

      — Impossible. On se souvient de tout.

     Lohan réfléchit.

     Un doigt posé sur sa joue.

      Puis, il eut une autre idée.

      — Et si c'était quelqu'un de nouveau ? Quelqu’un qu’on ne connaît pas encore ?

      Sa sœur plaqua ses mains sur sa bouche, stupéfaite.

      — Mais bien sûr, Lohan ! Tu es vraiment le meilleur, mon cher frère !

      — Effectivement, je suis aussi perspicace qu'une mandarine ! 

      — Astucieux comme un agrume, plutôt !

      — Comme tu es brillante, ma chère sœur !

      — Et oui, bien plus que toi, cela va de soi ! Alors, maintenant, il va falloir s'occuper de cette nouvelle amie... ?

      Lohan bondit sur ses pieds, l’enthousiasme éclatant dans ses yeux.

      — Évidemment ! Nous allons bien l'accueillir, n'est-ce pas, Sohan... ?

      Elle se leva à son tour, aussi vive que lui.

      — Comme toujours, Lohan. Comme toujours.

      Les jumeaux se prirent la main. Ils n'avaient pas besoin de plus de mots. Sans un bruit, ils franchirent la porte, leurs pas accordés, leurs cœurs battant au même rythme.

      Et qu'ils avaient hâte.

      Au creux de leur esprit, gravé comme une mélodie, le frère et la sœur avaient soigneusement mémorisé les lignes de la feuille blanche, en particulier celles qu'ils n'avaient pas prononcé à voix haute :

"Elle est en chemin."

"Le poignard en main."

"Faites ce qui doit être fait."

"Préparez-vous à la recevoir avec soin."

      Lucie avançait à travers le jardin extravagant avec irritation. Derrière elle, les haies biscornues et les statues aux formes absurdes semblaient la narguer, autant que l'homme qui marchait devant elle avec une insouciance agaçante.

      — Êtes-vous stupide ou simplement sourd… ? Votre soi-disant Reine, celle qui coupe des têtes, est à mes trousses. Et malgré cela, vous m'amener droit vers elle !

      Le Chapelier pivota sur ses talons avec une élégance désinvolte.

      — Allons, petite Alice, ne sois pas si tragique. Quelle aventure digne de ce nom se passerait de danger ?

      — Vous trouvez ça drôle… ? Vous me traînez droit dans la gueule du loup, pire encore, vous souriez comme un bienheureux. N'êtes-vous pas soit peu inquiet... ?

      — Mon inquiétude est comme une bulle de savon dans un tourbillon de vin, ma chère... ! Elle éclate avant même d'exister !

      Lucie le fixa, lasse. Un éclair de pensée lui traversa l’esprit : il lui rappelait Harriet, sa nourrice, avec sa façon d’ignorer ses angoisses en toute légèreté. 

Et cela la rendait folle.

     Elle se tourna vers son compagnon, espérant un soupçon de bon sens.

      — Rassure-moi, Dumbty... tous les habitants de ce monde ne sont pas aussi dérangés que lui ?

      Le garçon à salopette réfléchit, hésitant. 

      — Eh bien... ça dépend de qui…

     Lucie leva les yeux au ciel.
 
   — C'est bien ce que je craignais…

      — N'ayez crainte, mes chers compagnons ! Moi, Tarrant, le plus grand maître de l’évasion, ai tout prévu ! Grâce à mon ingéniosité et à mes souliers neufs, nous saurons nous tirer de n'importe quelle situation !

      Il ouvrit grand ses bras, comme s'il allait révéler un secret divin.

      — L’imprévisibilité est la clé. L’insouciance, notre déguisement. Grâce à cela, nous ne serons jamais rattrapés ! N'est-ce pas mon petit Dumbty... ?

      Le rouquin applaudit timidement, pris dans l’énergie de l’instant.

      — Ou-oui. Bien sûr... !

      — Ne te laisse pas duper par ces absurdités, Dumbty.

      Aussitôt, le garçon baissa les bras, rouge jusqu’aux oreilles.

      — Alors, quel est notre prochain mouvement, oh grand maître de l'évasion… ? 

      — Vous allez adorer ! Préparez-vous pour une traversée mémorable…

      Tarrant s’arrêta au bord de la rivière. Les arbres tordus frôlaient l’eau de leurs branches, la surface miroitante ondulait doucement sous la brise. 

      L'homme farfelu se pencha légèrement, son chapeau basculant vers l'avant.

      — Et voici notre merveille... !

      Il tira sur une cordelette dissimulée dans un arbre. Un tintement cristallin résonna, et quelque chose glissa lentement hors de l’ombre.

     Une théière.

     Immense. Immaculée. 

     Flottant avec la grâce d’un cygne.

     Sa porcelaine blanche était peinte de motifs floraux délicats. Son couvercle ouvert révélait un petit intérieur aménagé : des banquettes moelleuses, une table minuscule, des coussins brodés à la main.

      Le Chapelier rayonnait de fierté.

      — Ah, quel bonheur ! Oh, ma belle flottaison, comme tu m'as manqué. N'est-elle pas sublime ? Une tasse parfaite pour un voyage parfait !

      Lucie observa la barque, incrédule.

      — Vraiment ? Quelle est donc cette obsession maladive pour le thé ?

      — Et pourquoi pas, petite Lucie ? Qui a décidé qu’un bateau devait ressembler à un vulgaire tronc creusé ?

     Il tapota la surface de la théière, comme si elle était vivante. 

      — Et cette petite flottante est une véritable œuvre d'art, une révolution navale ! Croyez-là !

      Malgré ces mots, Lucie resta de marbre. Penchée au bord de l’eau, elle observa le curieux engin avec méfiance. 

      Un bateau en porcelaine. 

“Bien sûr.” 

Quelle brillante idée. 

      Typiquement le genre de chose qu’un esprit dérangé jugerait “parfaitement stable”

      — J'imagine que cela pourrait fonctionner… Dit Dumbty la voix incertaine. Enfin... tant qu'on ne coule pas.

      Le Chapelier, arborant un sourire espiègle, fit signe au garçon de monter à bord. 

     — Monte donc, mon cher Dumbty ! La tasse t’attend.

     Hésitant, le rouquin grimpa avec précaution et s’installa sur les coussins fleuris comme s’il redoutait que le tout se brise sous lui. 

     — Confortable, n’est-ce pas… ? Lança Tarrant, hilare.

     Le garçon hocha timidement la tête. Le Chapelier se tourna alors vers Lucie et tendit sa main gantée.

     — Et toi, petite Alice ?

     Lucie soupira. Elle attrapa sa main.

     — Soit. Mais sachez-le, Chapelier : si je venais à périr noyé, je vous hanterai jusqu’à la fin des temps.

    — Parfait ! S’exclama-t-il. Un fantôme aussi charmant serait la meilleure des compagnies.

     Elle s’installa près de Dumbty, agrippant aussitôt au rebord. 

     La théière tangua doucement.

     — Au fait… qu’allons-nous voler à la Reine ?

     Le Chapelier bondit dans la barque.

      — Voler ? Non, non, bien trop commun ! Nous allons faire bien pire… Il se dressa fièrement, le vent agitant ses boucles rouges. 

     — Imaginez un acte si insensé qu’il ébranlerait l’ordre établi...

     — Et donc ? Dit Lucie, agacée.

     Il se pencha vers elle, un éclat fou dans les yeux.

     — C’est très simple… Nous allons lui dérober son cœur… ! 

Quoi… ?”

     Mais le Chapelier n’attendit aucune réponse à ses paroles, qu'il tira brusquement sur une corde.

     La théière glissa d’un coup. Happée par le courant.

     En un instant, la rivière devint torrent déchaîné. Les rapides hurlaient comme une bête sauvage, les vagues cognaient la porcelaine avec une violence inouïe. Les rochers acérés fendaient l’eau, prêts à les avaler.

     La tasse tournoyait, bondissait, tanguait comme un bouchon en pleine tempête.

     Lucie étouffa un cri, plaquée contre le rebord. Elle attrapa la main de Dumbty, leurs doigts se nouant avec force.

     — Avis aux voyageurs ! Beugla le Chapelier, riant comme un possédé au-dessus du fracas. Accrochez-vous si vous tenez à la vie ! Mourir maintenant serait fort ennuyeux… ! Bas oui, cela serait des plus fâcheux, surtout au commencement de notre aventure…!

     L’orpheline s'efforçait de garder ses yeux sur le chemin. 

    L'eau déchaînée, d'une force indomptable était d’une beauté presque hypnotisante. Chaque virage devenait une danse folle, chaque éclaboussure une piqûre d'adrénaline qui ravivait ses sens.  Les vagues la tiraient hors de ses pensées, loin de sa vie monotone à Londres, enfermée dans une routine terne. 

Ici, tout était différent. 

     Le vent fouettait son visage, l'eau glacée s'écrasait contre ses joues et ses cheveux s'envolaient dans tous les sens. La peur ou bien l'excitation ? Elle ne savait même pas quelle était sa première émotions à cet instant. 

      Non. 

      La fillette se mit juste à rire malgré tout, un rire qu'elle n'avait pas connu depuis bien longtemps.

      Était-ce donc ça, vivre ? Cette peur pure, ce frisson d’exister pleinement chaque instant ?

 “Cette liberté nouvelle.”

      Au gouvernail, le Chapelier riait aux éclats. Il manœuvrait avec insolence, comme un funambule dans une tempête.

      — P-périr… ! S'écria Dumbty, tremblant de tout son être. La tasse... elle va finir par éclater ! E-et nous allons tous périr… ! 

      Tarrant se tourna vers lui. 

      — Ne t'inquiète pas, mon petit Dumbty ! Il n'y a presque aucun risque ! Ah, non, ce n'est pas ça... Je veux dire qu'il n'y a que des risques, c'est bien vrai ! Haha ! 

     — Pitié, faites-moi descendre ! Je ferai tout ce que vous voulez... !

     — Bien sûr ! Mais avant de sauter, assure-toi qu’aucun vil monstre ne t’attend sous l’eau...

     Dumbty se figea.

     — Un m-monstre… ?!

     — Avec des crocs énormes... et un appétit pour les rouquins peureux ! Ricana Lucie.

     — C-ce n’est pas drôle… !

     — Oh, allez ! Avec un peu de chance, il préférera l’humour à ta chair.

     Le Chapelier acquiesça, ravi.

     — Un monstre qui meurt de rire au lieu de dévorer ? Fabuleux ! Mais ne vous inquiétez pas : tant que je suis là, il ne peut arriver que le pire !

      — Ça, c'est bien vrai ! Rigola la fillette.

Et puis, Lucie revenue à la réalité.

      — Attendez… qu'avez-vous dit ?

     Dumbty la tira par la manche, le doigt pointé droit devant.

     — Lucie ! L-Là… r-regarde… !

La fillette se tourna. 

Une immense chute d’eau.

Grondante et déchaînée.

     — Nom d’une théière…

     Ce fut tout ce qu’elle eut le temps de dire, tandis que la barque-théière bondit dans le vide.

      Suspendus dans le vide, le temps se figea. 

      Lucie sentit son cœur cogner si fort qu’il couvrait presque le rugissement de l’eau. Dumbty était devenu blême, yeux ronds et bouche entrouverte. Le Chapelier, lui, riait comme un gosse sur une balançoire, bras ouverts, chapeau au vent.

Sous eux, la cascade brillait comme une lame de verre.

     C'était comme si le monde entier avait retenu son souffle.

     Puis, tout s'accéléra.

     Impact brutal.

     La barque-théière plongea.

     L’eau jaillit en gerbes glacées et l’embarcation, étonnamment résistante, rebondit à sur la surface. Avant de retrouver un semblant d’équilibre, glissant sur un courant paisible.

     — E-est-ce… qu’on a... survécu ?        

   Le Chapelier émit un rire.      

    — Nous avons triomphé ! Un vol sublime, une descente épique ! Mais je dois dire que l'atterrissage était plutôt audacieux...

     Sans attendre de réponse, celui-ci sortit d’un pli de son chapeau, une tasse.

      — Un peu de thé, peut-être… ?  

     Lucie, avachie sur la banquette et les cheveux collés au visage, grogna :

     — Non, merci.

     — J-je passe mon tour aussi…Fit Dumbty, secouant la tête comme un chien mouillé.

     — Fort bien, il y en aura davantage pour moi ! À la vôtre, mes amis ! À la vôtre !

      Lucie, encore étourdie, ne pouvait s'empêcher de jeter un regard incrédule au Chapelier. Comment pouvait-il être aussi insouciant après une telle épreuve ? 

     Elle, de son côté, avait l'impression que chaque muscle de son corps protestait. Son bras droit, en particulier, pulsait d'une douce douleur.

     — Alors comme ça… Vous souhaitez voler le cœur de votre Reine… ?

     Tarrant tourna la tête vers elle.

      — Absolument, ma chère ! Le cœur de la Reine… ah ! C’est plus qu’un trésor. C’est un secret, une étincelle divine, un fruit défendu ! Un joyau qu’aucune main n’a jamais effleuré. Imagine-le, brillant dans l’obscurité… irréel.

     La fillette fronça les sourcils.

    — Attendez… vous parlez d’un... objet ?

    — Mais bien sûr, voyons ! À quoi pensais-tu, sinon ? Rétorqua-t-il, le sourire en coin. C’est un cœur, oui. En cristal, en pierre, en papier mâché, va savoir ! Peut-être même... en chocolat !

    Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais il leva un doigt pour l'interrompre.

     — Pas de précipitation ! Tout vient à point. Mais avant de nous lancer dans ce vol audacieux, des étapes cruciales. Et celle de maintenant : récupérer les jumeaux !

     Dumbty blêmit.

     — Oh… Non. Pas eux.

     — Mais si ! Blanc Bonnet et Bonnet Blanc… Inséparables. Indispensables !

     — Qui sont-ils ? Demanda Lucie, méfiante.

     — Deux esprits, une énigme, un seul chaos, ma petite Alice. Un frère et une sœur. Deux miroirs parfaits. Capables du meilleur comme du pire !

     — Surtout du pire… Marmonna Dumbty, morne. Lohan et Sohan... Toujours à se disputer, à inventer des jeux idiots qui tournent mal. Ils compliquent tout… 

     — Et c’est précisément pour cela qu’on a besoin d’eux ! S'exclama le Chapelier, ravi.

     — En quoi semer le chaos peut-il être utile… ?  

     — Parce que le chaos est imprévisible. Et dans une mission comme la nôtre… il n’y a rien de plus redoutable… !

     Dumbty baissa la tête.      

     — Déjà qu’avec Alice, le danger est partout… Le Chapelier n’arrange rien… Et maintenant, Blanc Bonnet et Bonnet Blanc… 

     Il soupira longuement, visiblement happé par des souvenirs peu réjouissants. Il les revoyait : deux tornades, impossibles à calmer, toujours à inventer des règles absurdes, à saboter des plans pour le plaisir de rire. Leur énergie usante. Leur logique illogique. Leur manie de tout transformer en théâtre. Il en avait encore mal au crâne rien que d’y penser.

     — Je suis certain qu'ils seront ravis de te revoir, mon petit Dumbty ! Et toi aussi, Lucie ! Les jumeaux ont toujours adoré les Alices.

     Lucie jeta un regard vers le garçon à écharpe, s'enfonçant dans sa détresse silencieuse. Elle ne savait pas encore s’il fallait se réjouir ou s’inquiéter.

     — V-vous leur rendez souvent visite, Chapelier… ?

     — Bien sûr, Dumbty ! Lohan et Sohan sont de précieuses distractions... Ils étaient encore à mon atelier récemment, pour débattre de la couleur de leurs bonnets. Lohan voulait du orange. Sohan, du violet. Finalement, ils ont opté pour du bleu ! Un compromis brillant, non… ?

     — Et… pourquoi les appelle-t-on “Blanc Bonnet” et “Bonnet Blanc” ? Demanda la fillette.

     — Ce sont leurs surnoms… Dit simplement Dumbty. Depuis toujours… enfin d’aussi loin que je me souvienne… 

     — Et où vivent-ils ?

      — Oh, pas très loin. Dans une cabane au bord de la rivière. C’est eux-même qui l’ont décorée ! Imagine des guirlandes de fleurs, des lanternes colorées qui scintillent la nuit, et... tenez-vous bien... un dragon en papier mâché gardant l'entrée !

      Lucie haussa un sourcil.

      Dumbty grimaça.

      Le Chapelier éclata de rire.

     — Ils jurent que ça les protège des “ombres invisibles” ! C’est à voir, vraiment ! Une imagination délirante, presque meilleure que la mienne !

     — Et c’est bien pour cela que je préfère les éviter…

     — Allons, mon idiot préférer, ne sois pas si morose. Continuons notre traversée à leur fantastique cabanon !

      Le Chapelier planta une géante cuillère dans l’eau, la fit tournoyer en grands cercles tels des rameaux. Les vagues se mirent à danser, propulsant la théière-barque qui glissa plus rapidement.

      Bientôt, une cabane surgit au loin à travers les feuillages. Petite, bancale, colorée comme un rêve d’enfant. Les murs peints de bleu ciel, couverts de dessins à la craie : étoiles, monstres, fleurs géantes. Autour, une myriade de jouets éparpillés s'étalait — peluches abandonnées, cubes en bois, bonnets brodés et fragments de jeux sans règles.

     Le Chapelier accosta avec un dernier tour de cuillère.

      — Nous y sommes !

     Lucie sauta à terre, l’herbe fraîche chatouillant ses chevilles. 

     Dumbty descendit à son tour, la mine renfrognée. Son regard s’attarda sur un vieux cheval à bascule qui bougea à cause du vent. Il poussa un soupir. Un très long soupir, comme s'il portait déjà le poids des prochaines péripéties.

    Tarrant, lui, rayonnait.

     — Regardez-moi ces jeux éparpillés comme des étoiles dans un firmament d'imagination. N'est-ce point magnifique... ? Un véritable paradis pour les esprits libres et insouciants ! 

     Ils avancèrent vers la porte. Une balançoire suspendue à un vieux chêne oscillait doucement par la brise.

Soudain, Tarrant leva la main.

      Il s’immobilisa.

    — Tiens… étrange.

     — Quoi donc ? Demanda Lucie.

     — Ces deux garnements auraient déjà dû surgir d’un arbre ou bondir depuis le toit pour nous accueillir. Mais là… rien.

      La fillette haussa les épaules, observant le dragon en papier mâché devant le seuil.

     — Comment pourraient-ils savoir qu’on venait ? Vous ne les avez pas prévenus.

     — Oh, mais si, ils le savent.

     — Vous leur avez dit… ?

     — Non. Ils n’en ont pas besoin.

     D’un geste sec, il poussa la porte d’un coup de canne. 

      Elle était déjà entrouverte. 

      Il s’avança dans le cabanon sans cérémonie.

     Rien n’avait changé. 

     Le papier peint orange, orné d’oiseaux bleus en vol, était toujours là, éclatant de chaleur. Dans l’âtre, la cheminée en briques rouges crépitait doucement, et l’air portait encore une légère odeur de sucre d’orge grillé.

      Tarrant inspira profondément, un sourire étirant ses lèvres. Quel délice ! Il se revit, assis là avec les jumeaux, faisant fondre du sucre au-dessus des flammes. Un souvenir doux, collant, bruyant.

     Puis son regard glissa vers la pièce vide. 

      Aucun rire. 

      Aucun cri.

     Il posa sa canne dans un porte-parapluie cabossé en forme de lapin.

      — Effectivement... étrange.

     Lucie entra à son tour, un brin impatiente.

     — Alors ? Ils sont là ou non ?

     Trois portes leur faisaient face. Deux sur les murs latéraux, une plus grande, en face, avec une poignée de bronze ternie.

     — Ils sont peut-être occupés... Proposa Dumbty.

     — Ou perdus dans un de leurs jeux. Répondit Tarrant. Mais après tout... où serait le plaisir s’ils se montraient tout de suite ?

     Lucie croisa les bras.

     — Et donc ?

     Le Chapelier jeta un œil à l’horloge au-dessus de la cheminée. Elle battait à l’envers.

     — Et si le but... était de découvrir où ils se cachent ?

     L’orpheline esquissa un demi-sourire. Dumbty secoua la tête avec lassitude.

     — Le premier qui les trouve aura droit à ma nouvelle collection de chapeaux ! 

     Il posa une main sur la porte centrale.

     — Que le meilleur détective gagne… !

     Lucie avait eu la porte de droite. 

    Aussitôt entrée, qu'elle fut happée.

Un océan de jouets. 

     Des cubes géants s’empilaient jusqu’au plafond, reliés par des ponts et percés de tunnels. Un train miniature serpentait, flanqué de soldats de plomb alignés comme une armée. Partout, des jouets mécaniques – oiseaux aux ailes mobiles et chevaux en fer aux jambes bougeantes et carrousels étincelants – paraissaient figés dans l'attente d'un signal pour s'animer.  Aux murs, des guirlandes de papier et des dessins à la craie.

"Un véritable labyrinthe de jeu."

      “De quoi faire pâlir d'envie le plus égoïste des enfants…”

     Lucie avança, fascinée. En silence, des souvenirs la rattrapèrent. Elle repensa à ses jeux solitaires, à son unique compagnon : un vieux lapin blanc aux oreilles élimées. Elle n’avait jamais eu tout ça. Jamais eu assez pour se perdre dans un monde comme celui-ci.

      Il fut un temps où la simple vue d'un château de blocs aurait suffi à faire naître des aventures grandioses dans son esprit. À cette époque, les jouets n'étaient pas de simples objets : ils étaient des portails vers des mondes où tout était possible.


Mais le temps avait passé.

Et à présent, son âme n'arrivait plus à se colorer.

      Lucie émit un léger rire nerveux. "Et maintenant, me voilà à la recherche de deux enfants turbulents, perdus dans un royaume de jouets..." 

      — Lohan, Sohan ! Je suis Lucie Rail Liddell, et je suis venue en compagnie du Chapelier pour vous rendre visite !

     Évidemment.

     Le silence lui répondit.

      Bientôt, elle se retrouva entourée de maisons de poupées éparpillées. Elles variaient en tailles et en formes : certaines élégantes, d’autres farfelues. Jardins miniatures aux meubles délicats finement détaillés.

      Mais plus elle avançait, plus ces maisons étaient en ruine.

      Certaines étaient renversées, leurs toits affaissés et leurs murs fissurés ressemblant à des champs de bataille. Les fleurs en tissu piétinées. Les meubles miniatures renversés. Comme si un ouragan avait traversé ce petit monde. 

     Et surtout… aucune poupée.

     Pas une seule.

      — Lohan ? Sohan... ?

     Lucie ralentit, attentive au moindre bruit. Son regard accrocha une forme dans l’ombre. Au sol : un objet oublié.

Une poupée de porcelaine.

     La petite Liddell s'agenouilla. Le visage de la poupée la happa aussitôt. Ce qui aurait dû être d’une expression innocente et rassurant avait viré au dérangeant. Les yeux de verre écarquillés. La bouche, tordue dans un cri muet.

     Effroi. Peur.   

      La poupée semblait appeler à l’aide.

      Lucie resta figée, fascinée autant qu'inquiète. Son regard glissa sur la robe de la poupée, où une tache rougeâtre sombre était étalée.        

      Du bout des doigts, elle effleura la substance.

      C'était du sang.

      Encore frais.

Lucie reposa la poupée sur le sol dans un sursaut. C'est alors qu'un bruit, derrière elle… brisa le silence.

      Dumbty marchait prudemment dans la salle de jeux, mal à l'aise. Pour l’instant, le garçon n’avait aperçu aucune ombre des jumeaux.   

      Non. Rien. 

      Juste ce calme épais, pesant sur lui comme un lourd manteau. Ce genre de silence était pourtant rare dans cet endroit. Son regard fut soudainement attiré par un morceau de tissu au sol. Il se pencha, l’attrapa dans sa main. Du velours rouge. Déchiré, râpé. Arraché, comme dans une lutte.

      — Alors, mon petit Dumbty ! Les as-tu aperçus… ?!

      Le garçon sursauta violemment, le cœur au bord des lèvres.

      — C-Chapelier ! Ne surgissez pas comme ça, voyons… ! 

      Celui-ci émit un rire taquin, fière de son épouvante. 

   Tu es si sensible, mon cher Dumbty… ! C’en est presque attendrissant. Alors ? As-tu mis la main sur nos chers inséparables ?

      — Non. Pas encore. Dit le rouquin, reprenant son souffle. 

      — Oh dommage… Mais dis-moi… que tiens-tu là ?

     Dumbty leva l’étoffe qu’il serrait encore dans sa main.

     — Oh, ça ? Je ne sais pas trop. Je viens de le trouver. Il m’a semblé… étrange. 

     — Intéressant…

      Le Chapelier s’approcha, caressa le tissu du bout des doigts, avant qu’un large sourire illumine son visage. 

      — J'ai une nouvelle, mon cher Dumbty... Et elle n'est pas des plus réjouissantes.

      — Q-quoi donc... ? 

      — Il semblerait que nous ne soyons pas les seuls à être venu voir les jumeaux… Il semble que le Chasseur était présent avant nous…

      — L-le Chasseur est ici ?!

     Tarrant fit un pas en avant, levant le morceau de tissu qu’il tenait. Brodé dessus, à demi effacé mais encore reconnaissable : un blason.


Un cor de chasse entouré de ronces.

     — À en juger par ceci… Il est possible ! 

     — Mais pourquoi ici ? Pourquoi les jumeaux ?

     — Je l'ignore, mais il va falloir le découvrir… ! 

     Dumbty déglutit, une sueur froide glissa le long de sa tempe.

     — Il les aurait trouvés ?! 

     — Je n'espère pas. 

     —  Et… et si on tombe sur lui ?!

     — Eh bien, crions fort à l’aide ! 

     Le Chapelier se mit à rire, imperturbable. Le garçon, lui, fixa l'homme farfelu de ses yeux ronds. 

      Dans son esprit, il voyait déjà le Chasseur, se glisser silencieusement, prêt à bondir à tout moment. Et cette pensée seule suffisait à le figer.

      — E-et Lucie ?

      — Ah oui… Ça, c'est un problème... Admit le Chapelier.

      — On ne peut pas la laisser seule ! Elle ne sait même pas que le Chasseur est là !

      — Allons, Dumbty… Lucie est une Alice. Je suis certain qu’elle s’en sortira.

       Il s’accroupit devant des coussins éparpillés, tandis que Dumbty secoua la tête.

      — Alice ou pas, elle n'a jamais affronté un danger pareil ! Elle est complètement seule... !

      Le Chapelier leva une main, comme pour calmer les protestations de son compagnon.

      — Ce qui doit t'inquiéter, Dumbty, ce n'est point qu'elle croise le Chasseur… du moins, pas pour l'instant.

      — C-comment ça… ? 

     Le garçon fronça les sourcils. Confus, encore.

     Tarrant se releva lentement, ajustant son chapeau avec soin. Puis, il ramassa un morceau de papier froissé entre les coussins et le tendit au rouquin.

     Dumbty s’approcha, hésitant. 

     Il lut. 

     Son visage pâlit aussitôt.

      — Bonnet Blanc et Blanc Bonnet... 

     Le Chapelier hocha la tête, son sourire prenant une teinte presque malicieuse.

      — Eh oui, mon cher. Notre petite mission vient de se compliquer. Ce n'est plus simplement une partie de cache-cache... 

      Il s'approcha de Dumbty, son sourire s'élargissant.

      —  …mais celle du chat. Et de la souris.

      Quelque chose bougea derrière elle.

  Lentement, Lucie tourna la tête. 

      Une silhouette noire. Immobile. Un long manteau. Un masque dissimulant le visage. 

      — N'approchez pas… !

      L'homme ne bougea pas. 

     — Qui êtes-vous ?!

      Il l'observait. 

      Patient. Trop patient.

      Avant de glisser une main sous son manteau.

      Lucie se raidit.

      Une lame scintilla faiblement dans son ombre lorsqu'il dégaina une machette, large et lourde.

       Et la jeune fille ne prit pas le temps de réfléchir. 

       Elle agit.

     D’un geste instinctif, l'orpheline ramassa un jouet à ses pieds – une vieille voiture en métal – et le jeta de toutes ses forces. 

     Le projectile heurta le bras de l'inconnu dangereux, sans grand résultat. 

      Elle pivota aussitôt et s’élança dans la salle de jeux. Derrière elle, un bruit sec : la lame raclant le sol.

     Il la poursuivait.

     Lucie courait, aussi vite qu’elle le pouvait. Jusqu’à se tasser contre une tour de blocs, haletante, retenant son souffle. Les pas lourds du Chasseur résonnaient. 

     Lents. Méthodiques.

     Elle suivit son ombre qui glissait sur le sol… priant qu’il passe. Mais au moment où elle crut être en sécurité, l’ombre s’étira de nouveau.

     Un bras se leva.

    Lucie se jeta sur le côté - juste à temps. La machette s’abattit violemment, s’enfonçant dans le mur. L'orpheline resta au sol, les yeux fixés sur la lame coincée. C'était sa chance. Ses yeux se posèrent sur un bâton de croquet abandonné. Elle le saisit sans hésiter, les doigts crispés autour du manche.

     Le Chasseur grogna, mettant sa force afin d'arracher sa lame. Lucie ne réfléchit pas. 

      Elle leva le bâton.

      Et frappa !

     Le choc résonna et l'homme tituba, son masque se fissurant sous l'impact. Mais elle savait : ça ne suffirait pas.   

     Alors, elle frappa encore une fois. 

     Encore. 

     Et encore. 

     Bien plus que nécessaire.

     Quelque chose de froid, tapi au fond d’elle, s’éveillait doucement.    Une chaleur étrange montait dans ses joues. Et pour la première fois… Elle n’avait pas eu peur. Pas vraiment. Elle avait juste… agit avec rage. Malheureusement, l’homme ne sembla même pas égratigner.  

"Alice, enfuis-toi..."

      Une voix résonna dans sa tête.

      L‘orpheline serra les dents, tentant d'ignorer le frisson glacé qui lui courait le long de la nuque. Devant elle, le Chasseur se redressait. Son regard, implacable, croisa le sien. Il arracha sa lame du mur.

"Enfuis-toi."

      Plus pressante, la voix s'imposa à son esprit, et cette fois, Lucie obéit.

      L'orpheline s'élança à travers les décombres. Les jouets renversés entravaient sa course, mais elle continua. Le souffle court, les jambes brûlantes, elle grimpa un château de cubes, marche après marche, ses muscles en feu, mais elle ne ralentit pas.

      Arrivée au sommet, elle se retourna.

      Le Chasseur avançait. Il ne courait pas. Il n'en avait pas besoin.

"Vite... Alice..."

     Lucie traversa le pont branlant du château de cubes. Mais ce ne serait pas suffisant.

      Il la suivrait toujours.

      Elle aperçut les cordes effilochées qui maintenaient la structure fragile du petit pont. Ses doigts s'y agrippèrent, tirant de toutes ses forces. 

      Trop solides. 

      Pas assez de temps. 

     Elle avisa un morceau de bois pointu gisant à ses pieds, le saisit et se mit à frapper les cordes.

     Derrière elle, le Chasseur avançait lentement, mais sûrement. Il ne se pressait pas. Il savait qu'il finirait par l'atteindre. 

     Lucie frappa encore.  Une corde céda. 

     Puis une autre. 

     Et enfin, une dernière fois.

     Le pont tangua violemment avant de se plier en deux dans un  lourd fracas. Elle recula, regardant les décombres s'écrouler dans le vide. Désormais, il n'y avait plus de passage. Son regard croisa celui du Chasseur, resté de l'autre côté.

      — Je ne te laisserai pas m'attraper. Tu peux rêver. Dit-elle durement.

      L'homme fit un pas.

      — Tu peux courir, petite… mais dans les Merveilles, personne ne m’échappe.

      Il fit tourner la machette dans sa main.

      — Je finirai toujours par te trouver. 

     Lucie n'attendit pas la suite. 

     Elle tourna les talons et s’élança à toute vitesse entre les blocs renversés. Enfin, la pauvre fille trouva refuge derrière une grande maison de poupées renversée. Haletante, elle s’y adossa, plaquant une main contre sa poitrine pour tenter de contenir les battements affolés de son cœur.

     Les pas du Chasseur s’étaient tus.

     L’avait-elle semé ?

     Celle-ci ferma brièvement les yeux, cherchant à se calmer. C'est alors qu'une odeur âcre s'infiltra dans l'air. 

       Forte et cuivré.

      Elle tourna lentement la tête.

      Là, à quelques centimètres, une silhouette gisait sur le sol.

 Un corps.

      Une large lame dépassait de son abdomen, l'acier encore luisant.

      Ses yeux s'écarquillèrent.

      — Non...

      Lucie, le cœur au bord des lèvres, posa une main hésitante sur le masque brisé. Elle le tourna doucement. 

     Un visage ensanglanté. Celui qui la poursuivait.

      Son esprit vacilla.

      “Mais si lui est là... Alors…”

       “Qui était l'autre ?”

     Elle aurait dû crier.

     Mais rien ne vint.

     Juste un froid glacial, et une étrange lucidité.

     La fillette regardait la marre rougeâtr.e Elle la fixait… comme si elle en cherchait le motif 

     Un frisson lui remonta l'échine. Puis un son fendit l'air.

     Un rire.

     Puis un autre.

     Puis une multitude.

      Des rires enfantins, moqueurs, éparpillés tout autour d'elle. Lucie chercha une présence dans l'ombre. Mais il n'y avait que des jouets…

      Non.

      Pas des jouets.

Des poupées.

      Elles étaient partout. Immobiles et pourtant étrangement présentes. Assises sur des étagères, appuyées contre des maisons miniatures, éparpillées sur le sol.  De toutes formes, de toutes tailles : de chiffon, de porcelaine, de bois sculpté. 

Toutes... la regardaient.

      Quoique...

      Non...

      Pas elle.

Quelqu'un derrière.

       Une respiration froide effleura sa nuque.

"Enfuis-toi."

      Lucie se retourna, mais ce fut trop tard. Une force la heurta de plein fouet. Son crâne percuta violemment le sol, une douleur vive lui éclatant dans la tête.

      Les poupées avaient bougé.

      Leurs têtes s'étaient tournées, leurs lèvres entrouvertes, leurs corps légèrement décalés.

      Comme si elles respiraient.

      Comme si elles attendaient.

      L'obscurité l'engloutit tandis que les rires répétaient dans un murmure chantant :

« — On t'a trouvée, Alice... »

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