Chapitre 6 – Braises
18h15 – Salle sur Demande
Le silence régnait, étouffant, presque oppressant.
Assise à la même table que la veille, j'alignais soigneusement mes ingrédients devant moi. Mes notes étaient éparpillées, tachées d'encre et de sueur. Rien ne sortait comme je voulais. Ni la potion, ni mes pensées, ni cette foutue collaboration.
Je n'avais pas revu Tom depuis notre accrochage du matin. Pas un mot. Pas un regard.
Tant mieux.
J'étais mieux sans lui. Mieux seule. Mieux concentrée. Mieux... en apparence.
Un léger bruit me fit sursauter. Un pas, à peine audible, juste derrière moi.
Je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir.
— Tu travailles toujours autant pour des résultats que personne ne remarque, lança sa voix, calme, presque désinvolte.
Je fermai les yeux une seconde, ravalant la remarque cinglante qui me brûlait la langue.
— Contrairement à toi, je n'ai pas besoin de manipuler pour briller, répliquai-je sans même lever la tête.
Il eut un léger ricanement, le genre de son qui glisse sous la peau comme une écharde.
— Tu ne brilles pas, Isabella... tu te consumes.
Je me retournai lentement vers lui, les yeux plantés dans les siens. Ses mots, comme toujours, étaient précis, tranchants, calculés pour m'atteindre. Il restait là, droit, mains dans les poches, l'air tranquille. Trop tranquille.
— Et toi ? Tu comptes me regarder brûler ? demandai-je, la voix plus dure que je ne l'avais voulu.
Il ne cligna même pas des yeux.
— Non... Je compte rester assez proche pour sentir la chaleur.
Je me figeai.
Ce n'était pas un compliment. Ce n'était pas une menace non plus. C'était quelque chose entre les deux. Un avertissement peut-être. Un aveu déguisé ? Non. Pas lui.
Je me détournai, le cœur battant trop fort sans raison apparente.
— Si tu es venu juste pour jouer au philosophe, tu peux partir, lançai-je sans le regarder.
— Si je voulais jouer, tu perdrais, répondit-il, et je n'avais même pas besoin de le voir pour deviner son expression.
Je me remis au travail, tentant de maîtriser les tremblements de mes mains. Le silence s'étira, mais il ne bougea pas. Il restait là immobile, comme une ombre collée à mes pas, une pensée que je n'arrivais pas à chasser.
19h10 – Toujours dans la salle
Le chaudron fumait légèrement. La potion prenait forme plus stable, plus contrôlée. J'aurais dû être satisfaite. Mais je ne l'étais pas. Pas vraiment.
Tom s'était finalement installé en face de moi, sans un mot. Il lisait une vieille édition d'un manuel d'arts obscurs, annotée de partout. Sa concentration était glaciale, presque dérangeante.
Et pourtant, c'était apaisant aussi. Comme si l'hostilité était devenue notre terrain d'entente.
— Tu crois que cette potion suffira ? finis-je par demander.
Il leva les yeux, lentement.
— Elle suffira, si tu arrêtes de la faire comme une apprentie.
Je roulai les yeux.
— Tu sais que parfois, je me demande si tu m'aides ou si tu espères que je me plante.
Il referma son livre avec calme.
— Je ne t'aide pas. Je te pousse à ne pas être faible. C'est différent.
Je n'eus rien à répondre.
Parce qu'une part de moi savait qu'il disait la vérité.
22h15 – Couloir du sixième étage
Je sortis de la salle sur demande un peu avant lui, sans me retourner. Il me laissa partir, comme toujours. Il savait qu'il me suivrait bientôt. Pas physiquement. Pas avec des mots. Mais il me suivait.
Dans mes pensées.
Dans mes doutes.
Dans ma colère.
Et ça... ça me consumait peut-être, oui. Mais je ne comptais pas brûler seule.
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𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐚𝐬𝐬𝐞𝐳 𝐜𝐨𝐮𝐫𝐭 🧍🏻♀️