Chapitre 7 – Ce qu'on laisse derrière
7h30 – Dortoir des filles
Je n'avais presque pas dormi.
Les couvertures avaient glissé au sol à un moment de la nuit, mais je n'avais pas eu la force de les récupérer. La lumière pâle de l'aube se faufilait entre les rideaux. Un matin froid, encore un. J'avais les muscles tendus, les pensées brumeuses.
Dans ma tête, Tom Jedusor n'avait jamais quitté la pièce.
Je l'entendais encore.
"Tu ne brilles pas, tu te consumes."
"Je compte rester assez proche pour sentir la chaleur."
Pourquoi ça sonnait comme une menace... et comme une promesse à la fois ?
Je me levai, mécaniquement. Je n'avais pas envie de le voir aujourd'hui. Ni de lui parler. Mais je savais que je n'aurais pas le choix.
9h10 – Salle de potions
Le professeur rogue faisait son habituel discours sur l'importance de la précision. Le reste de la classe suivait à peine. Moi, je m'étais installée au fond, espérant passer inaperçue.
Mais évidemment, non. Il s'assit à côté de moi. Comme si c'était normal. Comme si hier soir n'avait pas existé.
Tom sortit son matériel sans un mot. Il avait cette neutralité parfaite, ce masque glacé que rien ne semblait altérer. Moi, en revanche, j'avais la main tremblante sur mon couteau en découpant l'asphodèle.
— T'as mal dormi, constata-t-il simplement, en préparant ses racines.
— C'est à ça que tu sers maintenant ? À faire des diagnostics ? répliquai-je sèchement.
— Non. Mais si tu rates la potion, je préfèrerais savoir pourquoi, dit-il sans même lever les yeux.
Je lui jetai un regard noir, mais il restait concentré sur son travail, imperturbable. C'était toujours comme ça avec lui. Il piquait, il observait, il disséquait.
Et je lui laissais trop de prise.
10h45 – Couloir du deuxième étage
Je sortis du cours la mâchoire serrée, furieuse. Pas à cause de la potion. Elle était parfaite. Mais à cause de lui. De ce calme insupportable. De ce silence qui me rendait folle. Il était partout, même quand il ne disait rien.
— Tu comptes continuer à me fuir à chaque fois que je te dis quelque chose de vrai ? demanda-t-il en me rattrapant, ses pas réguliers derrière les miens.
Je m'arrêtai net.
— "Vrai" selon toi, précisé-je sans me retourner.
— Selon moi, selon les faits, peu importe, répondit-il. Tu veux que je te dise ce que je vois ? Quelqu'un qui dépense toute son énergie à vouloir prouver qu'elle n'a besoin de personne, alors qu'elle n'arrête pas de chercher un regard, une reconnaissance. C'est pathétique.
Je me retournai d'un bloc, les poings serrés.
— Et toi ? Tu te caches derrière des grands mots et des silences parce que t'as peur qu'on voie ce que t'es vraiment. Tu fais semblant d'être au-dessus, mais tu t'écroules à la moindre faille.
Ses yeux s'assombrirent. Pas de colère. Juste... du vide. Ce vide étrange qui le rendait encore plus inquiétant.
— On n'est pas si différents, murmura-t-il.
Je le fixai sans répondre. Parce qu'il avait peut-être raison. Et c'était ça, le plus dérangeant.
14h – Cour intérieure
Noelia me parlait d'un devoir à rendre, mais je n'écoutais qu'à moitié. Mon regard glissait sur les dalles mouillées, les nuages lourds qui s'amoncelaient au-dessus du château. L'air sentait la pluie.
— Isabella ? Tu m'écoutes ou tu penses encore à ton "projet de potion" ? demanda-t-elle avec un sourire en coin.
Je haussai les épaules.
— C'est juste un devoir, répondis-je, même si je n'y croyais pas vraiment.
Elle plissa les yeux, soupçonneuse, mais n'insista pas.
17h – Salle sur demande
Je revins, encore une fois. Ce n'était plus pour la potion, ni pour moi. Je ne savais même plus pourquoi j'y allais. Mais j'y étais.
Et il y était aussi.
Assis déjà, installé calmement, comme s'il m'attendait. Ses doigts tapotaient doucement le bois de la table. Il leva à peine les yeux quand j'entrai.
Je pris place sans parler.
Le silence dura un moment.
Puis il murmura :
— Tu sais que ce que tu fais là... c'est dangereux.
Je ne compris pas tout de suite.
— De venir ici ? De travailler ? De finir un devoir ? ironisai-je.
Il secoua la tête.
— Non. De rester trop près de ce qui te détruit.
Je me figeai, les lèvres entrouvertes.
Il ne regardait pas la potion. Il me regardait moi.
Mais il n'y avait rien de doux dans ses mots. Rien de tendre. C'était un constat. Brutal. Sec. Réel.
Et moi... je n'avais plus rien à répondre.
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