Chapitre 9 — Ce qu'il reste du silence
6h10 – Dortoir des filles
Je m'étais réveillée avant le réveil. Avant les autres. Avant la moindre lumière. Comme si mon corps avait senti que c'était aujourd'hui, sans que je le lui dise.
Aujourd'hui, c'était le dernier jour.
La potion était prête. Testée. Parfaite – selon lui. Stable – selon moi. Une réussite technique. Une collaboration glacée. Et maintenant, c'était l'heure de la rendre à Rogue.
Je restai allongée encore quelques secondes, à fixer le plafond. Le silence du dortoir me semblait pesant. Pas reposant, comme d'habitude. Plutôt... suspendu. Comme si tout attendait que je bouge la première.
Je me levai sans bruit, attrapai mes affaires. M'habillai en vitesse. Tout était mécanique. Précis. Contrôlé. Sauf peut-être mes pensées.
6h45 –
La salle commune était vide, ou presque. Juste une silhouette près du feu. Immobile.
Il était déjà là. Bien sûr qu'il l'était.
Tom Jedusor avait cette capacité agaçante à toujours précéder les autres. Comme s'il savait ce que chacun allait faire avant même qu'ils y pensent.
Il leva à peine les yeux en m'entendant arriver.
Je déposai mon sac sur la table, à bonne distance. Il y avait entre nous la potion, la distance, et ce qu'on ne disait pas.
— Tu vérifies encore la formule ? demandai-je, pour briser le silence.
— Non. Je vérifie que tu ne l'as pas sabotée au dernier moment, répondit-il calmement.
Je levai les yeux au ciel.
— Si j'avais voulu te faire exploser, Tom, crois-moi, tu ne serais plus là pour m'insulter.
Un coin de sa bouche tressaillit, presque imperceptible. Mais je refusai de le prendre pour un sourire.
Il ouvrit une boîte noire qu'il avait protégée par un sort. À l'intérieur, notre potion. Un liquide d'un bleu pâle, presque translucide, aux reflets apaisants. Une potion calmante, censée agir sur l'anxiété, les pulsions incontrôlées. Ironique, non ? Nous deux, travaillant sur un remède à ce qu'on refusait d'admettre.
— Elle est prête, dit-il simplement.
— Bien. On n'aura plus à faire semblant de se supporter.
Il referma la boîte sans rien dire.
Le silence qui suivit était plus épais que tous les précédents.
8h55 – Couloirs menant aux cachots
On descendit ensemble, comme lors des premières semaines. Même rythme. Même silence. Mais rien n'était pareil.
Je sentais chaque pas. Chaque regard croisé dans les couloirs. J'avais la sensation qu'ils savaient. Qu'ils voyaient quelque chose que moi-même je n'arrivais pas à définir.
— Tu vas faire quoi après ? lançai-je sans le regarder.
— Tu veux dire après ce projet ? demanda-t-il, comme s'il ne comprenait pas vraiment la question.
— Oui. Retourner à tes secrets. À tes livres sombres. À tes manipulations.
Il tourna légèrement la tête.
— Tu parles comme si tu n'en faisais pas partie.
Je serrai les dents.
— Ce n'était pas un choix. C'était une obligation. Pour ma note. Pour Rogue.
— Pour toi, corrigea-t-il.
Je ne répondis pas. Pas parce qu'il avait raison. Mais parce que je ne savais plus ce que je voulais admettre.
9h00 – Salle de potions
La classe était pleine, saturée d'odeurs d'herbes séchées et de vapeur. Les autres élèves déposaient leurs fioles, fiers ou stressés, selon leur degré de confiance.
Nous, on s'approcha sans précipitation. Ensemble. Comme si c'était normal.
Rogue nous regarda à peine. Il déverrouilla la boîte d'un sort, observa le contenu, plongea un instrument argenté dans le liquide. Il huma, examina la densité.
Son verdict tomba, tranchant :
— Précis Dosé Stable donc Satisfaisant.
Puis il releva les yeux vers nous, lents et perçants.
— Je suppose que ça valait le mal que vous vous êtes donné pour ne pas vous écharper.
Un murmure traversa la classe. Je retins une remarque cinglante.
Mais Tom, lui, répondit, calme :
— Certains résultats ne demandent pas d'amitié. Juste d'efficacité.
Rogue hocha la tête, presque satisfait.
Je me contentai de serrer les bras contre moi, mal à l'aise. Pas par honte. Par... vide. C'était terminé. Plus besoin de le croiser, de lui parler, de supporter ses silences tranchants, ses remarques glacées.
Alors pourquoi une part de moi refusait-elle de se sentir soulagée ?
10h15 – Escalier en colimaçon
Nous sortîmes ensemble. Encore.
Cette fois, nos pas résonnaient dans les couloirs vides.
Au bout du troisième palier, je ralentis.
— C'est là qu'on se dit au revoir, alors ? dis-je, un peu trop sèchement.
Il s'arrêta. Me fixa. Longtemps.
— C'est toi qui as besoin de ce genre de clôture. Pas moi.
— Bien sûr. Toi, tu files toujours avant la fin.
Un silence. Il ne nia pas.
Puis il s'approcha d'un pas. Pas trop près. Mais assez pour que je sente à nouveau ce courant étrange entre nous.
— Tu vas passer combien de temps à faire semblant d'avoir gagné en m'éloignant ?
Je le fixai.
— Et toi, combien de temps tu vas passer à prétendre que tu n'as jamais rien ressenti ?
Cette fois, son regard s'assombrit.
Mais il ne répondit pas. Évidemment.
Il tourna les talons, partit comme il savait si bien le faire.
Je restai là, seule dans le couloir vide, la poitrine tendue comme un arc.
Le partenariat était terminé.
Mais rien ne s'était refermé.
Seulement déplacé.
Quelque part entre nous, un lien tordu, noué entre la colère, la curiosité... et ce qu'aucun de nous ne voulait encore nommer.
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