A chaque nouvelle session, le Major a toujours le même petit rituel: il réunit tous les noobs dans le grand amphi pour faire son speech, présenter la mission Next Step et chacun des profs. So predictable, tellement rodé, le vieux militaire n'a plus aucune surprise en stock que je ne sache anticiper. Mais petite nouveauté, cette année, il va finir par “L'ANNONCE”.
Celle qui va soit les faire pleurer, soit crier de joie.
Quand on en a été informés, nous les assistants, on a eu dans les rangs ces deux types de réactions en tout cas. Moi, je suis trop excité depuis que je le sais. Ça va être énorme, j'ai hâte ! Le discours par contre, si on pouvait passer cette étape, ça m'arrangerait!
— Quelle perte de temps, je peste dans ma barbe.
J'ai tellement plus intéressant à faire, moi!
— Détends-toi Aldrin, t'es stressé ou quoi?
Cam, de son côté n'a pas l'air enchantée non plus, mais c'est mon état de nerfs qui la gonfle le plus.
— Devine quoi, j'ai autre chose à glander que de venir ici refaire mon sketch de grand méchant loup!
— Oh ça va, souffle un coup, la mission n'est pas mise en péril parce que tu t'absentes pendant deux heures! T'es pas indispensable à ce point!
— Sauf que t'as pas compris que je suis en plein dans mes expérimentations pour le calibrage des retro-fusées, et que c'est surtout bien plus intéressant que ces putain de discours à la con!
— Tu vas te calmer direct, Aldrin!
Elle me fusille du regard. Il n'y a bien qu'elle qui peut se le permettre. Les autres nanas en général, elles ne la ramènent pas trop quand elles voient que ce n'est pas le moment de me chatouiller.
— Moi aussi j'ai des expérimentations en cours! On est tous très occupés figure-toi! grogne-t-elle en désignant les autres professeurs et assistants qui sont à proximité, prêts à entrer en scène.
— C'est pas toi, Môssieur le boss en ingénierie mécanique, qui décide de toute façon. Alors tu vas descendre de ton petit piédestal cinq minutes pour venir rejoindre le commun des mortels ici présents, et faire ce que le Major te dit de faire.
Je dois bien admettre qu'elle a raison et que pour le coup, même si ça me fait grandement chier, je peux pas couper à cette présentation.
— Oh, c'est bon, ça va...
Le major prend la parole en montant sur l'estrade, et le silence se fait progressivement dans les rangées d'élèves, ainsi que parmi nous dans les coulisses.
— Et arrête de faire ta gamine capricieuse, je te prie! me lance la latina avec un sourire moqueur.
Je la fixe droit dans les yeux en levant mon majeur pour qu'elle comprenne bien que je ne la louperai pas la prochaine fois.
— Bonjour à tous et bienvenue à vous pour cette nouvelle promotion du programme Next Step. Nous allons commencer comme pour chaque nouvelle année, par une présentation de ce qui vous attend.
Nous montons sur scène en file indienne et je me retiens de mettre une main au cul de Hernandez devant moi quand elle monte les trois marches qui nous conduisent au Major. Mais au moment où j'allais passer à l'action, elle se retourne et me fixe avec les yeux plissés:
— Je te jure que je te fous ma main dans ta p'tite gueule d'ange si tu fais ça....
Merde elle lit dans mes pensées ou quoi?
— T'es trop prévisible Aldrin !
— Avance et ferme la...
J'avoue qu'elle m'a bien eue, et ça la fait sourire cette garce!
— P'tit con!
— Connasse!
Et on se marre comme deux débiles.
Ouais, je sais, vu de l'extérieur, on dirait pas, mais en fait on adore bosser ensemble. Et encore une fois, même si elle est lesbienne, Hernandez est une nana géniale. D'ailleurs, j'ai envie de dire, heureusement qu'elle est inaccessible, parce que sans ça, on aurait dansé la Macarena sous les draps tous les deux, et on serait vachement moins potes à l'heure qu'il est!
On ne va pas se mentir, les histoire de fesses au boulot, il n'y a rien de pire pour foutre en l'air une bonne ambiance d'équipe. La légende dit qu'il y aurait ici plusieurs dizaines de couples qui auraient réussi à exister à la fois sur leur lieu de travail et en privé je n’en crois pas un mot. Les histoires nian-nian comme ça, c'est pour les gonzesses. Moi, je reste focus sur ce que j'ai à faire. Et tout ce qui est perso reste en dehors de la sphère pro. Ainsi tout le monde s'en porte mieux.
C’est vrai que plusieurs collègues ont déjà tenté leur chance avec moi, mais c'est juste hors de question. Je suis pas un sentimental, j'ai horreur de ces conneries de "grand amour", "coup de foudre" et "happy ever after". C'est juste bon pour les contes de fées... et encore! Moi je reste sur les coups d'un soir, voire deux éventuellement, mais je ne tombe pas dans ces niaiseries. Et puis, on est que des animaux après tout! Moi ça me va bien! On a jamais vu un lion se cogner la même lionne toute sa vie, non?!
Le major prend la parole.
— Vous savez que le programme pour lequel vous allez être formés est particulièrement exigeant et sélectif. Nous sommes à la recherche des meilleurs d'entre vous, ceux qui auront le grand honneur d'être les premiers humains à sortir de notre système solaire pour rejoindre le système Alpha C du Centaure où nos sondes ont découvert qu'il était possible pour la vie telle que nous la connaissons ici, de se développer sur une autre planète.
Il parcourt son auditoire du regard.
— Vous êtes deux-cents aujourd'hui, et il s'agit de ne garder d'ici trois ans, que les vingt meilleurs parmi vous. Ce seront eux qui seront aptes à rejoindre la deuxième partie de la formation qui se déroulera sur la base Lunaire.
Je prends le temps, moi aussi, de dévisager ces p'tits trouducs : certains sont livides, ceux-là il est impératif que je les identifie en premier pour les faire craquer. Il faut séparer les torchons et les serviettes au plus vite. J'ai pas de temps à perdre, moi! D'autres sont excités comme des puces. Ceux-là je les laisse à Hernandez. Elle va vite les calmer. Et seulement ensuite je pourrai les faire dégager en leur foutant la pression.
— De là, deux nouvelles années de formation vous attendent, afin de vous familiariser avec l'environnement de New Start. Comme vous le savez déjà, cette planète, bien que habitable pour nous, n'a rien de commun à notre bonne vieille Terre. Il vous faudra cependant vous habituer à ne plus pouvoir vivre comme vous le faites ici.
Le Major déroule son speech, et j'observe les tronches de cakes.
— Il faut que votre métabolisme soit préparé pour ce voyage long de plusieurs années et surtout, il faudra être prêt pour passer le reste de votre vie là-bas, car aucun retour ne sera possible!
Il fait une petite pause dramatique comme il adore en faire avant de lâcher une bombe:
— Mais ça... ce ne sera que pour les meilleurs des meilleurs, ceux qui arriveront à faire partie des six à pouvoir embarquer à bord de l'Arche, le vaisseau sur lequel nous travaillons tous depuis plus de cinquante ans. C'est un joyau en termes de sophistication et de technologie.
Quelques-uns prennent des notes. Les têtes à claques de premiers de la classe. Ceux-là, c'est les pires. On ne sait jamais sur quoi on va tomber quand on va les foutre sous pression. Par le passé, certains ont cédé en deux minutes, d'autres se sont révélés excellents. Il nous faut un intellect, un mental, et un physique aussi.
Cette partie-là, sur les capacités physiques et psychologiques, le Major la présente en dernier, et je me frotte les mains par avance.
— Nous ne pourrons confier les commandes de ce fleuron de notre savoir-faire qu'aux représentants de la race humaine les plus valeureux!
Il y va fort!
— Il parle de toi, tu crois?
Quelle pouffiasse!
— À ton avis Hernandez....
Bien sûr que je serai dans les six finalistes. Et bien sûr que c'est moi qui piloterai l'Arche!
— Va savoir, il y a peut-être un autre Élu parmi les bleus...
Je la dévisage, l'air mauvais. Elle garde son air impassible en souriant niaisement face à l'auditoire.
— Dis pas de conneries...
Elle hausse les épaules, et je me retourne vers les élèves à mon tour.
— On peut jamais savoir...
Le Major continue son déroulé:
— J'appelle désormais les professeurs à venir se présenter pour expliquer les cours qu'ils assurent. Madame Butteridge, à vous.
Il accueille la professeure de biologie avec un large sourire et une franche accolade. Ces deux-là font bien partie des fameux couples qui ont mélangé boulot et perso. Enfin personne n'en a jamais eu la confirmation, mais pour moi il n'y a pas de doute possible quand on voit leurs sourires chaque fois qu'ils se croisent.
— Merci Major.
Elle prend place au centre de la scène et d'une voix claire, elle expose les thèmes qu'elle va aborder avec les premières années.
— Je sens qu'on va bien se marrer, on a de bonnes têtes de vainqueurs là, glousse Cam qui pointe du doigt une tignasse rose au troisième rang.
— C'est Barbie astronaute ou quoi?
Elle se marre, sauf que moi, je rigole pas. Mais alors pas du tout!
— Putain, y'a la princesse ...
— Qui?
Dans un soupir et haussement de sourcils de désespoir, j'ajoute:
— La Barbie astronaute, c'est pas celle aux cheveux rose...c'est celle d'à côté !
Je la vois plisser des yeux pour dévisager la nana à côté de la fille aux cheveux rose.
— Armstrong !