〔 Si Marakme est perdue, la Terre sera la prochaine à être investiguée par ces rebelles. Éliminez tous les éléments en possession d’informations sensibles ▿ Gloire à l'Empire 〕
ᴍᴇssᴀɢᴇ ᴛʀᴀɴsᴘᴏɴᴅᴇ́ ᴇɴ ᴜʀɢᴇɴᴄᴇ
ᴀᴘʀᴇ̀s ʟᴀ ᴄʜᴜᴛᴇ ᴅᴇ ᴍᴀʀᴀᴋᴍᴇ
┈ ⋞ 〈 ⏣ 〉 ⋟ ┈
Ryk.
Il souriait.
Le bâtard.
Autour d’Eden, le bruit s'était effacé. Les couverts, les discussions, même la voix d’Astrande semblait lointaine. Tout son être venait de se figer, les yeux si écarquillés que les lueurs de leur Étherium se projetaient en écho sur ses pommettes.
Il aurait préféré que Zayla l'abatte.
— Euh... Eden ?
Une grande main s’agita devant ses yeux, comme pour tenter de le reconnecter au monde. C'était Astrande - qui d'autre ? - deux gamelles à la main, qui lui faisait signe de le suivre :
— On s’est posés là-bas avec les autres, je te voyais plus j'étais inquiet - faudrait pas que je te perde ou je vais me faire tuer (il eut un petit rire nerveux). Viens, on est là-bas !
Le reste du groupe s'était installé plus loin, au pied de l’estrade où se pavanait Ryk.
Pourtant, malgré toute la haine qui l’habitait, Eden était incapable de le quitter des yeux. Insolemment appuyé sur le bord de la table, son pantalon ajusté laissait entrevoir les encrages sombres qui parcouraient son corps.
Il connaissait chaque courbe, chaque détail de ce fichu corps.
Et cela était si douloureux qu'il avait l'impression que son cœur allait se décrocher de sa poitrine.
— Alors ?! Ce ch’r’vier ?
La bouche pleine, Astrande pointait sa fourchette sur lui avec un sourire idiot.
Reconnectant, Eden secoua la tête. Autour de lui, le monde reprit un peu de ses couleurs, le sifflement aigu de la haine se substituant brouhaha du mess. Une douce odeur de pain grillé et d'épices lui monta immédiatement au nez, comme intensifiée par la chaleur des corps et des rires qui flottaient autour de lui.
— De...? Il marmonna après un court instant.
Avalant sa bouchée avec assez peu de classe, Astrande tapota sur le bord de sa gamelle de métal avec le bout de sa fourchette :
— Manche ! Ché la spécialité d'ichi (il avala encore), de la viande de chéravier ! Et ça là, c’est des roskovas, ça pousse que sur Io du coup on a fait le plein ! C’est une tuerie, genre littéralement, une fois un gars s’est battu pour me piquer ma part, mais j’avais mon mot à dire !
Et éclatant de rire, le blondinet flexa ses biceps, la grosse brûlure présente sur son bras gauche se découpant dans la lueur des néons suspendus. Zayla, plus loin, roula des yeux, prête à faire une remarque désagréable, mais Solis fut plus rapide - sans doute parce qu'il était habitué à l’humeur délétère de la jeune femme au crâne rasé :
— Ast' on sait que t’es le plus musclé de tout le vaisseau, il soupira gentiment. Et aussi, tu as mis de la sauce sur ton débardeur.
— Oh minche ! Merchi !
Eden n’avait pas bougé, insensible à l’ambiance de franche camaraderie qui régnait autour de lui. Les yeux rivés sur la table, ses doigts tremblaient légèrement, comme s'il était sur le point de s'évanouir. Mécaniquement, il agrippa sa fourchette pour la plonger dans sa boîte repas, les dents serrées.
— T’en penches quoi ? Mâchonna Astrande en frottant frénétiquement la tâche sur son vêtement.
Eden aurait voulu dire qu’il détestait.
Mais aussi maigre soit-elle, la minuscule portion qu’il venait d'enfourner dans sa bouche était un pur délice.
Tendre, fondante, délicieusement épicée. Salée, mais légèrement sucré. Pimenté, mais suffisamment doux pour ne pas lui brûler la langue. La fermeté de la viande se mêlait merveilleusement à des fibres de légumes au goût de racine, saveur légèrement organique achevant de parfaire le plat. Ce goût quasi-divin n’avait peu, si rien à voir avec la purée au goût vaguement protéiné qu'il avait mangée toute sa vie dans l’Empire, même dans les meilleures cantinas de la station.
A peine une bouchée terminée qu'il en désirait déjà une nouvelle. Voire une seconde assiette.
Il en comprenait presque l’enthousiasme maladroit d’Astrande.
— C’est bon hein ?! Répéta encore ce dernier en raclant son assiette déjà vide.
— Mmh. Acquiesça Eden avec un léger hochement de tête.
Instinctivement, ses yeux s'étaient à nouveau rivés sur l’estrade. Ryk n’avait pas bougé, son fichu sourire provoquant toujours placardé sur les lèvres, penché en avant. Equipé de deux gros blasters et d’une série de couteaux et de lames diverses, un harnais tactique ceignait ses cuisses, soulignant leur galbe.
Dangereux séducteur.
Et il riait.
Il riait encore, son charisme insolent rayonnant autour de lui, solaire comme il était. Hilare, il tapait dans l'épaule d’un type massif à l’allure de bandit, ses beaux yeux clairs s'illuminant.
Eden n’arrivait pas à détourner le regard. Si bon soit son repas, si gentil soit Astrande, si mauvaise soit Zayla.
Ryk.
Il pouvait presque encore voir sa peau rougir délicieusement, son petit sourire malicieux se dessiner alors que leurs désirs montaient en flèche.
Il pouvait presque encore sentir ses mains sur lui, ses lèvres se poser sur les siennes ; ses doigts, aventureux, se glissaient alors immanquablement là où il savaient qu'ils trouveraient leur place.
Il pouvait presque encore entendre ses mots doux, ses soupirs, ses cris de plaisir. Les murmures qu’il pensait emprunts de sincérité, les rires qu'ils échangeaient.
Son Ryk.
Peut-être attendait-il de lui un regard, ou même (plus audacieux) un geste.
Mais rien.
Ryk ne l’avait pas vu. Ou du moins faisait-il semblant de ne pas le voir - ce qui était pire..
Autour de lui, la conversation avait repris, les clowneries d’Astrande provoquant de nouvelles moqueries de la part de Zayla qui ne semblait rien savoir faire d’autre que critiquer :
— Tu parles. Elle grognait. Dès que ça a une paire de jambes et une queue entre les jambes tu ne peux pas t’empêcher d’essayer de croquer.
— Faux ! J’ai jamais couché avec Solis !
— Parce que j’ai une petite-amie. Pouffa le concerné. C’est mon seul bouclier. Quand c’est célibataire ça devient open-bar chez toi. Rappelle-toi du gars de Proxima avec son frère là.
— Son frère ? M’en rappelle pas.
Hécate éclata de rire à son tour :
— Menteur ! Tu t’en vantes tout le temps.
— ‘me vante pas. C’est pas ma faute si je suis trop beau. Pas vrai ?
Le blondinet s'était tourné vers Eden avec un clin d'œil, déjà prêt à repartir à l’attaque. Il n’en eut cependant pas le temps, pas plus que Zayla pour lui lancer une nouvelle pique.
Comme un seul homme, tous s'étaient figés dans un silence peu naturel, comme si l’on avait coupé le son. Même Ryk, toujours posté en surplomb, interrompit sa conversation. Il s'était figé, tourné vers les portes avec un sérieux inhabituel.
Le silence.
Une silhouette se détachait dans le clair-obscur de l'entrée.
C'était elle qui avait provoqué ce silence soudain.
Un chef. Songea Eden. Ça ne pouvait être qu’un chef.
Ou un messie.
De prime abord, il crut que les néons s'étaient mis à grésiller, ou qu'un souci électrique venait de les priver de lumière. Mais non. Le nouveau venu semblait bien irradier d’une lumière propre, douce, presque éthérée.
— Leto. Souffla Solis.
— De...?
— Leto.
Toute trace d’hilarité avait disparu sur son visage, tout comme sur celui du reste du groupe. Il y avait dans sa voix un respect profond, presque rauque, comme s’il n’avait pas besoin d'expliquer davantage qui était cet homme.
S'il en était un.
Sous la lumière blafarde, sa peau à la teinte grisâtre, couleur de cendre, semblait presque irisée. Soulignée par une myriade de petits points lumineux, elle luisait, glaciale comme s’il n’était pas réellement ancré dans le monde des vivants. Mais malgré cette apparence hors du commun, il se dégageait de son pas assuré une autorité tranquille, presque naturelle - de celle qu'ont les grands hommes.
Au fur et à mesure de sa progression, il semblait scruter la salle, comme à la recherche de visages familiers - ou d’autre chose.
— Il est le commandant du Léviathan. Murmura Solis. Et le leader de l’Alliance de la République. Et il est incroyable.
Un chef, donc.
Eden hocha doucement la tête, enregistrant soigneusement l’information dans un coin de sa tête. Arrivé à leur hauteur, Leto grimpa sur l'estrade, se tournant presque instinctivement vers Ryk avec qui il échangea une rapide accolade. Le rouquin lui répondit avec un petit sourire doux, presque amusé, lui chuchotant quelque chose qu’Eden aurait aimé entendre.
Imperceptiblement, sa mâchoire se contracta.
Il connaissait ce sourire.
Après ce court échange, « Leto » se tourna vers ses troupes, révélant enfin son visage à tous. Surplombé d'une large cicatrice en forme d'étoile, il était taillé dans la cendre comme le reste de son corps. Ses yeux, grands et d'une couleur ardente, brillaient d’un éclat si vif qu'il semblait presque douloureux. La seule marque d’humanité qui subsistait sur son visage sombre étaient ses cheveux, noirs et épais, qui retombaient en cascade sur son front.
— Il va nous faire un petit topo de la situation. Glissa Solis à Eden.
Leto venait en effet de s’avancer à l’avant de l’estrade, adressant un sourire bienveillant à tous :
— Bonsoir.
Eden frissonna. Conforme à son apparence, la voix de ce chef était elle aussi empreinte des accents de l’étrangeté. Rauque, vibrante, si profonde qu’elle semblait résonner jusqu'au plus profond de son être.
— Vous devez vous attendre à de bonnes nouvelles, et j’en ai. Notre opération sur la colonie Callisto a été un succès... Nous avons saisi trois tonnes d’Étherium. De quoi soigner nos blessés et continuer notre action.
Un murmure approbateur parcourut la salle, de petits sourires timides fleurissant ça et là.
Trois tonnes d’Étherium. Pour eux, cela paraissait être un gros coup. Pour l'Empire (Gloire à l'Empire !), une production d’une semaine - à peine plus.
— Cependant, cette saisie a eu un coût. Murmura Leto. Une victoire, mais à quel prix..?
Son regard s’assombrit. L’éclat rouge de ses yeux sembla vaciller un court instant.
— Cinq vies ont été perdues. Cinq âmes arrachées à l’existence, en notre nom. Ils s’appelaient Safya, Selim, Jace, Daniel, Charly. Pour que le combat continue.
— Pour que le combat continue. Scanda la foule dans un souffle.
— Je vais vous demander de marquer une première minute de silence. Pour eux. Que leurs noms ne soient pas oubliés.
La salle entière se redressa, le bruit des chaises que l’on tire sur le sol laissant place à une quiétude lourde, chargée de douleur. Sur l’une des tables proches de l'entrée, une femme s’effondra, son sanglot résonnant dans tous le mess.
Cependant, malgré toutes ces effusions de tristesse et d'émotions, Eden resta assis. Crispées sur la table, ses mains tremblaient légèrement.
Cinq noms.
Cinq rebelles qui avaient délibérément attaqué une station pacifique.
Cinq terroristes membre d’une organisation qui avait détruit sa vie.
Ils n’avaient pas droit au respect.
Ni au silence.
Il ne méritaient que l’oubli.
Leto avait beau avoir le visage d’un être divin, il n’était qu’un démon, instigateur du trouble qui secouait la paix impériale (Éternelle soit-elle !).
La minute de silence prenant fin, il fit signe à tous de se rasseoir. Ses yeux brillant d’une lueur toujours aussi iréelle, il cala l’une de ses mèches de cheveux derrière son oreille, avant de reprendre :
— Je voulais également marquer un second hommage. Si nous avons perdu des camarades et amis, notre action a aussi semé la destruction au sein d’autres vies. Et chaque vie perdue est une vie qui doit être pleurée. Je sais que vous ressentez de la colère. Pour certains de la haine. Mais impériaux, membres de l’Alliance, nous sommes tous frères de sang.
Eden détourna le regard, sentant les yeux d’Astrande sur lui. Contrairement aux autres rebelles qui semblaient plus récalcitrants à marquer ce second hommage - le silence légèrement troublé en attestait - le blondinet avait baissé la tête, les mains jointes, comme s’il priait.
L’ex-impérial retint un léger rire face à cette scène.
« Frères de sang ».
Une insulte. Quels frères étaient-ils lorsqu’il avait été réveillé par les bombes ? Lorsqu’il avait vu Brad se prendre une balle en pleine poitrine alors même qu’il tentait de le protéger ?
— Hypocrite. Il souffla pour lui même, le poing serré.
Personne ne l’entendit.
Apparemment satisfait de son hommage, Leto s’éclaircit la gorge, dégageant son front avec un léger tic nerveux, trahissant la jeunesse qui se cachait derrière cet air guerrier.
— Merci. Il souffla. Merci à tous. A présent, je me dois de vous donner quelques informations. Tout d’abord, nous quitterons la ceinture de Oort demain soir. Le succès de notre mission première nous permettra d’aller ravitailler Marakme. De là, nous pourrons libérer la Terre et commencer le déploiement de nos recherches sur son sol.
En face d’Eden, Astrande se redressa, l’air soudain bien sérieux. Toute trace de candeur avait disparu de son visage, l’affreuse brûlure qui ravageait son côté gauche se faisant soudain plus sombre, comme si elle cicatrisait encore.
Sur l’estrade, Leto s’était appuyé sur la table, l’éclat ardent de son regard parcourant la foule de ses fidèles. Bras croisés, il continua :
— Nos agents de liaison seront déployés en priorité. Ils vous transmettront toutes les informations nécessaires pour le moment où vous débarquerez là-bas. Soyez prévenus : l’empire n’est pas tendre. Il ne le sera jamais. Et avec ce qui s’est passé sur Callisto... il se peut qu’il soit sur les dents.
Un léger frisson parcourut la salle, presque comme un murmure. Les raclements de couverts, le bruit des chaises, tout s’était soudain effacé. Ce n'était plus un silence religieux, marqué par la douleur de la perte des êtres chers.
C’était un silence militaire.
Les rebelles n’avaient rien de la bande de bras cassés qu’on avait toujours décrit à Eden.
Ils étaient organisés. Diablement bien organisés.
— Nous scinderons les équipes pour nous assurer que nos contacts sont toujours sur place et en sécurité. Astrande et Solis sur le secteur un. Zayla et Hécate sur le secteur deux. Erykur sur le dernier secteur.
Comme un seul homme, les regards se tournèrent vers le petit groupe des agents de liaison. Par réflexe de survie, Eden se tassa légèrement, faisant mine de se gratter le front pour cacher l’Étherium qui colorait son regard.
Mais même au travers de ses cils épais, il le sentit.
Debout aux côtés de Leto, aux côtés de cet homme qui avait ordonné la destruction de sa station (et donc de sa vie) Ryk venait de poser les yeux sur lui.
Eden crut qu'il allait exploser.
Son coeur, déjà en miettes, se serra douloureusement.
Bien qu'un peu surpris, le regard de Ryk n’avait rien perdu de sa douceur, de son calme amusé. Il ne le regardait pas avec haine, bien au contraire. Ses grands iris verts le contemplaient avec tristesse, comme l’on observe un objet abîmé.
Ryk éprouvait-il de la pitié pour lui ?!
Eden serra les dents.
Il l’aurait tué de ses propres mains s’il avait pu.
— Demain commence la nouvelle étape. Je ne vous promets pas que cela sera facile, bien au contraire. Mais l’empire n’a que trop fait peser son injustice sur notre monde. Je vous promets que l’Alliance sera se montrer à la hauteur de vos espérances.
Quelques applaudissements fusèrent alors que Leto faisait signe à tous de se rasseoir, se tournant vers Ryk avec un léger sourire. Le rouquin n'avait pas bougé, adressant un dernier regard compatissant à Eden avant de se tourner vers son leader. A nouveau, son visage de mauvais garçon retrouva son petit sourire amusé alors qu'il s’installait à ses côtés à table.
— Incroyable. Conclut Astrande en hochant la tête. Il me met les poils à chaque fois qu'il fait un discours ce type.
Le reste du groupe acquiesça, la main d’Hécate se posant sur le bras de Zayla. Dans le mess, les discussions reprirent progressivement, le brouhaha chaleureux qui les avait accueillis reprenait de la vigueur, plus joyeux, plus souriant.
Porteur de promesses.
Mais Eden ne souriait pas.
Il avait à peine entendu les conversations revenir à la normale, le regard rivé sur Ryk et Leto qui, absorbés dans une discussion légère, semblaient franchement s'amuser eux aussi.
Ils riaient. Comme si rien n’avait d’importance.
Comme s’ils n’avaient rien détruit. Jamais. Comme innocents.
Ryk les pieds sur la table, face à cet homme au physique étrange qu’ils semblaient tous vénérer comme une sorte de dieu. Astrande et les trois autres idiots, à revenir sur leurs discussions futiles - cette fois centrées sur les courses de vaisseaux de Centauri.
Les mains posées à plat sur la table, Eden prit une longue inspiration. Lente. Profonde.
La vengeance serait si douce...
Et voici un nouveau très long chapitre posté un peu tard par rapport à d’habitude, mais je voulais prendre le temps de le relire 👀 Un peu de rebondissements et un Eden qui explose de l’intérieur, de quoi se tenir en haleine avec le retour des beaux jours !
C’est enfin aussi le retour de Leto, qu’on avait déjà vu dans le prologue, danssa version un peu moins blessé et un peu plus badass... question sérieuse, que pensez-vous de ce personnage ? Je me demande vraiment quelle première impression il peut donner (づ_ど) J’attends vos petits commentaires héhé 🗨️
Merci comme toujours de suivre mes aventures littéraires et une dédicace spéciale au club de lecture d’Historicall (Elise, Hylas, Lunny, Meharat et Quill, mais aussi Poulpie et Eva !) qui m’ont aidé sur la relecture de cette histoire, merci vous êtes au topitop 🤍
~ Myno