〔 L'Assurance de la stabilité des éléments est à la base même de la construction de l'Empire. Garantissez nourriture, sexe et divertissement aux éléments et personne ne posera jamais la moindre question. Là est l'objectif ▿ Gloire à l'Empire 〕
ᴇxᴛʀᴀɪᴛ ᴅᴜ ᴄᴏᴅᴇ ɪᴍᴘᴇ́ʀɪᴀʟ – ᴄɪʀᴄᴜʟᴀɪʀᴇ ᴀᴊᴏᴜᴛᴇ́ᴇ ᴀ̀ ʟᴀ sᴜɪᴛᴇ ᴅᴜ sᴏᴜʟᴇ̀ᴠᴇᴍᴇɴᴛ ᴅᴇ ᴍᴀʀᴀᴋᴍᴇ
┈ ⋞ 〈 ⏣ 〉 ⋟ ┈
— ...voici le prototype.
Avec un grand sourire, Eden posa la capsule sur le bureau impeccable de Kacie, ses doigts sales laissant une traînée de poussière grasse sur le beau meuble de bois clair. Empli d'un liquide bleu légèrement phosphorescent, le petit conteneur était verrouillé à son extrémité par un capuchon de métal où clignotaient trois diodes.
Après plus de six mois d'acharnement et d'accrochages avec la hiérarchie (pour résumer : avec Kacie), son travail avait enfin porté ses fruits. Des semaines passées dans la poussière et le moisi, à démonter, éplucher, échouer... À rentrer épuisé, le dos en compote, les chiffres et les couleurs dansant devant ses yeux clairs.
Mais ça avait marché.
Le système de cryptage était prêt.
— Chiffré de bout en bout. Annonça Eden avec une pointe de fierté. Sans la clé de décryptage, la capsule se verrouille, et l'alizarine contenue ici est libérée...
Du bout de son ongle cassé (les restes d'une bataille avec une pièce électronique récalcitrante), il désigna une petite ampoule emplie d'un liquide gras et noirâtre, connectée au compartiment principal de la capsule.
— ...comme ça l'Étherium prend une couleur rouge. Ça ne détériore pas ses propriétés, mais quiconque l'utilise sera facilement identifié.
Le silence tomba dans le petit bureau impérial. Kacie, tirée à quatre épingles comme toujours, observait la petite capsule sans dire un mot. Derrière elle, le Lieutenant Vargo, bien droit dans son uniforme blanc, s'approcha, contemplant un instant le prototype parachevé par Eden plus tôt dans la journée, les traits tendus :
— Testé en conditions réelles ?
Comme d'habitude, la voix était froide et autoritaire. Son regard, du même bleu que l'Étherium contenu dans la capsule, jaugeait Eden, comme l'on observe un apprenti maladroit. Mais ce dernier avait plus d'un tour dans son sac : il plongea la main dans la poche de sa combinaison, en sortant une vieille clé de décryptage en métal cabossé. Il lui la tendit, sans parvenir à réprimer une petit sourire assuré :
— Testez par vous-même.
L'ingénieur impérial (Gloire à l'Empire !) prit la clé avec une petite moue dégoûtée - tout comme Eden, elle était couverte de graisse et de poussière. Puis, avec un geste marqué par l'habitude, il l'inséra dans l'emplacement prévu sur la capsule, essayant de la faire tourner, sans succès. Sourcils froncés, il essaya une deuxième fois, faisant clignoter l'une des diodes. A la troisième tentative, il y eut un petit bip, puis l'Étherium prit une teinte rouge sang, coloré par la capsule d'alizarine qui s'était rompue à la suite de ses essais infructueux.
Les lèvres pincées, Vargo reposa la clé sur le bureau, tirant un mouchoir de sa poche pour s'essuyer les doigts. Kacie et lui échangèrent un regard.
— Je vous ai donné une clé obsolète. Expliqua Eden, faisant rouler dans sa paume la nouvelle clé qu'il s'était gardé de leur présenter jusqu'ici. Cryptage classique à deux entrées, de celles qu'on retrouve sur le marché noir. Mais avec celle-ci...
D'un geste souple, il récupéra la capsule pour y faire jouer son prototype de clé. Aussitôt, les trois diodes s'illuminèrent en bleu, et l'Étherium fut libéré de sa prison de métal. Pas peu fier, il déposa le fragile conteneur de silice - seule substance capable de stabiliser l'Étherium - sur la table.
Vargo, cette fois, hocha doucement la tête :
— Ça a l'air de fonctionner. Il admit, du bout des lèvres. C'est... prometteur.
Kacie, qui avait à peine réagi lorsque l'Étherium avait viré au rouge, eut un petit sourire déformé par l'hypocrisie :
— Lieutenant, je présenterai tout cela au prochain conseil ! Elle fit avec un grand sourire qu'Eden avait appris à détester.
Et comme elle le faisait depuis longtemps dans l'espoir d'obtenir sa quatrième étoile, elle se mit à battre frénétiquement des cils face à son supérieur - de manière assez ridicule à vrai dire. Le vieil ingénieur en avait cependant vu d'autres. Ne faisant pas cas de cette misérable tentative, il s'approcha plutôt d'Eden, contournant le bureau pour lui faire face.
— Je dois dire que j'avais peu d'espoir, Valerian Eward. Mais je suis agréablement surpris.
Eden eut une légère grimace en entendant son nom de baptême impérial (Gloire à l'Empire !) ; mais si le lieutenant Vargo l'utilisait, cela signifiait que...
— Ce petit séjour au moins trois t'aura fait prendre conscience que lorsque tu te mets au travail, sans t'attacher à de futiles distractions, tu peux être à la hauteur de nos attentes.
Sans aucun respect pour l'échange qui commençait à devenir plus sérieux, Kacie tenta d'intervenir. Les trois étoiles d'or sur sa combinaison reflétèrent un instant la lueur azur de l'Étherium alors qu'elle se levait précipitamment, la bouche ouverte :
— Lieutenant... Le consei-
— Je serais satisfait de te compter à nouveau dans mon équipe. Continua Vargo en levant la main, ignorant Kacie qui devenait de plus en plus rouge. Mais... la section d'extraction où tu travaillais n'a plus de poste à pourvoir en l'état.
Le frisson glacial de la déception s'abattit sur Eden. Bien sûr. Ce salaud de Brad avait bien monté son coup. Il ne serait plus jamais ingénieur-extracteur. Il avait fait son temps, avait sauvé les miches de sa hiérarchie et maintenant, on allait le renvoyer comme un malpropre.
Imperceptiblement, ses épaules s'affaissèrent.
— Donne-moi ta main. Ordonna Vargo, insensible à la déception qui venait d'apparaître sur son visage.
Obéissant, Eden leva la main, les dents serrées pour ne pas exprimer le fond de sa pensée. Mais alors qu'il s'attendait à être congédié, l'impensable se produisit.
Kacie se figea, le petit sourire satisfait qui était apparu sur son visage de poupée se transformant en une grimace à peine voilée.
Dans le creux de la main d'Eden, Vargo venait de déposer deux nouvelles étoiles dorées. Dans la saleté de sa paume, elles brillaient si fort qu'il dut se mordre la joue très fort pour vérifier qu'il ne rêvait pas. Le goût métallique du sang envahit sa bouche ; non, il ne rêvait pas.
Quatre étoiles.
Pas trois.
— L-Lieutenant... Il bafouilla.
— Demain. Première heure. Briefing de ta nouvelle équipe d'ingénieurs-crypteurs. J'attends de toi une présentation irréprochable...
Eden crut qu'il allait exploser de joie. Il aurait même pu embrasser le crâne chauve de Vargo tant la fierté irradiait dans sa poitrine. Contenant son sourire, il hocha rapidement la tête.
— ...essaie d'avoir une combinaison et des cheveux propres, ça ne fera pas bonne impression auprès des nouveaux diplômés. Termina l'ingénieur haut-gradé avec un haussement de sourcils. Tu peux disposer. Ta soirée est libre. Gloire à l'Empire.
Le coeur battant, Eden referma les doigts sur les insignes dorés et inclina légèrement la tête pour le saluer :
— Merci, Lieutenant Vargo... Kacie - elle lui adressa un horrible sourire - Gloire à l'Empire.
Puis, se retenant de sautiller comme un nigaud, il franchit la belle porte coulissante du bureau, laissant enfin éclore le soulagement sur son visage.
Il faudrait voir la tête de Ryk...
Il s'était presque mis à courir, les lacets défaits de ses bottes de vinyle manquant de le faire tomber alors qu'il effectuait une glissade dans le couloir menant à son appartement, un grand sourire aux lèvres.
— Ryk ! Il s'exclama à peine la porte ouverte.
Le rouquin, affalé sur le canapé, la tête à l'envers, était occupé à trifouiller son transpondeur cabossé, seulement vêtu de son pantalon de travail : sa veste jaune et le reste de ses affaires gisaient au sol. Voyant le sourire particulièrement niais qu'affichait Eden, il se redressa, abandonnant son appareil hors d'âge avec un petit rictus amusé :
— Oui, c'est mon nom. Je suppose que ta journée s'est bien passée, mon petit crasseux.
Trop heureux pour jouer les ingénieurs grognons, Eden s'approcha et l'embrassa à pleine bouche, s'installant avec enthousiasme sur ses genoux. Les étoiles toujours serrées dans son poing, il glissa ses bras autour de sa nuque, déposant une série de petits baisers sur ses lèvres.
— Crasseux et câlin ce soir... Commenta Ryk entre deux baisers, éclatant d'un petit rire bas. Alors, ce rendez-vous avec le gratin ?
— Tu vas pas le croire, gloussa Eden sans cesser de l'embrasser.
Et dans un geste presque solennel, il ouvrit sa paume pour révéler son contenu.
Les yeux du rouquin s'arrondirent. Se mordant la lèvre, il glissa un regard vers les deux étoiles déjà épinglées sur la combinaison du petit brun, comme s'il comptait.
— Je vais passer au grade quatre. Lui expliqua Eden, déposant un nouveau baiser contre ses lèvres. Je prends la tête d'une section de cryptage.
— Mais putain Eden... Mais c'est génial ! Souffla Ryk. C'est... c'est putain de merveilleux... Ils vont devoir te respecter maintenant ces enfoirés.
Face à lui, le tout nouveau chef de la section des ingénieurs-crypteurs hocha la tête, enfonçant un index accusateur dans son torse tatoué :
— Toi aussi faudra que tu me respectes.
Avec un petit sourire malicieux, le rouquin baissa les yeux, faisant mine de s'incliner :
— Oh oui mon capitaine Eden Valerian Eward. Il minauda, promis, je vous respecterai. Mais d'abord, laissez-moi vous bouffer le c-
Eden le fit taire d'un baiser, mordillant sa lèvre pour le dissuader de continuer à le provoquer.
Il fallait dire qu'après six mois, il avait fini par comprendre comment fonctionnait Ryk : l'insolence était sa seconde langue. Après leur fameuse première nuit placée sous le signe de la gueule de bois, il y en avait eu de nombreuses autres, comme tout autant de leçons sur la manière dont s'exprimait ce mécano au regard si étrange.
La routine était simple, du moins pour les deux premiers mois : il remontaient tous deux le soir, Eden du moins trois et lui du moins sept, se retrouvant dans la cantina avant de partir pour le bel appartement de l'ingénieur. Ces soirées se transformaient immanquablement en parties de jambes en l'air d'anthologie : l'intégralité des supports à peu près viables meublant l'endroit avaient été baptisés, du lit confortable au périlleux buffet jouxtant la porte.
Puis, l'attachement était arrivé, sournois. Ils avaient passé leur première nuit sans faire l'amour après qu'Eden, démoralisé, soit rentré d'un rendez-vous particulièrement houleux avec Kacie. Ryk avait tout fait pour lui remonter le moral à grand renfort d'anecdotes sur les courses de vaisseau auxquelles il avait pu assister sur Proxima Centauri. L'ingénieur s'était endormi dans ses bras, blotti contre sa poitrine.
Tout s'était emballé.
— J'ai quelque chose pour toi. Murmura le rouquin contre ses lèvres. Je savais pas si ton rendez-vous se passerait bien, alors je... Bref.
Il tendit le bras derrière lui, attrapant quelque chose sur la table dans un crissement feutré.
Eden haussa un sourcil. Ryk venait de lui présenter un petit sachet de papier, le secouant comme s'il s'agissait d'un instrument de musique.
— C'est quoi, ça...?
— Autre chose que ta purée dégueulasse. Regarde au lieu de faire la fine bouche, monsieur le grand seigneur des ingénieurs.
Eden tendit une main suspicieuse vers le sachet, l'ouvrant pour découvrir une dizaine de petits beignets huileux, enrobés de sucre légèrement cristallisé. Rien de ce que l'on trouvait dans les étages supérieurs.
— C'est quoi ? Il demanda, surpris.
Ça n'était pas le genre de gâteries auxquelles Ryk l'avait habitué.
— Goûte. Répondit simplement ce dernier en piochant un beignet pour le porter à ses lèvres, l'invitant à ouvrir la bouche.
Le sourcil levé, Eden obtempéra, croquant dans la friandise grasse et sucrée. La pâte croustillante céda sous ses dents, révélant une farce moelleuse, légèrement acidulée et épicée, mélange de saveurs uniques qu'il n'avait jamais - ô grand jamais - eu le bonheur d'expérimenter dans les cantinas des étages supérieurs.
— Merde. Il murmura, s'empressant d'en dévorer une seconde bouchée. C'est... C'est vraiment bon. C'est quoi ?
Ryk sourit, lui tendant un nouveau beignet alors que lui-même se servait, expliquant avec enthousiasme :
— Des malengas. C'est un truc qu'on trouve en bas. La recette traditionnelle des étages inférieurs si tu veux. C'est un genre de pâte frite sucrée, fourrée avec heu... En vrai je sais pas trop ce qu'il y a dedans. Mais c'est bon, c'est ce qui compte. Et puis je me suis dit que dans tous les cas, tu serais content de goûter autre chose que la purée dégueulasse de l'empire.
— Gloire à l'Empire. Marmonna Eden dans un réflexe purement pavlovien.
Le sourire de Ryk s'élargit alors qu'il décapitait un nouveau malenga du bout des dents. Encore une fois, le code impérial (Gloire à l'Empire !) semblait lui passer au-dessus de la tête.
— On se détend... Il sourit en époussetant les quelques cristaux de sucre restés sur le coin des lèvres de l'ingénieur.
Eden haussa les épaules, se laissant glisser contre le dossier du canapé, en profitant au passage pour engloutir un nouveau beignet.
— C'est vraiment incroyable tes marengas là. Il bâilla, la bouche pleine.
— Malengas. Rit Ryk en lui adressant un petit clin d'œil. Et c'est pas le seul truc incroyable qu'on trouve dans les étages inférieurs.
Engourdi par sa longue journée et réchauffé par la douceur des beignets, Eden se blottit contre lui, sentant déjà ses paupières s'alourdir.
— Tu comptes te servir de moi comme coussin ?
L'ingénieur hocha lentement la tête :
— ... t'es confortable.
Ryk eut un petit rire, presque comme un ronronnement contre l'oreille d'Eden dont la tête reposait contre sa poitrine. Distraitement, il caressa sa joue, s'amusant de ses cils qui battaient, faisant à peine d'effort de lutter contre le sommeil.
— Allez, endors-toi. Il finit par céder en déposant un petit baiser contre son front. Bonne nuit, mon ingénieur sexy.
— 'nuit Ryk.
Il ne fallut pas plus de dix secondes pour que la respiration d'Eden devienne plus profonde, plus apaisée. Ses lèvres légèrement entrouvertes, encore couvertes d'un léger voile sucré, il s'était endormi comme une masse. Le rouquin resta immobile un instant, le regard rivé sur lui, une main sur sa poitrine.
— Tu fais chier. Il souffla après quelques minutes, si bas que sa voix se perdit dans le grésillement des brilleurs.
Il eut un sourire un peu triste, avant de prendre Eden dans ses bras, le portant jusqu'à son lit. Délicatement, il le détesta de sa combinaison sale, prit soin de lui mettre son pyjama (coton gris, fourni par l'Empire - Gloire à l'Empire), et remonta la couette sur lui, le bordant avec soin.
— Je suis désolé mon coeur...
Un instant, ses prunelles à la couleur si particulière reflètèrent la lumière des lampes avant qu'il ne les coupe, plongeant l'appartement dans l'obscurité.
Sur la table, abandonné aux côtés des nouvelles étoiles d'Eden, son vieux transpondeur cabossé laissa échapper un léger signal sonore.
Par contre on sent que les ennuis vont commencer avec Ryk... A tout les coups il va devoir faire quelques chose de bien compromettant pour l'empire...