Le trio parla peu durant la suite du trajet les menant à Jinhar. Chan YinMai s’était enfermé dans une bulle. Il ne décrochait pas un mot, se contentant de hocher la tête de temps à autre pour montrer qu’il écoutait lorsqu’on lui adressait la parole.
Ils firent deux haltes pour se restaurer et renouveler leur énergie. Cependant, même Zhang JingXi, habituellement bien plus souriant et avenant avec tout le monde, resta discret et n’interrogea les gens qui les servaient que pour le strict nécessaire. À l’instar de ses compagnons de voyage, il préférait se réfugier dans ses pensées et réfléchir de son côté aux possibilités qui pouvaient se présenter à eux.
Il était déjà tard, la plupart des commerces venaient de fermer lorsqu’ils arrivèrent enfin dans la ville. Posant pied à terre, ils avancèrent dans les rues et firent un détour pour repérer le magasin de la famille Liu qui vendait des bijoux et ornements accessibles aux bourses les plus aisées.
L’endroit était fermé. Aucun d’eux ne chercha à frapper à la porte, puisqu’à présent il n’y avait plus lieu de se dépêcher pour retrouver Ping Yu. S’ils voulaient interroger les marchands, mieux valait que ces derniers soient dans de bonnes dispositions. Autant attendre le lendemain pour ne pas les déranger hors des horaires d’ouverture officiels.
Chan YinMai conservait les yeux rivés vers le sol, marchant en retrait de ses compagnons, tandis qu’ils se dirigeaient vers l’auberge de Jinhar. Il se demandait si Ping Yu avait parcouru le même trajet, quelques jours auparavant. Il se mordit les lèvres, se rappelant combien il avait hésité à l’accompagner. La raison qui l’avait poussé à ne pas le faire, son engagement auprès de Lu Lei et de Zhen YuJin pour le Nouvel An à Zhen Shen, lui paraissait si futile désormais…
Que se serait-il passé s’il avait modifié ses plans ? Est-ce qu’à deux, ils auraient pu s’en sortir sans difficulté ? Pourquoi n’avait-il pas davantage insisté en proposant à Ping Yu de venir avec eux pour les festivités ? Ils auraient pu repartir ensuite, avec Zhen YuJin et Zhang JingXi, et enquêter tous les quatre.
Le Musivateur savait qu’il ne servait à rien de regretter ce qui n’avait pas eu lieu, mais il ne pouvait pas s’en empêcher.
Et son fichu don de clairvoyance, ses capacités extrasensorielles… Peu importait le nom qu’on pouvait donner à ses cauchemars et intuitions, pourquoi ce don ne l’avait-il pas averti du danger ? C’était possible, on lui avait lancé une alerte sur Zhang JingXi en le lui montrant mortellement blessé et en lui faisant comprendre qu’il ne fallait pas qu’une telle chose se produise. Il en avait la conviction absolue. Alors pourquoi Ping Yu… ?
Il redressa la tête en fronçant les sourcils alors qu’il pénétrait avec ses compagnons dans le bâtiment qui les intéressait. Bien qu’aucune preuve ne le lui indiquât, Chan YinMai sentit que leur arrivée ne plaisait pas à l’homme derrière son comptoir avant même de pouvoir l’observer. Il écouta Zhang JingXi s’adresser à l’aubergiste, avec toute l’amabilité qu’il savait déployer, et se raidit en constatant que le talent inné de leur nouvel ami n’adoucissait pas leur interlocuteur. Celui-ci ne leur jeta qu’un vague regard, comme s’il ne les voyait pas vraiment, ce qui était en contradiction avec le ressenti du Médium. Il aurait mis sa main à couper qu’il avait on ne peut plus conscience de leur présence, puisqu’il n’aimait pas du tout les avoir dans son champ visuel.
Il apostropha quelqu’un derrière lui :
— HÉ ! CLIENTS À SERVIR ICI !
Le sourire avenant de Zhang JingXi se figea face à la voix tonitruante de l’homme qui ne leur avait même pas parlé directement. Zhen YuJin se raidit tout autant.
Une porte s’ouvrit quelques mètres plus loin. Une jeune fille d’environ seize ans en sortit, essoufflée, sa coiffure de travers comme si elle se défaisait au fur et à mesure de la journée.
— O… oui ! Je m’en occupe, père !
— Où est ta mère ? demanda l’aubergiste en fronçant les sourcils.
— Dans la cuisine, répondit la jeune fille en s’empressant de les rejoindre. En train de préparer le repas pour les clients.
Guère plus aimable, l’homme la fixa de haut en bas, puis secoua la tête d’un air agacé comme s’il n’était pas content de la voir.
— Occupe-toi d’eux, j’ai autre chose à faire.
Sans même un regard pour ses clients, l’individu quitta les lieux, désertant l’auberge pour s’éloigner dans la rue.
La jeune fille prit aussitôt sa place, les joues rouges de honte.
— … Je suis désolée, mon père est… Enfin…
Un couple installé à l’une des tables la héla. Chan YinMai vit la détresse dans les yeux de leur interlocutrice qui s’inclina devant eux.
— Je reviens tout de suite, Messieurs ! J’arrive !
Elle se précipita vers une nouvelle porte à quelques mètres à peine et en ouvrit le battant, libérant sur son passage une délicieuse odeur de nourriture que Zhang JingXi huma avec gourmandise.
— Maman, Monsieur et Madame Wei attendent d’être servis, si tu peux t’en occuper… Je suis avec des clients.
Zhang JingXi croisa les bras. Il commenta à voix basse :
— Eh bien… ce n’est pas le même relationnel avec le père ou la mère… La pauvre petite, on dirait qu’elle est débordée.
— Sa mère doit l’être tout autant, répondit Zhen YuJin sur un ton identique. Presque toutes les tables sont pleines, elles n’ont l’air d’être que toutes les deux pour tout gérer.
La jeune fille revint à eux en s’excusant à nouveau. Zhang JingXi lui adressa un sourire compatissant.
— Ne vous excusez pas si platement, Mademoiselle. Nous vous surprenons alors que vous êtes déjà très occupée. Veuillez nous pardonner d’arriver à une heure aussi mouvementée.
Tout en parlant, il eut la curieuse impression de sentir le regard de Zhen YuJin peser sur lui. Bien qu’intrigué par cette sensation, il ne quitta pas leur hôtesse des yeux.
— Il nous faudrait deux chambres, si possible.
Elle lui sourit en retour, rassurée par sa gentillesse, puis hocha la tête.
— Oui ! Il nous en reste deux de libres Je viens justement de finir de les préparer ! Venez, je vous y conduis !
Constatant que, au contraire de son père, cette jeune fille ne leur était pas hostile, Chan YinMai se réfugia de nouveau dans ses pensées en suivant le mouvement. Elle leur montra les deux pièces, au premier étage, avant de repartir au rez-de-chaussée pour s’occuper des clients en salle. Le trio se mit d’accord sur qui prenait quelle chambre. Ils se séparèrent ensuite, le temps de pouvoir se rafraîchir.
Quelques minutes plus tard, Chan YinMai et Zhen YuJin descendaient l’escalier, dans l’intention de manger. Chan YinMai manqua de percuter le dos de son ami d’enfance lorsque celui-ci pila au milieu des marches. Intrigué par cet arrêt, il guetta son regard et comprit qu’il observait quelque chose en particulier. Le quelque chose, ou plus exactement le quelqu’un, arborait le visage de Zhang JingXi qui riait avec leur jeune hôtesse, tout en l’aidant à apporter des plats à une table.
— Oh, pour l’amour des Dieux, A-Jin…, marmonna Chan YinMai.
Zhen YuJin tressaillit, surpris de l’entendre parler pour la première fois de la journée, d’autant plus qu’il devinait un reproche sous-jacent dans sa voix. Il lui lança un coup d’œil interrogateur, avant de reporter bien vite son attention sur leur ami.
— Tu crèves de jalousie, ça se voit comme le nez au milieu de la figure.
Les oreilles de l’intéressé rougirent aussitôt. Zhen YuJin le fixa à nouveau, tout en fronçant les sourcils.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Bien sûr. Voilà pourquoi tout à l’heure, tu l’as foudroyé du regard quand il a été particulièrement gentil et compréhensif avec cette demoiselle. Il te plaît, alors tente ta chance !
Pour se donner une contenance, Zhen YuJin continua la descente de l’escalier.
— Ce n’est pas…
— Pas quoi ? le coupa Chan YinMai. Pas raisonnable ? Allons bon, tu vas me servir ce prétexte encore longtemps ? Tu l’apprécies, il t’apprécie, vous vous appréciez. Et tu peux lui faire confiance, A-Jin ! Je peux te jurer que tu n’as pas à te méfier de lui.
N’ayant plus aucune marche à disposition pour les éloigner de Zhang JingXi, Zhen YuJin attira son meilleur ami dans un renfoncement discret en parlant à voix basse :
— A-Mai, tu…
— Oh, la ferme ! l’interrompit encore le Médium dans un murmure. Je sais très bien ce que tu vas dire et je te réponds clairement : c’est juste un prétexte pour ne pas aller de l’avant !
Il martela ces derniers mots de son index sur le torse de Zhen YuJin qui le dévisagea, incrédule. C’était bien la première fois qu’il voyait Chan YinMai à la fois fâché et amusé.
— Si tu as envie de lui en parler, je suis sûr qu’il comprendra. Mais arrête de te cacher derrière des excuses, bon sang ! Fonce ! Nous sommes bien placés pour savoir que la vie est courte et peut cesser à n’importe quel moment.
— … Ta vision…, chuchota le Maître du Feu en surveillant du coin de l’œil l’objet de leur conversation qui continuait de bavarder joyeusement avec la demoiselle.
— Peut-être qu’elle aura lieu. Peut-être pas. Et si elle a lieu, A-Jin, imagine si le pire se produit, comment veux-tu te souvenir de lui ? Comme d’un simple ami ? Ou de plus ? Ne vas-tu pas regretter de n’avoir pas tenté de te rapprocher davantage ?
Il sentit que ses paroles faisaient mouche et continua sur sa lancée, avec plus de calme :
— Écoute-moi bien… Je viens de perdre l’homme que j’aime. Mais pour rien au monde, je ne regrette tous les moments que j’ai pu passer en sa compagnie.
Sa voix avait vacillé, quelques larmes perlaient au coin de ses yeux. Toutefois, son regard soutenait celui de Zhen YuJin qui détourna le sien, l’air ennuyé. Parler ainsi de ses sentiments le mettait mal à l’aise.
— Je vais réfléchir, A-Mai. Laisse-moi le temps de penser à tout ça. Nous avons d’autres sujets qui demandent notre attention, je n’ai pas envie que ma concentration soit occupée par… autre chose.
Le Médium roula des yeux et croisa les bras.
— Très bien, prends ton temps. Mais attention, je pourrais prévenir mère.
Son frère blêmit face à la menace et chuchota avec précipitation :
— Oh non, pitié, ne fais pas ça ! Elle va rameuter toute la Troupe et monter un opéra romantique « mine de rien » en me suivant partout avec tous les autres…
Le fantôme d’un sourire passa sur le visage de Chan YinMai qui se fit ensuite songeur.
— Je ne sais pas. Zhang JingXi est son chouchou adoré, je suppose que s’il lui fait des courbettes et sa flopée de compliments habituels, il serait capable de réussir à la calmer.
— … C’est vrai.
Il imaginait très bien l’homme hantant son esprit en train de faire du charme à la matriarche pour s’assurer qu’elle ne se mêlerait pas trop de leur histoire. Zhen YuJin se laissa aller à un bref hochement de tête dépité. « Leur histoire », mais à quoi est-ce qu’il pensait ?
Chan YinMai lui donnait de quoi réfléchir. Il était tenté de céder à son envie. Mais il y avait également tout le reste, auquel s’ajoutait désormais la culpabilité hypothétique qu’une potentielle relation pouvait faire peser sur ses épaules… Son meilleur ami venait à peine de perdre son grand amour de la plus terrible des manières. Il se devait, par respect, d’attendre au moins un peu…
Ses yeux rencontrèrent ceux de Chan YinMai qui ne lui accorda qu’une œillade blasée. Ils se connaissaient beaucoup trop bien, après tant d’années à se fréquenter. Il devinait que le Médium lisait presque dans ses pensées.
Le Maître du Feu se racla la gorge, puis posa la main sur son épaule.
— Allez, viens, allons manger.
Il l’entraîna dans la salle, l’esprit encore accaparé par cette discussion qu’il n’avait pas du tout anticipée.
Malgré tout, il se sentait soulagé d’avoir entendu Chan YinMai reprendre la parole, pour la première fois depuis le début de la journée.
Zhang JingXi les remarqua. Il leur adressa un sourire radieux avant de se tourner vers la jeune fille qui l’accompagnait toujours. Celle-ci leur offrit un coup d’œil aimable, puis désigna une table libre à celui qui venait de l’aider à faire son service. Elle s’inclina ensuite pour le remercier. Il interrompit son mouvement d’un signe de main, lui signifiant qu’elle n’avait pas besoin de se montrer aussi reconnaissante, puis la laissa repartir.
Ils se rejoignirent à la table.
— Tu l’as aidée ou tu as pris des informations ? demanda Chan YinMai dès qu’ils furent tous assis.
— Les deux, sourit Zhang JingXi. Elle s’appelle Xue Hui et elle tient l’auberge avec ses parents, comme vous l’aurez compris. Elle s’est encore excusée pour le comportement de son père, tout à l’heure, mais c’est apparemment habituel.
Il se tut, tandis que la demoiselle venait leur apporter à boire. Zhen YuJin attendit que son ami cesse de faire du charme à la jeune fille, puis attrapa la cruche de vin lorsqu’elle s’éloigna.
— Qu’est-ce qui se passe, avec son père ? Elle et sa mère sont clairement dépassées par le travail. Sa présence active ne serait pas de trop, reprit Chan YinMai.
Zhen YuJin faillit lever les yeux au ciel. Il voulait des informations sur leur affaire en cours, pas sur la petite vie de la famille Xue. Il fut cependant un peu plus intéressé lorsque le Médium ajouta :
— Tout à l’heure, j’ai senti qu’il n’appréciait pas du tout notre venue.
Zhang JingXi confirma :
— Tu as raison. Il est peu aimable avec à peu près tout le monde, mais les Cultivateurs en particulier ne sont pas les bienvenus à ses yeux. D’après Mademoiselle Xue, il nous trouve tous hautains et pédants avec nos capacités.
— Il n’est pas le seul à penser ainsi, fit remarquer Zhen YuJin. Pourtant, je suis sûr d’être déjà venu ici et d’avoir eu affaire à lui, sauf qu’il était beaucoup plus sympathique à l’époque.
— En fait, il semblerait qu’il ait perdu sa fille, il y a deux ou trois ans. La grande sœur de Xue Hui. Elle est tombée gravement malade et n’a pas survécu.
— J’entends bien, mais pourquoi se mettre à nous détester ? releva le Maître du Feu.
— Je n’en ai pas la moindre idée, je l’admets, reconnut Zhang JingXi. Elle ne m’a pas expliqué pourquoi nous n’étions plus appréciés. Je sais juste qu’après le décès de sa fille aînée, il s’est replié sur lui-même. Pendant plusieurs mois, il a sombré dans une profonde dépression et restait toute la journée sans bouger et sans parler. Puis son état a évolué pour devenir celui auquel nous avons eu droit. Il est présent dans l’auberge, mais n’aide plus beaucoup et se contente de gueuler quand il a besoin que sa femme et sa fille fassent quelque chose.
Chan YinMai baissa les yeux sur sa table en secouant la tête.
— Je compatis. Je comprends qu’il puisse souffrir. Mais c’est triste d’en faire pâtir le reste de sa famille…
Il se tut alors qu’une femme d’une quarantaine d’années s’approchait d’eux pour les servir. À l’image de sa fille, elle paraissait débordée, mais s’efforçait d’être aimable en leur compagnie. Chan YinMai eut la certitude que toutes deux faisaient de leur mieux pour compenser le comportement beaucoup plus impoli de l’aubergiste.
Alors qu’elle s’attelait à poser les différents plats sur la table, Zhang JingXi la fixa, songeur. Finalement, n’y tenant plus, il s’adressa à elle :
— Excusez-moi, ma Dame ?
La femme tourna aussitôt son attention sur lui, son sourire s’élargit. Zhen YuJin s’empressa d’attraper ses baguettes et de se concentrer sur elles, songeant qu’il n’avait aucune raison de se sentir jaloux en constatant que tous ceux qui conversaient avec le Cultivateur semblaient le trouver tout à fait charmant.
— Vous m’êtes familière, mais je n’arrive pas à situer où j’ai pu vous voir. C’est la première fois que je viens dans votre établissement…
— Ma foi, je ne sors plus d’ici depuis belle lurette, répondit Madame Xue d’une voix lasse. Mais à une époque, je me rendais souvent à ZhenShen, mon frère habite là-bas. Cela vous parle, peut-être… ?
Zhang JingXi claqua soudain les doigts d’un air triomphant.
— Ah oui, c’est ça ! Vous êtes de la famille de l’homme qui tient l’Âne Fringant ! Votre frère serait Monsieur Zhong ? Je crois me souvenir m’être arrêté une fois, vous étiez au comptoir avec lui.
Le visage de leur hôtesse s’éclaira encore plus.
— Oui, c’est lui ! Vous avez bonne mémoire ! Même si j’étais censée lui rendre une simple visite, je ne pouvais pas m’empêcher de lui donner un coup de main.
Son expression s’assombrit. Machinalement, elle regarda par-dessus son épaule, en direction de la porte d’entrée par laquelle son mari avait disparu. Elle soupira en revenant au trio :
— J’espère pouvoir retourner le voir bientôt. Vous arrivez de ZhenShen tous les trois ?
Lorsque Madame Xue apprit que les deux autres étaient des Musivateurs, son enthousiasme fut palpable. Elle s’attarda quelques minutes de plus en leur compagnie, pour discuter. Elle avait toujours voulu se rendre à la capitale au moment des festivités du Nouvel An. Son frère lui disait souvent le plus grand bien des spectacles qui avaient lieu à ce moment-là et ne tarissait pas d’éloges sur les Musivateurs qui venaient chaque année dans son auberge.
La conversation allait bon train et, estimant que le moment était idéal, Zhang JingXi enchaîna habilement. Il expliqua qu’ils avaient quitté la capitale pour enquêter sur des disparitions et lui demanda si elle en avait entendu parler.
Chan YinMai plissa les yeux en la voyant se gratter le bras nerveusement. La question l’avait heurtée.
— Des disparitions ? répéta-t-elle en faisant mine de réfléchir. Je ne sais pas trop… Pour être honnête, je discute très peu avec mes clients, je n’ai plus vraiment le temps pour bavarder, alors les histoires qui se passent à l’extérieur de mon auberge… D’ailleurs…
Avec un sourire d’excuse, elle désigna une table qui attendait sa présence et s’empressa de prendre congé, non sans souhaiter un agréable repas et une très bonne soirée au trio.
Zhang JingXi baissa les yeux vers son bol. Il constata qu’il avait été rempli généreusement par quelqu’un d’autre pendant qu’il conversait. Chan YinMai était bien trop loin pour ce faire, aussi il ne pouvait que s’agir de l’œuvre de Zhen YuJin. Il commença à manger avec appétit.
— Madame Xue ne nous a pas tout dit, murmura Chan YinMai. Je pense qu’elle savait de quoi nous parlions.
Zhen YuJin glissa un coup d’œil vers la patronne.
— Tu crois qu’elle n’a rien dit parce qu’elle sait quelque chose ou par pudeur ? Certaines personnes préfèrent éviter de lancer ou d’alimenter des rumeurs.
— Je n’en sais trop rien, admit Chan YinMai. J’ai juste eu la sensation que la question l’ennuyait, mais j’ignore pourquoi.
Il sursauta quand Zhang JingXi se redressa avec brutalité, les yeux fixés sur l’une des fenêtres qui donnaient sur la rue.
— Je reviens ! s’écria le Cultivateur en se précipitant vers la porte.
Interloqués, les deux Musivateurs échangèrent un regard, comme si l’un ou l’autre pouvait expliquer l’attitude étrange de leur camarade. Chan YinMai finit par hausser les épaules et se concentra sur la nourriture. Zhen YuJin l’imita, non sans jeter des coups d’œil au siège libre à leur table.
L’absence de Zhang JingXi ne dura qu’une poignée de minutes. Il revint dans l’établissement et, de son pas bondissant, retourna à sa place en s’excusant :
— Pardon, pardon. C’est très malpoli de vous avoir laissé ainsi sans explications. J’ai vu une connaissance passer dans la rue, il fallait que je la rattrape avant qu’elle ne disparaisse.
— Une connaissance ? répéta le Maître du Feu.
S’il espérait en apprendre plus par cette question, sa curiosité ne fut pas satisfaite. Zhang JingXi se contenta d’approuver d’un hochement de tête, puis entreprit d’engloutir le contenu de son bol.
Zhen YuJin ne put s’empêcher de le trouver étrange alors qu’ils mangeaient tranquillement. À chaque fois qu’il levait les yeux vers lui, il le surprenait à être perdu dans ses pensées.
Il était déjà tard lorsqu’ils achevèrent leur repas. Arrivés après la fermeture des commerces, le temps de s’installer à l’auberge et d’être servis, ils furent parmi les derniers clients à quitter la salle.
Chan YinMai ne demandait pas mieux que de se laisser tomber dans son lit et de dormir comme une pierre – du moins l’espérait-il – jusqu’au lendemain matin. Aussi, les deux autres décidèrent de ne pas pratiquer avec le feu, ce soir-là.
Ils ne se voyaient pas s’entraîner et parler dans la chambre des deux Musivateurs alors que l’un d’eux voulait se coucher. Et Zhen YuJin ne souhaitait pas, par sécurité, le laisser tout seul pendant qu’il irait dans la chambre de Zhang JingXi. Même s’il espérait que le Médium passerait une bonne nuit, il préférait rester non loin s’il faisait un cauchemar.
Le trio se sépara, les deux Musivateurs d’un côté, et le Cultivateur dans la pièce voisine.