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AlodieRomand
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Chapitre 2

     Le grand tigre de feu dansa dans le ciel étoilé, avant de s’arrêter au-dessus du Palais. Il ouvrit la gueule, rugit et cracha une gerbe de flammes qui frappa le pavillon privé de la famille impériale. De la fumée noire s’éleva, projetant une ombre devant la lune qui s’éteignit. Un brouillard obscur s’abattit sur la capitale alors que le bâtiment s’effondrait sur lui-même. Le tigre rugit à nouveau, faisant trembler le domaine impérial dans son entièreté jusque dans ses fondations.

     Le jeune homme blond tendit la main pour tenter de dissiper le sombre brouillard qui devenait de plus en plus opaque. Il lui piquait les yeux si fort qu’il dut les fermer. Lorsqu’il les rouvrit, il se trouvait dans une cellule de prison. Des pleurs et des gémissements résonnaient, mais ils n’appartenaient pas au monde des vivants.

     Un bruit l’interpella. Il se retourna pour apercevoir l’éclat d’une lame briller dans l’obscurité. Une douleur aiguë le frappa immédiatement dans le ventre. Lorsqu’il baissa le regard, ce fut pour voir une main enfoncée dans son abdomen. Son agresseur la retira soudain, le faisant tituber en arrière en crachant du sang. L’autre tenait quelque chose entre ses doigts, mais il n’eut pas le temps de discerner ce dont il s’agissait. Une lame lui trancha net la gorge.

     Chan YinMai se redressa brutalement dans son lit en émettant un son étranglé.

     Aussitôt alerté, Zhen YuJin, son meilleur ami, abandonna sa méditation et se précipita à son chevet.

     — A-Mai [1]!

     La main plaquée sur son cou comme s’il cherchait à empêcher une blessure de saigner, Chan YinMai lui fit signe de ne pas s’inquiéter. Il haletait et transpirait à grosses gouttes, mais tous deux savaient que ce serait terminé dans quelques instants.

     En attendant le retour au calme, l’autre homme se dirigea vers la table basse et remplit un grand verre d’eau qu’il lui apporta.

     Lorsqu’ils étaient arrivés à l’auberge de l’Âne Fringant en pleine nuit, Zhen YuJin avait hésité au moment où le propriétaire des lieux leur avait demandé s’ils voulaient une chambre pour deux ou non. Il avait failli opter pour deux distinctes, mais s’était ravisé à la dernière seconde. À cet instant, il ne regrettait pas son choix. Même si Chan YinMai était tout à fait capable de gérer ces moments de crise, lui préférait ne pas le laisser tout seul, surtout en l’absence de Ping Yu. Il avait promis à ce dernier de garder un œil sur son compagnon et il comptait bien tenir sa promesse jusqu’à son retour.

     Son ami avala d’une seule traite la moitié du verre d’eau, avant de le lui rendre et de se laisser retomber sur le lit. Un bras replié sur les yeux, il poussa un long soupir tandis que Zhen YuJin posait le verre sur le bord de la fenêtre.

     — Qu’est-ce que c’était ? Un cauchemar ou une vision ? demanda ce dernier à mi-voix.

     — Les deux…, répondit l’autre sur le même ton.

     Chan YinMai retira son bras, puis tourna la tête sur l’oreiller pour regarder son compagnon de chambre.

     — Un cauchemar d’abord, presque un souvenir… Quand il y a eu l’incendie dans les quartiers de la famille impériale…

     Zhen YuJin acquiesça, le visage grave, tout en s’asseyant sur le sol pour rester près de lui.

     — Je n’en suis pas surpris. Après tout, c’est la date d’anniversaire de leur mort, aujourd’hui. Avec tes sensibilités, ce n’est pas si étonnant que tu en aies rêvé.

     Les yeux dans le vague, Chan YinMai opina du chef. Il se passa une main sur la figure, en reprenant :

     — Ce n’est pas tout. Après, j’ai eu une vision… Les lieux étaient imprégnés de pleurs et de terreur, j’ai entendu les esprits se lamenter, je crois… Ensuite, quelqu’un m’a poignardé…

     Zhen YuJin fronça les sourcils.

     — … Toi personnellement ? Ou quelqu’un d’autre ?

     — Je ne sais pas…

     — Tu saurais le dater ?

     — Pas du tout. Et j’ignore où ça se situe.

     Zhen YuJin n’insista pas. Il avait l’habitude des cauchemars de son camarade. Ce dernier en faisait, de temps en temps, et il n’était pas rare qu’ils en profitent pour enquêter et chercher une explication à ces rêves souvent prémonitoires. À chaque fois, ils se demandaient « qui », « quand » et « où ». Mais les images perçues par Chan YinMai restaient vagues la plupart du temps. Parfois, il pouvait déduire un lieu avec certitude. Parfois, il voyait simplement quelque chose qui s’était produit dans le passé, à l’endroit où il se trouvait. Parfois, avec de la chance, un nom pouvait résonner dans ses rêves et leur donnait un semblant de piste à explorer. Mais le plus souvent, ils se retrouvaient face à la situation de ce matin : des enchaînements de scènes et pas plus d’explications.

     — Mais je sais que je n’étais pas le seul, reprit soudain Chan YinMai. Il y en a d’autres qui ont subi le même sort. Je ne pourrais pas te dire comment je le sais, mais c’est une certitude.

     L’autre garda un silence songeur pendant quelques minutes, se récapitulant les informations que venait de lui fournir le Médium. Il l’observa, quelque peu inquiet. Si celui-ci affichait un teint très pâle les trois quarts du temps, aujourd’hui il le trouvait particulièrement blême. Son cauchemar avait dû le secouer.

     — Descendons prendre le petit déjeuner, histoire de te redonner des forces, suggéra-t-il en se relevant. On parlera de ce que tu as vu à mère.

     Chan YinMai acquiesça et s’efforça de se tirer des couvertures.

     Dissimulant un sourire, Zhen YuJin s’empara d’une feuille pliée en forme de papillon posée sur la table basse. Il la tint entre deux doigts.

     — J’ai oublié de te dire que Ping Yu t’a envoyé une lettre.

     Aussitôt, Chan YinMai bondit hors de son lit, motivé, et sauta pour tenter d’attraper le courrier qui lui était destiné. Zhen YuJin le garda hors de sa portée en haussant les sourcils.

     — Je te la donnerai quand tu seras en bas en train de manger.

     Il n’eut pas besoin de le répéter deux fois. Chan YinMai se prépara à toute vitesse, puis sortit en un éclair de leur chambre, avant de dévaler l’escalier.

     Le temps que Zhen YuJin s’habille, le rejoigne et descende les marches à son tour, son meilleur ami avait déjà discuté avec l’aubergiste pour être servi et l’attendait, impatient, assis à une table.

     Il lui donna la lettre, puis prit place. Il regarda l’activité de la ville à travers la fenêtre, tandis que Chan YinMai prenait connaissance de son courrier. Ce dernier tombait à point nommé et aida le Médium à retrouver un semblant de bonne humeur. Comme toujours, qu’il soit présent ou non, Ping Yu était capable de lui redonner le sourire, ce qui était toujours bienvenu si l’on prenait en compte le fait que ses cauchemars et intuitions pouvaient parfois le rendre morose pendant des heures, voire des jours entiers.

     Chan YinMai reposa sa lettre, le sourire aux lèvres. Il commença à se servir dans les plats qui venaient de leur être apportés. Son camarade l’imita, tout en demandant :

     — Est-ce qu’il nous rejoint, aujourd’hui ?

     — Malheureusement, non. Il y a quelques jours, quelqu’un a fait appel à lui, dans la ville de Jinhar, pour l’aider à retrouver leur fils disparu. Il m’avait proposé de l’accompagner, mais j’avais déjà promis à Lu Lei que je serais ici, cette année. Il me suggère de le rejoindre lorsque les festivités seront terminées. En attendant, il commence l’enquête.

     Zhen YuJin acquiesça tout en remplissant son bol du bout de ses baguettes.

     — Si tu veux, je pourrais partir avec toi.

     Le Médium accepta aussitôt d’un vigoureux hochement de tête. Même s’il était tout à fait apte à se débrouiller seul sur les routes, il préférait largement la faire avec un peu de compagnie. En dehors de Ping Yu, Zhen YuJin était son camarade de voyage de prédilection. En même temps, ils se connaissaient depuis leur enfance puisque Lu Lei les avaient tous les deux élevés ensemble. Si la fondatrice des Musivateurs les aimait comme sa propre progéniture, eux la respectaient comme une mère et s’appréciaient comme des frères entre eux.

     — Nous venons à peine d’arriver et vous parlez déjà de partir ? Décidément, vous n’êtes pas capables de rester bien longtemps au même endroit.

     La concernée s’approchait justement d’eux. Chan YinMai se décala pour lui laisser de la place autour de leur table, tandis que Zhen YuJin faisait signe à l’aubergiste de leur apporter un bol supplémentaire.

     Tout en s’installant, la matriarche jeta un coup d’œil à la lettre pliée.

     — Vous allez rejoindre Ping Yu ?

     Chan YinMai entreprit de lui confirmer que son amoureux venait bien d’arriver à Jinhar pour commencer ses investigations et lui rapporta les quelques nouvelles qu’il donnait. Lu Lei l’écouta tout en hochant la tête, un sourire chaleureux aux lèvres. Voir son garçon s’animer et son visage s’éclairer de joie lorsqu’il parlait de l’homme qu’il aimait n’avait pas de prix à ses yeux.

     — Mais bien entendu, nous partirons après ! s’empressa-t-il d’ajouter. Nous n’allons pas rater le spectacle de ce soir ! Je suppose que nous prendrons la route demain ou après-demain. Veux-tu nous accompagner ?

     Elle refusa d’un signe de tête.

     — Oh non, j’ai promis à Fang, LiWei et Rong que j’allais les rejoindre dans le Nord. Ils ont monté une nouvelle pièce de théâtre et ils ont besoin d’un coup de main pour la peaufiner. 

     Zhen YuJin n’écoutait la conversation que d’une oreille distraite. Les yeux tournés vers la fenêtre, il suivait les déplacements des gens dans la ruelle. Il parvenait assez aisément à deviner s’il voyait des habitants de la capitale ou bien de voyageurs de passage. Il fut frappé par l’humeur enjouée affichée par tout le monde, tout en estimant qu’il s’agissait d’une excellente chose. La bonne santé d’un pays se reflétait dans le comportement général de son peuple. Du temps du règne de Ming YanShi, il ne pouvait que constater à quel point tout allait mal. Partout où il se rendait, il ne voyait que misère, pauvreté et crainte dans les yeux des habitants.

     Son regard remonta la rue pour atterrir sur l’imposant tertre en haut duquel était juché le Palais impérial.

     — A-Jin ?

     Tiré de ses pensées, il tourna la tête vers Lu Lei et comprit qu’elle venait de lui parler.

     — Excuse-moi, je n’ai pas écouté, avoua-t-il. Que disais-tu ?

     Apparemment habituée aux distractions de Zhen YuJin, la cheffe de la Troupe répéta.

     — Je disais que ce matin, j’ai vu le petit Zhang JingXi ! Il est encore présent cette année, tu vas pouvoir le rencontrer.

     Il esquissa un sourire amusé. Depuis le temps que Lu Lei lui parlait de ce Cultivateur… Chaque année, quand elle revenait de ZhenShen, il avait droit à un récit complet de sa rencontre annuelle avec le jeune homme.

     Du regard, Zhen YuJin interrogea son meilleur ami :

     — Il est « petit » comment ?

     Chan YinMai et Ping Yu avaient accompagné Lu Lei, l’an passé. Par conséquent, le Médium avait déjà fait connaissance avec le fameux « petit Zhang JingXi ».

     — Comme nous, répondit Chan YinMai avec un sourire. La trentaine et sympathique, je suis curieux de voir ce que tu vas en penser.

     — Le plus grand bien, je n’en doute pas, asséna la matriarche d’un air sûr d’elle.

     Zhen YuJin n’osa ni protester ni la contredire. En réalité, il était certain que si elle lui annonçait qu’ils pouvaient bien s’entendre, ce serait bel et bien le cas. Et même si le contraire se produisait, il aurait tout intérêt à se faire discret, sinon il risquait de lancer sa mère dans un discours qui lui prouverait par a plus b qu’il avait tort et qu’il devait changer de point de vue sur son jeune ami.

***

     Assis sur le rebord d’une fenêtre, Zhang JingXi fronçait les sourcils, tout en fixant le sol d’un air pensif.

     — Tout cela ne me dit rien qui vaille, Lao Da Ye[2], finit-il par lâcher au vieil homme en face de lui. Depuis combien de temps cela dure-t-il ?

     Son interlocuteur baissa les yeux sur les papiers qu’il tenait dans les mains, et les parcourut du regard.

     — Eh bien, si j’en crois ce qu’on m’en a raconté, les premières disparitions remontent à six mois. Sur le moment, personne n’a réagi comme il s’agit des classes sociales les plus misérables… Mais un fils de fermier par-ci, une petite servante par-là, une fille d’aubergiste à l’est, un jeune tisserand vers le nord…

     Zhang JingXi plissa les yeux en hochant la tête.

     — Je vois, ce sont des disparitions individuelles, dans plusieurs endroits différents…

     — Exactement, pris séparément, ces cas ne sont pas si alarmants. Mais lorsqu’on commence à tous les regrouper…

     — Il y en a beaucoup trop, acheva le Cultivateur à mi-voix. Tous de la basse classe ?

     — Pas uniquement, en vérité, se corrigea le vieil homme en sortant un feuillet du tas qu’il tenait. Il y a aussi eu une disparition chez un riche marchand, à Jinhar. Peut-être existe-t-il un lien, peut-être pas… Ce qui est certain, c’est que nous en avons beaucoup trop ces derniers mois, réparties dans tout le pays. Mais de là à savoir si toutes sont liées entre elles ou non…

     Zhang JingXi releva le menton et tendit la main vers son interlocuteur qui le laissa consulter la liasse de papiers sans attendre. Ses yeux clairs parcoururent rapidement les pages, tandis que dans son esprit, la carte du pays se traçait avec précision. De ZhenShen à Jinhar, plusieurs villes et villages se retrouvaient concernés par des disparitions ici et là.

     — Je devrais peut-être m’en occuper…

     — Est-ce bien prudent ? s’exclama aussitôt le vieil oncle. Toute cette affaire pourrait être dangereuse !

     Le jeune homme sourit en lui rendant les documents.

     — Pas plus que les autres que j’ai déjà menées.

     — Ce n’est pas ce que je…

     Il fut interrompu par Zhang JingXi qui leva doucement la main pour l’arrêter, sans se départir de son sourire pour autant.

     — Lao Da Ye, si tu m’as montré ces informations, ce n’est pas pour rien. Je vais profiter des festivités pour voir si mes condisciples ont eu vent de cette affaire. Si personne ne semble vouloir se charger de cette histoire, il faudra bien que je m’en occupe moi-même.

     Après une seconde d’hésitation, le plus âgé finit par acquiescer, non sans lui adresser un léger sourire attendri.

     Zhang JingXi descendit de son bord de fenêtre avant de lui offrir son bras.

     — Pour le moment, laissons ces disparitions de côté. Veux-tu bien me préparer ce thé dont tu as le secret ? Je meurs d’envie d’en boire une tasse depuis… eh bien, depuis hier soir !

     — Mais quelle idée aussi d’avoir passé la nuit dehors ! soupira le vieil homme en pressant cependant le pas pour se hâter d’accéder à sa requête.

     Le rire joyeux et insouciant de Zhang JingXi résonna dans les couloirs de la demeure tandis qu’il l’accompagnait jusqu’à la cuisine.


[1] A- : diminutif affectueux. Toujours utilisé comme préfixe.

[2] Appellation polie à l’adresse d’un vieil homme (oncle, grand-père).

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