Depuis cet après-midi suspendu, quelque chose avait changé.
Elina le sentait dans chaque recoin du lycée, dans le moindre froissement d’ailes des jours ordinaires devenus soudain étouffants.
Le vieux bâtiment semblait respirer différemment autour d’elle, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.
Elle croisait ses amis, riait à des blagues qu’elle n’entendait même plus, répondait machinalement aux professeurs.
Mais tout sonnait creux.
Son attention, son cœur, son âme, n’étaient plus là.
Ils étaient ailleurs.
À lui.
À ce moment suspendu, cet échange de regards volé dans l’ombre d’un couloir.
À cette chaleur dangereuse, délicieuse, qui s'était insinuée sous sa peau.
Chaque matin, elle hésitait devant son miroir.
Chaque matin, elle se demandait : allait-elle croiser son regard aujourd’hui ? Allait-elle résister ?
Elle choisissait ses vêtements sans coquetterie, mais tout en elle, sans qu’elle puisse l’empêcher, espérait lui plaire.
Non pas par provocation.
Pas par défi.
Simplement pour qu’il la voie.
Pour qu’il la voie autrement.
Ce lundi-là, le ciel était bas et gris, et l’air sentait la pluie.
La lumière blafarde donnait aux murs du lycée une pâleur de vieux papier.
Le froid semblait s’infiltrer jusque sous la peau, et pourtant, Elina avait chaud, une chaleur nerveuse, fébrile.
Lorsqu’elle entra dans la salle de classe, elle le vit immédiatement.
Monsieur Deveraux.
Debout derrière son bureau, corrigeant des copies.
Son profil sévère était tendu, sa mâchoire contractée comme s’il mâchait des pensées qu’il ne voulait pas avoir.
Mais lorsqu’elle franchit la porte, ses yeux, trahissant tout le reste, cherchèrent instinctivement les siens.
Un éclair fugitif.
Une étincelle.
Puis il se força à baisser les yeux sur ses papiers, trop vite, trop brusquement pour que ce soit naturel.
Élina sentit une onde brûlante monter le long de son corps.
Elle avança jusqu’à sa place, au deuxième rang, tentant de masquer l’ouragan qui grondait sous son calme apparent.
Elle s’assit, son cœur tambourinant contre ses côtes.
Le cours commença.
Monsieur Deveraux parlait avec son assurance habituelle, débitant des règles de grammaire, expliquant des tournures littéraires, posant des questions d’une voix posée.
Mais il y avait dans ses gestes, dans ses intonations, une crispation nouvelle.
Un effort.
Comme s’il jouait un rôle derrière lequel son véritable trouble affleurait malgré lui.
Élina l'observait à la dérobée.
La façon dont ses doigts serraient trop fort la craie.
La manière dont, parfois, il passait sa main nerveusement sur sa nuque, comme pour chasser un poids invisible.
Elle sentait son regard glisser sur elle, furtif, interdit.
Quand leurs yeux se croisaient — rarement, brièvement — c'était comme une déchirure dans l’espace, une brûlure silencieuse.
Et à chaque fois, Elina devait baisser les yeux, se concentrer sur sa feuille vierge, incapable de soutenir plus longtemps la violence de ce qu’elle lisait en lui.
À un moment, alors qu’elle grattait des mots distraits sur son cahier, son stylo glissa de ses doigts, roulant sur le carrelage froid.
Elle se pencha pour le ramasser, son cœur battant à tout rompre.
Elle savait qu’il la regardait.
Elle pouvait sentir son regard effleurer la courbe de son cou, suivre la ligne de son bras, avant de remonter vers son visage.
Lorsqu’elle se redressa, elle croisa ses yeux.
Et ce qu’elle y vit la laissa sans souffle.
De la peur.
De la douleur.
Et au fond, si profondément enfouie qu’elle n’osait presque pas y croire : du désir.
Il détourna brusquement les yeux, comme brûlé par son propre aveu silencieux.
Mais il était trop tard.
Élina avait vu.
Et elle savait maintenant qu’elle n'était pas seule à lutter contre ce feu interdit.
Le cours reprit, englué dans une tension pesante.
Chaque mot semblait vibrer d’un sous-texte invisible que seuls eux deux pouvaient comprendre.
Quand la sonnerie retentit enfin, libérant les élèves dans un chaos joyeux, Elina resta figée à sa place.
Elle rangea ses affaires lentement, trop lentement, comme pour retarder l'inévitable.
Tout autour, les voix s’élevaient, les chaises raclaient le sol.
Mais dans sa bulle, il n’y avait que lui.
Que cette présence, écrasante, magnétique.
Elle s'approcha de la sortie.
À sa hauteur, elle sentit son souffle, chaud, hésitant.
Et quand elle passa près de lui, son bras frôla brièvement le sien.
Un simple effleurement.
Un geste innocent en apparence.
Mais le frisson qui parcourut son corps n’avait rien d’innocent.
Elle n'osa pas lever les yeux.
Elle savait qu’il la regardait partir.
Et elle savait aussi, avec une certitude glaçante et enivrante, que quelque chose venait de changer entre eux.
Quelque chose d’irréversible.
Dans le couloir, elle s’appuya contre le mur froid pour calmer le tremblement de ses jambes.
Elle ferma les yeux, laissant l'onde brûlante la traverser.
C’était le début d’un vertige.
Un appel silencieux auquel ils ne pourraient bientôt plus résister.
Bonjour !
J’espère que vous allez bien ?
Voici le deuxième chapitre j’espère que ça va vous plaire !
bisous bisous !
Xo.Xo <3