Comment avait-il osé ? Hein ? Pour une fois que tout allait bien, il avait fallu que l'autre gourde se ramène. Il y tenait vraiment tant que ça à cette fille ? Le souvenir d'eux deux, scotché l'un à l'autre, me répugnait. Il y avait quelque chose quand je les observais qui me rebutaient profondément.
Il ira se le mettre où je pense son exposé, tant pis si je récoltais une mauvaise note, ça valait toujours mieux que d'avoir à se le coltiner. Qu'il reste loin de moi. Je bouillonnais de rage. Comment pouvait-il réussir à me faire sortir de mes gonds si facilement ? Et surtout pourquoi cela m'affectait autant ? Dire que j'avais presque aimé passer du temps avec lui, je pouvais vraiment être stupide parfois.
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Le lendemain matin, je fus surpris de voir Rayan venir à ma rencontre. Il était venu me donner une nouvelle heure et un lieu pour un rendez-vous avec Levinson, pour notre projet. Pourquoi était-ce lui qui venait ? L'autre ne pouvait pas le faire lui-même ? Il avait besoin d'un pigeon ?
Je ne répondis pas à cet oiseau messager, et il s'éloigna, me laissant seul avec mes réflexions, bien que ma décision fût déjà toute prise. Je n'irai pas. Comment Levinson pouvait-il, ne serait-ce qu'une seconde, imaginer que je viendrais après ce qu'il m'avait dit la veille ? D'où lui venait le culot même d'espérer ?
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Finalement, la fin de journée était venue, je m'étais tenu à ma décision et je ne m'y étais pas rendu et j'avais subi les conséquences de mon choix. Le soir venu, j'avais été incapable de trouver le sommeil, me retournant encore et encore, toutes les trente secondes, dans mon lit. Mes pensées toujours tournées vers l'autre idiot.
Un jour, sincèrement, je devrais envisager de lui faire payer pour toutes les nuits qu'il m'avait fait rater. Je n'avais toujours pas compris d'où lui était venue l'idée de venir me demander de revenir pour travailler, après ce qu'il m'avait balancé le jour d'avant. Après tout, ma présence lui avait été fort désagréable, il me l'avait bien fait comprendre.
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Je trouvai, le lendemain dans mon casier, une pile de papier qui ressemblait à un petit dossier. Dessus, un papier adhésif y était collé, avec une note inscrite à l'encre verte :
Voici ta partie pour l'exposé. Apprends là et récite-la, tu auras une bonne note. -L
J'étais surpris. Il l'avait déjà terminé ? Pourtant, il restait plusieurs jours avant la date limite, pourquoi l'avait-il fini si vite ? Pour faire cela, il avait dû bosser des heures dessus, voir la nuit complète. Il l'avait bouclé, et ce, malgré que je n'étais pas venu le rejoindre.
Je me dirigeai vers ma salle de cours et, après avoir posé mon adorable derrière sur une place libre, j'aperçus Rayan passer le seuil de la porte suivi de Levinson. Il avait l'air très fatigué. Il devait bel et bien avoir charbonné une bonne partie de la nuit, avant déposer le dossier, tôt ce matin.
Il passa à côté de moi sans m'adresser un regard, contrairement à son chien de garde qui lui me fixait intensément, un sentiment fort de reproche dans ses iris marron.
J'espérais que Rayan se payait ma tête, là. Quel culot ! Il n'avait aucun droit de me regarder comme ça ! Je n'avais aucune raison d'être blâmé pour mon comportement, après ce qu'il m'avait dit. Je n'avais aucune raison de retourner l'aider ! Qui ? Honnêtement, qui serait retourné travailler avec quelqu'un qui vous avait balancé, ce que Levinson m'avait envoyé dans la figure ? Qui ?
Et me sentir coupable à la vue de ma Némésis si épuisée, me m'était hors de moi. Cela se devinait assez facilement qu'il avait pris sur son sommeil pour finir cet exposé. Vraiment, je le détestais !
La journée passa et je n'étais pas allé le remercier, pourquoi l'aurais-je fait ?
Ce fut le jour suivant, cependant, que je compris pourquoi il avait terminé si vite le travail, pourquoi il avait mis toute son énergie, à le finir impérativement pour hier. Levinson était absent. Le lendemain et le surlendemain aussi. Il ne réapparut que le lundi suivant.
Aussi, la raison pour laquelle, c'était Rayan qui était venu me donner l'heure du deuxième rendez-vous, et non Levinson en personne, avait fini par m'exploser dessus, tant elle était logique.
Levinson n'avait jamais eu l'intention de me le demander et c'est pour cela que son meilleur ami était venu. Il le savait. Il savait que l'autre allait travailler seul et il savait que ça allait l'épuiser. Il le couvait constamment ! Et cela expliquait aussi, notamment, le reproche que j'avais pu lire dans ses prunelles le jour suivant, il comptait sur moi et je l'avais déçu.
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Durant les jours où Levinson avait été porté disparu, j'avais essayé de parler à Rayan et de lui demander des explications, mais je m'étais fait tout bonnement et simplement remballer. La seule et unique chose que j'avais tirée de lui, avait été une attitude glaciale et un regard meurtrier, dès que je me trouvais à moins de deux mètres de sa personne.
Si le regard pouvait tuer, je serais à l'heure actuelle six pieds sous terre, à côtoyer les vers de terre, voire, connaissant le personnage, on serait peut-être plus proche, d'une centaine de pieds. Tout cela pour être, bien sûr et certain, que personne ne retrouve jamais mon corps.
Pour résumer, le où et le pourquoi, de l'évaporation de Levinson durant plusieurs jours, m'était toujours inconnu. Il aurait pu être malade et cloué au lit, sauf que si cela avait été le cas, Rayan n'aurait pas été présent, il veillait toujours sur lui dans ces moments-là, j'éliminais donc cette option. De plus, je n'aurais pas eu cette sensation bizarre, par rapport au fait que le dossier devait être terminé obligatoirement pour mercredi dernier.
Ne pas avoir de réponse me perturbait au plus haut point. J'avais déjà vécu ça et je savais que ce n'était pas bon pour mes nerfs.
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Aujourd'hui, c'était le jour de notre passage, Levinson était revenu et se trouvait déjà face à la classe, m'attendant.
Lorsque j'avais ouvert le dossier qu'il m'avait laissé quelques jours auparavant, j'y avais trouvé inscrit, partout à l'intérieur, des dizaines et des dizaines de notes. Ma surprise avait été totale.
Toutes ces petites notes s'avéraient être des explications, des conseils, des indications, un guide parfait, en résumé. Mais ce qui m'avait encore plus surpris dans tout ça, c'était qu'à aucun moment, dans aucune de ses indications, je n'avais décelé, de la rancune, ou de la colère, pas même un seul petit reproche.
Écrire tout cela avait dû lui prendre du temps, beaucoup de temps. Je ne comprenais pourquoi il avait fait tout ça. Quel était son but ? Il aurait pu simplement me laisser me débrouiller seul avec le dossier ou totalement me laisser en dehors du projet, et je serais arrivé sans rien à présenter devant le prof ce matin. Pourtant, ce n'était définitivement pas ce qu'il avait fait.
J'avais étudié chacune de ses notes dans les moindres détails, je pouvais faire l'exposé sans problème, je le connaissais par cœur, ses indications avaient été excellentes, voire parfaites. Toutes étaient finement écrites et précisent.
Me rendre compte de toute l'attention qu'il avait mise dans ces notes, m'avait quelque part rendu heureux. Il avait pris de son temps pour moi.
Je m'apprêtais à le rejoindre, lorsque la main de Tina me retint, m'obligeant à la regarder. Elle me fixa d'un air paniqué, comme si elle venait d'avoir une soudaine réalisation.
— Et si tout ce qu'il t'a écrit en fait était faux ? Qu'il ait fait tout ça pour te couler ?
Je me figeai, elle avait raison. Je n'y avais même pas songé un seul instant, pourtant c'était de Levinson dont on parlait.
Et Tina qui me disait ça que maintenant, elle n'aurait pas pu me le dire avant ? Et si tout ce qu'il avait fait était réellement pour m'enfoncer ? Pour que je me plante, tell une jolie fleur ?
Une vague de panique m'envahit et, par instinct, je me tournai dans sa direction, cherchant son regard. Lorsqu'il m'aperçut, il dut lire ma détresse puisqu'il m'interrogea du regard.
À ce moment, je me souvins de plusieurs détails et je m'apaisai. S'il m'avait fait un mauvais tour, actuellement, il me regarderait d'un air moqueur et fier, non à demi perdu.
De plus, Rayan ne m'aurait pas donné l'impression, par sa simple expression, de m'accabler de tous les reproches du monde, face à tout le travail qu'avait dû faire seul son meilleur ami.
Et puis, ce dernier n'aurait pas pris la peine de me laisser toutes ses indications, le temps qu'il avait du passé dessus avait dû être sans fin, alors que son temps, je le savais, lui était précieux. Plus précieux que de me jouer un mauvais tour.
Mais par-dessus toutes ses raisons, une me frappa vivement.
À la toute dernière page du dossier, Levinson avait laissé une dernière note. Un mot et un seul. Toute ma vie, je m'étais fait la réflexion, que les mots avaient une grande force et qu'on ne devait jamais les sous-estimer. Que les mots avaient le pouvoir de facilement briser une personne ou bien au contraire, de faire l'exact opposer. Il suffisait de savoir comment les utiliser.
Ce simple mot qu'il m'avait laissé, m'avait fait avoir confiance en lui instantanément, m'insufflant du courage et je savais, sans aucun doute, que, dans cette ultime note, il y avait mis toute sa sincérité.
Je souris donc, et tout en rassurant Tina, je me dirigeai confiant vers ma Némésis qui me souriait doucement. Tout en serrant dans ma main, presque précieusement, le gardant comme s'il était un talisman, ce petit morceau de papier jaune que je venais tout juste de décoller de la dernière page, où d'une élégante écriture verte étaient inscrites ces fameuses petites lettres.
Ces petites lettres qui formaient ensemble, le mot : Pardon.