Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
ZakariasLambert
Share the book

Chapitre 6 - Piqûre d'orgueil - Partie 2

Quand il fut à l'étage, derrière l'épaisse balustrade en pierre, il constata que l'aile Est était condamnée. Si le rez-de-chaussée était en si piteux état, l'étage devait être bien pire. Kophyn ne s'en formalisa pas. Au contraire, cela leur faisait moins à inspecter et ainsi, ils retrouveraient plus rapidement le lord et Krunia. L'immense porte qui leur faisait face, semblable à celle de la salle de bal, était close. L'elfe se dirigea alors d'une belle enjambée vers l'aile Ouest.

La première porte qu'il rencontra fut dégondée d'un violent coup de pied et Laekces fonça à sa suite dans l'idée de le tempérer. La pièce dans laquelle ils se trouvaient était une salle de musique où reposaient d'imposants instruments. Il n'y avait rien de bien intéressant si ce n'était un piano qui prenait la poussière, des cors, des portes-partitions, une vieille contrebasse figée par le temps. Mais ni statue d'enfant difforme ni Krunia.

L'elfe se détourna tout aussi vivement qu'il était entré, pour ressortir, quand il rencontra le mur qu'était devenu le torse de l'ondin. Ce dernier barra la poitrine de Kophyn de son bras et le repoussa entre les cuivres. Un instrument au long tube s'effondra, emportant avec lui le pied d'un porte-partitions.

— Calme-toi, somma Laekces. Ce n'est pas en vandalisant le château du lord qu'on obtiendra quoi que ce soit de lui.

— On obtiendra rien de toute manière, grogna Kophyn, alors qu'il poussait sur ses coudes pour se redresser, en vain. Krunia a été très avenante avec lui, et vois ce qu'il a fait d'elle !

Laekces força sur son bras pour maintenir Kophyn, mais il savait que si l'elfe voulait prendre le dessus, il ne pourrait pas l'empêcher de s'en aller. Pourtant, cette rage qui dansait dans ses yeux demandait à s'exprimer et Laekces avait déjà trop souvent rencontré cette situation avec ses matelots, pour laisser cette colère gangréner l'esprit de Kophyn.

— Justement, on ne sait pas ce qu'il a fait d'elle, ne t'avances pas en conjectures inutiles. Et puis...

La pression sur le torse de Kophyn se relâcha. Laekces s'était redressé, le visage froncé. Il secoua la tête, faisant onduler les vagues tout autour de sa figure.

— Viscardi a raison, pourquoi tu prends tellement à cœur ce qui a pu lui arriver ?

Kophyn releva vers Laekces des yeux qui auraient pu le tuer en l'instant s'ils avaient été dotés d'un pouvoir quelconque. Le simple fait d'affirmer que Viscardi avait raison commençait plutôt mal.

— Je ne t'aurais pas cru à ce point apathique, fit remarquer Kophyn.

— Moi non, mais c'est de toi dont on parle, là.

— J'ai cru comprendre que nous devions être une équipe... persifla l'elfe, évitant encore de répondre.

— Tsss, à d'autres... un drow comme toi, vouloir jouer les coéquipiers modèles. Ne me fais pas marcher, raillait Laekces. Tu es de l'espèce la plus individualiste que je connaisse. Même pour ton propre frère, tu ne lèverais pas le petit doigt.

S'il n'en dit rien, Kophyn dut admettre que Laekces recelait une connaissance juste des peuples du monde, que ce fut de civilisations passées et mythiques ou actuelles et réelles. Kophyn avait de nombreuses sœurs aînées, et seulement deux frères. Les drows vivaient selon un matriarcat, mené et guidé par Lloth, la Déesse-araignée. Enfanter un mâle était assimilable à une honte, et c'était pourquoi les garçons drows étaient destinés aux armes, à la garde et la protection de leur mère matrone et de leurs sœurs.

La société drow prônait également l'élévation sociale, qu'elle fut familiale ou individuelle. Et pour cela, les chemins n'étaient pas nombreux : le meurtre de la concurrence et la trahison étaient les voies principales et les plus efficaces. Kophyn était le deuxième fils de sa mère matrone et quand il avait appris à la naissance de son petit frère, que les troisièmes fils devaient être offerts en sacrifice à Lloth, il n'avait rien fait. Ni lui ni personne d'autre d'ailleurs.
Un enfançon, un garçon de trop, avait été donné à la Déesse-araignée. Ni ses pleurs ni l'immense ombre de l'araignée n'avaient fait ciller la mère matrone de la famille Do'Qartfein. Sacrifier son troisième fils ne lui avait causé aucune émotion, si ce n'était un peu de satisfaction de plaire à sa Déesse.

Le fait que Kophyn était à peine âgé de 12 ans n'était aucunement une excuse pour son inaction. Il était assez vieux pour comprendre que l'enfant ne survivrait pas et il n'avait éprouvé aucune compassion, aucune pitié. Il se souvenait seulement avoir été soulagé d'être le deuxième fils.

Alors pourquoi, maintenant, s'inquiétait-il du sort d'une faune, étrangère à son espèce, étrangère à sa famille, étrangère à lui en tout point ?

— Je n'sais pas... tenta Kophyn pour éviter de creuser le sujet et d'avoir à y répondre.

Laekces jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, vers le couloir, pour s'assurer que les deux autres n'étaient pas là, à les épier. Il pouvait entendre leurs voix, dans une pièce un peu plus loin, Fyre intimant à Viscardi de ne pas toucher à tout, comme on fâcherait un enfant trop curieux. L'ondin baissa d'un ton.

— Je sais que ce qu'a dit le vampire est faux, tu ne t'es pas entiché de Krunia. Alors pourquoi ? Elle n'est personne pour toi.

Pourquoi ? Si le commun des mortels ne semblait pas requérir d'une raison pour venir en aide à un semblable dans le besoin ou pour s'inquiéter pour un équipier, les drow, fatalement, devaient fournir une bonne raison. Un drow ne sauvait pas une vie s'il n'y trouvait pas un intérêt personnel. Et Kophyn n'y dérogeait pas. Il dut admettre que ce n'était pas dans ses habitudes de s'enflammer de la sorte pour venir en aide à qui que ce fût. Il tenta de faire le point mentalement des raisons qui pouvaient justifier ce comportement.

La faune était jeune, fragile et frêle. Un véritable boulet au pied pour le drow. Pourtant, il se rendait compte que jusque là, elle ne l'avait jamais incommodé, pas vraiment. Elle lui avait offert quelques amandes, mais ce n'était pas pour ce détail trivial que Kophyn tenait à la secourir. Elle l'avait collé comme une sangsue quand il voulait explorer les sous-sols tout seul. Non contente de piailler sans cesse comme une pie, elle lui avait flanqué la lumière dans les yeux et l'avait harassé de questions. Cette gamine était une plaie qui aimait avoir le dernier mot pour s'assurer d'avoir raison, même quand elle avait tort. Insupportable, c'était le mot qui venait à l'esprit de Kophyn pour décrire Krunia.

Et puis, ils avaient rencontré Lord Khrusóma et tout d'un coup, il avait vu ses yeux se transformer, vacillant de terreur. Et lui, il avait tourné les talons.

— C'est... parce qu'elle m'a hurlé de fuir quand le lord l'a attrapée.

— Et tu as fui, comme n'importe quel drow l'aurait fait. T'as sauvé ta peau.

L'entendre de la bouche de Laekces rendait la chose plus honteuse encore. Il n'avait aucun intérêt à sauver Krunia. Pourquoi se serait-il mis en danger inutilement ? Et surtout, pourquoi sentait-il la chaleur moite de la honte lui coller au sternum, comme s'il n'était qu'un vulgaire humain ?

— J'aurais pu affronter le lord, peu importe sa magie ! gronda Kophyn, à nouveau en colère.

— Peut-être bien. Ou bien le lord t'aurait eu toi aussi et personne ne nous aurait prévenus.

— Je n'ai pas fui ! Ce n'est pas une question de faiblesse, si c'est ce que tu sous-entends !

— Ce n'est pas ce que j'ai dit.

Les mots de Laekces se voulaient raisonnables et réconfortants mais Kophyn releva vers lui un regard fatigué. Il n'avait pas besoin d'être dorloté.

— Cette gamine est trop bruyante, ce n'est pas un mal qu'elle ne soit plus là, finalement ! râlait encore l'elfe en balayant la pièce du regard.

— C'est vrai.

— Alors pourquoi j'enrage de ne pas être resté ? Tu crois quoi, qu'elle m'a attendri avec une poignée d'amandes ?

— Ah oui, les amandes, sourit Laekces, sans jugement dans la voix.

Kophyn buffla et balaya cette possibilité d'un revers de main.

— N'importe quoi, un drow ne s'attache à personne ! Il ne compte sur personne et ne tient à rien d'autre que sa propre vie. C'est comme ça, depuis la nuit des temps.

— Sans doute, oui, si tu le dis... approuvait l'ondin, calme comme un lac de montagne.

L'elfe accorda enfin son regard brûlant à Laekces et quand il verrouilla ses prunelles roses sur celles, océan, de son vis-à-vis, son nez se fronçait.

— J'aurais pu me le faire, Thaemios Khrusóma, si j'avais voulu.

— Mais tu n'y voyais aucun intérêt...

— Exactement ! Alors cesse de me gonfler avec tes questions !

— Entendu, j'arrête. Mais dans ce cas, calme-toi, toi aussi, sourit Laekces dont la lecture entre les lignes n'avait plus aucun secret. C'est ton orgueil qui est piqué, l'ami.

Laekces savait que ce n'était pas là toute la vérité, mais le drow n'était pas prêt à l'entendre. Il posa une main sur l'épaule recouverte d'une spalière en cuir. À nouveau, ses lèvres esquissèrent un sourire ; l'elfe ne le chassait pas. Malgré lui, Kophyn confirmait les pensées de Laekces.

Le drow buffla par le nez, mais ne démentit pas. L'orgueil était un poison qu'il travaillait à purger de son esprit, bien que ce ne fut pas une tâche aisée. Kophyn sentait dans le fond que l'ondin faisait fausse route. Du moins, ce n'était pas entièrement une question d'orgueil, mais c'était plus simple de conclure que seul l'égo était responsable de son comportement.

La salle de musique retrouva son calme habituel. Seuls quelques cuivres en équilibre s'entrechoquèrent avant de s'effondrer au sol, quand Laekces tendit le bras à Kophyn pour sceller leur échange. La rage dans le regard de l'elfe s'était apaisée. Elle était toujours présente mais n'embrasait plus son bon sens.

Kophyn ferma la marche alors qu'ils sortaient pour rejoindre les deux autres, et dans le silence qui les entourait, il se rappelait comme Krunia avait pris le temps de s'intéresser à lui, de s'intéresser véritablement. Peut-être était-ce simplement cette anecdote qui avait mû les intentions de Kophyn. La jeune faune s'était montrée curieuse, sans arrière-pensée, généreuse. Finalement, le mot « gentille » pouvait aussi la qualifier. Gentille et insupportable, ce n'était pas si antinomique. Le drow plissa le nez et secoua la tête pour chasser cette pensée idiote.

Un cri déchira le calme de l'étage. Fyre les appelait, urgemment, l'horreur dans la voix. Elle venait de retrouver Krunia.

Le sang de Kophyn ne fit qu'un tour et si Laekces ne s'était pas poussé pour le laisser passer, l'elfe l'aurait bousculé. Les deux hommes déboulèrent en trombe dans le petit salon où Fyre et Viscardi se tenaient. Épaule contre épaule, ces deux derniers leur tournaient le dos et fixaient un point devant eux, que Kophyn devinait être Krunia.

L'elfe dévora la distance qui le séparait de la faune d'une paire de foulées et, d'une main sur le bras de la fille du soleil, demanda à voir.

Devant lui, Krunia se tenait sur ses jambes. Elle était pliée en deux, un bras en travers de son ventre qui semblait douloureux. Elle tendait son autre main devant son visage relevé. Pourtant, elle ne clignait pas des paupières, elle ne respirait plus, son expression ne se muait plus. Sa peau avait blanchi et, à la place des tâches dépigmentées qui courraient sur ses bras et son visage, un réseau de veines d'or sillonnait son corps.

Krunia était devenue une statue de marbre, figée dans une immobilité semblable à toutes les autres dans ce château.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet