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ZakariasLambert
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Chapitre 5 - Le mythe de l'Enfant de l'Oubli

Lorsque la lourde porte du château s'était refermée sur le groupe constitué par l'infortune, Laekces s'était empressé de s'en éloigner, de crainte que la bêtise de certains n'entache ses chances de survie. L'ondin déambulait dans les couloirs, le pas feutré par la moquette rouge brossée comme la toison d'un bovin de concours.

Si les œuvres de peinture et de sculpture ornaient l'immense demeure au point où chaque recoin en était tapissé, Laekces n'en avait cure. Il savait en apprécier la beauté, mais ne souhaitait pas s'y attarder. Le drow y accordait son attention et s'il y avait quoi que ce fut à en tirer, ils n'avaient pas besoin d'être à deux sur le sujet.

Laekces cherchait plus intéressant, plus concret. Quelque chose qui racontait des faits, qui témoignait de la culture éventuelle du maître des lieux. Quelque chose comme...

— La bibliothèque !

Le regard de Laekces s'écarquilla de bonheur quand, en poussant une porte entrouverte, l'odeur des livres anciens vint lui chatouiller la narine. Pas un centimètre carré des murs de la pièce n'avait été laissé dénudé, tous supportant de lourdes étagères de bois gravées. Des ouvrages se chevauchaient, se couchaient les uns contre les autres, des petits, des grands, des épais et des plus épais encore. Les couvertures endossaient les titres de milles aventures que Laekces n'aurait pas assez d'une vie pour toutes les lire.

Du bout des doigts, il effleura la tranche d'un volume à sa portée. La reliure rembordée, dont la toile tissée arborait un lettrage en fils dorés, déplorait les sévices du temps. Certaines lettres étaient si usées, que Laekces avait dû les deviner pour lire le titre. Un peu plus loin, il apprécia les reliefs cannelés dans le cuir d'une énorme encyclopédie. Il reconnaissait dessus les glyphes d'une civilisation ensommeillée depuis des âges trop ancestraux pour qu'il pût les dompter. Tant de richesse culturelle qui dormait sur ces étagères. Laekces avait l'impression d'être dans une salle au trésor dont beaucoup ne percevraient pas la préciosité.

L'ondin aborda un pan de la pièce qui lui parut plus prompt à répondre à ses questions. Ici et là, il y trouva des ouvrages sur les contes et les histoires rurales de la région. Ces derniers jonchaient les étagères du sol au plafond et lorsque l'homme de l'eau en piocha un pour le feuilleter, il dut souffler dessus pour le libérer de son épaisse couche de poussière.

Après avoir toussé la moitié de ses poumons, il s'attarda sur sa trouvaille. C'était en vérité un recueil de plusieurs histoires, des faits divers, datées, certains rédigés de façon manuscrite et d'autres agrémentés d'articles de gazette ayant mal vieilli. Tous se concentraient sur la région.

Laekces releva ses yeux cristallins vers la quantité d'ouvrages du même type. Cela prendrait des jours entiers à tout étudier pour y déceler un indice concernant leur premier mot. Il devenait alors plus que nécessaire de s'assurer de la coopération du lord.

Il hésita un instant. Il pouvait sortir de la bibliothèque, rejoindre les autres personnes qui l'accompagnaient pour trouver leur hôte et quérir son assistance. Ou bien, il pouvait rester ici et découvrir des ouvrages méconnus, en apprendre davantage sur l'homme qu'était ce noble au travers de ses lectures.

Laekces choisit cette dernière option. Après tout, les autres étaient bien assez de quatre pour chercher un homme dans son château.

Décidant sciemment d'ignorer les carnets sur l'histoire de cette contrée – puisqu'ils s'en chargeraient tous ensemble plus tard – Laekces laissa ses yeux rebondir sur les couvertures aux titres insipides, avant de caresser celles dont les caractères anciens apposés sur les tranches reflétaient les histoires antiques qui y étaient relatées.

Laekces aimait tout particulièrement ces récits, qui avaient non seulement bercé son enfance, mais qui alimentaient encore son présent. Il sourit en traçant de son doigt quelques lettres sur une tranche jadis luxueuse.

— Athéna... lut-il tout bas, comme un murmure soufflé à l'oreille d'une amante.

Lorsque Laekces avait été trouvé par l'étrange Samaritain au visage camouflé, il gisait sur le rivage. L'ondin, alors capitaine d'un navire d'exploration, voguait sur les océans pour répondre aux requêtes de riches aristocrates toujours en demande d'exotisme.

Cette fois-ci, on lui avait commandé des cristaux de glace éternelle du Grand Nord. Une épopée périlleuse puisque les eaux près du pôle abritaient des créatures dévoreuses de bateaux, pourtant gros comme des baleines. Non sans mal, Laekces était venu à bout de cette épreuve. Il avait affronté les titans de l'océan, échappé à leurs mâchoires meurtrières pour rentrer vers les eaux chaudes du Sud.

Il ne revenait pas les mains vides puisque le cristal éternel qui dormait dans sa sacoche lui promettait son petit pesant d'or. Cependant, de retour à de plus basses latitudes, une terrible tempête déchira ses voiles, arracha son mât et des vagues scélérates brisèrent sa coque. Les éléments s'étaient ligués pour réussir où les titans de l'océan avaient échoué. Le navire n'était qu'une petite coque de noix, qu'il suffisait de balloter, de retourner et de briser. Les hommes à son bord n'étaient rien de plus que des vies fragiles, trop faciles à faucher.

Le capitaine avait été retrouvé sur une plage, emmêlé dans les algues. Il respirait à peine et son esprit s'était noyé dans un sommeil gluant. Il devait sa survie uniquement à ses aptitudes d'ondin, bien que la tempête l'eut beaucoup malmené. Quand il avait senti cette main le secourir, Laekces avait d'abord songé qu'il s'agissait des déités dont il se nourrissait des histoires. Depuis toujours, il éprouvait une certaine fascination pour les contes anciens et aimait faire rêver ses hommes avec ces récits. En leur absence, c'était avec Fyre qu'il échangeait à ce propos. Et bien qu'elle ne partageait pas cet engouement enfantin, elle avait du répondant et s'intéressait aux récits.

Ici, l'ondin reconnaissait des noms, des titres et des épopées pour les avoir maintes fois apprivoisées, racontées et emphasées. Déméter, Apollon, Artémis et les autres étaient autant de personnages différents qui prenaient vie dans les récits, sur le devant de la scène antique de l'Olympe. Pourtant, deux d'entre eux en particulier revenaient sans cesse, des dizaines d'ouvrages leur étant dédiés dans la vaste bibliothèque. Poséidon et Athéna.

Lord Khrusóma vouait une parfaite obsession pour ces deux déités, à tel point qu'il avait accumulé une quantité considérable d'encyclopédies, de récits, de journaux de recherches et d'essai à leur propos. Un rictus intrigué pinça les traits de Laekces, lorsqu'il tendit les doigts vers quelques livres. Leurs titres et leurs couvertures laissaient soupçonner une appartenance à un culte occulte.

De prime abord, l'homme de l'eau songea que Lord Khrusóma était si passionné par Poséidon et Athéna qu'il avait tenu à acquérir tous ces ouvrages, qu'importe leur provenance et leur dessein. Mais en y regardant de plus près, il remarqua que la poussière s'était bien moins déposée sur ces volumes que sur les encyclopédies ou les carnets de la région. Des sillons d'usure sur l'étagère attirèrent plus encore l'attention de Laekces.

L'ouvrage qui avait de toute évidence valu le dévolu du lord était un roman. Un simple roman de fiction titré « L'Enfant de l'Oubli ». C'était là le seul de son genre, alors Laekces céda à la curiosité et sortit le livre de son étagère pour en lire la quatrième de couverture. Après tout, il souhaitait connaître le lord et quoi de mieux que survoler l'œuvre qui suscitait tant de zèle ?

Le résumé, succinct, abordait ce pan d'histoire durant lequel Poséidon, charmé par Médusa, avait commis l'irréparable dans le temple d'Athéna, en la prenant de force. Cependant, contrairement à ce dont il s'attendait, Laekces fut surpris de comprendre que l'histoire se focalisait sur Médusa, et les conséquences de l'acte de Poséidon.

Sans plus attendre, l'ondin trouva un fauteuil pour s'y installer. Il ouvrit alors l'ouvrage et en dévora les mots, sautant les descriptions et attrapant l'essentiel. L'histoire qu'il connaissait déjà était simple : Poséidon avait été séduit par la beauté incroyable de Médusa, alors humble mortelle. Transformé en oiseau d'or, Poséidon attira la belle dans le temple d'Athéna afin de ravir sa vertu. Il était parvenu à ses fins par la ruse et la force. La déesse de la guerre s'était sentie particulièrement insultée qu'on souille son temple de la sorte. Elle en rejeta toute la responsabilité sur Médusa et, pour la punir, la métamorphosa en gorgone, créature hideuse qu'aucun être vivant ne pouvait regarder sans trépasser.

Honteuse d'être devenue un monstre, Médusa s'exila dans les cavernes du mont Atlas. Les similitudes avec l'histoire que connaissait Laekces s'arrêtaient là. Le récit bifurquait à cet instant, puisque dans la véritable histoire, Persée venait terrasser le terrible monstre aux cheveux de serpents, équipé d'un bouclier à la surface si polie qu'il était un miroir.

L'auteur de cet ouvrage avait tenu à raconter l'histoire de Médusa, et les longs mois qu'elle avait passés, cloîtrée dans ces tunnels froids, durant lesquels elle avait vu son ventre s'arrondir. Non content de lui ravir sa pureté, Poséidon avait semé une graine en elle, lorsqu'elle était encore humaine. Un enfant grandissait en son sein, alors même que la magie des dieux lui avait offert cette coiffe de serpents.

Laekces tourna les pages, avide de connaître la suite. Il posa son doigt sur la lettrine d'un chapitre quand il trouva le passage de son intérêt. L'enfant né était difforme et Médusa avait pleuré de voir que son tout petit n'avait rien d'humain. Comme elle, il serait condamné à rester caché, bien que sa beauté n'avait d'égale que celle des dieux. Elle l'aima de tout son cœur et quand Poséidon apprit l'existence d'un fils qui l'accablerait de honte et de déshonneur, il fomenta un assassinat de concert avec Athéna.

Persée fut envoyé pour écourter la vie de la mère et de l'enfant, mais devant la ferveur de Médusa pour protéger son petit, il n'eut pas le cœur d'exécuter sa mission. Le héros fut conscient néanmoins que la colère des dieux s'abattrait sur lui s'il revenait les mains vides et en échange de la promesse de dissimuler l'enfant, Persée prit la tête de Médusa. Les dernières pages de l'ouvrage se terminaient ainsi. L'enfant avait survécu, et contrairement à ses frères, Pégase et Chrysaor qui marquèrent l'Histoire, cet enfant sans nom tomba dans l'oubli.

Laekces referma le livre, sa main posée sur la quatrième de couverture pour en garder le secret. Il resta un instant silencieux. L'histoire était courte, mais marquante. Il songeait que s'il s'agissait bien d'une fiction, elle était habilement rédigée. Pourtant, l'ondin avait de plus en plus la conviction que ce récit revêtait davantage d'un témoignage historique dissimulé, que de fabulation.

Pourquoi cette histoire suscitait-elle autant l'intérêt du lord ? Le récit d'un enfant illégitime, caché de tous, pourrait être un levier de pression pour les dieux, en particulier Poséidon. C'était une demi-déité dont personne, jamais, ne devait rien savoir. Mais si cet enfant avait le moindre souvenir, il finirait par parler un jour. Il y aurait forcément suite à cet incident dans le temple d'Athéna, ainsi qu'à la désobéissance de Persée. Poséidon verrait sa position en péril et sa place au panthéon ne serait plus assurée. Lord Khrusóma détenait incontestablement une arme de poids contre les dieux et sa ferveur à lire et relire l'ouvrage de cette menace originelle dénonçait un désir ardent de mettre la main dessus. Il semblait à Laekces qu'ils recherchaient la même chose, à la différence que le groupe de baroudeurs disposait d'une aide extérieure non négligeable.

Laekces se redressa d'un coup dans son fauteuil. Une pensée venait de le frapper aussi durement que des récifs sur la coque de son navire. Il devait trouver les autres et leur faire part de sa découverte. Il abandonna l'ouvrage sur le petit guéridon, près du siège en velours rembourré, et se releva avec énergie.

L'instant d'après, l'ondin s'élançait hors de la bibliothèque, le cœur battant.

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