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1 - Avant-Propos
2 - Guide de Prononciations
3 - Chapitre 1 - Sous la pluie des Hyades
4 - Chapitre 2 - La lettre tachée
5 - Chapitre 3 - Marbre et carmin
6 - Chapitre 4 - Le briquet amadou - Partie 1
7 - Chapitre 4 - Le briquet amadou - Partie 2
8 - Chapitre 5 - Le mythe de l'Enfant de l'Oubli
9 - Chapitre 6 - Piqûre d'orgueil - Partie 1
10 - Chapitre 6 - Piqûre d'orgueil - Partie 2
11 - Chapitre 7 - Monseigneur
12 - Chapitre 8 - Les ravages du temps - Partie 1
13 - Chapitre 8 - Les ravages du temps - Partie 2
14 - Chapitre 9 - La fille de marbre - Partie 1
15 - Chapitre 9 - La fille de marbre - Partie 2
16 - Chapitre 10 - L'embrasement
17 - Chapitre 11 - Tu t'appelles Kophyn - Partie 1
18 - Chapitre 11 - Tu t'appelles Kophyn - Partie 2
19 - Épilogue
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Chapitre 1 - Sous la pluie des Hyades

Kophyn balaya l'endroit des yeux.

Le soleil s'affaissait vers l'horizon et la soirée pluvieuse apportait au drow la pénombre dont il avait besoin. C'était un confort appréciable pour ses yeux qui détestaient la clarté du jour.

Il ne connaissait pas ce lieu dont il huma l'air humide en levant la tête. Des embruns de terre battue, de la mousse des bois qu'il était sur le point de quitter, et une légère odeur de fumée que le vent poussait jusqu'à lui. C'était là tout ce qu'il pouvait percevoir, et c'était déjà pas mal.

Il était loin des Entrailles, sa contrée natale, souterraine, où les souffles tièdes qui hurlaient dans les cavernes n'apportaient que le fumet de carcasses mortes. Il se trouvait loin des rues de la surface qui avaient failli le voir s'éteindre comme un chien, avant qu'on ne le ramasse et ne le soigne.

Un rapide coup d'œil sur sa droite confirma au drow que celui qui était responsable de sa situation se tenait là, comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Viscardi, ce vampire dont il aurait préféré ne jamais croiser la route. S'ils n'échangeaient ni mot ni regard, des volutes meurtrières émanant de leurs corps pour se confronter silencieusement étaient pourtant perceptibles, aussi tranchantes que des lames. Kophyn ne rêvait que d'une chose depuis que leur affrontement avait pris fin : terminer ce qu'il avait commencé.

Tout comme ce vampire et quelques inconnus, Kophyn avait été sauvé par un homme étrange, un Samaritain mystérieux au visage encapuchonné. Il avait interrompu le cours de leurs vies respectives et par là même, l'expression de leur liberté. Nul ne connaissait cette mystérieuse personne, mais tous s'étaient vus contraints de se soumettre.

Le drow leva la main et effleura sa nuque. Sur sa peau anthracite, caractéristique des elfes noirs, une marque avait été apposée par la magie. Un sceau étrange qu'il n'était pas en mesure de contrer et qui avait été imprimé sur chaque personne présente avec lui, sous cette pluie battante. Ce sceau ne venait pas de Lloth, la Déesse-araignée, mais de cet inconnu qui, par une magie qu'ils ne comprenaient pas, avait décidé qu'ils lui étaient désormais redevables, corps et âme.

Pour payer cette dette de vie, Kophyn, Viscardi et les autres, dont il ignorait presque tout, avaient reçu une obscure mission. Les détails s'avéraient particulièrement flous et échappaient encore au drow.

Il ferma les yeux un instant, son regard pâle se voilant sous ses paupières frangées de cils blancs et attacha sommairement ses longs cheveux de la même couleur lunaire en un chignon, dont quelques mèches rebelles s'échappaient.

— L'un de vous a-t-il compris ce qu'on est supposé faire ici ? interrogea une femme au devant de leur groupe.

Grande, bien qu'il la surplombe, elle imposait par ses épaules carrées, qui annonçaient une musculature sculptée par des années d'efforts. Sur sa peau ensoleillée, qu'elle dissimulait à peine sous quelques drapés d'un tissu vermillon, couraient des tatouages à la signification inconnue pour un Drow. Des pièces de cuir souple, finement ajustées, épousaient ses formes tout en restant légères. Des spalières en métal poli, aux contours légèrement usés, protégeaient ses épaules, comme des vestiges d'une époque où elle frappait le fer et façonnait des armes. Une époque où le cliquetis du marteau sur l'enclume étaient ses seuls compagnons. Elle portait encore sur elle, l'odeur épicée de la braise et du métal chaud.

Son visage aurait pu paraître délicat, presque gracieux, avec son menton fin, son nez retroussé et ses pommettes hautes, bien à l'abri au milieu d'une épaisse crinière rouge qu'elle avait domptée en la tressant grossièrement.

C'était sans compter son air altier et ses prunelles ambrées, où brûlaient des flammes d'un feu sans joie. Son regard acéré, plus féroce que charmant, attaquait l'horizon et Kophyn comprit aussitôt qu'elle prenait les rênes du groupe qu'ils formaient.

Fyre... Kophyn n'avait pas besoin de se souvenir de son nom ; sa présence irradiait. Même sous la pluie infernale qui s'abattait sur eux, il sentait la chaleur qui émanait d'elle, une chaleur palpable qu'elle seule contrôlait.

Kophyn appréciait ce genre de personne. Elles attiraient l'attention et lui permettaient de s'éclipser plus encore dans les ombres.

Il y eut un mouvement sur le côté.

— Lorsque les Hyades déverseront leur chagrin, sur des terres jadis calcinées, récita un homme qui venait de faire un pas en avant.

Son poignet, souple, ondoyait au rythme de ses mots, marquant malgré lui la mélodie de sa voix.

Kophyn plissa les yeux face à cette apparence décontractée. Il ne semblait pas affecté par l'autorité naturelle de Fyre. Ses lèvres fines se fendirent et il plissa ses yeux.

Cet homme aurait pu faire de l'impertinence un prénom. Les bras croisés sur son torse épais, vêtu d'une chemise en lin ample maintenue par un veston, il arborait un sourire suffisant et semblait n'attendre que l'occasion de provoquer.

Kophyn ne pouvait s'empêcher de penser qu'il avait l'habitude de commander, de mener des hommes et à faire face aux difficultés qui en découlaient. Et si Fyre sentait le soleil, lui portait les jours de pluie dans ses cheveux. En effet, sa peau bleutée n'avait d'égale que les vagues d'un océan azur qui ondulaient tout autour de son visage. Ses longues oreilles étaient semblables aux ailerons d'un requin qui guettait juste sous la surface.

— Si j'avais eu besoin qu'on me répète bêtement la consigne, Laekces, je l'aurais précisé, trancha Fyre, sur un ton cinglant.

Les poings calés sur les hanches, la femme de feu plantait sur l'ondin un regard incandescent, réprobateur. Pourtant, Laekces n'en fut pas affecté.

— Voyons, mon rossignol, ne t'enflamme pas pour si peu, défia l'ondin, souriant de plus belle. As-tu seulement saisi de quoi il s'agissait ?

Un silence pesant s'installa, ponctué seulement du bruit de la pluie battante. Fyre, les lèvres pincées en un rictus agacé, semblait se contenir. Laekces souffla par le nez. Détenir le savoir le réjouissait au plus haut point et donnait à sa posture souple plus de houle encore qu'il n'en montrait d'ordinaire. À le regarder, il était aisé de se croire à bord d'un navire que l'océan faisait tanguer. Laekces avait très certainement passé de nombreuses années en mer pour que tout en lui fut si habitué au rouli des vagues. Son corps ondoyait calmement, presque imperceptiblement et il donnait l'impression d'être une anguille, prêt à filer loin, face au roc qu'était devenue Fyre, immobile, comme une montagne, si elle se montrait menaçante.

Kophyn devinait dans l'attitude de ces deux-là qu'il y aurait plus d'une fois de l'électricité dans l'air tant qu'une figure supérieure ne leur imposerait pas le silence. Alors que l'ondin cancanait sur son utilité indéniable dans ce groupe hétéroclite, l'elfe lorgna les autres comparses qui le composaient.

Viscardi avait croisé son chemin très récemment, lors d'un raid drow dans une ville humaine. Le vampire ivre avait aussitôt décrété que l'elfe devait mourir sous ses crocs, la haine et la volonté de tuer avaient été immédiates. Et Kophyn avait refusé qu'un suceur de sang daigne écrire son destin à sa place.

Si l'elfe se souvenait que des bras l'avaient soulevé et emporté après qu'ils se furent mutuellement laissés pour morts, il avait cru que l'aide providentielle provenait de ses frères d'armes. À l'heure actuelle, il ne savait toujours pas ce qu'il était advenu d'eux. Il n'avait plus revu d'elfes noirs, ses frères, depuis cette nuit-là. À présent, Kophyn se retrouvait forcé de collaborer avec ce vampire, leurs vies entre les mains d'un inconnu.

La négligence de Viscardi se portait jusque dans ses atours aristocratiques dont la superbe s'était effacée depuis de nombreuses années. Chemise aux volants déchirés, boutons de gilet arrachés, sur manteau taché, le tout dévoilant un attrait particulier pour le sang dont il se délectait de toute évidence comme un sagouin.

Kophyn plissa le nez, quand le vampire remarqua l'insistance avec laquelle il le détaillait. Viscardi passa langoureusement sa langue sur ses lèvres, comme pour rappeler à Kophyn que leur rencontre n'était pas terminée.

Le drow sentit le dégoût monter en lui. L'image de ses crocs enfoncés dans sa chair était encore trop vive dans sa mémoire. Il se retint pourtant de porter les doigts à son cou pour ne pas donner satisfaction au vampire. Il devinait les maladies et les infections que le vampire lui aurait transmises si le Samaritain ne l'avait pas tiré de ce mauvais pas.

Sans mot dire, le drow préféra détourner le regard, irrité.

— C'est ça, baisse les yeux, charogne des cavernes, persifla le vampire, moqueur.

Ce fut instinctif, Kophyn tourna lentement la tête, l'air froid et assassin. Ses yeux perçaient la nuit comme des éclats de diamant pour se planter sur cette face mesquine et provocante.

— Ne t'attribue pas trop d'honneurs, rétorqua-t-il. Je préfère soustraire la laideur à ma vue quand je la rencontre.

En effet, les drows demeuraient des elfes et, bien que sibyllin, leur sens de la beauté restait intact à l'instar de leurs cousins de la surface. Leurs traits fins et gracieux rappelaient des origines communes qu'ils cherchaient à nier, les uns et les autres.

Sans doute ces deux-là se seraient à nouveau écorchés vifs si Laekces ne s'était pas bruyamment raclé la gorge. L'ondin aimait qu'on l'écoutait quand il exposait son savoir.

— Je disais donc... sauvages que vous êtes, que les Hyades sont des nymphes des temps anciens qui se trouvèrent inconsolables après la mort de leur frère, tué par un sanglier. Leur peine était telle qu'elle en émut les dieux. Alors...
— Abrège... souffla la voix fluette de la dernière personne du groupe, plus en retrait et discrète encore que Kophyn.
— Alors, continua Laekces sans se soucier de cette interruption, les dieux portèrent les nymphes dans les cieux pour qu'elles trouvent le repos parmi les étoiles. D'aucuns pensent que malgré cela, leur chagrin jamais ne s'est tari et que lorsque leur constellation est visible dans le ciel, la saison des pluies commence.
— D'accord... nous sommes donc arrivés ici pile au bon moment, à la saison des pluies. Quel heureux hasard, n'est-ce pas ? raillait Fyre, cynique. Qu'en est-il du reste de la consigne prophétique ?
— Et bien...
— Les terres calcinées, le premier des mots... insistait la femme dont la tresse rouge ondulait dans son dos comme la queue d'un animal mécontent.
— Ça, je n'en ai pas la moindre idée, confessa Laekces sans se départir de son sourire suffisant.

Viscardi poussa un rire moqueur par le nez et s'approcha pour planter son index dans le torse de l'ondin.

— En fait, t'en sais pas plus que nous. Arrête de prendre de grands airs, le triton.
— Venant d'un ignare primitif tel que toi, l'insulte m'effleure à peine.

Spectateur de cette scène, Kophyn esquissa un sourire amusé. Si le vampire n'avait pas tort, la répartie de l'ondin n'en était pas moins délicieuse. La vexation sur les traits du premier plus encore.

Pourtant un soupir las les coupa. Le dernier membre de leur groupe leva les yeux au ciel et s'ébroua, chassant l'eau du buisson de broussaille qu'étaient ses cheveux. Kophyn se tourna légèrement pour éviter le mouvement de ses cornes en lyre, bien trop grandes pour ce petit gabarit. Il lui semblait avoir entendu leur Samaritain l'appeler Kurna, ou peut-être était-ce Kourdia ? Krunia ! Il s'en souvenait, à présent, c'était bien Krunia ! Le pays dont elle était originaire était si harassé par l'éclat et la chaleur du soleil que Kophyn était certain de n'y avoir jamais mis les pieds.

La peau brune de la toute jeune femme révélait une dépigmentation par endroits, lui offrant une allure tachetée qui se retrouvait généralement sur les animaux. Ce n'était pas vilain.

Alors qu'elle décidait de suivre ce semblant de sentier, la démarche chaloupée de la jeune femme attira l'attention de l'elfe noir. S'il s'attendait à découvrir une infirmité quelconque, il remarqua, au lieu de cela, une paire de pattes qui remplaçait des jambes humaines et une croupe ronde d'où gesticulait d'impatience une queue courte et touffue. Les sabots de la faune, puisqu'elle en était une, s'enfonçaient dans la boue du chemin alors qu'elle dépassait Fyre et Laekces. À côté d'eux, elle était si menue qu'elle ressemblait à une adolescente.

— Cessez de vous comporter comme des idiots, rabroua-t-elle sans s'arrêter. Si ça vous convient d'être enchaînés tels des esclaves, ce n'est pas mon cas. En route, trouvons ce mot qui doit être réveillé et finissons-en.

Le silence retomba sur le groupe dès lors que Krunia eut terminé, si tant était qu'une pluie battante fut considérée comme le silence. Force était de constater que les querelles étaient inutiles. Tous s'accordaient à dire que cela ne les mènerait à rien.

Un long chemin de terre devenu boueux remontait la colline avant de serpenter sur l'autre versant. Au sommet, Krunia attendait ses compagnons, sans dissimuler son impatience, puisqu'elle frappait le sol de son sabot pour les presser.

Au loin, en contrebas, la silhouette d'un village, rendue imprécise par la pluie, les attendait de pied ferme. Elle se lovait dans une cuvette de brouillard, tout droit sortie d'un songe. Les lueurs des chandelles sous verre se muaient en une multitude de lucioles malmenées par le vent et au fur et à mesure que Kophyn approchait, il appréhendait l'immense demeure à l'autre extrémité du village.

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