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leanalaloum
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Chapitre 4

Le lendemain matin, un vent glacé balaye les rues d’Ashford, fouettant mon visage avec une rudesse presque bienvenue. Chaque rafale semble vouloir effacer mes pensées, mais rien n’y fait. Jayden. Kylie. Cette photo. Ce regard. Tout tourne en boucle, comme un disque rayé impossible à faire taire.

Je resserre ma veste contre moi en traversant le parking du lycée, la tête baissée, les épaules tendues sous le poids des regards. Peut-être que je me fais des idées. Peut-être qu’ils ne me regardent pas plus que d’habitude. Mais la paranoïa s’infiltre. Et avec elle, la certitude grandissante que ce que j’ai vu n’était que la première pièce d’un puzzle bien plus vaste.

Je franchis les grilles du lycée comme on franchit la frontière d’un territoire ennemi. Tout ici transpire la normalité, mais cette façade ne me trompe plus. L’odeur du désinfectant mélangé au vieux papier, les éclats de voix dans les couloirs, les casiers qui claquent comme des avertissements… Tout me ramène à ma mission.

Aujourd’hui, je dois approcher Jayden.

Et cette fois, je ne peux pas me défiler.

La matinée s’étire, longue, poisseuse, comme une attente sous tension. Je passe d’un cours à l’autre sans écouter, notant mécaniquement quelques mots pour donner le change. Chaque fois que je croise Jayden dans un couloir, mon cœur manque un battement. Il me voit. C’est sûr. Il détourne les yeux une fraction de seconde trop tard, comme s’il hésitait à venir vers moi… ou à s’éloigner.

Il attend que je bouge. Il me teste. Il sait quelque chose.

À la pause déjeuner, je l’aperçois dehors, assis sur les marches qui bordent le terrain de sport. Étrangement seul, casque vissé sur les oreilles, les jambes étendues devant lui. Il dégage cette aura de contrôle, de calme, mais quelque chose dans sa posture me dit qu’il est sur le qui-vive. Il ne l’avouera jamais, mais lui aussi est en alerte.

Je me mords l’intérieur de la joue, puis me décide.

Allez, Ali. Bouge.

Je traverse la cour, ignorant les groupes d’élèves qui rient trop fort, leurs regards furtifs qui glissent sur moi, curieux, parfois moqueurs. J’inspire profondément et, arrivée à sa hauteur, je fais mine de trébucher. Mon sac tombe à ses pieds dans un bruit mat.

C’est basique, presque grotesque. Mais il relève la tête immédiatement, ôte un écouteur.

Ses yeux métalliques accrochent les miens. Un éclair d’amusement y danse.

— T'es toujours aussi maladroite, ou c'est pour moi que tu fais ça ? demande-t-il, moqueur.

Je joue le jeu. Je rougis. Légèrement.

— On va dire… un peu des deux, je murmure avec un petit rire nerveux.

Il tend la main, ramasse mon sac, me le rend sans un mot de plus. Nos doigts se frôlent. Une décharge électrique me traverse, suivie d’un frisson involontaire.

— Ali, c’est ça ? lance-t-il, un coin de sa bouche relevé dans un sourire ironique.

Je hoche la tête, incapable de répondre autrement.

Un silence. Léger. Tendu. Étrangement intime.

Puis, sans insister, il tapote la marche à côté de lui.

— T’as qu’à t’asseoir. C’est mieux que de rester debout à te tortiller comme une feuille.

J’hésite. Puis je m’exécute, m’asseyant à une distance prudente.

Les minutes passent. Le silence s’étire. Je le regarde du coin de l’œil.

Il fixe l’horizon. Expression neutre. Trop neutre.

Jayden n’est pas censé être seul. Pas comme ça. Pas lui. Et pourtant, il l’est.

Je décide de briser le silence, doucement.

— C’est… pas facile d’être nouvelle, je murmure.

Un demi-sourire étire ses lèvres.

— Non. Surtout ici.

Je prends une inspiration plus profonde. Mon cœur bat plus vite.

— Je crois que certaines personnes aimeraient que je parte…

Il ne tourne pas la tête, mais je sens son attention se fixer sur moi.

— Hier, j’ai trouvé un mot dans mon casier. Pas très sympa.

Cette fois, il me regarde franchement.

— C’était quoi, le message ?

Je hausse les épaules, faussement détachée.

— Rien de grave. Juste un avertissement.

Un silence. Puis il dit, presque à voix basse :

— Ils testent les limites. Ils veulent voir si tu vas craquer.

Il ne plaisante plus.

Ses yeux se plissent légèrement, et je vois, sous la surface, une ombre. Une cicatrice invisible.

— Qui, "ils" ? je demande.

Il détourne le regard, les mâchoires serrées.

— Ici, tout le monde a des secrets, Ali. Ceux qui restent sont ceux qui apprennent à se taire.

Puis, sans prévenir, il se lève. Remet ses écouteurs. Me tourne le dos.

Je le regarde s’éloigner, le cœur battant plus vite qu’il ne devrait.

Ashford est une ville pleine de silence. Un silence qui étouffe.

Et Jayden vient de m’en ouvrir la porte.

L’après-midi se traîne, enveloppée dans une brume de pensées confuses. Je suis ailleurs. Chaque mot qu’il a prononcé tourne dans ma tête. Des secrets. Ceux qui restent… se taisent.

Quand la cloche de fin de journée retentit, je sursaute presque. Je range mes affaires à la hâte et sors, la tête encore pleine de ce que je viens d’entendre.

Mon "père" n’est pas encore là.

Je m’adosse à un lampadaire, bras croisés, scrutant le parking.

Un frisson.

Je me retourne.

Il est là.

Jayden.

Adossé contre une moto usée, casque à la main. L’air calme. Détaché. Mais son regard… Son regard me transperce.

Il ne sourit pas.

Pas cette fois.

Nos yeux se croisent. S’accrochent. Et quelque chose passe entre nous. Une tension sourde, grave. Une promesse de vérité ou de danger.

Un klaxon me fait sursauter.

Mon "père" est là.

Je monte dans la voiture sans me retourner.

Mais même enfermée dans l’habitacle, je sens encore ses yeux sur moi.

Le soir, dans ma chambre plongée dans la pénombre, je rouvre l’ordinateur. Je retourne sur le profil de Jayden. Je creuse. Encore.

Rien. Juste des photos banales. Des souvenirs d’un autre temps.

Puis je tombe sur une publication oubliée, datant de plusieurs années.

Une photo d’un bracelet cassé, posé sur un banc en bois.

La légende :
"Certains souvenirs sont trop lourds pour être portés."

La date correspond presque exactement à la disparition de Kylie.

Un frisson glacé descend le long de mon dos.

Il sait.

Il était là. Ou il a vu.

Ou peut-être… il aurait pu empêcher.

Je m’allonge sur mon lit, fixant le plafond.

Le doute s’insinue en moi comme un poison lent.

Et s’il était impliqué ? Et s’il mentait ? Et s’il me manipulait ?

Je ferme les yeux.

Demain, je m’approcherai encore. Peu importe le prix.

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