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leanalaloum
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Chapitre 5

La nuit a été un supplice.

Impossible de fermer l’œil sans revoir le visage de Kylie, son regard lumineux, son rire qui résonnait encore dans ma mémoire… puis, inévitablement, celui de Jayden, figé dans un demi-sourire énigmatique, comme s’il savait. Comme s’il avait vu ce que personne d’autre n’a vu.

Je me suis retournée une centaine de fois dans mon lit, la photo de la veille imprimée dans mes rétines. Le bracelet brisé. La légende. Et cette date qui collait trop bien à la disparition.

Je n’ai dormi qu’à peine deux heures, et ce matin, en me regardant dans le miroir embué de la salle de bain, j’ai du mal à me reconnaître. Les cernes noircissent mes yeux, ma peau est blafarde, et il y a cette lueur dans mon regard… un mélange de rage, de peur et de détermination. Je ressemble à une fille hantée.

Et c’est exactement ce que je suis.

Le trajet jusqu’au lycée se fait dans un silence oppressant. Mon "père" au volant ne dit pas un mot. Je n’en dis pas plus. Je suis déjà ailleurs. Dans ma tête, le plan est clair.

Aujourd’hui, je creuse.

Pas derrière un écran, pas avec des recherches en ligne. J’ai besoin de preuves concrètes. De regards fuyants. De vieux dossiers, de photos oubliées. J’ai besoin de fouiller le passé d’Ashford, directement à la source.

À peine ai-je mis un pied dans l’enceinte du lycée que je redeviens cette fille invisible. Celle que personne ne remarque. Celle qu’on oublie aussitôt le dos tourné. Une silhouette de plus parmi les couloirs pleins à craquer.

Je me fonds dans la masse, les sens en alerte.

Première étape : chercher des traces physiques. Et je sais exactement par où commencer.

Je me dirige vers le panneau d'affichage, coincé entre les distributeurs et la salle des profs. Il déborde de tracts en tout genre : clubs, annonces de babysitting, audition pour la pièce de théâtre de fin d’année…

Je fais mine de chercher une activité, le regard absent, quand une affiche à moitié arrachée attire mon attention. Derrière une publicité pour le club de chorale, un vieux flyer, jauni et gondolé par le temps, dépasse à peine.

Je tire dessus délicatement.

"Tournoi de basketball – Avril – Venez soutenir nos joueurs ! 🍿🔥"

La date exacte où Kylie a disparu.

Et sur la photo, alignés en maillots, les sourires éclatants d'une équipe triomphante. Parmi eux : Jayden.

Plus jeune. Moins dur. Mais déjà ce regard intense, impossible à ignorer.

Mon estomac se noue.

Il était là. Impliqué. Intégré. Assez proche pour avoir vu, entendu… ou su.

Je plie le flyer en quatre et le glisse dans mon sac, le cœur battant.

Deuxième étape : les rumeurs.

Je sais comment fonctionnent les lycées. Les souvenirs y flottent comme des spectres, chuchotés entre deux portes, transmis comme des légendes urbaines. Les murs ont des oreilles, et les élèves, des langues bien pendues.

Je traîne dans les couloirs, m'attardant près des escaliers, de la cafétéria, des toilettes. Je tends l’oreille à chaque éclat de voix, chaque murmure.

Mais c’est à l’heure du déjeuner que le hasard me sourit.

Je m’installe à une table isolée, mais assez proche d’un groupe de filles bavardes. Elles rient trop fort, comme pour masquer des propos qu’elles ne devraient pas prononcer.

Puis l’une d’elles baisse d’un ton.

— Tu te rappelles… Kylie ?

Le prénom me transperce comme une lame froide.

Je baisse la tête, fixant mon plateau, chaque muscle tendu.

— Ouais. C’était glauque. Genre, elle est juste… partie ? Disparue ? Ça fait flipper.

— Ma sœur dit qu'elle avait des problèmes avec quelqu’un. Genre, quelqu’un ici.

— Jayden ? souffle une autre.

Silence.

Puis un petit rire nerveux.

— Tu délires. Jayden, il ferait jamais un truc comme ça.

Mon sang ne fait qu’un tour.

Ils parlent d’elle comme d’un vieux fait divers, une rumeur poussiéreuse. Mais moi, je sais. Je sais ce que c’est de voir Kylie pleurer en silence, de sentir sa peur. Et aujourd’hui, je sens la colère monter.

Quand la cloche sonne, je laisse mon plateau à moitié entamé et file sans un mot.

Nouvel objectif : le local photo.

Un souvenir flou me revient. Le journal intime de Kylie, qu’on m’a laissé consulter au poste quand l’enquête battait son plein. Quelques lignes griffonnées à la hâte, évoquant un projet de photo, un rendu important, juste avant sa disparition.

Je pousse la porte du local avec prudence.

L’odeur de produits chimiques m’envahit immédiatement — un mélange de vinaigre, de métal, et de quelque chose de vieux. Des tirages pendent encore sur des fils. Le lieu semble figé dans le temps.

Personne.

Je referme la porte doucement, le souffle court, et commence à fouiller.

Des boîtes pleines à craquer de clichés en noir et blanc. Des photos de matchs, de fêtes, de soirées costumées, de portraits d’élèves que je reconnais à peine.

Et puis, une série me fait m’arrêter.

Une fête au bord du lac. Lieu typique. Feux de camp, bouteilles, visages flous d’adolescents bruyants.

Et au second plan, presque en retrait, une silhouette.

Kylie.

Elle n’a pas l’air de faire la fête. Elle regarde derrière elle, crispée.

Et juste à côté… Jayden.

Il ne la regarde pas. Mais son visage est fermé. Tendu.

Je saisis la photo d’une main tremblante et la glisse dans la poche intérieure de ma veste. Une preuve. Une vraie.

Mais alors que je m’apprête à sortir, la porte s’ouvre brusquement.

Je sursaute.

Jayden.

Il est là, silhouette imposante dans l'encadrement, son regard perçant immédiatement fixé sur moi.

— Qu’est-ce que tu fais là ? demande-t-il, sa voix coupante comme une lame.

Je me fige, comme une biche prise dans les phares.

Réfléchis, Ali. Vite.

— Je… je voulais m’inscrire au club de photo… j’aime bien les vieux appareils, j’improvise, bancale.

Il ne répond pas tout de suite. Il entre lentement, ses pas lourds sur le sol carrelé.

Il s’arrête à quelques centimètres de moi.

Je sens son regard brûlant sur ma peau. Il me scrute. Il sait que je mens.

Et pourtant, il ne dit rien.

Juste un sourire. Léger. Mais triste. Fatigué.

— Fais attention, Ali, murmure-t-il.

Puis il tourne les talons et s’en va, comme une ombre.

Ce soir-là, je suis allongée sur mon lit, les preuves étalées autour de moi.

Le flyer. La photo de Kylie. Le bracelet sur son mur.

Trois fragments d’un passé brisé.

Jayden sait quelque chose. Peut-être même qu’il veut m’aider. Mais il ne parle pas. Il me teste. Il me jauge.

Mais je ne peux pas lui faire confiance. Pas encore.

Je suis seule dans ce puzzle. Et il va falloir que je trouve toutes les pièces, une par une.

Même si certaines coupent les doigts.

Même si la vérité… fait mal.

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