La nuit fut une suite d’images floues et dérangeantes.
Je me débattais dans mes draps comme prise dans une toile invisible, piégée par les souvenirs et les symboles. La pluie tambourinait contre la vitre, rythmant mes cauchemars d’une musique obsédante. Dans mes rêves, Kylie me regardait, immobile, son regard chargé de détresse, et à ses pieds brillait une clef dorée. Mais dès que je voulais la saisir, elle disparaissait dans un nuage de cendres.
Quand le réveil sonna, j’eus l’impression de sortir à peine d’un brouillard. Mes paupières étaient lourdes, mon corps douloureux, comme si j’avais couru toute la nuit. Mais l’excitation me secoua d’un coup : c’était aujourd’hui. Aujourd’hui, je chercherai la clef.
Le symbole que Kylie avait dessiné, encore et encore, comme un fil conducteur vers une vérité enfouie.
Je sautai du lit, trébuchant presque sur la couverture enroulée à mes pieds. Une douche rapide, presque glacée, pour me remettre les idées en place. J’enfilai un jean, un pull sombre et ma veste à capuche. Je pris mon café brûlant à la hâte dans la cuisine. Mon "père" était là, comme chaque matin, absorbé par son journal. Il leva à peine les yeux quand je sortis, ses gestes mécaniques trahissant une routine trop bien huilée pour qu’il remarque mes tremblements.
Dehors, le ciel semblait prêt à s’effondrer. Un gris métallique étouffant, sans nuances.
L'air sentait la terre mouillée et l'électricité, comme si quelque chose allait se produire.
Le trajet jusqu'au lycée me parut plus long que d'habitude. Mes pensées tournaient en boucle autour du symbole, du cahier, de la pièce secrète. Le bus était silencieux, à peine troublé par les murmures et les vibrations du moteur. Je me sentais comme une étrangère parmi eux, dans une bulle de tension que personne d’autre ne percevait.
Quand j’entrai dans le bâtiment, une étrange sensation s’empara de moi. Quelque chose avait changé. L’air semblait plus lourd, comme chargé d’une menace sourde.
Les couloirs, pourtant familiers, paraissaient distordus, chaque recoin potentiellement dangereux.
Je marchai jusqu’à mon casier, le cœur battant, mes doigts serrant la lanière de mon sac. Pas de nouveaux messages cette fois. Pas de petits papiers.
Mais des regards.
Ils étaient là.
Furtifs, dissimulés derrière des livres, des cheveux, des sourires figés.
Je n’étais plus invisible. Et ce n’était pas bon signe.
Les cours du matin se déroulèrent dans un flou tendu. Mon regard glissait sur les murs, les coins des salles, les tableaux d’affichage. À la recherche du symbole.
Rien.
Rien qu’une normalité oppressante.
J’avais l’impression de devenir paranoïaque. Mais mon instinct hurlait que non. Que tout cela avait un sens.
À la pause de midi, je quittai la cafétéria sans m’arrêter. Je pris le chemin du vieux gymnase désaffecté. Un bâtiment oublié, perdu à l’arrière du lycée, derrière les terrains de sport en friche.
La porte était bien sûr verrouillée, rouillée jusqu’à l’os. Mais j’avais repéré une fenêtre cassée. Un éclat de verre encore planté dans le rebord. Je posai mon sac au sol, m’approchai prudemment et grimpai sur une vieille benne rouillée.
Une fois à l’intérieur, l’odeur me frappa en premier : poussière, humidité, bois moisi.
Je sortis mon téléphone et activai la lampe torche. La lumière tremblait sur les murs décolorés, révélant des vestiges d’un autre temps : des paniers brisés, un tableau noir fissuré, des bancs renversés.
Je fis lentement le tour, chaque pas résonnant dans le silence.
Puis… un détail attira mon œil.
Un éclat. Une surface différente.
Je me penchai derrière une vieille étagère penchée et découvris une porte.
Une vieille porte en bois, taguée, oubliée de tous.
Mais pas de Kylie.
Sous la poignée, à peine visible sous la crasse : le symbole. La clef.
Gravée, fine, discrète, mais indéniable.
Mon cœur rata un battement.
Elle était venue ici.
Elle avait voulu qu’on le sache.
Je pris une profonde inspiration et posai la main sur la poignée. Elle grinça dans un gémissement lugubre, puis céda.
La porte s’ouvrit sur un escalier en colimaçon, plongeant dans l’ombre.
Je descendis.
Une marche. Puis une autre. L’air devenait plus froid, plus humide. Chaque pas me rapprochait d’une vérité que je n’étais pas certaine d’être prête à entendre.
En bas, une pièce.
Vide.
Ou presque.
Un ancien vestiaire sans doute, aux casiers éventrés, à la peinture écaillée. Et là, au centre, sur un banc rouillé : un cahier.
Posé comme une offrande.
Mes jambes tremblaient quand je m’en approchai. Je tendis la main et le pris.
Le cuir était poussiéreux, mais l’objet intact. Quand je l’ouvris, mon souffle se coupa.
L’écriture.
La sienne.
Kylie.
Des pages et des pages de confidences.
Des mots hâtifs, griffonnés dans la peur.
Des dates.
Des noms.
Je dévorai les premières lignes.
"Ils me regardent. Ils savent que je sais. Mais je dois continuer. Quelqu’un doit le faire."
Plus loin :
"Même Jayden… je ne sais plus. Il ment. Ou il tait quelque chose. Il est piégé, lui aussi, peut-être."
Et encore :
"Le club est une façade. Le vrai secret est caché. Derrière la salle de musique. Au dernier étage. Là où personne ne va jamais."
Je rangeai le cahier contre moi, tremblante.
Mais alors que je me retournais vers l’escalier, un bruit me glaça.
Un grincement.
Des pas.
Une ombre.
Quelqu’un.
Je me plaquai contre le mur, retenant ma respiration.
Je vis passer une silhouette.
Puis les bruits s’éloignèrent.
Je remontai précipitamment, débouchai hors du gymnase et me fondis dans la foule des élèves comme un fantôme.
Quelqu’un m’avait suivie.
Quelqu’un savait ce que j’avais trouvé.
Le reste de la journée fut un supplice. Chaque regard me paraissait chargé de sous-entendus. Chaque mot, chaque silence, chaque rire dans les couloirs devenait suspect.
À la fin des cours, je retrouvai la voiture sans oser me retourner.
Une fois dans ma chambre, la porte verrouillée, je ressortis le cahier, mes doigts sales de poussière tremblant encore.
Je lus jusqu’à ce que mes yeux me brûlent.
Des jeux imposés. Des humiliations. Des pressions psychologiques. Et ce "M." omniprésent, tapi dans l’ombre.
Pas un élève.
Un autre.
Un adulte.
Et puis cette dernière mention, juste avant sa disparition :
"J’ai trouvé le passage. Il mène aux archives du lycée. C’est là qu’ils conservent leurs secrets."
Les archives.
Le dernier étage.
Le club.
Tout était lié.
Je fermai le cahier, la gorge serrée.
Demain, j’irai voir.
Demain, je franchirai la dernière porte.
Même si derrière, il y avait les monstres.
Ceux qui vous tiennent la main.