Sierra
Un à-coup brutal me tira à moitié de ma torpeur.
La voiture ralentit, puis s'arrêta.
Je luttai pour ouvrir les yeux, pour m'arracher à cette lourdeur qui m'aspirait.
Ma tête bascula contre la vitre froide. L'air sentait la rouille et la terre mouillée.
Je sentis des mains me soulever de nouveau, me faire passer par une porte, puis l'obscurité m'avala tout entière.
Quand je repris réellement conscience, tout était flou.
Une lumière blafarde éclairait à peine la pièce.
Le sol était dur sous mon dos.
Mon cœur battait à tout rompre, martelant ma poitrine comme un tambour de guerre.
Je clignai des yeux, péniblement.
Des ombres bougeaient autour de moi.
Je tentai de me redresser, mais mon corps refusait de coopérer. Mes bras étaient entravés... menottés ?
— Elle est réveillée, annonça une voix rauque quelque part au-dessus de moi.
Mon sang se glaça.
Je tournai lentement la tête ; le moindre geste m'arracha un gémissement étouffé.
Et là, au milieu de cette pièce inconnue, je le vis.
Lev.
Son visage était impassible, froid, presque méconnaissable.
Pas un mot. Pas un sourire.
Rien que ce regard vide, indéchiffrable.
Il savait.
Depuis le début.
Mon cœur se fissura, la peur laissant place à une douleur plus tranchante encore.
La trahison. Encore une trahison.
Heureusement que je n'avais pas eu le temps de m'attacher à lui.
Mais c'était décevant, de voir que tout le monde me trahissait sans remords.
Suis-je si insignifiante que ça ?
— Salut ma belle, me dit l'homme aux côtés de Lev.
— Lev ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Où suis-je ?
— Tu es chez moi, Sierra. Bienvenue.
La pièce était sombre, presque noire. Mais je distinguais tout de même... rien. Il n'y avait rien, à part la chaise sur laquelle j'étais assise.
— Pourquoi ? demandai-je, la voix tremblante.
— Parce que j'ai besoin de toi, répondit-il.
— Qu'est-ce que je peux bien faire ? Et pourquoi m'avoir emmenée ici ?
— Tu le sauras très bientôt.
— Qui es-tu vraiment, Lev ?
— Quelqu'un que tu vas regretter d'avoir rencontré, маленький идиот.
— Dis-moi ce qu'il se passe, s'il te plaît, Lev.
— Tu l'apprendras bien vite. En attendant, tu devrais t'habituer à cette chambre.
Une chambre ? Ça ?
Il n'y avait même pas de lit.
— Combien de temps comptes-tu me garder ici ?
— Autant de temps qu'il le faudra.
— Tu ne peux pas faire ça, ils... ils me retrouveront. Et toi, tu iras en prison.
— Tu es si naïve, Sierra. C'en est presque peinant.
Il s'approcha de moi et détacha les menottes.
Je massai mes poignets endoloris par le frottement.
La sonnerie d'un téléphone retentit — mon téléphone.
— Oui, bonjour madame, commença Lev après avoir décroché. Votre fille s'est endormie, elle était très fatiguée. Oui, elle vous enverra un message lorsqu'elle sera réveillée.
Profitant de ce moment, je me levai discrètement et me dirigeai vers la porte. Je l'ouvris sans qu'il ne s'aperçoive de rien.
Mais soudain, je sentis un objet froid contre ma tempe.
Je tournai doucement la tête, et me figeai de peur.
— En... enlève ce flingue de ma tête, Lev.
— Qu'est-ce que je t'ai dit ? Si tu ne retournes pas t'asseoir tout de suite, je n'hésiterai pas à tirer.
Il baissa son arme, sortit de la pièce, qu'il ferma, évidemment, à clé.
Quelques minutes plus tard — des minutes interminables — l'homme qui accompagnait Lev revint.
Il était très grand, au moins un mètre quatre-vingt-dix. Ses cheveux bouclés, d'un blond foncé, faisaient ressortir ses yeux verts.
— Qu'est-ce que vous me voulez ? demandai-je, les larmes au bord des yeux.
— Aucun mal, ma belle. Moi, c'est Jace. Viens, je vais te monter à ta chambre.
— Ma chambre ? répétai-je, confuse.
— Oui. Je n'allais pas te laisser dormir dans ce trou à rat. Par contre, si tu profites de ça pour essayer de t'échapper, ce ne sera pas une chambre, mais un placard. Est-ce que c'est clair ?
— Ou... oui.
Nous montâmes un escalier sombre. Son craquement trahissait la vieillesse de l'habitation.
Il menait droit à un salon attenant à une cuisine. Le salon comprenait un canapé, une télé, une table.
Jace me conduisit jusqu'à ma chambre, juste en face.
Elle était petite. Il y avait un lit, et... rien d'autre.
Juste un lit.
C'était déjà mieux que la chaise.
Au niveau 3, j'aurais peut-être droit à un bureau.
— Tu ne bouges pas d'ici avant que l'un de nous deux, Lev ou moi, te dise que tu peux sortir. Je vais chercher quelques affaires chez toi et te les ramener.
— Est... est-ce que vous pouvez prendre des livres ? Et mon ordinateur ?
— Les livres, oui. Mais l'ordi ? Pourquoi faire ?
— J'écris un livre. S'il... s'il vous plaît.
— Bon, ok. Et tutoie-moi.
Lev entra dans la pièce.
— Tu vas prendre ce téléphone, appeler ta mère et lui dire que tu vas bien, mais que tu ne peux pas lui parler tout de suite. Et attention à ce que tu dis. Je suis là. Le moindre faux pas... et je tire.
Il me tendit le téléphone.
J'entendis le cran de sûreté de son arme sauter.
— A... allo, maman ?
— Coucou ma puce ! Tu vas bien ?
— Oui, ça va. Et toi ?
— Très bien. T'es où, là ?
Lev articula silencieusement : "attention, je suis là".
— Chez moi.
— Tu veux passer à la maison dans la semaine ?
— J'ai pas trop le temps, en ce moment... désolée.
— C'est pas grave, je t'aime ma puce.
— Je t'aime aussi, maman, répondis-je, sentant les larmes couler sur mes joues.
Elle raccrocha.
— T'as bien fait de lui dire que tu l'aimes. Tu ne la reverras pas de sitôt.
— Je te déteste, Lev.
— Moi aussi, маленький идиот. Je te hais, de tout mon cœur.